16/06/2023
La vallée des fleurs...en poche
"Viens me chercher, je pense. Emmène-moi. Laisse-moi me jeter dans la mer obscure. "
La vallée des fleurs est un roman tout en contrastes qui relate l'itinéraire d'une jeune femme inuite qui va intégrer une université au Danemark. Si son homosexualité est tout à fait acceptée par sa famille, on sent bien d'emblée que sa singularité se situe ailleurs et qu'elle dérange. Serait-ce son hypersensibilité ou un comportement parfois atypique ?
Au Danemark, l'effort d’adaptation au monde étudiant ,mais aussi aux subtilités de la langue (elle ne détecte pas immédiatement l'ironie ,par exemple) vont lui être coûteux et un deuil dans la famille de sa petite amie sera l'occasion pour elle d'aller dans l'Est du Groenland ,près de ce cimetière qui donne son titre au roman.
Car la mort irrigue ce roman, dont les têtes de chapitre de la première partie sont scandés par la mention factuelle de suicides de jeunes gens. Une vague de suicides touche en effet le Groenland et les mesures prises pour l'endiguer ne semblent guère efficaces.
Si l'humour est bien présent, la souffrance l'est tout autant et l'autrice dépeint avec une extrême sensibilité cette écorchée vive qui tente de se retrouver. Un roman extrêmement dépaysant , qui montre aussi bien la beauté sauvage que les laideurs de ce pays, sa rudesse et sa délicatesse.
Traduit du danois par Inès Jorgensen
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : niviaq korneliussen
15/06/2023
#LesVoyageursdutrainde8h05 #NetGalleyFrance !
"Franchement, si on m'avait dit qu'un jour, je confierais mon avenir à une lesbienne excentrique, je ne l'aurais pas cru ! Mais ça fonctionne plutôt bien, en fait. "
La règle numéro 2 de l'usager du train de banlieue , règle implicite, bien sûr, est de ne jamais adresser la parole aux autres voyageurs. Pourtant, quand un des habitués de la ligne allant de Hampton Court à Londres manque s'étouffer avec un grain de raisin, les interactions vont bien se mettre en place et les identités se dévoiler.
Petit à petit, ce sont les personnalités et les tracas de chacune et chacun qui vont se révéler, faisant de Iona , journaliste spécialisée dans les problèmes personnels, une sorte d'aimant dans le wagon où elle s'installe chaque jour avec sa fidèle, Lulu, bouledogue français.
Roman choral où chaque personnage prend à son tour la parole, Les voyageurs du train de 8h 05 concentre de manière un peu trop systématique des problématiques contemporaines qui vont du harcèlement scolaire à l'emprise. Le microcosme qu'est le train est certes bien exploité mais les situations se règlent beaucoup trop facilement . Et c'est bien dommage cr les personnages, Iona en tête, sont pleins d'humanité et croqués à ravir.
Un bon moment de lecture juste un peu trop lisse.
Traduit de l'anglais par Anne-Marie Carrière et Karine Guerre.
Éditions Fleuve 2023
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : clare pooley
29/05/2023
Eté
"Un conte triste, c'est mieux pour l'hiver, alors Shakespeare injecte l'artifice de la tristesse, c'est un artifice de dramaturge: il répand l’hiver partout précisément pour avoir un véritable été et faire jaillir un conte joyeux d'un conte triste. "
Comme la pièce de Shakespeare que Grace a joué tout un été il y a trente ans et dont elle conserve un souvenir ébloui, le roman d'Ali Smith commence en hiver. Paradoxe qui s'explique par la relation au temps qui irrigue tout le roman et qui emprunte beaucoup à Einstein dont est féru Robert, un jeune garçon pour le moins surprenant.
Par l'intermédiaire d'une expression prise au pied de la lettre par son frère Robert, Sacha, seize ans, va faire la connaissance d 'Art et Charlotte qui , de fil en aiguille , vont emmener les ados et leur mère, Grace, rencontrer un très vieil homme qui a connu la mère d'Art.
