31/01/2018
L'éternel rival...en poche
"Il est vrai, se dit-elle, que personne ne connaît vraiment le passé d'autrui.Pourquoi devrions-nous le connaitre ? Dès la sortie de la matrice, nous habitons des mondes différents."
Avec L'éternel rival se clôt brillamment la trilogie dite "Des enfants du Raj". Personnage le plus mystérieux, le plus romanesque donc, dont la vie engendre de nombreuses "légendes", Terence Veneering est peut être celui qui reste le plus surprenant.
Rival tant dans le travail qu'en amour du juge Filth, ce héros aux origines controversées, nous est dépeint au soir de sa vie . S'il se remémore le passé, il ne l’idéalise pourtant pas, ce qui nous vaut un portrait sans fard de son amante, Betty.
Personnages excentriques et toujours vaillants en dépit de leur grand âge, tous sont dépeints avec bienveillance et nous entraîne dans un récit qui évite toutes redites et ne lésine pas sur les révélations. Un final parfaitement réussi !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jane gardam
19/01/2018
Garder la tête hors de l'eau ...en poche
"C'était ma faute. Pourquoi est-ce que je l'avais écouté ? Et pourquoi est-ce que je l'écoutais tout court ? Il avait failli assassiner mon premier béguin, il m'avait diagnostiqué un problème oculaire imaginaire, et il avait l'art des plans foireux et des catastrophes."
Nicolaïa Rips a grandi entre une mère ancienne mannequin, voyageuse intrépide sédentarisée, métamorphosée en peintre reconnue et un père avocat devenu romancier, spécialiste en catastrophes (cf la citation supra) dans le Chelsea Hotel.
Si dans les années 2000, les célèbres résidents de ce lieu mythique ont mis les voiles depuis longtemps, il n'en reste pas moins que cet endroit est toujours fréquenté par une faune haute en couleurs et surtout bien plus chaleureuse que les camarades de classe , bien trop conventionnels de l'auteure.
Ces derniers lui mènent la vie dure et il faut tout l'humour de la jeune fille pour Garder la tête hors de l'eau, ainsi que des moyens forts peu conventionnels, suggérés par ses parents et amis du Chelsea Hotel.
Une autobiographie échevelée, extrêmement drôle, enlevée, qui se dévore d'une traite. Nicolaïa Rips a dix-huit ans et on lui souhaite volontiers un bel avenir dans le domaine artistique.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nicolaïa rips
06/01/2018
Le pique-nique des orphelins...en poche
"Elles aimaient trop Dot, et pour ce péché elle leur menait la vie dure."
Ironie du sort, c'est en emmenant ses enfants aux festivités organisées en faveur des orphelins que leur mère abandonne Karl, Mary et le nouveau-né, préférant s'envoler au sens propre du terme , dans un biplan piloté par un aviateur acrobate.
Nous en sommes en 1932, la dépression sévit encore aux États-Unis et les aînés, vite séparés de leur petit frère n'ont qu'une solution: se rendre chez leur tante, bouchère dans le Dakota du Nord. Seule Mary y parviendra, Karl préférant se réfugier dans le train de marchandises qui repartira sans sa sœur.
Personnalité riche et complexe, Mary parviendra vite à se forer une place dans la famille de sa tante, au grand déplaisir de sa cousine, Sita.
Sur une période de quarante ans, Louise Erdrich, dont c'est ici le second roman (dans une nouvelle traduction), utilise la forme du roman choral pour peindre une fresque familiale faisant la part belle aux femmes.Mary, Sita ou leur amie commune Celestine, ont le chic pour affronter les épreuves de la vie avec originalité et courage. Elles se trouvent souvent embarquées dans des situations improbables , parfois cocasses, parfois tragiques, mais dont elles se tirent toujours avec panache.
L'écriture magnifique et l'inventivité narrative de l'auteure font de ce récit une petite merveille à (re) découvrir sans plus attendre !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : louise erdrich
04/01/2018
L'étang
"Écoutez, il n'a échappé à personne à ce stade que ma tête est tournée vers les ailleurs de l'imagination et qu'elle n'est pas vraiment concernée par les circonstances présentes- toutefois personne ne peut savoir ce qui se fabrique sans cesse dans l'esprit d'un autre et donc, pour cette raison uniquement peut être, ma façon d'être, telle qu'elle est, peut être très déroutante, déconcertante, inexplicable; même, en réalité ,offensante parfois. On se méfie facilement d'une paumée comme moi et il arrive fréquemment qu'on m'accuse de toutes sortes d'impertinences."
