11/03/2019
La faille du temps
"Le libre arbitre, c'est se montrer plus fort que le moment dans lequel tu es pris au piège."
Dans La Faille du Temps, Jeanette Winterson revisite la pièce de Shakespeare, Le Conte d'hiver. Ne vous inquiétez pas, elle nous en propose un résumé à sa façon avant que le roman ne commence.
Très vite, on oublie les références et on se laisse porter par le rythme et la langue de ce texte qui brasse avec adresse des thèmes contemporains , mais aussi intemporels (doute sur la paternité, relations ambiguës entre amis...).
Il s'y balade aussi quelques anges venus de l'univers de Gérard de Nerval , anges qui plongeront dans celui d'un jeu vidéo, une DeLorean (vraie ou fausse), des personnages auxquels on s’attache très vite : une petite fille blanche adoptée par un père et son fils Noirs, une enfant rejetée, volée mais qui réparera le cœur d'un homme endeuillé. Il y est aussi question de jalousie, de musique, le tout sans que jamais Winterson ne perde son lecteur en route. Du grand art.
La faille du temps, Jeanette Winterson, traduit de l’anglais par Céline Leroy, Buchet-Chastel 2019, 305 pages qui se tournent toutes seules.
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09/03/2019
La nuit des lucioles...en poche
" Vous pourriez considérer les promesses comme une série de filets : certains durent une vie entière, d'autres se défont, incroyablement fragiles, en un clin d’œil.Les promesses de garder un secret , ce sont les plus délicates - en particulier quand il s'agit de secrets que vous ne pensiez même pas détenir."
Christopher, dit Kit, la quarantaine passée , s'englue dans une vie dépourvue de perspectives. Son énergique femme, Sandra, l'enjoint de partir à la recherche de son père biologique, père dont sa mère a toujours refusé de lui révéler l'identité.
Cette quête lui permettra tour à tour de voir sous un autre jour le père qui l'a élevé , un robuste montagnard, sorte de héros local, mais aussi de découvrir tout un pan de son histoire paternelle et de faire la connaissance de Fenno MacLeod, libraire déjà rencontré dans Jours de juin (quel plaisir de le retrouver et de découvrir ce qui lui était arrivé !)
Quels que soient les paysages (on se balade dans plusieurs États américains très différents), les milieux sociaux évoqués , on sent l'auteure parfaitement à l'aise dans ses descriptions. Avec beaucoup de sensibilité et de bienveillance, elle peint des familles dissemblables, mais qui , chacune à leur façon , se débrouille pour s'adapter aux changements des temps et des mœurs. Un bon gros roman comme on les aime,avec des personnages hauts en couleurs dont on devient vite très proches !
La nuit des lucioles, And The dark Sacred Night, Julia Glass, traduit de l’anglais(E-U) avec élégance par Anne Damour,
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08/03/2019
Au bord de la Sandà
" C'est drôle comme on s'habitue à la solitude. Au début, on a l'impression qu'elle va être intolérable. On regrette les gens et les relations. Mais, peu à peu, quelque chose d'autre les remplace. Ce que l'on considérait comme indispensable s'avère ne pas l'être forcément au bout du compte."
Un peintre vit et peint dans ses caravanes, au bord d'une rivière glaciaire, en Islande . Il ne cherche pas à frayer avec les estivants et ,quand le camping se vide à la fin de l'été, il reste seul .
Il arpente la forêt, cherchant à rendre la vérité des arbres, épaulé par des écrits de peintres, seulement troublé par l'apparition d'une femme vêtue de rouge.
Ni la visite d'un de ses enfants, ni celle d'un acheteur potentiel de ses tableaux ne semblent le toucher et petit à petit s'affirme une volonté à la fois radicale et paisible: celle de ne plus pouvoir vivre dans une société dont il refuse les valeurs frauduleuses: "Le ciment est lourd, en tout cas, et un joug de béton peut faire couler n'importe qui . J'avais une maison que je ne pouvais pas payer et cela m'ôtait tout désir de soulever un pinceau, car je ne pouvais me résoudre à lier d'aucune façon tableaux et revenus. Ce qui est sans doute une notion totalement dépassée dans la société où nous vivons."
