26/08/2017
Nulle part sur la terre
"Elle s'était rendu compte avec le temps que les mauvais coups, une fois que c’était parti, s'amoncelaient et proliféraient comme une plante grimpante sauvage et vénéneuse, un lierre qui courait tout le long des kilomètres et des années, depuis les visages brumeux qu'elle avait connus jusqu'aux frontières qu'elle avait franchies et à tout ce qu'avaient pu instiller en elle les inconnus croisés en chemin."
Passablement malmenée par la vie, n'ayant nulle part où aller, Maben revient dans sa ville natale, en Louisiane avec sa petite fille. Elle espère pouvoir enfin trouver un peu de calme et de repos.
Russell, après avoir purgé une peine de onze ans de prison ,retourne lui aussi dans cette bourgade où réside encore son père.
Le meurtre d'un shérif peu scrupuleux va réunir nos deux anti-héros et leur offrira peut être, paradoxalement, une possibilité de rédemption.
à lire le résumé, je soufflais d'avance, ayant déjà l'impression d'avoir lu ou vu cette histoire cent fois. Mais, ici, c'est l’atmosphère palpable de tragédie ambiante, quasi étouffante, ainsi que le style de l'auteur, qui font toute la différence. On partage la souffrance des héros, on les regarde tomber et s'accrocher néanmoins, ne jamais renoncer malgré tout.Un roman prenant.
Nulle part ailleurs, Michael Farris Smith, traduit de l'anglais (E-U) par Pierre Demarty, Sonatine 2017.
Lu dans le cadre du Grand prix des Lectrices de Elle.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : michael farris smith
24/08/2017
Underground Railroad
"Une plantation restait une plantation : on pouvait croire ses misères singulières, mais leur véritable horreur tenait à leur universalité."
Nous sommes avant la Guerre de sécession, dans une plantation de coton de Géorgie. Cora, une esclave de seize ans, a réussi à survivre, malgré la fuite de sa mère, aux conditions de travail extrêmes et aux mauvais traitements infligés par son maître.
Quand un autre esclave, Caesar, lui propose de s'enfuir avec lui et de rejoindre les États Libres du Nord, elle hésite, mais finit par accepter. Commence alors un périple tragique, semé d’embûches ,de dénonciations, de violences où les fugitifs rencontreront aussi la solidarité des membres de l'Underground Railroad.
Ce "chemin de fer clandestin" désignait, sous la forme métaphorique, le réseau de routes clandestines emprunté par les esclaves noirs américains en fuite, aidés en cela par des abolitionnistes.
Colson Whitehead a choisi délibérément de prendre cette expression au pied de la lettre, conférant ainsi à son odyssée une dimension fantastique, s'intégrant parfaitement dans l'économie du roman.
On a le cœur qui bat lorsque les esclaves sont pourchassés, on est soulevés d'indignation devant la violence qui frappe indifféremment les Noirs en fuite autant que les abolitionnistes blancs. Certains épisodes m'ont fait penser à Jean Valjean pourchassé par Javert, à Anne Frank enfermée dans son grenier, ce qui montre bien l'universalité du propos de Colson Whitehead et la manière dont ce texte peut résonner en chacun de nous, qu'elle que soit notre culture.
L'auteur remet aussi en perspective la manière dont a été envisagée l'Histoire des Noirs et analyse les raisons du racisme aux États-Unis . L'actualité récente ne peut que souligner la nécessité d'un telle démarche.
Un roman riche, tant du point de vue des émotions que par sa dimension historique.
Underground Railroad, Colson Whitehead, traduit de l’américain par Serge Chauvin,Albin Michel 2017, 398 pages, piquetées de marque-pages.
Couronné par le Prix Pulitzer.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : colson whitehead
22/08/2017
Je m'appelle Lucy Barton
"Je me répétais que tous les cinq nous avions vraiment formé une famille malsaine, mais je voyais aussi combien nos racines étaient farouchement entremêlées autour de nos cœurs."
Hospitalisée, se sentant seule ,loin de son mari pris par son travail, loin de ses filles, Lucy Barton a la surprise de voir débarquer sa mère à son chevet. Issue d’une famille extrêmement pauvre, sans relations sociales, sans culture, sans expression de sentiments, Lucy a su tracer sa route, échapper à la solitude et devenir écrivain.
