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18/01/2011

Oeil-de-chat

"Les jeunes femmes ont besoin de faire preuve d'injustice, cela fait partie de leurs rares moyens de défense."

A l'occasion d'une rétrospective de son oeuvre picturale dans la ville de son enfance, Toronto, Elaine Risley, la narratrice , revient en constant allers retours sur son passé. D'enfant sauvageonne , peu rompue aux moeurs féminines car plus à l'aise avec son frère aîné, Elaine a dû faire face au comportement  que de nos jours on qualifierait de harcelant de prétendues amies et d'une en particulier , Cordelia. Mais , comme cette bille changeante, l'oeil de chat, qui donne son titre au roman, le passé est un kaléidoscope où les rôles sont souvent interchangeables car personne n'est innocent.41yk97Aq16L._SL500_AA300_.jpg
L'itinéraire de cette peintre, sa vision de ses rapports avec les hommes, les femmes dans un univers en profonde mutation , après guerre au Canada sont extrêmement intéressants, non seulement du point de vue historique mais aussi psychologique. On y retrouve ici , comme dans La voleuse d'homme, le motif de la meilleure amie qui peut se révéler tout à fait nocive mais ,chez Margaret Atwood, les rôles ne sont pas distribués une fois pour toutes.
La structure éclatée de ce roman ne déroute jamais le lecteur mais lui ménage cependant de vraies montagnes russes émotionnelles parfaitement maîtrisées. Un portrait de femme qui fait fi des poncifs et avance robustement.

Oeil-de-chat, Margaret Atwood, traduit de l'anglais(canada) par Hélène Filion, Robert Laffont, pavillons poche, 674 pages qui ne doivent pas effrayer car ce volume, certes épais, se cale bien en mains !

Merci à BoB et aux éditions Robert Laffont.

17/01/2011

Le rêve d'Amanda Ruth

"Que faire à Fengdu un dimanche ?"

Une croisière d'une dizaine de jours sur le Yangzi Jiang, le fleuve dont Amanda Ruth rêvait en Alabama et qu'elle ne verra jamais car elle a été assassinée à l'âge de dix-huit ans. Ce périple, c'est sa meilleure amie, Jenny ,qui l'entreprend quatorze ans plus tard, autant pour disperser les cendres de celle qu'elle chérissait, que pour tenter de donner une dernière chance à son mariage avec Dave, le sauveteur professionnel.410t+1W7O5L._SL500_AA300_.jpg
Sur ce canevas somme toute assez conventionnel au premier abord, Michelle Richmond va, comme dans son premier roman, s'éloigner des sentiers battus, aussi bien du point de vue narratif, ménageant de nombreuses surprises au lecteur par sa capacité à éviter les clichés et les situations attendues, que par son style, toujours aussi poétique et précis.
Par delà l'espace et le temps vont se tisser des liens entre la Demopolis River d'Alabama et le fleuve sur lequel la Chine veut à tout pris construire un barrage qui détruira non seulement la faune et la flore mais aussi des villages où des hommes et des femmes vivaient depuis des générations.
On glisse en compagnie de Jenny sur les eaux boueuses du Yanggzi Jiang, on partage ses émotions , on retarde le plus possible le moment de quitter ces personnages avec lesquels on a partagé tout à la fois souvenirs et découverte d'une Chine parfois factice, celle qui est imposée aux touristes, mais aussi celle que Jenny parviendra à comprendre par delà les mots dans un dernier chapitre d'une beauté et d'une force incroyables. A dévorer et savourer tout à la fois.

Le rêve d'Amanda Ruth, Michelle Richmond, traduit de l'américain par Sophie Aslanides, Buchet-Chastel 2011, 294 pages fascinantes.

14/01/2011

L'hypothèse des forêts... en poche

"De toutes façons,ça n'est jamais ça avec maman. Je ne lui conviens pas."

Une  mère, trois soeurs qui font bloc pour échapper à l'emprise  maternelle, destructrice, mortifère. La folie qui rôde et qui est repoussée ou apprivoisée. Des hommes enfin qui vont essayer de se frayer un chemin, de se trouver une place  au sein de cette lignée de femmes. Et tout autour, la forêt. Celle dont la narratrice principale, Rose tire sa force. Car chaque soeur a sa propre méthode pour tenter de se libérer et cela ne va pas sans risques...513BgA7ME3L._SL500_AA300_.jpg
Alternant les points de vue, Laurence Albert tisse un texte empreint de sensualité charnelle ,qui mêle les éléments naturels , brasse ces vies de femmes, cette lignée maternelle où l'amour a  pris des formes perverties. Il  faut se laisser envoûter par cette écriture prenante et entrer "Dans cette maison de folles où aucun homme n' a jamais vécu.".

