22/08/2019
Ce qu'elles disent
"Nous sommes des femmes sans voix, répond Ona avec calme. nus sommes des femmes en dehors du temps et de l'espace, privées de la langue du pays dans lequel nous vivons. Nous sommes des mennonites apatrides. Nous n'avons nulle par où aller. Les animaux de Molotschna sont plus en sécurité que les femmes dans leurs foyers. Nous, femmes, avons toutes des rêves donc, oui, bien sûr, nous sommes des rêveuses."
1 Ne rien faire.2 Rester et se battre. 3 Partir. Telles sont les solutions qui s'offrent aux femmes , parfois très jeunes, qui ont été violées et rouées de coups durant plusieurs années dans une communauté mennonite en Bolivie.
Le diable est-il le responsable ?,comme l'affirme l'évêque Peters. La vérité finit par éclater: ce sont des hommes de la communauté qui, usant d'un anesthésiant en pulvérisateur ,abusent de celles qu'ils côtoient au quotidien.
Analphabètes, totalement coupées du monde extérieur, les femmes se réunissent et choisissent comme rédacteur du procès-verbal de cette assemblée August Epp, qui vient de réintégrer la collectivité.
Pied à pied, se construit une réflexion féministe universelle qui déborde du cadre de ce groupe de femmes pour englober toutes celles qu'on maintient volontairement dans l'ignorance et la servitude, que ce soit par le biais d'une quelconque religion ou par le truchement de biens commodes traditions.
Se dessinent aussi au fur et à mesure les personnalités de ces femmes, riches d'humanité et d'intelligence laissée en jachère. Le roman traduit au plus près leurs aspirations ,"Nous voulons pouvoir penser", leurs déchirements aussi (faut-il emmener si elles partent les enfants mâles et si oui jusqu'à quel âge ?), sans pour autant négliger l'aspect romanesque, tendu par une romance en sourdine, ainsi que par un vrai suspense.
Inspiré de faits réels, écrit par une femme née dans une communauté mennonite canadienne, ce roman, bouleversant, piqueté de marque-pages, file à toute allure sur l'étagère des indispensables.
Traduit de l'anglais (Canada) par Lori saint-Martin et Paul Gagne, Éditions Buchet-Chastel 2019225 pages qui se tournent toutes seules ou presque.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2019, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : miriam toews
21/08/2019
#L'Ami #NetGalleyFrance
"C'est que j'ai dit au psy: qu'il ne me manque plus ne me rendrait pas heureuse, pas du tout."
Rien en apparence ne pouvait lier le destin de la narratrice, écrivaine et professeure à l’université, et celui d'Apollon, grand danois vieillissant et bien trop encombrant pour son minuscule appartement new-yorkais, où d'ailleurs les chiens sont interdits.
Et pourtant, quand l’épouse numéro trois de son meilleur ami récemment décédé lui demande instamment de recueillir le chien de la taille d'un poney, la narratrice accepte.
Commence alors une cohabitation d'abord chaotique, où on se demande si le chien ne va pas prendre le dessus sur sa bienfaitrice, puis plus harmonieuse. Relation durant laquelle l'écrivaine revient en profondeur sur les liens compliqués avec celui qui fut son mentor, fugitivement son amant , et sur la douleur qu'elle ressent à la suite de ce deuil.
L'ami c'est à la fois celui qui est décédé ,mais aussi l'animal qui va lui permettre de poser des mots sur sa douleur et avec lequel va s'établir une amitié profonde.
La narratrice réfléchit aussi sur les fonctions de l'écriture et sur les modifications profondes qu'entraîne cette relation entre Apollon et elle, qui l'aide à accepter le manque car "Ce qui nous manque-ce que nous avons perdu, ce que nous pleurons-, n'est-ce pas au fond ce qui nous fait tels que nous sommes vraiment ?".
La fin est déchirante et , toute en retenue , m'a fait venir les lames aux yeux.