Pendant cinq jours, entre veille et sommeil, les deux femmes vont échanger de petits riens, mais, avec une extrême pudeur, trop de non-dits trop profondément enkystés empêchant toute expression directe, Lucy comprendra la profondeur des liens qui la lient à toute sa famille , aussi dysfonctionnelle qu'elle ait été. Un magnifique portrait de femme par l'auteur d'Olive Kitteridge. clic.
Je m'appelle Lucy Barton, Elizabeth Strout, Fayard 2017.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : elizabeth strout
21/08/2017
La servante écarlate...en poche
"Je regrette qu'il y ait tant de souffrance dans cette histoire. Je regrette qu'elle soit en fragments, comme mon corps pris sous un feu croisé ou écartelé de force. Mais je ne peux rien faire pour la changer."
Théocratie, la République de Gilead , pour pallier la baisse tragique de la fécondité, a mis en place toute une série de stratégies et une ségrégation de la société, en particulier des femmes.
La narratrice, Servante vêtue de rouge, dont nous ne connaîtrons jamais le vrai prénom, est nommée Defred, "patronyme composé de l'article possessif et du prénom du monsieur en question", c'est à dire du Commandant au service duquel elle est entrée et qui pouvait donc varier. Mais plus que son identité, c'est son corps qui est nié. En effet, les Servantes sont chargées d'assurer la postérité des membres de la classe dirigeante, dans des conditions qui ramènent ces femmes au rang d'objets purement fonctionnels.
Au fur et à mesure du récit, nous découvrons, effarés, le fonctionnement de cette société et la manière dont elle s'est mise en place. Certaines pages (la 290 par exemple) semblent cruellement d'actualité.
Dystopie glaçante, La Servante écarlate, comme le précise Margaret Atwood dans la postface de cette édition, n'utilise "rien que l'humanité n'ait déjà fait ailleurs ou à une autre époque , ou pour lequel la technologie n'existerait pas déjà." pour mieux renforcer la crédibilité de son texte et le rendre d'autant plus puissant. Mission accomplie dans une langue superbe et une construction imparable.
à (re)lire de toute urgence.
J'avais lu une première fois ce roman quand il était sorti pour la première fois en France en 1987, mais j'avoue qu'alors il n 'était pas autant entré en résonances avec les préoccupations que j'avais à l'époque et le monde dans lequel nous vivions.
La servante écarlate, Margaret Atwood, Robert Laffont Pavillons poche 2017, 522 pages bruissantes de marque-pages. Un indispensable et un classique.
15:30 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : margaret atwood
19/08/2017
C'est le coeur qui lâche en dernier
"Vous voulez qu'on vous confisque vos décisions pour ne pas être responsable de vos actes ? C'est parfois tentant, vous le savez."
Pour échapper à la crise économique qui les frappe de plein fouet et les contraint à dormir dans leur voiture, Stan et Charmaine intègrent la ville pimpante de Consilience qui accueille le Projet. La solution pour réduire le chômage ? Accepter de travailler un mois en prison à Positron, puis réintégrer la vie civile, dans une ambiance très années 50, films lénifiants et chanson de Doris Day en boucle, où l'on occupera un autre poste. Dans un souci de rationalité, la maison sera occupée alternativement par deux couples, qui ne devront jamais se rencontrer.
Évidemment, un grain de sable va se glisser dans les rouages, Stan va tomber fou de désir pour la femme qui occupe en alternance son foyer, sans l'avoir jamais vue et, petit à petit, le bel ordonnancement va révéler une réalité bien plus déplaisante.
Située dans un futur très proche, cette dystopie possède une rare caractéristique pour ce genre de texte: elle est très drôle. On sent que Margaret Atwood s'est beaucoup amusée à balancer son personnage de blonde pas si écervelée que cela, Charmaine, et son amoureux bougon et pusillanime, Stan, dans un maelstrom d'événements qui, tout en pointant les dysfonctionnements de nos sociétés, fait aussi la part belle à une certaine folie jubilatoire. à découvrir sans plus attendre !
C'est le cœur qui lâche en dernier, Margaret Atwood, traduit de l'anglais (canada) par Michèle ALBARET-MAATSCH , Robert Laffont 2017., 450 pages pleines de folie !
