31/03/2022
La folie de ma mère...en poche
"Enfant, tu m'as toujours effrayée. Pourtant tu n'étais pas méchante. Tu imposais peu de choses, les choses s'imposaient. La zone dangereuse n'était indiquée nulle part. Mais l’enfance est poreuse aux exhalaisons adultes. "
En un peu plus de 120 pages, Isabelle Flaten réussit un tour de force : nous raconter, de manière épurée et bouleversante, l'histoire d'une relation mère-fille placée sous le signe du déni, du mensonge ,de la folie, mais aussi de l'amour.
Quand "Rien ni personne n'est fiable.", comment parvenir à se construire ? La narratrice y parviendra quand même et ,adulte, découvrira un secret de famille qu'elle était la seule à ignorer.
On est happé par ce texte pudique, qui ne tourne jamais au règlement de compte, utilise avec brio les ellipses, sans jamais perdre de vue son lecteur, et ne tombe pas dans le pathos. J'ai été tenue en haleine, remuée au plus profond de moi et suis sortie la gorge nouée de cette lecture.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Seuil 2022Le Nouvel Attila 2020. Points Seuil 2022
De la même autrice : clic
A noter la magnifique illustration de couverture de Juliette Lemontey.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : isabelle flaten
25/03/2022
Les pantoufles...en poche
"Je lui envoyai alors, en travers de la gueule, l'expression la plus sincère de mon indifférence. "
Par étourderie, notre narrateur se retrouve à la porte de chez lui, les clés à l'intérieur et en pantoufles.Faisant un pas de côté, il décide néanmoins d'aller ainsi chaussé au travail . Là, petit miracle, les charentaises, peut être parce qu'elles changent son rapport à la proprioception, mais aussi au monde, vont l'inspirer et son discours charmera même (tels sont ses termes) son irascible supérieure.
Les micro aventures vont alors s'enchaîner et entraîner notre héros dans des milieux en tous points différents mais où il s’adaptera avec aisance.
Le plus difficile était sans doute de terminer cette fable souriante et bon enfant, Luc-Michel Fouassier y est parvenu sans trébucher.
Le style est alerte, plein de références littéraires ou musicales et le héros manie avec élégance le registre soutenu dans la conjugaison sans que cela fasse cuistre. Sans donner de leçon, ses 113 pages nous invitent à oser être farfelu et à savoir faire des pieds de nez au destin. Un roman court et délicieux.
06:03 Publié dans Humour, l'amour des mots, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : luc-michel fouassier
21/03/2022
Pourquoi pas la vie
"Son génie, ce sera d'être vivante. "
Là où d'aucuns jouent avec la réalité historique à des fins souvent pessimistes (que ce serait-il passé si l'Allemagne nazie avait gagné la guerre, par exemple) , Coline Pierré prend l'exact contrepoint et imagine que la poétesse américaine Sylvia Plath (qui s'est suicidée au gaz) a échappé à la mort.
La jeune femme va donc devoir composer avec un mari , Ted Hughes poète reconnu, mais père et mari plus que défaillant, son rôle de mère et sa volonté de création. Le tout dans le swinging London, où les Beatles colonisent les ondes.
Avec beaucoup de nuances, sans jamais stigmatiser ni idéaliser, l'autrice évoque les problématiques qui restent contemporaines pour les femmes créatrices et propose ici le récit d'une émancipation progressive par le biais de femmes atypiques qui aideront Sylvia à se dégager de ses conditionnements et de sa dépression. Un roman qui réchauffe le cœur et aiguise la réflexion.
Éditions de l'Iconoclaste 2022.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : coline pierré
10/03/2022
Térébenthine...en poche
"L'urgence de devenir sujet."
Il suffit d'un article dans un magazine d'art, proclamant le grand retour de la peinture pour que la narratrice retrouve le souvenir de ses études aux Beaux-Arts, quinze ans plus tôt, quand Luc, Lucie et elle-même formaient un drôle de trio.
Surnommés les Térébenthine, par dérision, car ils s’obstinaient à peindre dans une époque où prévalait l’art conceptuel et le discours qui le justifiait , ils étaient relégués dans les caves. Ces "illuminés du sous-sol" entraient alors en résistance et en amitié et c'est leur parcours que nous relate ce roman.
