04/12/2017
L'invention des corps
"L'Histoire et la société ont brutalisé leurs corps, comme ceux des autres. Ce sont des siècles de force exercée contre leurs squelettes qui ont modelé leurs silhouettes. Des générations de coercition, de pliage, de froissement, de dilatation, d'expansion, de démolition. L'espace du dehors et du dedans sans cesse en opposition."
D'un massacre d’étudiants mexicains à une bande de hackers se réunissant dans la campagne canadienne, le roman de Pierre Ducrozet est une magnifique trajectoire de réappropriation de corps et de lutte contre les menaces du transhumanisme.
C'est l'élan d'un jeune professeur mexicain, rescapé de ce massacre, qui va se jeter dans les bras d'un apprenti sorcier de la Silicon Valley voulant se débarrasser de la mort. Rien que ça.
Un roman haletant qui , tout en nous retraçant de manière extrêmement vivante, l'histoire du Net, tire la sonnette d'alarme sur des dérives dont nous sommes très proches . Une ironie féroce, mais aussi beaucoup de tendresse pour des personnages atypiques avec qui nous entrons très vite en résonance, garantissent un immense plaisir de lecture. à découvrir dans plus attendre !
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Un grand merci à Clara qui m'a donné envie de dévorer ce roman.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2017, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : pierre du crozet
28/11/2017
La fourmi rouge
"Tout a déjà changé sans que je le sache même. Or, je ne sais pas si ça se sent, mais je suis à peu près aussi douée pour le changement que l'étaient les dinosaures..."
Vania Strudel, quinze ans, a l'impression de ne pas avoir tiré le gros lot à la loterie de la vie. Jugez un peu : en plus d'un prénom et d 'un nom sujets à moquerie, elle est affligée d'un ptosis congénital à l’œil gauche, "En gros , [sa] paupière s’affaisse sur mon iris, ce qui fait qu'[elle a ] l’œil perpétuellement mi-clos, comme l'inspecteur Columbo.", un père taxidermiste et une ennemie jurée.
Elle trimballe aussi, nous l’apprendrons petit à petit une cargaison de secrets. Mais ce qui va déclencher toute une série de bouleversements dans sa façon d'envisager l'existence, c'est un mail anonyme à la fois "dévastateur et constructif", l'incitant, non pas à rester une"fourmi noire"banale et sans ambition, mais à assumer sa singularité en devenant une fourmi rouge.
Et il a bien raison l'auteur de ce mail car Vania en a du caractère et de l'humour, souvent vachard d'ailleurs.Il lui reste juste à accepter de grandir à la fois dans son corps et dans son esprit.
Émilie Chazerand brosse ici le portrait d'un microcosme plein de vie et de fantaisie où les ennuis semblent s'accumuler sur le dos de son héroïne , mais, elle a les épaules Vania et on la suit sans hésiter, défrichant à sa suite la jungle des mensonges où beaucoup de gens qui l'aiment l'ont laissée s'enferrer.
J'ai beaucoup aimé aussi la manière très directe, parfois scatologique (et pourquoi pas ?)dont Vania parle de son corps en pleine mutation. Revigorant et très drôle !
Merci à l'éditeur, Sarbacane, et et à Babelio (masse critique)
06:00 Publié dans Jeunesse, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : emilie chazerand
21/11/2017
Sous la neige, nos pas
" Toute ma vie, je resterais au seuil de ce mystère que certaines personnes, sans qu'on puisse expliquer pourquoi, sont imperméables à la facilité collective de la malveillance. Cette méchanceté générique des hommes, avec ses mille bras bornés, à accrocher l'inerte et le vivant dans les convoyeuses à chaînes des abattoirs méthodiques, elle n'a pas prise sur eux. Lucien était un brave homme, un phoque blanc, un mouton noir."
Août 1983, une jeune institutrice, Esther et sa petite fille, Juliette,tout à fait ignares de l’âpreté de la vie quasi moyenâgeuse qui les attend, viennent s'arrimer sur les hauteurs de la Margeride en Lozère.
Une trentaine d'années plus tard, Esther revient sur cette expérience et sur ses conséquences, aussi bien pour ces deux ex-citadines que pour les habitants du village qui les avaient accueillies et protégées, sans qu'elles s'en rendent vraiment compte.
Personnalités atypiques, Esther et Juliette vont pouvoir donner libre cours à leurs "sauvagerie" dans cet espace de liberté où pourtant le monde de la ville va les rattraper. Elles découvriront aussi les beautés de la nature et les qualités humaines des habitants du village.
Si je n'ai pas été totalement séduite par le côté "noir" du roman, j'ai été totalement enthousiasmée par la langue de l'auteure et sa manière, tantôt lyrique, tantôt plus rude, de décrire la nature et les animaux. Une magnifique découverte !
