26/05/2022
Le dernier bain de Gustave Flaubert...en poche
"Le style, cette puissance, ce couperet, cette déflagration. Le style qui recrée le monde à force de s'en emparer, de le réfléchir, d'en construire un double sublime."
C'est à un véritable tour de force, stylistique et romanesque que nous convie ici Régis Jauffret dans cette biographie romancée de l'auteur de Madame Bovary.
Flaubert prend donc son dernier bain, sera sans doute ensuite victime d'une crise d’épilepsie puis d'une attaque cérébrale.
Dans cet entre-deux, Jauffret imagine donc les hallucinations, les souvenirs, vrais ou faux, les apparitions de personnages de romans qui viennent demander des comptes (en particulier celle qui se montre la plus vindicative, Emma Bovary), des anecdotes peu reluisantes qui disent la vérité d'une époque et brossent un portrait, non pas en majesté, mais en déliquescence, du vieil auteur qui profitait autrefois, avec avidité et égoïsme ,des plaisirs de la vie.
Nous sommes donc emportés dans un maelstrom charriant aussi bien des considérations sur les mots, le style, les procès, la censure (dont furent à la fois victimes les deux écrivains), les amours, le tout dans un style puissant et gourmand de mots. On y trouvera aussi bien des mots contemporains de Flaubert que des mots du XXI siècle employés par l'auteur de Bouvard et Pécuchet car, Flaubert peut à la fois être mort et sur le point de mourir dans ce roman qui se joue de la temporalité avec maestria. Flaubert lui-même ne se penche-t-il pas , dans une fascinante mise en abîme sur sa postérité et sur le "saligaud de son espèce" qui "s’emparerait de celui qu il fut" ?
Car oui, en plus d'être brillant ce texte est bourré d'humour (noir, façon Jauffret, bien sûr). Un chutier (dont la taille de police est juste bonne à nous crever les yeux) complète le plaisir en nous offrant, non pas les scories, mais tout ce qui n'a pu trouver place dans ce roman magistral.
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18/05/2022
Un colosse...en poche
"Jean-Pierre sera glorieux, mais il continuera à travailler la terre."
Jean-Pierre Mazas naît dans le sud-ouest de la France en 1847 et ne commence à grandir de manière démesurée qu'à partir de 16 ans . Ce gigantisme facilité sa tâche de laboureur mais bientôt il deviendra aussi lutteur et sa notoriété dépasseras frontières.
Pascal Dessaint, délaissant le roman noir, se penche ici sur une destinée hors-normes, celle d'un homme qui finira phénomène de foire et curiosité scientifique dans un monde qui évolue très rapidement par certains côtés, mais conserve aussi certains vestiges du passé.
Le romancier mène l’enquête, rétablit quelques vérités et/ou approximations et peint un tableau plein de vie d'une société qui exhibe sans honte ceux qu’elle considère comme des monstres. C'est donc l'histoire d'un corps, mais aussi d'un paysan, tous deux voués à un destin tragique que nous propose Pascal Dessaint.Un récit court, un peu plus de 120 pages, mais dense.
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13/05/2022
Combats et métamorphoses d'une femme...en poche
"Tout ton corps changeait. La tristesse disparaissait de toi. "
Édouard Louis en est bien conscient: il fait partie de ces écrivains qui écrivent toujours le même livre, mais en changeant de point de vue . Ici, ce n'est plus de son parcours ou de celui de son père dont il est ,mais de sa mère.
Un parcours qui semblait voué à l'échec, une femme écrasée par le manque de formation, les grossesses enchaînées, un mari peu accommodant , des enfants qui semblent suivre la même pente...
Quant à Eddy (c'est à dire l'auteur) il ne se donne pas le beau rôle, allant jusqu’à mentir pour que sa mère ne lui fasse pas honte à l'école. Il suivra pourtant, impressionné et tendre, la lente métamorphose heureuse de cette femme.
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12/05/2022
Fille...en poche
"La perte de chance, tu vois, c'est d'être une fille."
