19/04/2016
La veillée
"Ce qui change le cours des choses n'est pas la vérité, mais de la savoir."
Le père de Sébastien vient de mourir. Marie, son amie d'enfance, le rejoint et l'accompagne lors de La Veillée du défunt. L'occasion de découvrir tout un pan de la vie paternelle, mais aussi de revenir sur des éléments du passé de ces quadragénaires qui auraient pu évoluer différemment.
Chacun d'entre nous a eu ou aura à se confronter au deuil d'un parent. Une situation douloureuse pour laquelle Virginie Carton a su trouver le ton juste, ne basculant ni dans le sentimentalisme, ni dans la contrition.Elle dépeint avec une grande précision la gamme des sentiments par laquelle passe Sébastien et brosse avec tendresse une formidable histoire d'amitié , qui a su se jouer du temps et de la distance.
Un roman qui fait du bien et nous donne envie de profiter encore plus de la vie.
La veillée, Virginie Carton, Stock 2016, 219 pages piquetées de marque-pages.
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15/04/2016
La théorie de la tartine...en poche
"Je sais que chafouin signifie sournois, mais mon cerveau a arbitrairement décidé qu'il était en fait l'équivalent de "petite tête de marmotte un peu triste, déçue, contrariée et fatiguée". je vais notifier cette modification du dictionnaire à l'Académie française par un courrier avec accusé de réception et hop, le tour sera joué."
Mon parcours avec Titiou Lecoq, romancière , chroniqueuse et blogueuse médiatique a é quelque peu chaotique. D'abord, un échec de lecture, les Morues, rien que le titre m'était resté en travers de la gorge, la demoiselle ne faisant pas dans la dentelle, mais la grossièreté c'est parfois roboratif et ici toujours pleinement assumé , ce qui n'est déjà pas mal.
Puis, cédant aux appel de sirènes, Cuné et Antigone en tête, et d'une offre promotionnelle sur liseuse, je me suis procuré La théorie de la tartine, que je n'ai pas lâché.
Paradoxalement, ce n'est pas tellement l'histoire de cette jeune femme qui voit ses ébats amoureux livrés en pâture sur internet en 2006 par un ex vengeur et accumule ensuite les ennuis (d'où le titre) qui m'a le plus intéressée.
J'ai , en effet, plutôt lu ce roman comme un panorama de l'évolution nos relations à internet, et le point de départ comme un prétexte.
Ce qui remonte à peine à dix ans apparaît déjà presque comme de la préhistoire !
J'ai enchaîné enfin avec Chroniques de la débrouille, , paru aux éditions Fayard sous le titre Sans télé, on ressent davantage le froid et là je me suis vraiment régalée ! Le talent de Titiou Lecoq donne sa pleine mesure dans le format court ! Son humour, parfois trash, parfois plus littéraire fait un bien fou ! Ces tranches de vie (parfois sanguinolentes comme une tranche de foie crue, les lectrices ayant vécu un retour de la maternité apocalyptique comprendront), sonnent juste et ce portrait d'une génération est tout à la fois enlevé et plein de vie !
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12/04/2016
Effacer sa trace
"Nos bonnes manières et nos diplômes ne pouvaient remplacer le lien essentiel , susceptible d'orchestrer, à partir de mélodies disparates, une symphonie harmonieuse."
"Un homme peu fréquentable" ,ainsi est intitulée la première partie du roman. Un homme qui , durant toute l'enfance de la narratrice s'est institué en juge du comportement de ses enfants, est resté pour eux une énigme, énigme qui les rattrape quand leur père est emmené à l’hôpital ,puis meurt.
Se pose alors le problème du rapatriement du corps dans le pays natal paternel, pays jamais nommé mais qui peut être identifié comme étant l'Algérie.
Issus d'un mariage mixte, ayant explosé il y a des années, la fratrie va devoir se confronter à un pays, une famille dont ils ignorent quasiment tout, si l'on excepte pour deux d'entre eux, un premier séjour à l'adolescence, choc culturel particulièrement violent.