13/01/2011

Le mouton botté et le loup affamé

Un loup, un mouton ? Un couple agaçant d'emblée car la problématique ne peut être résolue que d'une manière cruelle ou angélique.413YN4SwxSL._SL500_AA300_.jpg
Pourtant le suspense fonctionne à plein (j'avoue j'ai regardé la fin avant de pousuivre car vraiment j'avais le coeur qui battait)  et Maritgen Matter fait de ces personnages convenus des êtres complexes et attachants: le loup, tiraillé entre son instinct de survie et la sympathie qu'il ressent pour sa proie ; le mouton solitaire, en quête d'amis et que sa candeur semble mener tout droit dans la gueule de son nouvel et si séduisant ami qui fait de la poésie. Une écriture  à la fois tendre , poétique mais aussi diablement inquiétante. Un équilibre subtil que l'auteure a su maintenir du débit à la fin et que renforcent les illustrations en noir, blanc et rouge de Jan Jutte : épurées et expressives.
Une manière efficace et imagée de mettre en garde les enfants contre les séducteurs de tous poils.
Une totale réussite ! Cela faisait longtemps qu'un livre pour enfants m'avait autant tenue en haleine !

Le mouton botté et le loup affamé, Maritgen Matter, traduit  du néerlandais par Maurice Lomré, illustrations Jan Jutte, Mouche de l'Ecole des loisirs. Pour les enfants  qui aiment déjà lire tout seuls.

08/01/2011

Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates...en poche

Quelque chose en eux d'Elisabeth

"Peut être les livres  possèdent-ils un instinct  de  préservation secret qui les  guide jusqu'au lecteur idéal.  Comme il serait délicieux que ce soit  le cas." Ainsi s'exprime  Juliet , romancière en mal d'inspiration , que le destin va mener sur les traces du Cercle  littéraire des amateurs de patates et par la  même occasion sur cellles de son inspiratrice, Elisabeth.51Xrp7k-omL._SL500_AA300_.jpg
Nous sommes en Grande-Bretagne, dans l'immédiat après guerre . Le pays panse ses paies et Juliet, qui a su remonter le moral de ses concitoyens grâce à ses chroniques pleines d'humour va découvrir quelle  était la vie de la petite ïle de Guernesey durant l'occupation allemande.
Les lettres qu'elle échange, tant avec son éditeur qu'avec les  difffrents membres, fort pittoresques,  de ce cercle littéraire sont tantôt graves, tantôt émouvantes mais surtout pleines de vivacité.  Ce roman épistolaire  arrive très rapidement à nous faire oublier l'aspect répétitif qu'ont trop souvent les romans empruntant cette forme.
Les personnages sont croqués  avec saveur , l'histoire est fertile en rebondissemnt, on y trouve cette excentricité si délicieusement anglaise  qui fait valser les théières dans les airs ou fabriquer des brouets de sorcière, le  tout avec  avec un flegme imperturbable. Concentrer l'action  dans ce microcosme insulaire confère densité et profondeur à  ce qui  n'aurait pu être qu'une bluette.
Seul regret:  que  Mary Anna  Shaffer  (qui a reçu l'aided'Annie  Barrows) n'ait pas vu le succès que son livre ne saurait manquer d'obtenir. On espère cependnat que son éditeur ait pu lui écrire ce ci : "Très chère, je  ne peux te  promettre ni l'opulence , ni la prospérité, ni même du beurre, mais tu sais que tu es l'auteur le plus cher au coeur de Stephens & Stark."

07/01/2011

Saison de lumière

"Aussi froide que le verglas qui l'avait naguère couverte, la terre gelait le coeur de Jennet, mais lui donnait de l'espace pour respirer."