Un récit bouleversant qui analyse ,sans sensiblerie, mais avec beaucoup de justesse, les liens qui nous unissent aux animaux, aux autres humains et permet aussi de réfléchir aux renoncements nécessaires quand le bout du chemin approche. Un grand coup de cœur.
Et zou sur l’étagère des indispensables.
Stock 2019,Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathilde Bach.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2019, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : sigrid nunez
19/08/2019
Retour à la case départ
"Réussir à avoir une bonne opinion de soi-même, c'était un peu comme vieillir de manière digne: totalement impossible,mais ça valait quand même la peine d'essayer."
Non, rassurez-vous David Hedges n'est pas retourné vivre chez ses parents, comme pourrait le laisser entendre le titre du roman de Stephen McCauley. De nouveau célibataire-son compagnon l'a quitté- il est aussi sur le point de perdre son logement à San Francisco.
L'appel de Julie, avec laquelle il a été brièvement marié,trente ans plus tôt, va lui offrir l'occasion d'une escapade à Boston où il pourra mettre en œuvre ses talents pour planifier l'avenir universitaire de la fille de Julie. Mais pas que. En effet, tout comme lui, Julie est aux abois : en plein divorce, elle est en difficultés pour racheter sa part de sa maison.
Les personnages de Stephen McCauley ont vieilli, mais ils ont en rien perdu leur sens de l'observation, de l'humour, voire du sarcasme. L'auteur en profite pour égratigner au passage tous les nouveaux travers de notre société, ses applications, ses réseaux sociaux, entre autres. Il se régale à peindre de vraies méchantes, mais nuancées, et aucun personnage secondaire n'est négligé.Oon sourit beaucoup, on rit aussi et on retrouverait presque le niveau de plaisir atteint lors de la découverte de son premier roman, L'objet de mon affection n'était un revirement final improbable et quelques longueurs.
Il n'en reste pas moins que découvrir la sortie d'un nouveau roman de Stephen McCauley est toujours une bonne nouvelle.
421 pages Robert Laffont 2019, traduit de l'anglais (États-Unis) par Séverine Weiss.
L'avis de Jérôme: clic.
Du même auteur : clic et clic
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : stephen mc cauley
13/07/2019
#KillingEve2-NoTomorrow#NetGalleyFrance
Bizarrement cet opus inclut l’épisode 1...On y poursuit la découverte de Villannelle et surtout celle d'Eve et de son mari,Niko.
Luke Jennings sait rédiger des scènes extrêmement visuelles, voir en particulier une magistrale scène d'exfiltration qui clôture cet épisode et ne figure pas dans la série. Série qui si elle a conservé certains crimes de Villannelle s'éloigne vraiment beaucoup du roman de départ. Les deux deviennent donc deux entités qui valent le coup d'être lu et/ou regardé.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : luke jennings
11/07/2019
La persuasion des femmes
"Parfois, il fallait abandonner ses convictions, ou les assouplir bien plus que vous ne pensiez le faire un jour."
Greer et Cory sont "deux fusées jumelles" qui brillent par leur intelligence et semblent promis à un bel avenir. La première est issue d'une famille quelque peu marginale qui semble peu soutenir la jeune fille timide. Le second vient d'une famille d’immigrés portugais chaleureuse et unie.
Ces millenials, qui à l'adolescence seront devenus un couple, vont partir dans deux universités différentes mais se projettent déjà dans un futur où ils pourraient mettre en pratique, via leur emploi, leurs convictions.
D'autant que Greer a fait brièvement la connaissance de Faith Frank, icône du mouvement féministe des années 70. L'admiration qu'elle voue à cette femme et aux causes qu'elle défend galvanise Greer.
Mais l'idéalisme de la jeunesse va bientôt se heurter aux aléas de l'existence et au pragmatisme de l’expérience...
