22/08/2024
Les sources...en poche
[...] elle va avoir trente ans et sa vie est un saccage, elle le sait, elle est coincée, vissée, avec les trois enfants, il est le père des trois enfants , il les regarde à peine mais il est leur père, il est son mari et il a des droits. "
D'amour conjugal, il ne sera jamais question dans ce récit en trois actes qui commence le samedi 10 et dimanche 11 juin 1967. Une tragédie est en marche, on le devine à la tension quasi insoutenable qui irrigue les 80 premières pages du roman. Tension entre la narratrice et le tyran domestique qu'elle a épousé. Trois enfants, trois césariennes successives ont saccagé son corps. Les coups, aussi. Et surtout les mots dont il use pour faire "autant de dégâts que les coups, peut-être même davantage parce qu'ils ne la lâchent pas pas et lui tombent dessus au moment où elle s'y attend le moins, quand elle pourrait être à peu près tranquille et penser à autre chose. "Mais, elle aussi commence aussi à mettre des mots sur ce qu’elle vit. Elle possède le permis de conduire et une famille qui pourrait ne plus fermer les yeux. Parviendra-t-elle à sortir de l'emprise de cet homme toxique à une époque où une femme divorcée subit l'opprobre de la société ?
La deuxième partie, sept ans plus tard, donne cette fois la parole au mari et le roman se clôt en 2021 par le constat d'un des enfants revenu dans cette ferme du Cantal où tout a commencé.
Un roman court, une centaine de pages, mais qui concentre des émotions d'une rare puissance, sans pathos mais en étant au plus près des corps. On n'oubliera pas de sitôt ces personnages, témoins d'une époque et d'un lieu. Un roman qui file, bien évidemment, sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marie-hélène lafon
21/08/2024
#Ilneigesurlepianiste #NetGalleyFrance !
"Et j'aimais bien m'expérimenter dans l’œil du renard en tant que maison dont un bras sort à la tombée de la nuit pour déposer sur un plat des reliefs de repas, une sorte de maison débordante de délices ou de compost à prodiges. "
Grâce à la neige, une femme âgée retient dans sa maison, isolée en forêt, un pianiste très beau et bien plus jeune qu'elle. Parallèlement, elle nourrit un renard , témoin de la Nature qui parvient tant bien que mal à survivre.
Beauté de la musique, beauté du renard qui se joue des dangers dans un monde au bord de la destruction. Deux formes d'amour aussi, pour effacer les frontières entre les êtres et une écriture magnifique pour dépeindre tout cela.
Si l'ossature de ce roman peut paraître bien légère, elle est compensée par l'art poétique de Claudie Hunziger qui nous enchante et nous emporte. Un grand coup de cœur.
Grasset 2024.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2024, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : claudie hunziger
19/08/2024
Le bleu n'abîme pas
"La carte de ton corps; la carte du monde.
Dans le regard des autres, tes yeux bleus de Russie, de Roumanie ou de France. Tes cheveux, un mélange de la France et du Niger. Tes fesses hautes, tes hanches pleines du Niger. Ton histoire, leur histoire à eux, Inna, Abba, Vito et Danièle, pour dire ton anatomie, pour expliquer le désir qui monte. "
Avant la narratrice était fière d'être, au vu de son histoire familiale, à la croisée de plusieurs continents .Mais être une métisse, pour certains, engendre obligatoirement la question des origines, voire suppose des préjugés sexistes : "Les métisses, ça m'excite, il a dit. "
Premier roman, qu'on devine autobiographique, Le bleu n'abîme pas , revient, sous une forme éclatée, sur ces problématiques dans une langue très, voire trop travaillée. L'émotion ne passe pas pas et l'ennui surgit beaucoup trop vite, malgré l'intérêt des thématiques. Dommage.
Le Seuil 2024.
Merci à l'éditeur et à Babelio .
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2024, romans français | Lien permanent | Commentaires (0)
05/07/2024
Bienvenue aux Bergeronnettes...en poche
"- Quatre Épingles, sachez que rien n'est facile dans le mariage. C'est comme un sport pour lequel on n'aurait pas suivi l'entraînement adéquat et où on commencerait directement par les Jeux olympiques. "
La dernière lubie de Maguy ? Transformer leur logis en maison d'hôtes pour artistes. Voilà donc le jardin bichonné par son époux , Germain Germinal, envahi par des "saltimbanques" qui semblent tous détenir un secret.