Roman d'apprentissage, d’émancipation aussi , à une époque où il n'y pas de modèles nus masculins et où les artistes femmes sont systématiquement ignorées par les profs des Beaux-Arts, par routine peut être pour certains, plus que par mauvais volonté. Quant aux critiques, ils "ont beau dire que l'art n'a pas de sexe, tu sens qu'ils manquent d'objectivité et que le but est bien plutôt de faire passer pour neutre une histoire de l'art tout empreinte de virilité." Ces artistes existent pourtant et une magnifique accumulation d'artistes femmes (plus d'une centaine !) vient nous le rappeler.
Une pensée est en formation, tout autant qu'une artiste et une femme, et ces métamorphoses qui nous sont données à voir sont passionnantes car pleines de justesse et de sincérité. Un roman constellé de marque-pages qui file sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : carole fives
09/03/2022
#LafilledeDeauville #NetGalleyFrance !
"La fille avait absorbé leur haine pour la faire sienne, avait transformé leur brutalité en arme. Elle ne flancherait plus. "
Jean-Marc Rouillan ,Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron sont les principaux membres d'Action Directe, groupe terroriste communiste, issu de la lutte anti-franquiste et du mouvement autonome qui a sévi en France dans les années 80.
Vanessa Schneider, mêlant documentation et fiction , retrace leurs parcours à travers les yeux d'un flic, qui le premier a senti que les braquages et les actions symboliques en pouvaient que devenir ultra violentes, car le groupe avait besoin d'attirer une attention que politiques et médias leur refusait. Ce policier , à la vie bien étriquée, est aussi fasciné par le parcours de cette jeune femme surnommée La fille de Deauville que rien ne destinait à prendre les armes.
Après un début assez calamiteux (et des métaphores approximatives) , le texte trouve son rythme de croisière et , même si comme moi, on connaît les grandes lignes de l’histoire, on ne peut lâcher ce roman qui brosse le portrait de personnages de peu d'envergure( Rouillan, Méniguon) ou plus obscurs (Aubron) avec finesse, tout en restituant l'atmosphère d'une époque heureusement révolue.
Grasset 2021
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : vanessa schneider
08/03/2022
Le Sanctuaire...en poche
" Le vacarme de l’eau recouvre mes pensées. Me perdre dans quelque chose de plus , un flux sans fin, capable de venir à bout des rocs et des montagnes, une eau qui sache conserver la trace des temps anciens, ère de fougères géantes et de reptiles volants, temps que les glaciers ont gardé intact, preuve que le monde restera monde malgré l'homme et ses cataclysmes , et qu'à l'image des dinosaures nous devrions nous en tenir à cette vérité première: nous ne sommes pas grand-chose sur Terre. "
Gemma, même si elle affirme avoir été élevée par "les plantes et les animaux" et n’avoir jamais eu de peluche "je n'en ai pas besoin" essaie-t-elle de se convaincre, commence progressivement, à l'orée de l'adolescence, à envisager qu'il peut y avoir un autre monde , d'autres sensations, d'autres manières de vivre, que celles imposées par son père.
En effet, ce dernier a mis à l'abri sa femme, leur première fille, June ,et Gemma à l'abri dans un chalet de montagne, après une pandémie dont nous apprendrons progressivement l'origine supposée. Il a fait de ses filles de parfaites chasseresses et on comprend progressivement l'emprise qu'il a, et tient à conserver sur sa femme et ses filles.
Célébration de la nature et de l'indépendance des femmes, Le sanctuaire, par sa langue somptueuse et son atmosphère prenante, réussit le tour de force de combiner tout à la fois Nature Writing, anticipation et roman de formation, le tout en 141 pages addictives.
De la même autrice, j'avais aussi beaucoup aimé , mais pas chroniqué, Une immense sensation de calme, sorti aussi chez Folio.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : laurine roux
22/02/2022
Les fragiles ...en poche
Jérémiade s'était réveillée comme une héroïne de série télé, ravie de fairesociété . Avec des choses à faire, des cheveux bien coiffés, un plan de carrière extraordinaire. même son legging en Lycra respire l'envie d'en découdre. Finies les migraines et la mélancolie poisseuse, finis les pied sur le linoléum, terminée la télécommande imprimée sur le cul à force de s'asseoir dessus. Elle marche d'un pas alerte et sûr."