Roman choral, La persuasion des femmes brosse le portrait nuancé de personnages d'âges et de milieux différents et montre leur évolution, parfois par le biais de simples détails comme l'utilisation ou non d'un canapé-lit, jusqu'à la période contemporaine où est survenue "la grosse calamité" ( l’élection d'un président jamais nommé dans le roman).
Analysant avec finesse et empathie l'influence que peuvent avoir certaines personnalités sur d'autres,Meg Wolitzer nous captive tout au long de ces 434 pages , sans jamais nous perdre en route. On s’attache à tous les personnages, principaux ou secondaires, on frémit, on s'identifie et on ne cesse de souligner les remarques pertinentes tout au long de ce roman écrit dans un style impeccable.
Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Éditions Rue Fromentin 2019, brillamment traduit par jean Esch.
De la même autrice: clic
07:10 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : meg wolitzer
27/06/2019
La joie du matin...en poche
"Elle a l'air simple, et même si enfantine quelquefois. Mais il y a quelque part en elle une barre d'acier."
Pendant un an , nous allons suivre les débuts d'un bébé-couple, fraîchement marié, à la fin des années 20 dans le Midwest. Si Carl est à université, Annie, elle n'a pas eu la chance de suivre des études et a dû travailler très tôt. Les deux familles respectives ne sont évidemment pas enchantées de voir ces très jeunes gens se marier alors que Carl n'a pas encore obtenu son diplôme. Pourtant, Annie, par sa candeur et une forme d'intelligence rafraîchissante, arrive même à séduire les profs d'université qui l'autorisent à suivre des cours de littérature,en auditrice libre. Voilà donc Annie qui se lance dans l'écriture...
Écrit au début des années 60, ce roman vintage réédité par Belfond m'a laissée très partagée: autant Annie est charmante et souvent touchante, autant les regards masculins portés sur elle sont empreints de paternalisme condescendant. J'ai donc oscillé entre agacement et tendresse pour ce personnage à l'orée de sa vie.
Traduit de l’anglais (E-U) par Gisèle Bernier
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : betty smith
26/06/2019
L'heure d'or...en poche
"La vie ne dépend peut être pas de toutes les décisions qu'on prend. Il y a tout un monde autour de nous. Nous nous faisons pousser, bousculer, que nous le voulions ou non. Nous sommes peut être comme des feuilles qui virevoltent au gré du vent. Nous allons là où on nous envoie."
Un été chaud dans le Sud de l'Angleterre (on ne ricane pas), un paysage champêtre et un couple de quinquagénaires, Henry et Laura, qui décide d'organiser un dîner samedi en huit pour réunir voisins et amis. Les invitations sont lancées mais les remous, les interrogations et les remises en question des uns et des autres vont peut être faire capoter l'harmonie dont rêve Laura.
Comme dans les précédents romans de William Nicholson, nous trouvons une galerie de portraits plus vrais que nature,(de l'adolescente qui s’amourache d'un garçon fascinant ,mais sans doute nocif , à la trentenaire qui freine des quatre fers à l'idée de s'engager, en passant par le sexagénaire qui veut changer de vie) mais toujours emplis de bienveillance.
Les rebondissements de l'intrigue sont plus liés à l'évolution psychologique des personnages et elle se fait tout en finesse. Ainsi on sent que l'auteur a autant de compassion pour la vieille mère tyrannique que pour la fille tyrannisée et il parvient à nous brosser de l'une comme l'autre des portraits nuancés. Quant au scénariste ulcéré qui découvre inopinément que son scénario est retravaillé par un autre, la confrontation avec son rival prendra une tournure beaucoup plus enrichissante que prévue.
Tous nous deviennent proches et l'on se sent plein de gratitude à l'idée d'avoir partagé ce repas. Un bon gros roman confortable comme on les adore !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : william nicholson
21/06/2019
Idaho...en poche
"Ce lent effacement, cette ligne blanche traversant l'obscurité de la mémoire de Wade, voilà ce qu'Ann suivra toute sa vie durant. Et à n'en pas douter, ce la mènera jusqu'aux porte de sa propre prison secrète."