Comment rendre compte , sans lui porter préjudice, de ce recueil de textes, parfois très courts, toujours surprenants par leur langue qui mêle humour, poésie, réflexions sur les minuscules faits du quotidien avec un point de vue toujours original etdécalé ?
La narratrice s'est installée à la campagne dans une petite maison au confort rudimentaire et on se dit qu'on va avoir droit au récit de ses aventures dans ce nouvel environnement mais pas du tout On assistera certes à quelques essais de jardinage,mais pas forcément pour les raisons attendues ni pour le résultat escompté.
Tout est prétexte à des réflexions qui sortent de l’ordinaire, au gré de phrases amples qui voguent parfois d'un sujet à l'autre sans transition, mais sans jamais perdre son lecteur de vue.
Pas de récit proprement dit mais une impression d'immédiate adéquation avec cette vision du monde à nulle autre pareille. Déroutante, oui, mais jamais ennuyeuse ! Un pur bonheur de lecture pour moi mais qui pourrait en laisser d'autres sur le bord du sentier.
Un grand bravo au traducteur: Thierry Decottignies.
L'étang, Claire-Louise Bennett, Éditions de l'olivier 2018, 217 pages enthousiasmantes et piquetées de marque-pages. Et zou,, sur l'étagère des indispensables !
Une dernière citation, pour la route: " Le matin attend debout sur sa haute balançoire , déplaçant la terre d'avant en arrière sous ses ongles avec un morceau de carte vierge."
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Objet Littéraire Non Identifié, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : claire-louise bennett
03/01/2018
Le pouvoir
"Le pouvoir de nuire, de faire mal ,est une forme de richesse."
Les femmes, grâce à un organe apparu au niveau d'une clavicule, possèdent un nouveau pouvoir: celui d'infliger une douleur fulgurante, et même la mort. Elles ne sont pour autant pas invincibles, mais la peur a changé de camp et les hommes sont devenus le sexe faible.
Aux États-Unis, en Arabie Saoudite,dans un petit État d'Europe de L'Est et bientôt aux quatre coins du monde, les femmes s’organisent, une nouvelle religion apparaît . Mais celles qui détiennent désormais le pouvoir vont-elles se comporter mieux que les hommes ?
En choisissant de suivre le destin de quatre personnages, dont les destins vont évidemment se croiser, Naomi Alderman axe son roman sur la politique, la religion, les médias et le banditisme. Elles montrent les liens que ces puissances entretiennent mais ne perd pour autant pas de vue le côté humain de Tunde ,jeune journaliste nigérian et unique héros masculin, Allie jeune métisse américaine au parcours chaotique, Roxy fille d' un truand anglais ou bien encore Margot, ambitieuse femme politique divorcée et mère de famille américaine.
L’enthousiasme est très présent dans la première partie montrant le"Grand Changement", tandis que la tension monte dans la seconde qui relate les dérives du pouvoir.
Les textes qui encadrent ce qui est présenté comme un "maudit livre" rédigé par un homme, augmentent la sensation de réel du roman et l’inscrivent dans une démarche présentée comme historique qui ne peuvent que susciter la réflexion. Une grand plaisir de lecture, un roman qui se dévore d'une traite et que la grande Margaret Atwood qualifie de "fulgurant", quoi de mieux pour se précipiter ?
Le pouvoir, Naomi Alderman, Calmann-Lévy 2018, traduit de l'anglais (G-B) par Christine Barbaste, 392 pages époustouflantes.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : naomi alderman
21/12/2017
Chacune de ses peurs
Kate, qui se remet avec peine de sa dernière relation amoureuse avec un ex-fiancé à la jalousie pathologique, accepte comme une échappée belle la proposition de son cousin américain :échanger, non pas leurs mamans ,mais leurs logis.