Roman contemplatif et intense, faisant la part belle à la nature, Au bord de la Sandà est un roman doté d'une écriture à la fois précise et poétique, exprimant" la force vitale à l’œuvre dans la création". Un roman de 142 pages, bruissant de marque-pages. Un roman qui m'a parlé comme rarement et qui file non seulement sur l'étagère des indispensables, mais également sur ma table de chevet, comme un viatique. Un coup de foudre littéraire !
Magnifiquement traduit de l'islandais par Catherine Eyjolfsson, La Peuplade 2019.
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05/03/2019
Personne ne disparaît...en poche
"Tout ce que je pouvais dire pour expliquer mes piètres choix c'est que j’avais eu le sentiment général d'avoir besoin de partir, d'avoir besoin d'être la première à partir,le besoin de me barricader contre la vie que tous les autres semblaient vivre, la manière apparemment évidente, intuitive, claire et facile, et facile et claire pour tous ceux qui n’étaient pas moi, pour tous ceux qui se trouvaient de l'autre côté de cet endroit appelé moi."
Sur la seule foi d'une vague invitation, Elyria quitte, sans prévenir qui que ce soit, sa vie apparemment bien lisse de new-yorkaise trentenaire et s'envole pour la Nouvelle -Zélande.
Là, malgré les nombreuses mises en garde, elle choisit de rallier la chambre d'ami proposée, en faisant de l'auto stop. L'occasion de faire de multiples rencontres et de révéler au fur et à mesure de son périple ,tout autant géographique qu'intérieur, les véritables raisons de sa décision.
Une seule voix domine ce premier roman à l'écriture fluide et riche en métaphores. Un seul point de vue, très spécial car Elyria entretient une relation toute particulière à la réalité. Un personnage très attachant qui va se découvrir jusqu'au final un peu verbeux, mais d'une violence psychologique extrême ,qui serre le cœur.
Un coup de cœur ! Et zou sur l'étagère des indispensables, malgré ce petit bémol pour la fin !
Personne ne disparaît, Catherine Lacey, traduit de l'anglais ,( Etats-Unis) par Myriam Anderson,
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27/02/2019
les cuisines du grand Midwest...en poche
"Après des dizaines d'années passées loin du Midwest, elle avait oublié que cette générosité déroutante était une manie répandue dans cette région."
Quand un jeune papa, féru de cuisine ,concocte pour sa fille qui vient tout juste de naître des menus sophistiqués pour les cinq premiers mois de sa vie, nul doute que celle-ci ne devienne une gastronome .
Et pourtant, il faudra bien des rebondissements pour que Eva Thorvald, l’adolescente, croqueuse aguerrie de piments ,n'accomplisse son destin.
Roman d'initiation , Les cuisines du grand Midwest utilise le biais de la cuisine, de la plus traditionnelle à la plus pointue, pour nous brosser le portrait d'une jeune femme que la vie n'a pas épargnée mais qui a toujours su faire face.
Si Eva est bien le fil rouge que nous retrouvons tout au long de ce texte, elle n'est pas forcément le personnage principal de chacun de chapitres qui donne alternativement le point de vue d'autres personnes croisées tout au long de sa vie. Ainsi, l'auteur, usant des ellipses, allège son récit tout en lui conservant sa densité. Un magistral chapitre final permet de réunir des éléments ayant joué un rôle dans la destinée d'Eva, mais n'en disons pas plus.
On prend beaucoup de plaisir à lire ce roman qui m'a parfois fait penser aux premiers textes de John Irving.
Entrecoupé de recettes de cuisine, le texte d'une apparente légèreté aborde des sujets graves sans jamais se prendre au sérieux, mais en faisant preuve de bienveillance et en évitant tous les pièges du pathos. Une magnifique réussite !