C'est pourquoi, quand le maire du petit village est assassiné , juste derrière "les Bergeronnettes", les soupçons se portent aussitôt sur les résidents.
"Cosy Mistery" Bienvenue aux Bergeronnettes respecte toutes les règles du genre mis en y insufflant beaucoup d'humanité, d'humour et de bienveillance.
Si les personnages peuvent de prime abord frôler la caricature et leur comportement loufoque sembler quelque peu exagéré, ils gagnent au fil du texte en densité, grâce à la révélation progressive de leurs failles respectives.
Quant au crime, j'avoue avoir été surprise quant à son mobile.
L'écriture est fluide et enjouée. Un très bon moment de lecture estivale.
06:01 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : coralie caujolle
04/07/2024
Cinq articles maximum...en poche
"Tout ce tissu pour envoyer les signaux indispensables et témoigner du fait que j'ai compris les codes , je m'habille comme il faut, incorporez-moi dans votre groupe, j'ai tout acheté pour en faire partie, j'ai la panoplie. Alors qu'il suffit d'être humain pour avoir sa place. "
Nous sommes à Niort, mais nous pourrions être dans n'importe quel magasin de vêtements dont les chaînes occupent les centres-villes un peu partout en Europe.
Un lieu où les femmes de tous âges viennent, seules ou en bandes, flanquées ou non de leur compagnon , mais toujours de leurs névroses.
Car oui, s'acheter un vêtement quand on est une femme n'a rien d'anodin et ce n'est pas Juliette, la vendeuse qui sert de lien à toutes les saynètes qui se déroulent dans ce microcosme, qui nous dira le contraire.
Claire Renaud brosse ainsi une galerie de portraits , parfois acides, parfois très drôles, mais toujours justes et remplis d'humanité. Elle nous dévoile aussi l'envers du décor et l’écœurement de Juliette face à cette masse de vêtements : "Je suis ivre de ces marchandises, saturée, comme une cuite quotidienne qui donne la nausée puis fait vomir. "
Un roman bien moins léger qu'il y paraît, que j'ai surligné à tour de bras et qui se révèle une excellente surprise.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : claire renaud
01/07/2024
Traverser les forêts
Il y a quelques mois, j'ai fait une petite fixation sur les forêts...
Voici donc en quelques lignes, du moins au plus apprécié, des romans traitant de ce thème.
Trois femmes, une forêt, celle de la dernière forêt primaire d'Europe, en Pologne. Nina, de retour d'Occident avec son fils et Nina, journaliste biélorusse , vivent, pour des raison différentes au cœur de cette forêt que tente désespérément de traverser Alma, exilée pourchassée par des militaires.
Même si l'écriture est fluide et agréable, il ne m'est pas resté grand chose de ce roman, trop classique à mon goût et dont les personnages m'ont paru bien artificiels.
Éditions du Rouergue 2024.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : caroline hinault, forêts
29/06/2024
Les autres ne sont pas des gens comme nous...en poche
" Je veux être considérée comme potentiellement monstrueuse, comme possiblement perverse, au moins autant que n'importe quel valide. "
Ainsi parle Julie, jeune femme tétraplégique qui, depuis, son fauteuil observe le monde comme une La Bruyère contemporaine.
Si elle se montre volontiers corrosive envers ses non-semblables, elle ne s’épargne guère non plus : "Suite à un accouchement difficile, j'ai hérité d'un corps à euphémismes: différent, singulier, en situation de handicap, en position de non-réalisation des habitudes de vie d'une personne. Le truc sympa, quoi (oui, j'ai aussi hérité d'un cerveau à antiphrases) ."
Les familiers de J. M. Erre retrouveront ici dans les différents textes écrits par Julie son amour des mots, sa volonté de pousser à l'extrême les travers de la société ainsi que des personnages (aux noms improbables) issus de ses précédents romans. Pas de quoi s'affoler pour ceux qui découvriraient cet auteur: vous ne serez pas exclus de la fête et cela vous donnera sans doute l'envie de découvrir les précédentes œuvres de l’auteur.