En plus de ce récit du retour loin de toute idéalisation, j'ai particulièrement aimé dans ce roman l'importance accordée aux mots, que ce soit le jargon du monde professionnel de la narratrice où "Sans remettre en cause ma valeur professionnelle, ils avaient souligné mon manque de personnalité et, peut être, d'authenticité, qui ne correspondait pas à leur démarche." (comprendre que se basant sur le prénom de la narratrice, seule de la fratrie à ne pas l’avoir francisé, la marque Nourlouda s'attendait à ce qu’elle les renseigne sur les pâtisseries les plus appréciées lors des fêtes musulmanes),ou le vocabulaire usité dans les hôpitaux par exemple.
Un roman qui décrit très bien la difficulté des relations entre un père qui tente une dernière approche de ses enfants (il s'intéresse ainsi à la bibliothèque de la narratrice) et une fratrie qui se débrouille chacun à sa façon pour trouver sa place dans ce biculturalisme.
Effacer sa trace, Malika Wagner, Albin Michel 2016, 179 pages.
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11/04/2016
Ma fugue chez moi
"La distance et le silence permettent d'oublier plus facilement, de ne pas se soucier de ceux qu'on laisse derrière nous."
Trahie par celle qu'elle croyait être sa meilleure amie, se sentant incomprise par son père qui croit qu'elle est assez forte pour affronter cette situation, Anouk , 14 ans, décide de fuguer.
Mais, ayant le sens des réalités, l'action se déroule quelques jours avant Noël, elle se réfugie dans le grenier au dessus de sa chambre, tandis que sa famille s'inquiète et la recherche partout.
Une situation inédite, la fugue chez soi, en apparence plus confortable, va se révéler en fait plus perturbante pour Anouk et simultanément plus enrichissante.
En effet, elle investit, sur le modèle de Robinson Crusoé (un des romans qu'elle a emportés )- mais de manière plus écolo !- un lieu en devenir, voué à la transformation en chambre d'amis mais rassemblant aussi les témoignages du passé. Un lieu hybride qui "sent la peinture fraîche et le moisi, le neuf et le vieux. Drôle d'impression." Un lieu d'une certaine façon à l’image de l'adolescence. Un endroit qui occupe aussi une position stratégique car les tuyaux du chauffage, "comme un immense système sanguin " ,conduisent le son et permettent à l'adolescente d'entendre les paroles de son père, de sa sœur cadette. Elle est ainsi témoin de leur souffrance et entend,lors d'une réunion collégiale, le portrait à 360° que trace "ceux qui se soucient" d'elle. Pas toujours confortable mais c'est aussi l'occasion de réaliser qu'ils la connaissent mieux qu'elle ne le pensait.
Anouk constatera donc à la fin du texte : "J'ai l'impression d'avoir fugué à l'intérieur de moi.", un voyage intérieur ,enrichissant tant au point de vue personnel que familial.
En 116 pages sensibles et poétiques, Coline Pierré brosse le portrait d'une adolescente attachante dont le mal être traduit celui d'une famille au fonctionnement pour le moins particulier. Sans manichéisme, mais avec beaucoup de tendresse, elle laisse entendre la voix de chacun pour que l’harmonie soit rétablie à la toute fin du roman. Un gros coup de cœur !
La découverte d'une auteure que j'ai bien l'intention de suivre !
Ma fugue chez moi, Coline Pierré, Éditions du Rouergue 2016.
Le billet du petit carré jaune qui m'a donné une furieuse envie de lire ce roman !
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01/04/2016
La carapace de la tortue...en poche
Disgracieuse, maladroite, Clotilde a vite compris qu'elle désespérait sa famille et l'a quittée très jeune. Quand elle revient habiter chez sa tante, surnommée la Vilaine, c'est pour reconquérir son estime de soi, fort mise à mal par son obésité et les agressions qu'elle suscite.
C'est grâce à l'art et à l'aide de certains des habitants de cet immeuble bordelais que Clotilde va commencer à s'épanouir.
J'ai passé un bon moment avec ce microcosme bordelais mais certains tics de style (phrases nominales courtes, voire très courtes), un peu trop de joliesse dans l'écriture, utilisation des italiques durant tout le journal intime de Clotilde (G. Delacourt est sûrement à l'origine de cette allergie !), manque d'une charpente narrative un peu plus solide ont fait que je n'ai pas été aussi enthousiaste que Laure.