Corbin hérite donc pour six mois d'un appartement londonien bohème et minuscule . Kate semble gagner au change puisqu'elle occupera un superbe appartement à Boston , confortable et immense mais à la déco surannée (fort potentiel donc pour Stéphane Plaza et Valérie Damidot).
Pas de chance, la voisine, Audrey est retrouvée assassinée .Pas de chance toujours, deux hommes commencent à tourner comme des vautours autour de Kate: un agité du bocal et un séduisant voyeur. D' incroyables fiancés potentiels ? L’héroïne aura donc toutes les raisons de pleurnicher qu'elle n'attire que les psychopathes. Le pire c'est qu'on s'en fiche et qu'on a juste envie de lui dire qu'elle devrait peut être se poser les bonnes questions avant de geindre sur son sort .
Thriller psychologique, Chacune de ses peurs se révèle être un puissant somnifère, se satisfaisant d'une trame sans aucun intérêt (impression de l'avoir vu/lu cent fois) et dont les personnages n'ont ni épaisseur ni crédibilité. L'auteur, après avoir décrit à longueur de pages la fragilité de Kate se croit obligé d'écrire "L'anxiété qui marquait sa vie avait ceci de paradoxal: quand elle jouait avec le feu, elle se sentait souvent on ne peut plus normale." Mouais. Il ne suscite aucune empathie, bien au contraire : j’avoue j'en ai assez des femmes présentées comme des victimes et limite à la fin, j'aurais préféré qu'elle ne s'en sorte pas (mince ,j'ai divulgâché !)
Peter Swanson reprend donc de vieilles recettes mais il serait temps que ses amis le dénoncent auprès de Norbert pour qu'il vienne à sa rescousse tant le résultat est insipide.
Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de Elle.
Si quelqu'un vous offre ce livre à Noël, c'est qu'il ne vous aime vraiment pas ...
07:49 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : peter swanson
06/12/2017
Lucy in the sky
"En repensant à nous, j'eus la gorge serrée, mais je savais que le jeu était fini. J'avais atterri dans la réalité."
Lucy, 15 ans, bientôt seize, acceptait encore il y a peu sans broncher que son père lui tonde les cheveux , faisant ainsi disparaître sa féminité naissante. Avec ce papa pigeon-voyageur, dont les retours éphémères, les répliques étaient ritualisées, tout semblait empli d'humour.
Mais voilà, simultanément, tandis que Lucy s'éveille à la sexualité et à l'amour, se mettant parfois en danger, sa mère décide de rattraper le temps perdu à attendre son époux et part elle aussi à la conquête de sa liberté.
Encore un peu enfant, déjà adulte, Lucy oscille et peine à trouver sa place et le manque de modèles parentaux ne va pas lui faciliter la tâche.
Roman d’apprentissage où les rôles parents/enfants semblent parfois inversés, Lucy in the sky souffre de quelques longueurs (428 pages en poche) mais nous entraîne dans le quotidien d'une adolescente atypique qui ouvre les yeux sur ce qui semblait être la normalité avec intensité.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : pete fromm
27/11/2017
Tango fantôme
"L'histoire se répétait : encore une fois, elle se retrouvait dans l’ombre de sa sœur, qui prenait toute la place."
Helene Bergman croyait avoir coupé tout lien avec sa famille dysfonctionnelle: une mère disparue en Argentine lors de la "Guerre sale", un père irresponsable et alcoolique. A peine entretenait-elle quelques liens distants avec sa sœur Camilla, dite Charlie.
Mais quand cette dernière tombe d'un balcon, du onzième étage, même si la police conclut rapidement à un suicide, Helene va mener sa propre enquête, partant sur les traces de sa sœur dont elle découvre rapidement qu'elle avait effectué récemment un voyage en Argentine.
Alternant les époques, le roman de Tove Alderstal rafraîchit nos connaissances sur la situation politique en Amérique du Sud dans les années 70 et brosse le portrait de femmes qui, maladroitement, tentent de se construire un destin.
L'héroïne n'est en rien attachante, la description des personnages secondaires est un peu superficielle mais,
en dépit de longueurs dans le début du roman, je me suis laissée prendre par l'intrigue, faisant fi de quelques invraisemblances.
