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19/01/2016

La douleur porte un costume de plumes

"C'est ce que je fais, je lui offre des performances décousues , des trucs de corbeau. je crois qu'il a un peu l'impression d'être un chamane de Stonehenge qui entend l'esprit de l'oiseau. Moi ça me va tant que ça le fait tenir.)

Mégalithe !"

 

Un corbeau gigantesque investit le logis et la vie d'un jeune veuf et de ses deux enfants. Usant parfois d'un sabir déclamé en tirades rythmées (bravo au traducteur) ou de méthodes thérapeutiques inédites, le corvidé va insensiblement ramener les humains ,qu'il tarabuste et protège à la fois, du côté de la vie.
Le père n'est pas dupe du fait que "La frontière était mince entre mon imaginaire et le monde réel" et cette ambivalence est aussi marquée par les besoins qu'il affirme avec véhémence: ceux du quotidien , mais aussi ceux de la culture.index.jpg
Le dérèglement de leur existence, leur souffrance mais aussi les éclats de rire et l'amour qui persistent malgré tout, l"ajustement constant "que lui a appris le corbeau, tout ceci est restitué avec délicatesse dans un roman choral court où se donne à entendre une voix parfois maladroite ,mais qui possède un style bien à elle, jouant avec la typographie et l'espace .
Une expérience à tenter !

La douleur porte un costume de plumes, Max Porter, traduit de l’anglais par Charles Recoursé, Seuil 2015, 121 pages et une ambiance étonnante.

15/01/2016

Arrêtez-moi là !...en poche

La seule photo de Reda Kateb sur le bandeau de la réédition en poche peut-elle décider à acheter un livre ? Oui.

"Je suis un personnage dans une histoire à propos d'une illusion à laquelle chacun veut croire."

Chauffeur de taxi, le narrateur de ce roman va, suite à une série d'actes anodins qui se justifient tout à fait mais peuvent , dans une perspective biaisée, être interprétés autrement, se retrouver derrière les barreaux, accusé de l'enlèvement d'une enfant qu’il n'a jamais vue qu'en photo.
Dès lors, toute logique sera battue en brèche et l'impensable deviendra la normalité. Ainsi ,se retrouver dans le couloir de la mort deviendra un privilège et devenir ami avec un psychopathe sera source d'humour (noir, bien sûr !).iain levison
J'avais peur d'être agacée par la tension extrême de ce roman, mais Iain Levison s'y entend pour dénoncer l’absurdité d'un système judiciaire tout en ménageant quelques traits d'humour salvateurs.  Il n'en  reste pas moins que, quand un revirement s'amorce, ce n'est pas forcément pour les bonnes raisons. Et notre narrateur ne fait que tomber de Charybde en Scylla, aspirant en vain à ce que son existence retrouve un semblant de calme et de normalité !

à la fois hautement réjouissant et très inquiétant !

14/01/2016

La doublure

"J'étais son épouse. Au début, j'appréciais ce rôle, j'évaluai le pouvoir qu'il renfermait, que les gens, pour une raison qui m'échappait, ne percevaient pas , et pourtant, il existait bel et bien.Voici un conseil : si vous voulez  avoir accès à quelqu'un d'important, l'un des meilleurs moyens consiste à gagner les bonnes grâces de son épouse."

Dans l'avion qui les emmène en Finlande, où son époux, Joseph Castleman,va recevoir un prix couronnant sa carrière d'écrivain, son épouse, âgée de soixante-quatre ans, décide de le quitter.
Le trajet est l'occasion de revenir sur leur passé commun,  et si les circonstances d eleur rencontre sont assez proches du cliché (la relation entre une étudiante et son professeur de littérature), on sent néanmoins que la narratrice ne nous dit pas tout.meg wolitzer
Cette sensation va perdurer tout le long du récit et il faudra attendre la quasi fin du roman pour que les zones d'ombre soient éclaircies et que ce qui était quasiment sous notre nez depuis le début prenne sens, que ce dont on se doutait de plus en plus soit avéré.
Meg Wolitzer peint avec jubilation et ironie le microcosme des écrivains américains mâles des années 60 , ainsi que celui de leurs épouses. Si le roman peut donner dans son début une impression de déjà-lu, la suite s’avère nettement plus réjouissante car la femme de l' écrivain a beaucoup de révélations à faire et ce avec finesse et intelligence !
Un petit bonheur de lecture déjà paru sous le titre l'épouse en 2005 qui reparaît dans une nouvelle traduction aux éditions Rue Fromentin.