Dans la neige, nos pas. Laurence Biberfeld, Éditions La Manufacture des livres 2017
Déniché à la médiathèque.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : laurence biberfeld
20/11/2017
Ces rêves qu'on piétine
"Elle n'a jamais blessé personne. Elle n'a jamais haussé la voix. Elle a été à la hauteur. Elle s'est battue. Elle a menti. Elle a collé au personnage qu'on avait voulu faire d'elle. Digne de son rôle."
Montage alterné pour ce roman mettant en scène la fin de la Seconde Guerre mondiale: tandis que sont engagées les marches de la mort, Martha Goebbels et six de ses enfants se terrent avec quelques dignitaires nazis dans le bunker berlinois d'Hitler.
L'occasion de revenir sur le parcours de cette femme qui a bâti sa vie sur un mensonge (son père était juif) et a embrassé sans barguigner les thèses du nazisme pour livrer cours à ses ambitions.
L'occasion aussi de brosser un portrait saisissant et puissant des derniers massacres, tant par les soldats que par les populations civiles, des survivants des camps de la mort.
Faisant le lien entre les deux, les lettres (imaginées par l'auteur) qu’un père a adressées à la fille qui n'a rien fait pour le sauver.
Si le style de l'auteur est à la fois très évocateur mais sans pathos, je suis malheureusement restée à distance de ce texte, un peu pour me préserver et aussi parce que j'avais déjà lu plusieurs romans sur cette période historique .Ce dernier en a sans doute pâti.
Lu dans le cadre du grand prix des Lectrices de Elle.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : sébastien spitzer
17/11/2017
La veillée...en poche
"Ce qui change le cours des choses n'est pas la vérité, mais de la savoir."
Le père de Sébastien vient de mourir. Marie, son amie d'enfance, le rejoint et l'accompagne lors de La Veillée du défunt. L'occasion de découvrir tout un pan de la vie paternelle, mais aussi de revenir sur des éléments du passé de ces quadragénaires qui auraient pu évoluer différemment.
Chacun d'entre nous a eu ou aura à se confronter au deuil d'un parent. Une situation douloureuse pour laquelle Virginie Carton a su trouver le ton juste, ne basculant ni dans le sentimentalisme, ni dans la contrition.Elle dépeint avec une grande précision la gamme des sentiments par laquelle passe Sébastien et brosse avec tendresse une formidable histoire d'amitié , qui a su se jouer du temps et de la distance.
Un roman qui fait du bien et nous donne envie de profiter encore plus de la vie.
La veillée, Virginie Carton, Stock 2016, 219 pages piquetées de marque-pages.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : virginie carton
13/11/2017
Les passagères du 221
"Ne pas me plaindre, il a déjà bien de la peine, je vais pas lui rajouter la mienne. Et puis moi, j'ai la liberté
Le sens de la lame...J'en parlerais pas non plus
Mais alors, à part le chat, de quoi on va causer ensemble ? "
Unité de temps, un trajet, de lieu, le bus 221, d'action, des femmes d'âges, de milieux différents se rendent à la maison d'arrêt pour visiter un homme et lui apporter du linge propre.
Nous les quitterons au moment où elle s'apprêtent à atteindre leur objectif. Entre temps, nous aurons découvert leurs tragédies intimes, leurs tourments et la manière dont la prison confisque à la fois leur temps et leurs pensées.
Dans l'espace clos du bus 221, ces trajectoires se frôlent et vont se souder provisoirement à travers une même crainte: arriver en retard du fait de contre-temps que le chauffeur du bus, qui les observe du coin de l’œil avec une empathie discrète, entend bien leur épargner. ça n'est jamais grandiloquent, c'est tout en retenue pour mieux faire naître l'émotion.
Nous les avons sûrement croisées ou aperçues, ces femmes qui, lestées d’encombrants cabas tout autant que de problèmes et le grand talent de Catherine Béchaux est de leur donner une identité bien ancrée dans la réalité. En effet, l’autrice connaît bien ce microcosme de la maison d'arrêt et nous en brosse un portrait qui sonne juste, en particulier quant aux tracasseries administratives concernant les vêtements qui doivent corresponde à des critères bien précis, tout en dépendant du bon vouloir ou non des gardiens. Un roman qui donne une voix à celles qui trop souvent n'en n'ont pas. Un texte à qui on a fait une place trop discrète dans les médias. à découvrir de toute urgence .
Éditions Liana Levi 2017, 119 pages nécessaires.
06:03 Publié dans rentrée 2017, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : catherine béchaux
06/11/2017
Un loup pour l'homme #MRL17
"Antoine va et vient entre les blessés et sa femme, ici la mort qui rôde et là la vie à venir. C'est un étrange face à face, dans moins de trois mois il sera père. Il est juste avant, dans un grand vide qu'il ne sait comment habiter."
L'appel sous les drapeaux d’Antoine correspond à la découverte de la grossesse de sa jeune épousée. Nous sommes en 1960 et le jeune homme va devoir partir pour l'Algérie.