Pas encore un coup de cœur pour ce roman policier lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de ELLE.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : tove alsterdal
15/11/2017
Quand vient le temps d'aimer...en poche
"La beauté est un état éternellement hors de portée."
Vacances d’hiver à Erdenfield, petit village du Sud de l'Angleterre. Les étudiants, harassés, rentrent dans leurs foyers, les adultes règlent des problèmes domestiques mais tous,quelque soit leur âge, se débattent avec des problèmes amoureux.
Qu'ils soient tiraillés par le démon de midi, découvrent l'infidélité d'un conjoint , souhaitent se venger, tombent amoureux de la mauvaise personne ou tentent de briser une solitude qui leur pèsent, tous les personnages sont envisagés avec la même bienveillance par l'auteur.
Les portraits sont bien campés, du chirurgien esthétique au scénariste en butte aux demandes les plus absurdes en passant par la femme au foyer qui souhaite renouer avec une vieille flamme (ce qui nous vaut une scène de sexe hilarante dans un hôtel !) jusqu'au vieil artiste atrabilaire dénonçant le vide de l'art conceptuel.
On retrouve avec bonheur les personnages de L'intensité secrète de la vie quotidienne (clic) (qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu), la capacité de l'auteur à inscrire ses personnages dans un quotidien criant de vérité, son humour parfois vachard (les hommes ne sont pas épargnés ! : "-[...] que suis-je censée offrir à Tom pour Noël ? Une ceinture de chasteté ?
- Je ne crois pas que cela existe pour les hommes.
-Si je lui achetais une gaine ? Ce ne serait pas mal pour lui tenir le ventre. Sans compter que j'aimerais le voir porter une gaine avec une tr... bien raide.")
et on passe un excellent moment dans ce roman 100 % british !
Quand vient le temps d'aimer, (All the Hopefull Lovers), William Nicholson, traduit de l'anglais par Anne Hervouët, Éditions de Fallois 2015, 333 pages délicieuses.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : william nicholson
14/11/2017
La salle de bal
"Quelqu'un dont l'intérieur, elle le savait, se déployait sur des kilomètres, même si son extérieur était aussi fermé et barricadé qu'avant."
Ella, jeune ouvrière , parce qu'elle a brisé une vitre de la filature où elle travaille depuis l'enfance, se retrouve enfermée dans un asile d’aliénés du Yorkshire.Là, elle se liera d'amitié avec Clem, une jeune femme cultivée, qui revendique sa liberté en refusant de se nourrir . Cette dernière aidera Ella à établir un lien avec John Mulligan, un Irlandais farouche et déprimé.
Nous sommes en 1911 et, en quelques mois, le destin de ces trois personnages va basculer au gré des pratiques pour le moins erratiques d'un jeune médecin, Charles. Ce dernier, dans un premier temps, se lance dans un usage thérapeutique de la musique, n'hésitant pas à organiser un bal hebdomadaire, permettant de réunir les hommes et les femmes de l'établissement, séparés le reste du temps. Mais Charles est aussi fortement intéressé par l'eugénisme, alors fort en vogue à l'époque et , ne pouvant se résoudre à assumer ses pulsions sexuelles, il basculera ensuite dans un comportement qui frôle la folie.
Ella, John et Charles, trois voix qui alternent tout au long de ce roman très maîtrisé du point de vue de la structure narrative. Chacun d'entre eux possède un objectif commun, la liberté, mais ils vont emprunter des chemins très différents pour la conquérir. On se laisse porter par le roman d'Anna Hope, empreint de sensualité et de sensibilité. On assiste, le cœur serré , aux rebondissements parfois un tantinet trop sentimentaux, mais ne boudons pas notre plaisir car Anna Hope a su éviter les écueils du roman historique et nous rendre très actuels ses héros. Un grand plaisir de lecture.
Si je connaissais déjà, via le roman de Maggie O'Farrell L’étrange disparition d'Esme Lennox, la manière dont on bridait les revendications de liberté féminines au début du XXème siècle en Grande-Bretagne, j'ai découvert l'enthousiasme suscité par l'eugénisme en Grande -Bretagne, y compris auprès de Churchill.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : anna hope