Du même auteur :

 En poche, La position, où Meg Wolitzer envisage les répercussions sur une fratrie de la découverte d'un Kama-Sutra pour lequel leurs parents, en pleine vague de libération sexuelle, ont posé. La scène primitive est bien évidemment un choc et chaque membre de la famille en paiera le prix. L’alternance des points de vue ne nuit pas à la fluidité du récit, mais certains personnages sont mieux lotis que d'autres quant à l'analyse de leur évolution et c'est un peu dommage.meg wolitzer

Et Les intéressants, bon gros roman de 564 pages, où je ne me suis pas ennuyée une minute. Une analyse  fine des liens d'amitié et de leur évolution au fil du temps, entre des personnes, ayant parfois de grandes différences de niveau socialmeg wolitzer

09/01/2016

J'aimerais tant que tu sois là...en poche

"Devenir le propriétaire de l'exact opposé de cette ferme profondément enracinée."

Jake a troqué la ferme familiale du Devon contre un parc de caravanes sur l'île de Wight, qu'il administre de manière plutôt débonnaire. L'instigatrice de ce changement radical ? Ellie, à qui il était promis depuis l'enfance.
Pourtant, cette vie en apparence plus douce semble avoir viré à l'aigre : Jake se retrouve seul avec un fusil à attendre l'hypothétique retour de sa femme.51rLbTTTqrL._AA160_.jpg
Le roman de Graham Swift possède le rythme placide des vaches et son personnage principal en a l'apparence rustique. Mais s'il mâche et remâche-comme les bovidés- les événements passés, c'est pour les analyser avec une finesse quasi chirurgicale. Les relations familiales, les non-dits, les jalousies tues mais vivaces, tout ceci constitue la matière de cette rumination qu'il faut prendre le temps de savourer.
Un roman qui analyse aussi l'évolution des campagnes anglaises et la disparition de tout un pan de sa population. très subtil et prenant.

05/01/2016

Le pique-nique des orphelins

"Elles aimaient trop Dot, et pour ce péché elle leur menait la vie dure."

Ironie du sort, c'est en emmenant ses enfants aux festivités organisées en faveur des orphelins que leur mère abandonne Karl, Mary et le nouveau-né, préférant s'envoler au sens propre du terme , dans un biplan piloté par un aviateur acrobate.louise erdrich
Nous en sommes en 1932, la dépression sévit encore aux États-Unis et les aînés, vite séparés de leur petit frère n'ont qu'une solution: se rendre chez leur tante, bouchère dans le Dakota du Nord. Seule Mary y parviendra, Karl préférant se réfugier dans le train de marchandises qui repartira sans sa sœur.
Personnalité riche et complexe, Mary parviendra vite à se forer une place dans la famille de sa tante, au grand déplaisir de sa cousine, Sita.
Sur une période de quarante ans, Louise Erdrich, dont c'est ici le second roman (dans une nouvelle traduction), utilise la forme du roman choral pour peindre une fresque familiale faisant la part belle aux femmes.Mary, Sita ou leur amie commune Celestine, ont le chic pour affronter les épreuves de la vie avec originalité et courage. Elles se trouvent souvent embarquées dans des situations improbables , parfois cocasses, parfois tragiques, mais dont elles se tirent toujours avec panache.
L'écriture magnifique et l'inventivité narrative de l'auteure font de ce récit une petite merveille à (re) découvrir sans plus attendre !

Le pique-nique des orphelins, Louise Erdrich, traduit de l’américain par Isabelle Reinharez, Albin Michel 2015, 468 pages lumineuses dévorées d'une traite mais en traînant sur la fin pour ne pas quitter trop vite les personnages!