J.M. Erre célèbre ici, entre humour noir et amour de l'humanité malgré tout, les vertus et les défauts du récit : éviter de nous coltiner avec la réalité mais aussi accepter de se la prendre en pleine face.
200 pages piquetées de marque-pages.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : j.m. erre
17/06/2024
#VivaMolotov #NetGalleyFrance !
""Le secret c'est de chercher l'équilibre plutôt que la stabilité. " Cette pensée fait écho à sa propre expérience. Désirée réalise qu'elle est arrivée ici pour y construire une vie stable, sécurisante et qu'à la place, elle a trouvé un équilibre dont les ingrédients sont bien différents de ce qu'elle imaginait. "
Quand Désirée, infirmière de formation, revient à Troulou, le village de son enfance, elle ne s’attendait pas à une telle effervescence. Jugez un peu : des élections municipales anticipées ont réveillé tout à la fois les ambitions de certains et les vieilles rancœurs et chacun s'en donne à cœur joie pour essayer d'être élu... Des personnages hauts en couleurs, l'humour et l'énergie des 2 Freds alias Frédérique Martin et Frédérique Le Romancer font que dans un premier temps, on croit s'embarquer dans une plaisante comédie villageoise, mais très vite, on se rend compte que ce qui aurait pu être caricatural est beaucoup plus nuancé et plein d'humanité.
En effet, des thèmes graves sont eux aussi abordés (la dépression post-partum, le deuil, le corps et les désirs des personnes âgées, la politique dans le sens noble du terme, entre autres) et la comédie ne tourne jamais à la pochade. Un grand plaisir de lecture ! Dans la foulée, je me suis procuré le précédent volume : La méthode Molotov.
Éditions Fayard, 2024.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : frédérique martin; frédérique le romancer, les 2 freds
31/05/2024
Merci qui ? Merci mon chien...en poche
Avec tendresse, avec humour, le créateur de la Noiraude (la vache qui a des états d'âme et téléphone régulièrement à son vétérinaire ) rend hommage et remercie les animaux qui ont traversé sa vie, mais aussi tous les animaux en général (à l'exception des mites, mouches, moustiques et autres vecteurs de maladie).
Il fait appel à quelques auteurs (Tesson, Kundera, entre autres) pour appuyer ses propos mais ne tombe jamais dans le sentencieux.
C'est en apparence léger, pas toujours tout à fait exact (Je pense en particulier à la Suisse où en fait depuis 2008, la nouvelle loi sur la protection des animaux mentionne que les cobayes, tortues, lapins ou poissons rouges ne doivent pas vivre seuls , et non pas tous les animaux de compagnie comme il l'indique) mais ne chipotons pas, ne boudons pas notre plaisir et profitons pleinement de ce petit plaisir.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : jean-louis fournier
30/05/2024
Et d'une vie toute animale
"Elle prend conscience de ce qu'un animal domestique doit encaisser, endurer, ce qu'il reçoit du poids des âmes humaines, toutes ces émotions mal rangées qu’il a pour charge de porter , transporter, tout ce qui se loge en lui du dépôt sauvage de nos névroses."
Une femme ,dont la profession est de recueillir les paroles des personnes en fin de vie, a l'occasion d'occuper temporairement un atelier d'artisan sur le causse du Quercy. Elle ne va pas rester longtemps solitaire dans ce lieu désolé car elle recueille un chien errant, bien mal en point.
Commence alors une vie simple, au plus près de la nature et des rares personnes avec qui elle entre en contact, avec délicatesse et intelligence. Mais c’est la nature qui la part belle ici, car la narratrice se montre attentive au plus petit frémissement, au plus petit changement qui intervient dans son environnement et son écriture, lumineuse, est un pur régal.
Un texte apaisant, sous forme de fragments car "Elle pense, avec Cioran, qu'écrire par fragments empêche le texte de subir ou d'exercer un pouvoir", ce qui ne gêne en rien la lecture, bien au contraire.
Un grand coup de cœur ! Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Éditions Cambourakis 2024. 206 pages à lire et relire.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : sandrine bourguignon