N'étant pas d'un tempérament guerrier, il a réussi, contre toute attente ,à obtenir une formation d’infirmier, ce qui ne lui épargnera pourtant pas le côté sauvage de cette mission de soin, alliant sauvetage et ramassage des morts sur le terrain des combats.
Brigitte Giraud, par petites touches, brosse le portrait de jeunes gens un peu à la dérive dans ce qui ne prendra que beaucoup plus tard le nom de guerre. Elle dit le quotidien par des détails criants de vérité, la chaleur, le sable qui envahit tout, le manque d'informations des appelés, la détresse, les salauds et les héros et tous ceux qui oscillent entre les deux.
Les mots étrangers qu'on s'approprie peu à peu, les corps et leurs détresses sont aussi au cœur de ce roman qui nous fait partager les expériences de ces jeunes hommes dans un pays étranger où il sont supposés maintenir l'ordre.
J'ai lu avec beaucoup d'émotion ce roman qui m'a permis de partager un peu ce qu'ont vécu,de manière différente bien sûr, mes parents à la même époque. Un roman rare et puissant.
Merci à Antigone, à PriceMinister et à l’éditeur.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : brigitte giraud
18/10/2017
Handi-gang
"-Mais qui est oppresseur ?
- L’État, voyons, les valides: vous-mêmes, tous ceux qui profitent des installations inaccessibles sans les boycotter, toux ceux qui savent et qui ne font rien. Vous n'êtes pas aveugles mais vous ne nous voyez pas !"
Sam, adolescent dynamique et plein de vie, vit seul à Lyon avec sa mère. Handicapé en fauteuil , il se heurte au quotidien à des tracasseries administratives et au manque d'accessibilité de nombreux endroits dans la ville.
Révolté par l'agression d'un de ses amis handicapés, il va fonder le Handi-gang, pour faire prendre conscience au grand public de leurs ressentis et de leur vécu dans un monde inadapté aux différents types de handicaps. Mais, dépassé par des membres adeptes de la violence, Sam devra apprendre à négocier avec la société.
Un roman enlevé , plein d'humour et d'informations variées sur le monde du handicap au quotidien.
Seul bémol: malgré la "distribution", je me suis un peu perdue parmi les nombreux personnages.
Editions Libertalia 2017.
06:00 Publié dans Jeunesse, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cara zina, handicap
12/10/2017
Petits plats de résistance...en poche
"Personne à ce jour ne l'avait jamais pris en flagrant délit d'une quelconque activité salariée ou même de recherche d'emploi."
Qu'est ce qui va réunir Sandrine Cordier, "bras séculier du gouvernement contre la hausse du chômage" ,autrement dit employée de Pôle emploi, Antoine Lacuenta, agrégé d'histoire en rupture de bans et militant écologiste, un patron de presse, une "égérie sexo-psy", le directeur et les occupants d'un centre d'hébergement menacé de fermeture, une petite fille surdouée, une mamie à la page (et j'en oublie !) ?
La nourriture bien sûr(chaque chapitre porte un titre appartenant à ce champ lexical et l'on fait le grand écart entre "pâtée pour chiens" et "champagne" en passant par des plats beaucoup plus exotiques), mais aussi la résistance annoncée dans l'intitulé du roman. Résistance qui se manifeste à plusieurs niveaux et sous différentes formes, cocasses ou plus sérieuses.
Combinant des thèmes déjà envisagés dans d'autres romans (solidarité transgénérationnelle et/ou sociale, comme dans Bon rétablissement ou Ensemble c'est tout), réalisation de soi par le biais de la cuisine (Mangez-moi), Pascale Pujol donne à son roman la forme d'une ronde où vont se retrouver ses différents protagonistes. Ronde folle par le rythme, mais maîtrisée aussi (je ne me suis pas sentie perdue malgré le nombre de personnages) où l'auteure joue avec bonheur des possibilités qu'offre le récit, multipliant ainsi les surprises et les rebondissements. La plume est alerte et j'ai passé un excellent moment avec cette comédie enjouée.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascale pujol
11/10/2017
Encore plus de bonheur
"Il sourit souvent. C'est louche, cette bonne humeur affichée.On est des ados, quand même. On est supposés tirer la tronche un minimum."
Angela a été maintenue en classe de Seconde (comprendre, elle a redoublé). Si elle a perdu en chemin sa meilleure amie, elle a gagné en expérience et peut se targuer de conseiller efficacement les membres de sa classe. De quoi recommencer du bon pied cette nouvelle année scolaire.
Que nenni car sur sa route elle va rencontrer la quintessence du boulet: Félix, faire la connaissance du nouvel amour de sa mère, devoir s'adapter à un père converti au véganisme, bref enchaîner les petits et gros malheurs,pour notre plus grand plaisir bien sûr.
Les 157 pages se tournent toutes seules, émaillées comme d'hab' de petits dessins et remarques d'Angela, façon carnet d'ado.
Que du bonheur ! clic !
06:00 Publié dans Jeunesse, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : rachel corenblit