Avec un grand sens du montage quasi cinématographique, la romancière nous fait passer de l'époque contemporaine - dont elle fustige les travers avec acuité- à l’époque où l'île de Man accueillait dans des camps (qui demeuraient néanmoins des prisons) les Allemands qui avaient cru qu'il seraient en sécurité durant la Seconde guerre mondiale en Angleterre. Nous y croiserons Fred Uhlmann, qui n'avait pas encore écrit L'Ami Retrouvé mais dessinait pour témoigner de ce qu'il ressentait.
Il est très difficile de résumer le roman d'Ali Smith qui, de prime abord peut paraître touffu, mais dont la lecture s'avère d'une étonnante fluidité. L'autrice y évoque par petites touches l'importance des mots dans une période de changement à la fois climatique, politique et pandémique, la nécessité de l'hospitalité et de l'engagement , sans jamais se montrer "donneuse de leçons".
Son roman est riche d'humanité et l'été qui lui donne son titre irradie chaque page tant les sensations y sont présentes. 358 pages dévorées d'une seule traite.
Traduit de l'anglais par l'excellente Lætitia Devaux ; Grasset 2023.
Ce roman clôture la tétralogie mais peut se lire indépendamment des autres saisons.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : ali smith, laetitia devaux
19/05/2023
#Frère #NetGalleyFrance !
"L'amour l'avait rendu aveugle à la rage, la haine et la mort qu'il déchaînait. Voilà la vérité terrible, dévorante et paradoxale qui la frappait tandis que les larmes coulaient sur ses joues : rien n'illumine, et par conséquent n'aveugle, comme la lumière de l'amour; et c'est dans ce même terreau que grandit et prospère le mal. "
Quel rapport y a-t-il entre deux amis islandais, venus soutenir leur équipe en France en 2016 à Marseille, et la sœur de l'un d'entre eux qui s'était exilée à Berlin et qui reste injoignable ?
Il faudra attendre la toute fin de ce roman particulièrement bien construit pour le savoir.
Mais ce qui fait vraiment tout le sel de ce roman est l'analyse des relations entre Skarphédinn, ce grand frère très (trop ? ) protecteur, ancien chargé de cours de philosophie du droit à l'Université d'Islande et sa petite sœur, Tinna.
Ce qui est également au cœur de ce roman est le rapport à l'écriture car nous allons vite découvrir que Skarphédinn va charger Hanna, écrivaine en devenir , de raconter ce qui a abouti à la séparation de la fratrie. Pourquoi a-t-il besoin d'un tel truchement ? Pourquoi choisir Hanna, qui, plus jeune, était fascinée par la personnalité de Tinna ?
Un roman de 320 pages qui vous embarque d'emblée dans son univers , remarquablement servi par une écriture talentueuse, un pur régal !
Éditions Métaillié 2023. Traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : halldór armand, islande
18/05/2023
Evidemment Martha...en poche
"Je voulais lui dire que c'était la première fois que j'étais capable de décider comment réagir à un événement négatif, aussi insignifiant soit-il, au lieu de réagir avant d'avoir pris conscience. J'ai dit que je ne savais pas qu'on pouvait choisir quoi ressentir au lieu d'être submergée par une émotion extérieure. J'ai dit que c'était difficile à expliquer. Je ne me sentais pas différente, je me sentais moi-même. Comme si je m'étais trouvée."
Depuis l'âge de dix-sept ans, Marthe souffre de troubles psychiques et tente de s'en accommoder avec l'aide de traitements peu efficaces. Elle a maintenant trente-quatre ans, un premier mariage éphémère à son actif et un second qui se délite.
Les autres membres de sa famille (un père poète jamais édité, une mère sculptrice (qui vit aux crochets de sa sœur tout en la méprisant copieusement) une sœur quasi jumelle exténuée par ses grossesses successives) , ont chacun à leur manière tenté de "faire avec" l'attitude chaotique de Martha mais semblent eux aussi sur le point de lâcher prise.