De la même autrice: clic, sans oublier La servante écarlate qui , suite au succès de la série, vient de ressortir en Pavillons Poche.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : margaret atwood
17/08/2017
Une histoire des loups
"L'aube est un laissez-passer.Je l'ai toujours pensé. Entre quatre et sept heures, le temps appartient à quelques oiseaux agités, à une dernière chauve-souris peut être, fondant sur les moustiques."
Madeline, quinze ans, vit de façon quelque peu marginale et rustique, dans une cabane en compagnie de ses parents, rescapés d'une communauté dont l'adolescente conserve quelques souvenirs.
Sauvage et solitaire, Madeline est fascinée par la vie d'un couple et de leur jeune enfant, installés confortablement depuis peu ,sur la rive opposée du lac.
Le père de famille étant parti travailler au loin, la jeune mère demande bientôt à Madeline de s'occuper de l'enfant, Paul, tandis qu'elle-même corrige les écrits de son époux. Madeline partage de plus en plus de moments avec ces gens qu'elle observe avec acuité, sans pour autant parvenir à analyser clairement les liens qui les unissent , avant que le drame , annoncé par de petit indices, ne survienne.
Dès la première page, Emily Fridlund instaure un climat troublant, marqué de manière implicite par la mort. D'emblée se donne aussi à entendre une voix, à la fois poétique et puissante, qui fait la part belle à la nature "Cette année-là, l'hiver s'écroula sur nous. Il tomba à genoux, épuisé et ne bougea plus."
Mais le talent de cette jeune romancière se montre aussi dans la construction subtile de son œuvre, alternant les époques sans jamais perdre son lecteur en route. Pas de coup de théâtre, mais une tragédie en marche, racontée a posteriori par celle qui avait quinze ans à l'époque. En arrière-plan, la vie d'une petite communauté rurale, où les destins semblent tracés d'avance, mais dont certains protagonistes parviendront, de manière subtile, à détourner les clichés attendus. Une héroïne ambiguë qu'on n'oubliera pas de sitôt.
Un roman captivant dont j'ai dévoré d'une traite les 297 pages.
Une histoire des loups, Emily Fridlund, traduit de l'américain par Juliane Nivelt, Gallmeister 2017
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : emily fridlund
07/08/2017
Les filles au lion
Odelle, originaire des Caraïbes,vit depuis quelques années à Londres, où elle poursuit son rêve de devenir écrivains tout en vendant des chaussures. Le destin va lui donner l'opportunité de travailler comme dactylo dans une galerie d'art pour une femme au tempérament affirmé, Marjorie Quick.
La jeuen fille fait aussi la connaissance de Lawrie Scott, jeune homme charmant en mal d'argent, qui possède un tableau atypique représentant Les filles au lion.
Odelle va mener l'enquête et établir un lien entre Marjorie, le tableau et un peintre Andalou des années trente.
Alternant les chapitres se déroulant dans deux périodes historiques, le roman de Jessie Burton fait la part belle au romanesque, multipliant les coups de théâtre .
Si j'ai apprécié la description des sixties londoniennes (l'auteure n'oublie pas de montrer leur racisme décomplexé), j'ai moins été convaincue par certains personnages de la partie pré guerre d'Espagne, trop caricaturaux à mon goût. En outre, je n'arrive pas à comprendre le choix que fait l'une d'entre elle ,mais bon peut être que je réagis avec une mentalité trop contemporaine.
Déniché à la médiathèque.
Les filles au lion, Jessie Burton, traduit de l’anglais par Jean Esch, Gallimard 2017, 484 pages.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : jessie burton
03/07/2017
Body...en poche (réédition)
"Je savais pas ce que le mot souffrir voulait dire avant que je me lance là-dedans."
Bienvenue à l'hôtel Flamingo où va se tenir le concours pour être élue Miss Cosmos, suprême récompense que visent deux candidates bodybuildeuses que tout oppose. D'un côté Shereel Dupont, créée de toutes pièces par son coach, ex red neck devenue une candidate menue au corps parfait ; de l'autre une Noire somptueuse et imposante, dont la masse musculaire a été sculptée par la fonte mais aussi par toute une série de piqûres. Deux conceptions opposées du corps féminin dans un microcosme dominé par les hommes.