Comme elle, j'ai pourtant apprécié que l'auteure ne cède pas à la facilité dans l'épilogue. Un premier roman prometteur et un joli moment de lecture .
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29/03/2016
Un chemin de tables
"...un tempérament à rebours des tendances qui travaillent le monde de la gastronomie-la cuisine envisagée comme un spectacle télévisuel, mise en scène comme une compétition à suspens et les chefs convertis en people, en icônes médiatiques, en visages capables de faire vendre."
Dans ce nouvel opus de la collection "raconter la vie", Maylis de Kerangal s'inspire du parcours atypique d'un jeune cuisinier autodidacte, Mauro,titulaire d'un master d'économie, qui passe un CAP de cuisinier en candidat libre et accumule les stages et les contrats dans des établissements de restauration extrêmement différents. Un chemin de tables , on n'ose écrire un chemin de croix ,où le jeune homme sera confronté à la violence des brigades de cuisine, violence tant physique que psychologique, tempérées par l'esprit de famille qui s'y affirme aussi . Mais c'est un autre type de violence qui le marque davantage:" Quand l'exigence devient une tyrannie, une obsession" quand" la cuisine exige qu'on lui sacrifie tout, qu'on lui donne sa vie."
Maylis de Kerangal dépeint très bien le rapport de la cuisine au corps, à la douleur, à la fatigue extrême, mais aussi la liberté que sait se préserver malgré tout Mauro . Celui-ci en effet, fait son miel des expériences qu'il accumule et à la toute fin du roman envisage une toute nouvelle façon de pratiquer son art, à la fois généreuse et conviviale. On lui souhaite vraiment de réussir !
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25/03/2016
Le bébé
"Le nourrisson est anxiogène, le nourrisson est pathétique: comme le grand malade, il faut s'efforcer de le soulager, de l'aider, de le comprendre.Il devient le bébé quand son regard se fixe, quand il cherche le monde sous le voile."
Voici un projet intéressant : rendre compte à la fois de l'émerveillement toujours recommencé et toujours nouveau devant le bébé qui est le sien car "le bébé m'a rendue sentimentale", l'observer en train de se transformer et de transformer son entourage , le tout avec une grande sincérité et une grande pudeur tout à la fois ; mais aussi "Dire le non-dit: l'écriture est ce projet.à mi-distance entre dire et ne pas dire, il y a le cliché, qui énonce malgré l'usure, une part de réalité. Le bébé me rend à une forme d’amitié avec les lieux commun,s m'en rend curieuse, me les fait soulever comme des pierres pour voir, par dessous, courir les vérités."
Se coltiner avec les clichés donc mais aussi écrire d'une "manière structurée par sa propre contrainte. Les appels du bébé découpent ces pages, d'astérisque en astérisque."
Mi- roman, mi -essai ,ce texte de Marie Darrieussescq est constitué d'observations fines ne tombant jamais dans la mièvrerie , révélant ce qui est souvent tu, sans honte ni forfanterie, par pur besoin d'observation. Un texte lumineux et enthousiasmant ,même pour celles et ceux (comme moi) qui ne extasient pas forcément devant les bébés.
Lu dans la foulée de la biographie de Paula M. Becker où Marie Darrieussecq écrit : " En 2001, j'avais écrit Le Bébé en cherchant à lutter contre les clichés, contre le "qu'est ce qu'une mère ? " Quand le livre est paru, j'ai compris que certains hommes ne peuvent pas prendre au sérieux la maternité.La mère et le bébé, le vrai de cette expérience première et banale: si la mère n'est pas représentée comme une madone (Vierge à l'Enfant) ou comme une putain (Vénus et Cupidon), ils ne savent pas où se mettre."
Le bébé , Marie Darrieussecq, P.O.L 2001.188 pages dévorées d'une traite.
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10/03/2016
La blancheur qu'on croyait éternelle...en poche
« Chez lui, l’affectif l’emportait souvent sur le pratique. »
Mathilde n’ose pas devenir chocolatière car elle est trop diplômée et décevrait son exigeante et envahissante mère.