L'autrice a fait le choix de ne jamais nommer la maladie (qui sera enfin correctement diagnostiquée ), sans doute pour ne pas stigmatiser ou pour ne pas limiter le récit et cela me convient très bien car ce qui est davantage montré ici est la souffrance de Martha et celle de tous ceux qui l'entourent.
La structure éclatée du roman, les allers retours dans le temps, l'analyse fine des rapports complexes liant Martha à sa famille et, en particulier, à son second mari en apparence trop patient, la révélation retardée de certaines réactions de la jeune femme contribuent à maintenir la tension tout au long du récit.
Un roman clivant sans doute mais que j'ai dévoré et qui m'a serré le cœur.
Traduit de l'anglais par Anne Le Bot
Le Cherche Midi 2022, 399 pages qui peuvent dérouter et/ou profondément émouvoir.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : meg mason
15/05/2023
Ours...en poche
"Elle aimait l'ours. Il y avait en lui des profondeurs qu'elle ne pouvait atteindre, qu'elle ne pouvait sonder, ni détruire de ses doigts d'intellectuelle."
Quand Lou, archiviste à Toronto se voit proposer d'aller inventorier le contenu d'une bibliothèque sur une île au Nord de l'Ontario, c'est l'occasion rêvée de briser la routine de sa vie quelque peu étriquée.
Sur place, elle découvre la présence d'un ours ,laissé là par son précédent propriétaire.
Commence alors une relation qui, petit à petit, va entraîner le plantigrade et la jeune femme sur les chemins de la liberté des corps et des esprits, au plus près de nature .
L'ours reste obstinément opaque aux yeux de Lou qui n'est pas dupe qu'elle projette sur lui ses propres émotions et des petites notes , découvertes au fil de son travail, enrichissent ce portrait mouvant en inscrivant l’animal au cœur de différentes mythologies.
Récit d'émancipation, ce roman interroge aussi nos liens à la nature, à l'animal et efface les frontières que l'humain a établi entre eux.
Paru en 1976, ce roman a attendu 1999 pour être traduit pour la première fois en français .Le voici, dans une nouvelle traduction , et une sublime couverture, toute de sensualité.
Il y a toujours un risque à relire un texte que vous aviez beaucoup aimé à plus de vingt ans de distance mais le côté "étrange et merveilleux" que souligne Margaret Atwood sur le bandeau est toujours présent et le roman a conservé tout son pouvoir. A (re) découvrir absolument.
Cambourakis 2023.Traduit de l'anglais (Canada) par Géraldine Chognard.
06:05 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : marian engel
13/05/2023
La fin des hommes...en poche
" -Rappelez- leur qu'avoir un travail, c'est avoir un but. Même si on n'en veut pas, un travail est une raison de se lever le matin. C'est avoir un avenir auquel on ne croyait plus. "
Rédigé avant la pandémie de Covid 19, ce roman imagine une sorte de grippe , extrêmement mortelle et ne touchant que les hommes. Nous sommes en 2025, parti d’Écosse, le mal se répand d'abord au Royaume Uni, puis dans le monde entier. Mais, hormis quelques incursions dans certains pays étrangers, l'action sera centrée sur le Royaume Uni .
Le récit est pris en charge par plusieurs narratrices, ce qui permet de varier les points de vue (scientifique, historique, politique). Mais, il faut bien l'avouer, tout ceci reste assez superficiel et l'autrice privilégie bien plus l'aspect émotionnel qu'économique par exemple. Elle se débarrasse d'une pichenette désinvolte de certains problèmes, (faute de données , toute la situation en Afrique, par exemple, ne peut être évoquée) même si elle souligne certains biais misogynes de la société ante pandémie. En outre, un épisode de violence domestique, réglé façon humour noir, par le Fléau a lieu en ...Russie. Aucun cas d'alcoolisme ou de violences faites aux femmes au Royaume -Uni ?
Bref, même si j'ai lu jusqu'au bout les 471 pages de ce roman, je n'ai pas été totalement convaincue par le traitement de l'intrigue.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christina sweeney-baird
10/05/2023
Avec joie et docilité...en poche
"L'été est comme une plante sortant de terre. Il s'écoule à la fois avec la lenteur imperturbable de la germination et avec la rapidité presque agressive de la pousse des tiges et des fruits au cœur de la belle saison."