Les cuisines du grand Midwest, J. Ryan Stradhal, traduit de l’américain par Jean Esch, Editions Rue Fromentin 2017, 342 pages que j'ai quittées à regret.
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26/02/2019
La troisième Hemingway
" J'aurais beau me débattre, je n’arriverais pas à sortir de son ombre."
Si les deux premières femmes d'Ernest Hemingway avaient du caractère (et il en fallait sacrément pour faire face à "Papa" ) la troisième, Martha Gelhorn, fut la seule à demander le divorce et à refuser de lui faire une fille.
Romancière, correspondante de guerre sur de nombreux fronts, Paula McLain nous la décrit tiraillée entre son amour pour l'auteur de Pour qui sonne le glas et sa volonté d'exister par elle-même et par son travail.
Mais bien évidemment, l’œuvre de Gelhorn fut, à l'époque, surtout jugée à l'aune de Hemingway.
Un sujet en or dont Paula McLain tire un roman 474 pages, non dénuées de quelques longueurs et parfois hérissées de métaphore hasardeuses, voire de clichés qui ont quelque peu gâché ma lecture.
Merci à Babelio et aux éditions Presse de la Renaissance.
Traduit de l’anglais par Florence Hertz
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21/02/2019
#LeChantDesRevenants #NetGalleyFrance
"Quelques jours plus tard, j'ai compris ce qu'il essayait de dire, que devenir adulte signifie apprendre à naviguer dans ce courant: apprendre quand se cramponner, quand jeter l'ancre, quand se laisser porter."
Trois voix portent le récit de cette famille noire du Sud des États-Unis. D'abord celle de Jojo, treize ans maintenant, enfant métis qui vit chez ses grands-parents noirs, chérit sa petite sœur Kayla, mais n'entretient que des relations sans illusions avec sa mère, Leonie qu'il n'appelle jamais "maman". Jojo voit les morts et en particulier Richie, jeune garçon noir que le grand-père de Jojo a connu autrefois au pénitencier de Parchman.
Richie est la deuxième voix de ce roman choral, relatant la violence dont ont été victimes les Noirs, même après l'abolition de la ségrégation.
C'est à Leonie, enceinte à dix-sept d'ans d'un premier enfant, droguée à la méthamphétamine pour oublier la mort de son frère , Given, victime officiellement d'un accident de chasse, mais dans les faits d'un crime raciste, que revient la troisième voix. Égoïste et bien trop amoureuse de Michael, un Blanc rejeté par sa famille car selon eux il a épousé une "pute noire", Leonie embarque ses enfants dans un road movie parfois halluciné pour aller chercher Michael qui va sortir de Parchman où il a effectué sa peine de prison. L'occasion de vivre de manière resserrée tout à la fois le racisme et la violence au quotidien.
Réalisme, lyrisme et une pointe de fantastique, tels sont les ingrédients de ce roman captivant où seul le chant d'une enfant pourra apporter le repos à tous ceux qui sont morts sans sépulture.
(Sing, unburied, sing, )traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, éd. Belfond, 272 p.
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16/02/2019
L'homme est un dieu en ruine...en poche
"Les gens ne s’adoucissaient pas avec l'âge, ils se décomposaient, c'était tout, constatait Viola."
Deuxième volet du diptyque de Kate Atkinson consacré à la Seconde Guerre mondiale, L'homme est un dieu en ruine aborde cette fois le destin de Teddy, frère d'Ursula, l'héroïne au centre de Une vie après l'autre.
Pas de variations cette fois autour des possibles d'une existence mais néanmoins un travail d’orfèvre sur la temporalité puisque l'autrice alterne passé et présent , sans jamais perdre son lecteur en route.
Teddy donc qui a vingt ans, en 1940, s’enrôle dans pilote de bombardier et participera à des raids sur l'Allemagne. Teddy qui vivra très longtemps, connaîtra une belle et tragique histoire d'amour, aura une seule fille et deux petits-enfants, aux destins très variés.
