25/01/2025
Là où je nous entraîne...en poche
"Je n'écris pas dans un carnet, sur un écran ou des Post-it, j'écris sur notre mère. "
Ouvrir un roman d'Isabelle Desesquelles c'est partager une brassée d'émotions fortes mais qui ne flirtent jamais avec le pathos. L'autrice parvient en effet toujours à maintenir un équilibre entre ce qu'elle raconte et ce qu'elle suscite chez la lectrice ou le lecteur.
Avec Là où je nous entraîne, d'emblée on devine que cette fois nous allons la suivre au plus près de ce qui fonde son écriture, l'événement traumatique qui a marqué son enfance et l'a menée à l'écriture : "Il y a quarante-six ans une petite fille a commencé à écrire dans sa tête où l'on est deux , l'enfantôme et moi. Elle est l'enfance abolie qui vous hante. Une mère se tue, elle tue l'enfant en vous. L'enfantôme, elle, a refusé de mourir . [...] L'écrire, c'est aller à la source. "
Interrogeant les liens entre réalité et fiction, faisant dialoguer deux textes, l'un consacré à cette petite fille devenue écrivaine qui interroge ses proches sur le suicide maternel, l'autre à une tragédie en route au sein d'une famille marquée par l'écriture et l'intensité des sentiments, Isabelle Desesquelles nous coupe parfois le souffle et nous montre la puissance de l'écriture . Une autrice à son meilleur.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : isabelle desesquelles
24/01/2025
Qui-vive...en poche
J'imagine une vie qui serait une éternelle errance où je m'arrêterais devant chaque personne croisée et l'écouterais quelques minutes. "
Parce qu'il y a eu les attentats; le Covid, les confinements; le retour de la guerre en Europe; la découverte de feuillets énigmatiques après le décès de son grand-père, Mathilde est devenue insomniaque, a perdu le sens du toucher ,est obsédée par des vidéos de Leonard Cohen. Bref, Mathilde ne sait plus où elle en est. Et c'est fâcheux pour cette professeure d'histoire-géographie.
Laissant son mari et sa fille, elle part sur un coup de tête en Israël, entame un périple où elle se frotte à des réalités contrastées, bien éloignées de son quotidien. L'occasion de retours en arrière, de changements de perspectives dans ce pays où sa famille n'a pas choisi de vivre mais dont elle parle néanmoins la langue. Un récit où L'Histoire affleure tout le temps. Un récit sensible et poignant qui prend une dimension encore plus grande au vu de l'actualité.
Éditions de l'Olivier 2024, 169 pages. Points 2025
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : valérie zénatti
16/01/2025
#ViesetsurviesdElisabethHalpern #NetGalleyFrance !
" Quelle idée absurde que ce voyage en hiver au cœur de l'été. dans la forêt de neige, je perds pied , entre vengeance et mémoire, colère et recueillement, douleur et résilience. Je me sens disparaître. Pas de guérison possible, juste de temporaires rémissions, et, par intermittence, un féroce espoir. "
Invitée par sa grand-mère maternelle qui vit en Australie, la narratrice ignore que son aïeule compte sur ses talents de scénariste pour mener à bien un crime parfait visant un vieux monsieur dont elle sûre qu'il a participé à la Solution finale...
Comédie noire, Vies et survies d'Elisabeth Halpern joue sur un grand nombre d'oppositions qui font tout le sel de ce roman où la narratrice et sa grand-mère possèdent toutes deux le "physique de l'ennemi", mais un ennemi différent , ce qui entraîne pour la première des soupçons à la douane et pour Elisabeth, née Juive en Ukraine dans les années 20, la survie et de multiples identités. Et puis passer l'été dans les alpes australiennes enneigées s'avère tout aussi savoureux.
Une grand-mère haute en couleurs, dont la capacité à survivre n'est plus à démontrer, mais qui , au fil de ses pérégrinations, se retrouvera mariée à un survivant des camps recréant un mode de vie bien particulier , voilà qui ne pouvait qu'inspirer une scénariste passant son temps à se dénigrer.
Mêlant passé et présent, le roman se permet aussi quelques touches de fantastique pour mieux brouiller les pistes et nous laisser sur une fin quelque peu trouble.
Touche finale, Carine Hazan nous livre les clés de son inspiration en reproduisant la dernière lettre envoyée par sa grand-mère, point de départ de ce roman. L'écriture peut-elle permettre de venger ou faut-il "écrire comme on tisse des étoffes, comme on bâtit des ponts, comme on relaie un cri"?
Un roman plein d'humanité et un personnage qu'on n’oubliera pas de sitôt.