04/01/2016

Le prétendant

"Est-ce que j'aurais dû devenir actrice ? Avec mon talent pour la dissimulation et l'imitation ? "

Les sociaux-démocrates viennent de perdre les élections.Le Premier ministre a donc perdu son poste mais entend bien demeurer numéro1 du Parti, ce que lui conteste bien évidemment le numéro 2, un technocrate intelligent, mais dénué de chaleur humaine, Gert Jacobsen.
Le harcèlement et les violences qu'il exerce à l'encontre de son épouse depuis trente ans risque néanmoins de lui mettre des bâtons dans les roues .à moins que ce ne soit la jeune, jolie et intelligente attachée parlementaire qu'il vient de désigner, Yasemin, d'origine kurdo-turque, envers qui il se montre de plus en plus pressant.hanne-virbeke holst
Ces trois intrigues sont menées avec brio par l'auteure, ancienne journaliste politique danoise qui se montre sans concession envers la futilité des motivations de certains hommes politiques.Elle est par contre beaucoup plus bienveillante envers ses personnages féminins et très nuancée. C'est la première fois que je lis un roman aussi solidement documenté sur le violence faite aux femmes, et ce quelque soit leur milieu social. Linda, la femme battue n'est en rien une femme faible , elle se rebelle mais est totalement manipulée, totalement sous l'emprise de son mari , tandis que son entourage feint de ne rien voir.
Quant à Yasemin, elle est encouragée dans ses études par sa famille, mais en butte avec les traditions dans lesquelles se réfugient ses parents.
Deux magnifiques portraits de femmes et un roman qui se dévore d'une traite .Une" brique" délectable de 718 pages.

Peut se lire indépendamment du premier volume (clic) de la trilogie ayant inspiré la série Borgen.

 

27/11/2015

Victoria et les Staveney/Mon amie Victoria ...en poche

"-Et tu peux compter sur le père ?

- C'est un Blanc.

- Seigneur s'exclama Phyllis.

Sa consternation provenait moins du poids de l'histoire, évoquée par ces trois syllabes, que de la perspective d'ennuis beaucoup plus immédiats."

Le film,"Mon amie Victoria" librement inspiré du roman très court (150 pages) de Doris Lessing m'a donné envie de me replonger dans le texte de départ.
Victoria, petite fille noire de 9 ans, passe une nuit dans une riche maison blanche, un souvenir enchanté qu'elle n'oubliera pas. Des années plus tard, elle renouera avec le plus jeune fils de cette famille, dont elle aura un enfant, sans pour autant vouloir lui révéler immédiatement cette paternité.
Orpheline, Victoria a grandi sans véritables repères, le futur se dérobe  sous ses pas et elle ne peut qu'être ballotée par les événements. La seule véritable décision qu'elle prendra concernera sa fille et aura des conséquences qu'elle n'avait sans doute pas prévues.doris lessing
Il est rare qu'un roman (ou un film) ait comme personnage principal une jeune femme noire et l'envisage dans ses relations avec des Blancs libéraux, persuadés d'être ouverts d'esprit et non racistes.
Doris Lessing traque ici l'hypocrisie, les non dits (le garçon venu chercher Victoria à la sortie de l 'école ne la "voit" pas car il ne peut envisager qu'elle soit noire) et dépeint le fossé qui sépare les personnages dans leur intimité la plus banale (tout ce qui paraît normal aux Staveney, comme demander à un enfant ce qu'il veut manger,  est  hors-normes pour Victoria).
Court, efficace et pessimiste (lucide?).

le film transpose l'action chez des bobos parisiens (avec la trop rare Catherine Mouchet dans le rôle de la mère de famille) et c'est tout aussi pertinent.

Déniché à la médiathèque.

 

24/11/2015

Etta et Otto (et Russell et James)

"Quelques mois auparavant, elle avait commencé à se sentir entraînée dans les rêves d'Otto à la place de siens, la nuit."