J'avoue ne guère être attirée par les récits de guerre mais Kate Atkinson, à son habitude, parvient à nous rendre sensible la bravoure de ces très jeunes gens embarquant dans des avions à la sécurité toute relative, sans pour autant minorer la souffrance des populations civiles victimes de ces bombardements.
L'aspect familial n'est pour autant pas négligé et , par l'intermédiaire de Viola, fille unique de Teddy, baba cool et mère en apparence indigne, elle dépeint avec subtilité les relations compliquées entre parents et enfants au fil du temps. Que Viola devienne une écrivaine à succès n'est certainement pas un hasard, car comme nous l'indique Kate Atkinson, dans sa postface très éclairante, ce roman traite aussi de la fiction.
On retrouve,avec énormément de plaisir, l'humour souvent vachard de l'autrice, sa subtilité et son art de la narration. Un très grand bonheur de lecture !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : kate atkinson for ever !
13/02/2019
#ToutCeQuiNousSubmerge #NetGalleyFrance
"Elles étaient coupées physiquement, mais aussi linguistiquement du monde. Elles constituaient une espèce à elles seules."
Si "nous sommes déterminés par le paysage, notre vie est tracée en fonction des collines, des rivières et des arbres." et plus particulièrement ici par la rivière, sur laquelle ont vécu dans un bateau, la narratrice et sa mère, s'y créant un univers bien à elles, doté d'expressions singulières,empreintes de références mythologiques, et où rôdait un animal fantastique, englobant toutes les peurs : le Bonak.
Quand le roman commence la narratrice, Gretel, a retrouvé sa mère, Sarah, quasi aphasique, au comportement frôlant la folie après une disparition de seize ans. Seize ans, c'est aussi l'âge auquel Sarah a abandonné sa fille.
Dans ce roman, il est en effet beaucoup question d'abandons, ressentis comme nécessaires, de "traque", de liens familiaux particuliers.
Daisy Johnson brouille les pistes, via la chronologie des différents épisodes, mais aussi par le biais des identités fluctuantes, tant du point de vue des prénoms que du genre. Elle revisite ainsi de manière originale le mythe d’œdipe, se penche sur les souvenirs et le pouvoir des mots. Ce n'est ainsi pas un hasard si Gretel, exclue du groupe par son langage particulier, devient lexicographe, pour mieux maîtriser les mots.
Il se dégage de ce roman une atmosphère particulière, irriguée jusque dans l'espace entre les os par la rivière, à la fois maléfique et attirante , créant un univers à la frontière du fantastique. Un roman fascinant qui perd parfois son lecteur mais, en dépit de quelques longueurs, parvient toujours à le garder captif, tant l'écriture est poétique , au plus proche de la nature , des émotions.
Magnifiquement traduit de l'anglais par Lætitia Devaux, Stock 2019.
06:00 Publié dans Objet Littéraire Non Identifié, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : daisy johnson
04/02/2019
Présumée disparue
"Recherche: philanthrope amateur de lecture, avec formation de psychothérapie, qui sache monter des étagères. Lunettes de vue tolérées."
Manon Bradshaw , enquêtrice de la police du Cambridgeshire, 39 ans, est à la recherche d'une jeune femme de très bonne famille présumée disparue et, accessoirement aussi, d'un amoureux.
Présumée disparue réunit tous les ingrédients qui font un bon polar à l'anglaise, pas trop angoissant (pour les petites natures comme moi on évite les descriptions gore sans réelle utilité, merci), avec une dose d'humour, un dose de polar social (le sort peu enviable des enfants dans les centres d'accueil, les différentes classes sociales...), des personnages bien croqués et rapidement attachants. Le tout avec une alternance de point de vue qui permet de varier les plaisirs. Plaisir que je ne boude donc pas, même si je m'attendais un peu à mieux niveau suspense.
Un bon gros polar anglais mâtiné de chick Litt, pourquoi pas ?
je suis un chouïa plus enthousiaste que Cuné et un chouïa moins que Clara !
Editions Équinoxe les arènes 2018, traduit de l’anglais par Yoko Lacour.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : susie steiner