Itinéraire d'une artiste, Jennet, qui dès l'enfance manifeste un don certain pour le dessin, Saison de lumière retrace aussi l'histoire d'une femme qui dut tout à la fois concilier sa vie amoureuse avec un peintre assuré de son talent, voire de son génie, avec sa vie de mère et la pratique exigeante de son art.41t6-X1DI4L._SL500_AA300_.jpg
La cohabitation entre les deux peintres ne sera pas de tout repos car David, son époux malgré lui, gaspille son talent et sa vie en une quête éperdue de plaisirs, tandis que Jennet, à force de compromis et de réflexion parvient , mue par une énergie inébranlable à contourner les obstacles et à affirmer sa puissance créatrice, même si cela doit lui demander du temps. Mais comme l'écrit Francesca kay : "Ses sentiments pour David, comme pour à peu près tout , étaient aussi changeants que l'eau , ils confluaient constamment , tel un estuaire à marée basse sans barrage pour séparer l'eau douce de l'eau de mer."Pas de manichéisme donc et Jenett n'est pas la sainte et martyr qu'on pourrait croire.  C'est une femme qui souffre, qui aime et qui avance, irriguée par le désir, tendue vers l'épure et la lumière.
Son héroïne ayant 40 ans dans les années 60 , l'auteure en profite pour évoquer de manière très vivante ces années novatrices jusqu'à l'excès.
Mais plus que tout c'est le style à la fois précis , lumineux et poétique qui fait l'enchantement de ce roman. Rien de plus difficile en effet que d'évoquer des tableaux que le lecteur ne verra jamais mais ici le miracle opère et je peux assurer que je les ais vus les tableaux de David et Jenett, tout comme j'ai souffert avec eux, (ah le coup bas de l'artiste teutonne !) partagé leurs élans et leurs frustrations,voire atteint une forme de sérénité à la fin du roman. Un livre bien évidemment tout hérissé de marque -pages et qui vibrera longtemps en moi. Et zou sur l'étagère des indispensables !

Un premier roman époustouflant par sa maîtrise.

Une mentions particulière à la traductrice , Laurence Viallet  .

Mon premier coup de coeur de 2011.

Saison de lumière, Francesca Kay, plon 2011, 241 pages somptueuses.

 

04/01/2011

La traversée

"entreÉvidemment qu'on peut être constitué de deux pierres différentes."

Délaissant bien malgré elle la France , son soleil et ses campings, Margot part en vacances en Islande en compagnie de sa mère et du énième amoureux de celle-ci, Bjarni.51hpsHo8FVL._SL500_AA300_.jpg
Et ce séjour va s'avérer bien plus surprenant que prévu. Déjà parce qu'embarquer pantalon de pluie, pulls et bonnet en plein été (le temps est très changeant dans ce pays !) n'est pas vraiment du goût de la pré ado. Ensuite parce que, bizarrement Margot va vraiment aimer ce paysage lunaire , entrecoupé de rivières omniprésentes qu'il faut sans cesse traverser à ses risques et périls. Enfin, encore plus surprenant, elle va même beaucoup apprécier, pour une fois, le compagnon de sa mère. Mais les adultes ont une manière vraiment bizarre de se comporter et l'amour n'est pas une chose facile...
Aventure et humour sont au rendez-vous dans ce roman de Marjolijn Hof. Cette dernière ne se permet jamais de juger ses personnages et leur comportement . Elle prône juste le parler vrai entre parents et enfants, chacun se débrouillant le mieux possible pour faire face à ses contradictions.
Inutile de vous dire que j'ai savouré ce voyage-trop court- en Islande , prolongé -excellente initiative  !- par un Guide de prononciation de l'islandais qui permet de mieux prendre conscience de la difficulté de cette langue (certaines lettres ses prononçant différemment en fonction de leur place dans le mot !).

La traversée, Marjolijn Hof, traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron, Seuil jeunesse 2009.126 pages seulement !

02/01/2011

L'oiseau canadèche

"-Nous refusons absolument tout ce qui sort de l'ordinaire.
Jake explosa:
- Eh ben, ça doit vous faire une petite vie bien merdeuse et salement étroite , non ? "