Etta, quatre-vingt-trois n'a jamais vu l'océan et décide un beau jour de parcourir les milliers de kilomètres qui l'en séparent depuis sa ferme du Saskatchewan. Elle laisse derrière elle son mari, Otto et leur ami, Russell.emma hooper
Au fur et à mesure de ce périple, le passé affleure et
, au fil des rencontres et des souvenirs, se tisse un texte à la fois poétique, simple et plein de fraîcheur qui éclaire, tout en délicatesse, les rapports qui unissent ces personnages, bien plus complexes et riches qu'il n'y paraît de prime abord.
Les drames, petits ou grands , se laissent deviner, rien n'est jamais clairement nommé, tout est dans l'implicite, les paroles parfois échangées par la seule force de la pensée et c'est beaucoup plus efficace.
Quant à James, mon personnage préféré, je vous laisse le soin de faire sa connaissance.
Etta, Otto, des prénoms presque semblables pour des personnages qui se fondent l'un en l'autre par le biais de leurs rêves, un récit en forme de boucle, qui se joue du temps et de l'espace. Un roman magnifique et dont les personnages m'accompagneront longtemps !

Les Escales 2015.

17/11/2015

L'héritière

"-Vous êtes en train de me dire que personne n'aime les femmes au pouvoir ?

-Non, elles agacent.

-Alors une femme ne peut pas devenir Premier Ministre ?

-Bien sûr que si !

-Je ne comprends pas ...?

-Elle ne sera pas aimée, c'est tout."

 Charlotte,jeune mère de famille,est sur le point d’accompagner son mari, humanitaire en Afrique quand le Premier ministre danois lui propose un poste qu'on  peut difficilement refuser quand on en a des convictions: ministre de l'écologie. L'ancienne militante,  sincère, intègre et sans langue de bois, saura-t-elle s'intégrer sans douleurs dans un monde cruel où les ministres doivent savoir ménager les susceptibilités tout en manœuvrant habilement pour faire avancer leur carrière ? hanne-virbeke holst
à cela s'ajouteront d'autres défis: réussir à préserver sa vie familiale et endurcir son cuir quant aux attaques d'une certaine presse.
Découvrir les coulisses du monde politique, en l'occurrence danois, mais de nombreuses situations (à l'exception des barrages d'agriculteurs considérés comme typiquement français...) sont internationales, est toujours plaisant. Charlotte est  parfois un peu naïve mais pleine de ressources et sa fraîcheur-elle a un côté "Belle des champs"- détonne dans ce "monde de vieux babouins et de jeunes loups" qui taclent les femmes pour les dégager du terrain.
Moins sophistiqué que la série House of cards, mais tout aussi plaisant, L'héritière est un bon gros roman de 607 pages , premier volume d'une trilogie, dont je vais dès demain chercher le deuxième volume.

 PS:Apparemment, cette trilogie aurait été adaptée à la télévision danoise bien avant la série Borgen qui s'en serait inspiré...

L'héritière, Hanne-Verke Holst, traduit du danois par Caroline Berg, pocket 2015.

04/11/2015

Le dernier des fous

"-Tous ces gens-là dorment. Ils dorment tous, dit-elle.Ils dorment le jour et la nuit.Ils sont enfermés dans une infinité de vieilles chambres. Toute leur vie tourne autour de choses mortes."

 Un jeune garçon, Hooker, observe attentivement, sans toujours le comprendre ,le monde qui l'entoure.L’atmosphère est pesante dans cet été canadien où règne la chaleur, dans cette maison où personne ne se parle vraiment et où règne l'échec.timothy findley
Échec de son frère aîné, incapable de garder un emploi, échec du couple de ses parents avec le père qui s'aveugle devant la situation familiale et une mère qui reste enfermée dans sa chambre, ne se remettant pas de la mort de son dernier enfant.
La folie et la mort rôdent, bien trop proches de cet enfant qui enterre oiseaux et chats écrasés et prend tout au pied de la lettre. La compagnie de la seule personne vraiment aimante à ses côtés, une domestique noire qui travaille depuis 20 ans chez eux ne pourra empêcher la tragédie qui s'est mise en marche dès la première scène de ce roman oppressant.
On pense à Faulkner, O Neill, mais c'est avec une grande économie de moyens et une extrême efficacité que Timothy Findley narre cette histoire quasi hors du temps et de l'espace ,et donc universelle. Un roman exigeant et magnifique !

Le dernier des fous, Timothy FindlEy, Libretto 2015

 

Merci à Babelio et à l'éditeur.