Finlande, 2016. Ce pays a tiré les leçons des erreurs du passé et vit, coupé du monde. La population est divisée en trois catégories: les virilos, comprendre les hommes, les éloïs, femmes blondes soumises, élevées uniquement dans le but de satisfaire tous les désirs des virilos et les morlocks , femmes rebelles à qui la reproduction est interdite (elles sont stérilisées).
Dans ce monde où le seul plaisir permis demeure le sexe, la consommation de piments est interdite, générant bien évidemment tout un trafic pour le plus grand bénéfice de nos héros, Vanna, une morlock travestie en éloï et son ami virilo, Jare.
Si ce dernier compte bien s'échapper de Finlande, Vanna, quant à elle cherche surtout à élucider la disparition de sa sœur.
Double intrigue donc et double point de vue sur les événements, le tout intercalé de documents officiels, expliquant la domestication des femmes, d'après des méthodes utilisées sur des animaux.
C'est la couverture de" Chez Gertrud "qui m'a donné envie de découvrir ce roman et , même si je ne suis pas férue de dystopie, cette analyse de la situation faite aux femmes a su me séduire par la manière dont elle est traitée. Bien évidement, on se dit que ce roman n'intéressera que les convaincu(e)s, mais une petite piqûre de rappel ne fait jamais de mal...
Avec joie et docilité, Johanna Simisalo, traduit du finnois par Anne Colin du Terrail, Actes Sud 2016.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : johanna sinisalo
08/05/2023
#Uneexécution #NetGalleyFrance !
"Je me souviens surtout de la façon qu'il avait de nous regarder. Comme s'il se demandait à quoi on pourrait bien servir. "
Dans douze heures ,Ansel Packer sera exécuté. Il ne s’envisage pas du tout comme un tueur en série, mais comme l'auteur d'une œuvre philosophique qu'il veut léguer à la postérité.
A partir cette situation apparemment sans tension, l'assassin est connu, arrêté, son sort est scellé, Danya Kukafka crée un roman plein de suspense (et de retournements de situation ) qui tient le lecteur en haleine.
De plus, via trois femmes qui l'ont côtoyé à différents moments de son existence (sa mère, la sœur jumelle de son épouse et surtout Saffy, l’enquêtrice, qu’il avait croisée plus jeune en foyer d’accueil) , elle fait entendre les récits qui redonnent vie à ses victimes. Elle balaie ainsi toute possibilité de fascination face à cet être qui plaque sur son visage les émotions qu'il ne ressent pas mais a appris à imiter pour mieux manipuler les autres.
Un roman magistral qui évite les écueils du genre et interroge les notions de justice, de bien et de mal.
Buchet-Chastel 2023. Traduit de l'Anglais (États-Unis) par Isabelle Maillet.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : danya kukafka
05/05/2023
Les affinités sélectives...en poche
L'une, Elisabeth, a écrit un roman et vient d'avoir un enfant. Elle s'ennuie dans une petite ville, bien trop loin de New York. L'autre, Sam, est une étudiante, d'origine modeste, dont l'avenir est déjà entravé par des prêts contractés pour payer ses études.
Elisabeth va embaucher Sam pour garder son fils et vite s'enticher de la jeune femme dont elle entend bien révéler le potentiel artistique. Mais l'ingérence dans la vie amoureuse et professionnelle des autres est-elle vraiment une bonne chose ?
Tout est un peu trop parfait, trop lisse, dans ce roman qui entend pourtant dénoncer certains faits économiques et surfe sur l'air du temps en mentionnant par exemple les groupes sur les réseaux sociaux et autres influenceuses. Mais cela reste bien timide et les problèmes financiers sont trop vite résolus...
Il n'en reste pas moins que l'écriture fluide de l'autrice fait que l'on tourne les pages sans déplaisir. Un bon gros pavé estival qui fait le job.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : j. courtney sullivan