Dans cet hôtel devenu un temple du muscle et de l'ascèse ,va débarquer une famille de ploucs XXL dans tous les sens du terme .
De ce choc des cultures, Harry Crews tire un roman qui fait la part belle non aux corps parfaits, mais à ceux qui ne correspondent pas aux canons de beauté en vigueur dans le monde du bodybuilding. Il n'est que de voir le contraste entre les deux scènes de sexe, l'une clinique, l'autre voluptueuse, dans ce roman.
L'auteur analyse aussi le fonctionnement de la société américaine et si on ne s'étonne pas de voir évoquer Arnold Schwarzenegger, le fait de citer Donald Trump, en exemple de l'avidité américaine, s'avère quasi prophétique dans ce roman publié pour la première fois en 1990.
Ce pourrait être juste amusant, et l'auteur a certes le sens de la formule, mais c'est aussi bien noir et bien des indices annonciateurs de la tragédie à venir nous sont donnés au fil du texte. Une découverte improbable au départ qui a su me séduire.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : harry crews, bodybuilding
22/06/2017
Hikikomori...en poche
"Je n'ai jamais entendu parler de hikikomori américain. Les Américains ne se réfugient pas dans le silence, ils font encore plus de bruit.Ils deviennent fous et se mettent à tirer sur tout le monde."
Depuis trois ans, Thomas Tessler vit "en retrait, barricadé" dans sa chambre à Manhattan. Il a "enfermé le reste du monde dehors" et refuse toute communication avec sa femme, Silke. C'est un hikikomori.
Résolue à le sortir de son mutisme, son épouse fait appel à une jeune japonaise , Megumi, qui a déjà l'expérience de cette situation typiquement japonaise.
D'emblée le lecteur, et on le suppose bien évidemment Silke, perçoit toutes les conséquences possibles de cette situation hors-normes. Mais Jeff Backhaus dont c'est ici le premier roman, sait contourner tous les écueils et mène sa barque vers une destination bien plus complexe.
Histoires de solitudes qui se croisent, parfois à distance, les relations entre civilisations différenets sont analysées avec finesse. La poésie n'est pas absente (ah cette description de bain chaud en pleinair sous la neige la nuit !) et je n'émettrai qu'un seul regret: que le personnage de Silke n'ait pas été suffisamment exploré. Une très jolie découverte.
Hikikomori, jeff Backhaus, traduit de de l'anglais (E-U) par Marie de Prémonville,
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20/06/2017
Farallon Islands
"J'ai été cette personne constituée de sensibilité artistique et de chagrin. J'ai cru que mon esprit était primordial et mon corps secondaire."
"Photographe, nomade, orpheline de mère. Une épistolière, laissant derrière elle une traînée de papier et de mots partout dans le monde, comme celle d'un avion. une artiste avec un appareil photo en guise de cerveau: froid, précis, calculateur. Une femme en noir." Ainsi se définit a posteriori Miranda, la narratrice qui va passer une année sur les Farallon slands. Des îles tout sauf hospitalières où ne vivent que des biologistes chargés d’étudier la faune locale.
Rebaptisée Melissa, voire Souricette, la narratrice va peu à peu prendre ses marques et se laisser fasciner par cet environnement violent et meurtrier, peu accessible,où "tout est dangereux, même la peau des requins", ce qui nous donne un étonnant huis-clos en plein air.
Roman initiatique, se déroulant dans un environnement oppressant, où les distinctions entre humains et animaux ont disparu aux yeux des biologistes qui semblent détachés et sans empathie, Farallon Islands distille une sourde fascination qu'il faut prendre le temps de laisser agir. Un roman riche aussi en informations étonnantes sur les animaux qui la peuplent, avec un mention spéciale pour le poulpe "domestique", Oliver. Abby Geni, par son écriture précise, nous fait ressentir l'odeur du guano, sentir les poux d'oiseaux ou les attaques des goélands furieux avec une acuité sans pareille. Un roman puissant qui file sur l'étagère des indispensables.
Farallon islands, Abby Geni , Actes Sud 2017, magnifiquement traduit de l'anglais (E-U) par Céline Leroy, 381 pages piquetées de marque-pages.
Le billet tentateur de Cuné.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : abby geni