Un grand-père qui a collectionné les mariages (foireux), perdu quelque peu le sens des réalités et qui est persuadé d'être immortel grâce à une infâme gnôle dont un vieil Indien lui a transmis la recette , n'écoute que ses tripes et élève à sa façon totalement foutraque un petit fils qui lui est tombé du ciel.
Quant à L'oiseau canadèche qui donne son titre à ce très court texte, il a été trouvé ...dans la terre et a échappé de peu à un sanglier qui deviendra l'obsession de toute la famille, l'équivalent terrestre de la fameuse Moby Dick.31ozM8-attL._SL500_AA300_.jpg
Amoureux de l'ordre et de la vraisemblance passez votre chemin ! Pour les autres réjouissez-vous et précipitez-vous pour découvrir ces 106 pages tour à tour hilarantes (mention spéciale à la cane qui sait si bien exprimer ses sentiments !), poétiques, tendres, truculentes, qui parlent de la vie, de la mort, avec une apparente simplicité qui fait toute sa force et décrivent un univers où les gens hors-normes ont encore leur place.
Ne ratez pas non plus la savoureuse et éclairante postface de Nicolas Richard.

L'oiseau Canadèche, Jim Dodge, Traduit de l'américain par Jean-Pierer Carasso, Editions Cambourakis 2010.

Merci à Dominique qui nous a signalé cet oiseau canadèche ! (qui est allé se nicher directement sur l'étagère des indispensables !)

28/12/2010

Ma mère zéro

"Parce que je me mettais à chercher ma mère Zéro, tout le monde dans la famille avait soudainement besoin d'aide."

Feyzo est né aux Pays-bas mais dans sa famille personne ne ressemble à personne car sa soeur aînée , An est chinoise et lui est né d'une mère biologique qui a quitté la Bosnie au moment de la guerre. Les deux enfants ont été adoptés et cela ne leur pose pas de problèmes jusqu'au jour où Fé se met en tête de découvrir l'identité de celle qu'il appelle sa mère Zéro.51mRUq3iEvL._SL500_AA300_.jpg
Ce court roman évoque avec sensibilité et empathie toute la gamme d'émotions par lesquelles passent le jeune garçon et sa famille. Pas facile en effet pour la petite chinoise de devoir se résoudre à ne jamais savoir qui est sa mère naturelle puisque les circonstances de son abandon ne le lui permettent pas.
Marjolijn Hof peint ici aussi le portrait d'une famille diablement sympathique dans un quotidien proche du lecteur, sans jamais idéaliser ni jouer sur la corde sensible. Un roman plein de justesse et de délicatesse.
(On espère juste que les choses se déroulent aussi bien en France...)

 

Ma mère zéro, Marjolijn Hof, traduit du néerlandais par Emmanuèle sandron, Seuil jeunesse 2010, 125 pages pleines de vie.

Emprunté à la médiathèque.

17/12/2010

Plein Nord

"C'est quand ils sont trop faibles que les gens commettent le pire."

Allison, vingt-deux ans au compteur, mais des expériences douloureuses plein la tête et le corps, file à Reno pour échapper à l'emprise de son petit copain, un salopard de première, brutal et raciste.
Par faiblesse, elle a gâché le début de sa vie et se dévalorise à foison, même si les dialogues imaginaires qu'elle mène avec son idole de toujours, Paul Newman, l'aident à sortir la tête hors de l'eau.
Allison est le prototype de la fille qui , lâchée dans une pièce , ira de manière imparable vers l'homme qui va la faire souffrir.51fYl+62vAL._SL500_AA300_.jpg
On pourrait la trouver pitoyable ou exaspérante , mais non. En effet, Willy Vlautin a su trouver le ton juste pour décrire sans pathos ni voyeurisme ces éclopés auxquels la vie n'a pas fait de cadeau. il sait dire la souffrance , par petites touches , par exemple celle d'une obèse qui subit les regards désapprobateurs quand elle s'offre une glace à quatre boules. Mais aussi tous ces petits gestes qui font encore croire en l'humanité , même dans les quartiers les plus défavorisés. Pas de démonstration, pas de rédemption garantie sur facture, Allison , qui donne parfois l'impression qu'elle traverse la vie en somnambule pour mieux pouvoir la supporter, aura au moins entendu de la bouche de Paul Newman que "...les endroits où se réfugier, ça n'existe pas. [...]Partout, tu te heurteras à toi même." Peut être parviendra-t-elle à en faire bon usage... L'intensité dramatique est obtenue de manière feutrée, sans effets de manches mais tout vous revient soudain en pleine face et vous laisse le coeur et les poing serrés.
Un roman au style très visuel, mélancolique comme le film de Wim Wenders Paris-Texas.

Plein Nord, Willy Vlautin, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Davis Fauquemberg, Albin Michel 2010, 240 pages qui se gravent en vous.