Depuis cinq ans une épidémie inattendue de suicides sévit. Ceux qui sont désignés sous l'appellation de Fragiles parce qu'ils n'affichent pas le bonheur obligatoire et l'équilibre mental de rigueur sont regardés d'un mauvais œil, ostracisés et remisés, pour leur bien (est-ce si sûr ?) dans des établissements spécialisés dont il est très difficile de sortir.
C'est donc le parcours de Jérémiade la bien nommée que nous propose de suivre dans ce premier roman Maud Robaglia. Parcours qui a tout du calvaire mais qui , par un revirement inattendu ,verra la rédemption de ces Fragiles dont Jérémiade sera la figure emblématique. mais un tel revirement peut-il vraiment se faire dans l'intérêt de ceux dont la société ne peut s'accommoder ?
Noir, d'un humour très noir, allant au bout de sa démonstration, Les Fragiles est un roman politique qui tend un miroir à peine déformant à notre société de la performance.
06:18 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : maud robaglia
21/02/2022
La fille parfaite
" A force de ne pas vouloir être des filles comme les autres, on devait avoir endommagé certaines commandes cérébrales. "
Amies depuis l'enfance, Adèle et Rachel constituent la fille parfaite, unissant pour l'une la passion des mathématiques, pour l'autre celle des Lettres. Leurs familles respectives y sont aussi pour beaucoup, il faut bien l'avouer.
Même si chacun d'elles semble avoir atteint, adultes, les objectifs qu'elles se sont fixées, Adèle collectionnant les prix mathématiques et Rachel écrivant des romans, au début du roman, Adèle s'est suicidée.
La raison de ce geste d'une brutalité extrême (elle s'est pendue) ne jouera un rôle qu'à la toute fin du livre, le roman retraçant plutôt le parcours de cette amitié parfois en pointillés , qui ne faisait pas l'économie de la compétition. L'occasion aussi d'enchaîner des joutes oratoires sur les mérites respectifs des maths ou de la littérature, qui m'ont parfois semblé plomber le roman. Une lecture en demi-teintes donc mais le portait d' une amitié originale car non idéalisée.
POL 2022
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nathalie azoulai
17/02/2022
La vie ordinaire...en poche
Roman ? Essai ? Autobiographie ? Est-il vraiment nécessaire de poser une étiquette sur ce texte qui fait la part belle certes à la vie de l'autrice, philosophe de formation.
Son existence devient le point de départ d'une questionnement qui n'apporte pas toujours de réponses, tel n'est pas le but , mais permet d'envisager les choses sous un angle différent.
L'écriture est fluide, les propos concernant la grossesse souvent fort bien écrits et le tout reste plaisant à lire même si j'ai bien compris ce que n'était pas la vie ordinaire, mais pas vraiment ce qu'elle était.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : adèle van reeth
12/02/2022
Les Enchanteurs
"Elle est une somme de personnes, un palimpseste de conscience non reliées les unes aux autres. "
Nouk, double fictionnel de Geneviève Brisac , jeune adulte, milite à gauche, milite pour les droits des femmes, obtient l'agréation et entre dans le monde de l'édition, le tout avec une déconcertante facilité.
La rebelle qu'elle affirme être va néanmoins devoir dès lors composer avec un monde d'hommes où l'on entretient sciemment la compétition entre les femmes. Femmes qui composent un, je cite" harem" où les éditeurs, présentés comme charismatiques, n'ont qu'à piocher au gré de leurs envies...
Favorite un temps, puis délaissée et passée au crible lors de séances dignes des procès staliniens, Nouk semble enchaîner les situations traumatiques, situations qui ,de plus ,la renvoient à son adolescence.
Je me réjouissais de prendre des nouvelles de Nouk mais je suis un peu déçue par ce texte qui se focalise uniquement sur les relations au sein du milieu de l'édition, sans qu'on comprenne vraiment en quoi consiste le métier d'éditeur, tant tout semble survolé.
La vie personnelle de Nouk , en dehors du travail, n'est que peu mentionnée, ce qui donne peu de chair à son personnage et c'est dommage.
Il n'en reste pas moins que la violence des relations de pouvoir est clairement décortiquée et qu'on sort un peu groggy devant tant de sexisme, d'âgisme pleinement assumés au nom de la sacro-sainte rentabilité.
Éditions de l'Olivier 2022.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : geneviève brisac