Dans ce roman, à forte connotation autobiographique, l'autrice interroge les mots liés à la féminité, plus particulièrement dans son histoire personnelle. Partout on été repris les mots de son père affirmant qu'il n'avait pas d’enfants car il n'avait que deux filles
Il n'en reste pas moins que l'autrice rappelle qu'en Inde "Dire "c'est une fille avant la naissance est passible de trois ans de prison et de dix mille roupies d'amende: on n'a plus le doit de demander ou de pratiquer une échographie pour voir le sexe de l'enfant et avorter en conséquence car trop de filles disparaissent; à force de les étouffer dans l’œuf, il y a des villages entiers d'hommes célibataires."
La malédiction de naître fille, d'être considérée comme quantité négligeable, comme "une pisseuse", si elle a nettement régressé dans les pays développés, n'en demeure pas moins prégnante dans beaucoup d 'autres parties du monde.
Camille Laurens revient donc sur les moments clés de sa vie et en particulier sur la mort de son premier enfant, épisode d'une violence inouïe quand elle comprend les circonstances qui ont abouti à cette tragédie.
Mais le roman se conclut de manière optimiste avec la jeune fille de l'autrice qui rebat les cartes de la féminité avec une belle énergie.
Un roman constellé de marque-pages.
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03/05/2022
Rien ni personne
"Il avait toujours été en marge. Ou sur le fil du rasoir.
A la merci de ses excès. Et de ses emballements. "
Quand il apprend que la mère de son fils de deux ans va déménager à l'autre bout de la France, Dylan pète un câble. Et un câble, il en avait déjà pété un dans le bureau de la juge lors de son divorce. Ce qui lui avait valu d'être interné dans un hôpital psychiatrique.
Mais Dylan est porté par un amour fou, absolu, pour son gamin et , il faut bien l'avouer , n'a pas l'habitude de penser aux conséquences de ses actes. S'enclenche alors une fugue chaotique qui ne pourra mener qu'à la tragédie...
Avec beaucoup de sensibilité et en 137 petites pages, Ludovic Joce parvient à nous émouvoir et à rendre palpable ce qui anime ces êtres trop tôt malmenés par l'existence. Des êtres qui ne maitrisent ni leurs mots, ni leurs émotions , mais ont-il eu vraiment la possibilité de faire autrement ? Un très bon contrepoint masculin au roman de Véronique Olmi, Bord de mer.
Éditions du Jasmin 2022.
L'avis enthousiaste d'Aifelle: clic
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19/04/2022
Felis silvestris
"Ce qui nous sauve , c'est que nous sommes capables d'oubli et d'émerveillement. "
Felis Silvestris , tel est le nouveau nom que s'est choisi une jeune femme venue défendre une forêt menacée de destruction. Là, elle vit son amour des arbres , de la liberté, de la marge.
Une situation difficilement supportée par sa famille et chacun à sa façon manifeste son inquiétude et tend des fils vers la jeune femme au gré de ses fixations: la borréliose pour le père, le chant des oiseaux (la mère), le lombricompostage (la sœur).
Entrecoupant chaque chapitre, une question revient comme un refrain: "- Et ta sœur, elle en est où, elle fait quoi ? ". Les réponses évoluent jusqu'à s'ouvrir sur un futur qui redonnera son assise à Felis .
Un premier roman hypnotique, poétique, irrigué par un amour féroce des arbres en général et de la forêt en particulier. à découvrir impérativement.
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31/03/2022
La folie de ma mère...en poche
"Enfant, tu m'as toujours effrayée. Pourtant tu n'étais pas méchante. Tu imposais peu de choses, les choses s'imposaient. La zone dangereuse n'était indiquée nulle part. Mais l’enfance est poreuse aux exhalaisons adultes. "
En un peu plus de 120 pages, Isabelle Flaten réussit un tour de force : nous raconter, de manière épurée et bouleversante, l'histoire d'une relation mère-fille placée sous le signe du déni, du mensonge ,de la folie, mais aussi de l'amour.
Quand "Rien ni personne n'est fiable.", comment parvenir à se construire ? La narratrice y parviendra quand même et ,adulte, découvrira un secret de famille qu'elle était la seule à ignorer.