Lucien, pédiatre, vit dans le même immeuble que Mathilde mais il va lui falloir des mois pour rencontrer sa jolie voisine à deux cents kilomètres de chez lui, tant le monde des sextos et autre facebook lui est étranger.
Joliment scandé par des citations de chansons et de films, La blancheur qu’on croyait éternelle crée un univers douillet où les personnages principaux évoluent à leur aise, en total décalage avec leur époque. En effet, ces trentenaires célibataires se sont donné comme figures tutélaires pour lui Jean-Louis Trintignant et pour elle Romy Schneider (celle des « Choses de la vie », pas Sissi !) Maladroits et touchants, malmenés par leurs prétendus amis, ils peinent à trouver place dans les années 2000 qui leur demeurent totalement étrangères.
Virginie Carton instaure une complicité immédiate et durable avec son lecteur qui se régale à voir les occasions manquées, à repérer les clins d’œil musicaux et cinématographiques (Bande originale pour ne rien manquer à la fin), nous gratifie même de bonus très drôles et d’une guest star surprise. Seul petit bémol : ses personnages principaux semblent parfois un peu trop candides. Une comédie romantique qui remplit parfaitement son contrat, nous divertir avec élégance et finesse.
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09/03/2016
Nuit de septembre
"à ce jour, les chansons sont la solution qui te reste.Tu les entends, on tend vers toi leurs perches auxquelles t'agripper, presque au hasard, et alors, tu t'élances, tu te croches."
C'est un cadeau rare, précieux et déchirant que nous offre ici Angélique Villeneuve. Celui d'un texte qui met à la fois à distance la narratrice mais s'adresse aussi à chacun de nous par le "tu" employé, nous englobant dans une douleur que,secrètement, nous ne souhaitons pas connaître.
Il n'est en effet pas de mot en français pour désigner les parents sont l'enfant vient de mourir, rompant ainsi l'ordre des générations.Ce mot, la narratrice le découvrira pourtant dans une langue étrangère et nous l'offrira, tout comme elle nous révèlera quasiment à la toute fin du texte le prénom de son fils disparu.
Baume des mots, vigueur des arbres pour remonter vers la lumière et cueillir les fleurs d'hiver, titre d'un autre roman de l'auteure.
Si les yeux se brouillent parfois de larmes, aux moments les plus inattendus en ce qui me concerne, il ne faut pourtant pas oublier la grande douceur qui se dégage de ce texte, la grande pudeur aussi, les autres membres de la famille, restant en retrait du texte où se dévoile ,un peu la narratrice.
Un livre nécessaire, lumineux et poétique.
Nuit de septembre, Angélique Villeneuve, grasset 2016, 154 pages pleines de vie.
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05/02/2016
Son corps extrême...en poche
"Et tout le monde chante le silence des os dont on avait oublié le miracle."
De l'accident nous ne saurons rien ou presque. Et déjà cette manière d'entamer le récit en faisant fi de tout sensationnalisme , en abordant apparemment de biais ce qui n'est en fait "que" l'élément déclencheur m'a paru originale et de bon augure.
La victime (peut être consentante) ? Alice, une femme aux abords de la cinquantaine qui va devoir se réapproprier un corps détruit. Une expérience de douleur et de reconstruction que nous suivrons au plus près, à l'intérieur même du corps souvent et l'écriture de Régine Detambel donne ici sa toute puissance , charriant les images, associant les muscles et les mots de la poésie : "Et puis dire des poèmes , car dire un poème c'est marcher en chantant. Les poètes ont toujours quelque chose de rythmique à chuchoter, si bien que, même si on ne marche pas encore, on entend au moins des pas intérieurs qui se meuvent en silence."
Mais c'est aussi au cœur de l'hôpital et de ses soignants que se vit cette expérience, "L'hôpital [qui] démontre sa remarquable faculté à réveiller d'anciennes émotions qui n'étaient oubliées qu'en surface." car c'est bien d'émotions qu'il s'agit, d'émotions et de douleurs vécues dans la fraternité, voire dans ce qui n'est pas de l'amour mais s'en approche de très près. Un texte formidable, à lire et relire pour mieux le laisser décanter et s'en imprègne.
Régine Detambel, Babel 2016.
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