Une jeune femme, Ann, a épousé un homme plus âgé , Wade qui a été au cœur d'un drame familial neuf ans auparavant.
La mémoire de son mari s'efface peu à peu et Ann prend en charge , via des bribes de souvenirs, cette tragédie, cherchant encore à retrouver l'une des filles de Wade, qui s'est enfuie le jour où tout a basculé.
N'importe quel autre auteur aurait fait de ce récit un roman cousu de fil blanc, avec toutes les étapes obligées au programme, facilitant ainsi la tâche de son lecteur.
Emily Ruskovich, dont c'est ici le premier roman, contourne tous ces écueils et ne donne quasiment jamais d'explications à son lecteur, ce qui ne m'a jamais frustrée car la vie nous offre-telle toutes les solutions aux énigmes qu'elle nous inflige ?
J'y ai surtout la volonté d’établir un pont entre deux femmes que tout aurait dû opposer et la découverte d'une magnifique écriture qui sublime tous les paysages décrits. Un grand coup de cœur.
Gallmeister Totem 2019, traduit de l’américain par Simon Baril.
Cuné m'avait donné envie. Clic.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : emily ruskovich
30/05/2019
Les buveurs de lumière ...en poche
"-Cette fille est un diamant brut. Quelles sont ces ambitions politiques, alors ?
- Que chaque être humain jure de signer un contrat qui ferait de lui un gardien temporaire de la planète pendant la durée de sa vie, et que la guerre contre les femmes prenne fin."
Dylan, chassé du petit cinéma de quartier de Soho où il a grandi avec sa mère et sa grand-mère,toutes deux décédées, emménage dans une caravane en Écosse, son seul héritage. Là , il fait la connaissance de Constance, une femme débrouillarde qui vit seule avec sa fille, Stella.
Toutes deux défraient la chronique de la petite communauté villageoise car elles sont chacune à leur manière libres et hors-normes.
Il y aurait pourtant urgence à se préoccuper d'autres choses, bien plus importantes car l'hiver 2020 s'annonce comme un des pires que l'humanité ait jamais affronté.
L’ambiance pré-apocalyptique est ici contrebalancée par la poésie et l'humanité qui se dégagent de ce roman, anxiogène à un niveau supportable pour la frileuse (dans tous les sens du terme) que je suis. La violence n'est pas niée , mais elle se contente de rôder à proximité ou est juste évoquée comme ayant lieu ailleurs.
Ce qui prime ici ce sont les relations complexes entre les personnages, l’évocation des paysages et la manière dont Stella, adolescente trans cherche son identité coûte que coûte, à sa manière originale et et bravache. un coup de cœur !
Cuné m'avait donne envie:clic
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jenni fagan
29/05/2019
La Ballade de Cass Wheeler...en poche
Seize chansons, "Ces moments figés, ces instantanés qui cherchent à saisir un lieu, une personne, un sentiment, avant leur disparition, leur perte définitive.", comme autant de jalons dans le parcours à la fois personnel et professionnel de Cass Wheeler, chanteuse auteure-compositrice, voilà ce que nous invite à découvrir ce nouveau roman de Laura Barnett.
A l'instar de Joan Baez, son héroïne a connu son heure de gloire dans les années 70, mais Cass a mystérieusement abandonné sa carrière.Des années plus tard ,la voici de retour via seize chansons qu'elle doit choisir.
Connaissant un parcours chaotique, marqué par de nombreuses souffrances psychologiques, et ou physiques, Cass ne déroge en rien aux clichés attachés aux song writers, sauf par son ambition assumée, ce qui n'est pas rien pour un personnage féminin. Il n'en reste pas moins que Laura Barnett peine à nous la décrire vieillissante de manière convaincante. Un roman qui connaît des baisses de régime, mais que l'on prend néanmoins plaisir à lire au soleil car il remplit le contrat annoncé par le genre abordé.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : laura barnett