On est happé par ce texte pudique, qui ne tourne jamais au règlement de compte, utilise avec brio les ellipses, sans jamais perdre de vue son lecteur, et ne tombe pas dans le pathos. J'ai été tenue en haleine, remuée au plus profond de moi et suis sortie la gorge nouée de cette lecture.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Seuil 2022Le Nouvel Attila 2020. Points Seuil 2022
De la même autrice : clic
A noter la magnifique illustration de couverture de Juliette Lemontey.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : isabelle flaten
25/03/2022
Les pantoufles...en poche
"Je lui envoyai alors, en travers de la gueule, l'expression la plus sincère de mon indifférence. "
Par étourderie, notre narrateur se retrouve à la porte de chez lui, les clés à l'intérieur et en pantoufles.Faisant un pas de côté, il décide néanmoins d'aller ainsi chaussé au travail . Là, petit miracle, les charentaises, peut être parce qu'elles changent son rapport à la proprioception, mais aussi au monde, vont l'inspirer et son discours charmera même (tels sont ses termes) son irascible supérieure.
Les micro aventures vont alors s'enchaîner et entraîner notre héros dans des milieux en tous points différents mais où il s’adaptera avec aisance.
Le plus difficile était sans doute de terminer cette fable souriante et bon enfant, Luc-Michel Fouassier y est parvenu sans trébucher.
Le style est alerte, plein de références littéraires ou musicales et le héros manie avec élégance le registre soutenu dans la conjugaison sans que cela fasse cuistre. Sans donner de leçon, ses 113 pages nous invitent à oser être farfelu et à savoir faire des pieds de nez au destin. Un roman court et délicieux.
06:03 Publié dans Humour, l'amour des mots, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : luc-michel fouassier
21/03/2022
Pourquoi pas la vie
"Son génie, ce sera d'être vivante. "
Là où d'aucuns jouent avec la réalité historique à des fins souvent pessimistes (que ce serait-il passé si l'Allemagne nazie avait gagné la guerre, par exemple) , Coline Pierré prend l'exact contrepoint et imagine que la poétesse américaine Sylvia Plath (qui s'est suicidée au gaz) a échappé à la mort.
La jeune femme va donc devoir composer avec un mari , Ted Hughes poète reconnu, mais père et mari plus que défaillant, son rôle de mère et sa volonté de création. Le tout dans le swinging London, où les Beatles colonisent les ondes.
Avec beaucoup de nuances, sans jamais stigmatiser ni idéaliser, l'autrice évoque les problématiques qui restent contemporaines pour les femmes créatrices et propose ici le récit d'une émancipation progressive par le biais de femmes atypiques qui aideront Sylvia à se dégager de ses conditionnements et de sa dépression. Un roman qui réchauffe le cœur et aiguise la réflexion.
Éditions de l'Iconoclaste 2022.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : coline pierré
10/03/2022
Térébenthine...en poche
"L'urgence de devenir sujet."
Il suffit d'un article dans un magazine d'art, proclamant le grand retour de la peinture pour que la narratrice retrouve le souvenir de ses études aux Beaux-Arts, quinze ans plus tôt, quand Luc, Lucie et elle-même formaient un drôle de trio.
Surnommés les Térébenthine, par dérision, car ils s’obstinaient à peindre dans une époque où prévalait l’art conceptuel et le discours qui le justifiait , ils étaient relégués dans les caves. Ces "illuminés du sous-sol" entraient alors en résistance et en amitié et c'est leur parcours que nous relate ce roman.
Roman d'apprentissage, d’émancipation aussi , à une époque où il n'y pas de modèles nus masculins et où les artistes femmes sont systématiquement ignorées par les profs des Beaux-Arts, par routine peut être pour certains, plus que par mauvais volonté. Quant aux critiques, ils "ont beau dire que l'art n'a pas de sexe, tu sens qu'ils manquent d'objectivité et que le but est bien plutôt de faire passer pour neutre une histoire de l'art tout empreinte de virilité." Ces artistes existent pourtant et une magnifique accumulation d'artistes femmes (plus d'une centaine !) vient nous le rappeler.
Une pensée est en formation, tout autant qu'une artiste et une femme, et ces métamorphoses qui nous sont données à voir sont passionnantes car pleines de justesse et de sincérité. Un roman constellé de marque-pages qui file sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : carole fives