Editions Phébus 2025.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : carine hazan
09/01/2025
Pour Britney
" -bien après lui j'ai entendu d'autres hommes me glisser à l'oreille, un peu outrés, Louise on voit ta culotte, je ne leur ai jamais répondu , et alors ? toujours je fermais les jambes un peu gênée, un peu humiliée d'être soudain rappelée ainsi à ce fait de mon corps, qu'il ne fallait pas oublier, pas cesser de surveiller sans quoi on ne savait pas ce qui pouvait vous arriver, n'est-ce pas, ne pas oublier de veiller à ce qu'on ne puisse pas prendre cela, la fait de se tenir, par simple négligence ou peut-être par envie, les jambes écartées dans un parc avec ses amis, pour un signe, sans quoi il risquait toujours d'y avoir quelqu'un quelque part pour prendre cela pour une invitation. "
Ce court roman( 132 pages) tisse les destinées d'une chanteuse pop hyper sexualisée quand elle était très jeune, Britney Spears, et celui d'une écrivaine que l'on renvoyait sans cesse à son corps et à sa sexualité, Nelly Arcand. La première mettra des années à se libérer de la tutelle de son père. La seconde s'est suicidée.
Dans un texte à la syntaxe heurtée, syntaxe qui laisse souvent au lecteur le soin de poursuivre des portions de phrases, Louise Chennevière revient sur ces destinées tragiques, analysant avec une rage sourde, la manière dont ces femmes ont été broyées par une société patriarcale. Destinées qui font aussi écho, dans une moindre mesure à la propre réception de ses œuvres.
La découverte d'une écriture incisive et l 'envie d'aller plus avant dans l’œuvre de Nelly Arcand à qui la chanteuse Pomme a consacré une chanson, "Nelly".
P.O.L 2024.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : louise chennevière
07/01/2025
Fort Alamo
"Les boutiques s'ajoutaient à tous ces lieux publics que l'être humain avait finir par rendre infréquentables par sa seule présence, les trains, les salles de cinéma, les rues. Les gens se croyaient dans leur salon partout où ils allaient. Le portable avait abattu les cloisons de l’intime, qui s’était vulgairement déversé dans l’espace public, de sorte que tout lieu devenait invivable. "
Imaginez : tous les gens (ou animaux ) vous ayant quelque peu irrité meurent sous vos yeux d'un AVC.
C'est ce qui arrive au anti-héros de Fabrice Caro, Cyril, dans Fort Alamo. Homme tout à fait banal qui prend peu à peu conscience de ce super pouvoir fort encombrant: comment passer les fêtes de Noël en compagnie d'une belle-sœur qu'il a du mal à supporter ?
Avec tendresse et bienveillance , l'auteur brosse ici le portrait d'un homme qui a encore un pied dans l'enfance (il renâcle à l'idée de vider la maison de sa mère, décédée) , qui peine parfois à s'adapter au monde et pour qui les événements prennent facilement des dimensions apocalyptiques. L'occasion aussi de donner quelques coups de griffes sur notre société où certains ont du mal à prendre en compte les autres... Un roman qui atteint son objectif : nous donner le sourire.
Gallimard 2024.
06:00 Publié dans Humour, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : fabrice caro
26/11/2024
L'agent
"Observant les convives, Anthony ne put s’empêcher de se dire que leurs vies valaient moins cher qu'une voiture d'occasion. Ça sautait aux yeux, à leurs vêtements, leur façon de parler, leurs dents mal alignées, et au simple fait qu'ils passaient leurs vacances dans un camping à Vierzon. Des vies méprisées et bradées par la société. Comme sa mère autrefois, qu'on laissait poireauter des heures derrière un guichet administratif et qu'on regardait sans aucune considération. "
Que voilà un attelage bizarre : à ma gauche, Anthony, agent de tueurs à gages, forcé, après une opération calamiteuse de prendre la poudre d'escampette; à ma droite, Thérèse, soixante-quinze ans, directrice d'une agence matrimoniale au bord de la faillite , qui se remet d'un AVC , prête à tout pour échapper à l’Ehpad.
Comment ils vont se rencontrer et aller se mettre au vert ensemble dans un camping à Vierzon n'est qu'une des nombreuses péripéties de ce roman à la fois drôle et caustique où ça défouraille à tout va entre des réflexions sur une société où "Les gens sont prêts aux plus viles manipulations du langage pour ne pas égratigner leur univers petit-bourgeois". Société où la vie de certains vaut largement plus que d'autres.
Il y est aussi question de solitude et de la nécessité de faire bloc, ensemble pou affronter le réel. Un bien joli programme mené tambour battant par Pascale Dietrich à son meilleur.
Liana Levi 2024, 190 pages à dévorer d'abord puis à relire attentivement, en n'oubliant surtout pas les nombreuses citations qui l'agrémentent.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : pascale dietrich
05/11/2024
En Salle...en poche
"Sur l'écran des frites, les 27 more pending annoncent un rush qui n'en finira plus. L'heure de débauche est arrivée pour moi mais tout le monde tourne la tête , m'ignore et je continue d'implorer je peux rentrer maintenant ? Cinq minutes passent, vingt minutes, trente minutes. Ils m'ont oubliée là , dans l'affluence infinie. "
L'incipit de ce roman qui alterne, en séquences parfois très courtes, l’entretien d'embauche de la narratrice dans un fast-food et le souvenir d'enfance de sa famille se rendant dans ce type de restaurant, source de joie et d'excitation pour les enfants et d'angoisses pour le père , est extrêmement fort. Tout est déjà dit de cette inadéquation de cette famille modeste qui ne possède pas les codes et se trouve submergée par la mécanique précise du fast-food.
Cette même oppression ressentie par le corps du père à l'usine et par la fille quand elle officiera dans ce type de restauration rapide.
Horaires à rallonge, petits chefs jouissant de leur pouvoir, valeurs faussées, tout est vu de l'intérieur avec acuité. Cette même acuité dont fait preuve la narratrice quand elle analyse la maison que lui fait visiter un petit bourgeois de son entourage. Un premier roman qui nous fait ressentir ce que c'est que le travail abrutissant aussi bien les corps que les esprits.
06:03 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claire baglin
22/10/2024
#Desmoutonspleinmachambre #NetGalleyFrance !
"J'étais une terre gagnée lentement par la banquise. "
Dire que ce roman a pour narrateur un enfant gravement malade serait extrêmement limitatif car comme il le déclare lui-même à propos d'un projet de roman que lui suggère son cousin : "Il restait la maladie mais franchement je ne voulais pas lui accorder plus d'importance en racontant tous les mauvais tours qu'elle me jouait. "
Ce qui importe ici c'est d'une part le regard qu'il porte sur sa famille, ses amis, sa lucidité et sa manière nuancée d'aborder les sujets les plus graves, par petites touches non dénuées d'humour et de délicatesse. Mêlant les temporalités, l'auteur fait ainsi l'économie du pathos et nous livre un roman sans grands enjeux narratifs, qui paraîtra sans doute lent à certains , mais dont il faut prendre le temps d'apprécier les nombreuses remarques pleines de justesse. Une belle découverte.
Merci à Netgalley et à l'éditeur : La Belle Étoile 2024.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2024, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : michael uras
21/10/2024
Le Buzuk
"Et alors, et s'ils étaient venus justement, pour ça, parler aux mouettes, défendre le lapin de garenne, le crabe tacheté ou le maquereau agile, ces jeunes sont nos alliés. Et puis je me suis dit, calme-toi, Joséphine ; si tu n'es pas une mouette, tu n'es pas Jeanne d'Arc non plus. "
Le Buzuk , c'est le nom du chien (mais pas que) dont a hérité Joséphine à la mort de son mari. Mari à qui elle s'adresse régulièrement, histoire de le tenir au courant non seulement des nouvelles de la famille, mais aussi de ce petit paradis breton où elle vit.
Mais justement ce paradis court le danger d'être transformé en golf. Par chance, de jeunes marginaux avec qui Joséphine va sympathiser vont décider de défendre cette zone contre vents et marées...
Très programmatique, ce roman fait passer un bon moment de lecture sans prise de tête, mais offre néanmoins l'originalité de nous offrir un narrateur non fiable, dont le manque d'exactitude se révèle progressivement...
Merci à Babelio et à l'éditeur .
Editions Viviane Hamy 2024.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2024, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : marie kelbert
09/10/2024
#Bâtardes #NetGalleyFrance !
"Nous sommes donc les bâtardes, mères de bâtardes,filles de bâtardes, perpétuant le cycle des mensonges et de l'obscurité. "
On estime le nombre d'enfants nés de mère française et de père appartenant à l'armée allemande durant la Seconde guerre mondiale entre 10 00 et 20 000. L'occasion pour ceux qu'on a appelés "les résistants de la dernière heure", de tondre ces femmes coupables de "collaboration horizontale", de se venger sur elles de leurs propre lâcheté (voire pire) en les tondant sur la place publique.
L'arrière petite fille d'une de ces femmes va remonter le temps des silences et des hontes pour mettre à jour les mensonges qui gangrènent plusieurs générations d'une lignée de femmes de sa famille.
Rachel Corenblit, avec beaucoup de sensibilité, donne la parole à chacune de ces femmes qui expriment avec beaucoup de lucidité leurs sentiments, mais aussi l'hypocrisie d'une société patriarcale. Une belle réussite.
15:58 Publié dans Jeunesse, Rentrée Littéraire 2024, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : rachel corenblit