01/07/2021
L'été de la sorcière
"Son entraînement pour devenir sorcière était bien différent de ce qu'elle avait cru au début, mais tout était nouveau pour elle et amusant malgré tout. "
L'annonce de la mort de sa grand-mère, d'origine anglaise mais totalement intégrée à la culture japonaise, est pour la jeune Mai l'occasion de revenir sur ce séjour qu'elle avait effectué deux ans auparavant auprès de cette femme atypique, un peu sorcière selon les dires de la mère de la jeune fille.
Ce n'était pas une époque facile pour Mai, trop angoissée pour continuer à suivre ses cours au collège. Mais sa grand-mère avait su l'apaiser par un rythme de vie régulier au sein d'une nature tout sauf idyllique, où la mort avait autant sa place que la mort.
Grâce à une écriture en apparence simple, mais pas simpliste, des personnages aux caractères bien moins lisses qu'il n'y paraît à première vue, l'autrice réussit un tour de force: évoquer des thèmes puissants tout en apaisant ses lecteurs.trices. Voilà qui relève bien d'un peu de magie et donne bien sûr envie de découvrir d'autres œuvres de Nashiki Kaho.
Picquier 2021, traduit du japonais par Déborah Pierret-Watanabe.
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29/06/2021
#Pardonsijedérange #NetGalleyFrance
"Enquêter sur sa mort revitaliserait peut-être ma propre existence , et si je pouvais leur communiquer mes découvertes finales, cela fortifierait et faciliterait également l'existence de mes parents adoptifs."
Helen, jeune femme d'origine coréenne, a été adoptée par une famille américaine catholique dans son enfance. Vivant à New-York, loin de la ville de Milwaukee, elle a maintenant la trentaine et a coupé tout lien avec ses parents adoptifs. Pourtant, quand elle apprend le suicide de son frère adoptif, lui aussi d'origine coréenne, elle décide de revenir dans sa maison d'enfance et de découvrir la ou les raisons de cet acte.
Quel roman étrange et dérangeant ! D'abord par le thème abordé, mais aussi par la personnalité de la narratrice, dont on comprend rapidement qu'elle est pour le moins aussi perturbée que les jeunes en réinsertion dont elle est supposée s'occuper.
Le fossé existant entre la rigueur dont elle veut faire preuve et les catastrophes qu'elle déclenche sans même s'en rendre compte font que sans cesse nous devons réajuster notre point de vue sur Helen et sur les relations dénuées d'amour qu'elle entretient avec ses parents.
Les dernières lignes, très fortes, dissipent enfin le malaise et laissent la place aux émotions. Un roman qui passe ou qui casse mais qui mérite qu'on tente l'expérience.
Grasset 2021, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : patrick cottrell
14/06/2021
Tout le bonheur du monde
"-J'ai l'impression d 'avoir engendré des poupées russes, dit Marilyn. Dès qu'on croit en avoir fini avec l'une, une autre surgit avec un paquet de Camel à la main.
- C'est sans doute le danger de la production de filles en série."
Les sagas familiales en sont pas vraiment ma tasse de thé. Les livres de 698 pages non plus, d'ailleurs . Et pourtant j'ai adoré l'histoire de cette famille de quatre sœurs dont les parents semblent vivre un amour sans faille et donc placent la barre très (trop ? ) haut pour leurs filles.
On ne se perd pas dans une flopée de personnages, l'histoire reste centrée sur cette famille et les "pièces rapportées "qui s'y agrègent ou non.
Claire Lombardo a su nuancer ses héros, leur donnant des caractères bien défini et à multiples facettes. Les relations à géométrie variable entre les filles sont particulièrement bien décrites et on ne se perd pas dans la chronologie qui est pourtant chahutée.
La toute jeune autrice ne embarrasse pas de bons sentiments et n'hésite pas à nous montrer que les vieux couples peuvent encore (au grand dam parfois de leur progéniture) avoir une vie sexuelle et à nous décrire les conséquences physiques et morales peu glorieuses d'un accouchement.
Gare, c'est le genre de roman qu'on ne peut pas lâcher tant les rebondissements sont nombreux et tant on s'attache aux personnages !
Traduit de l’anglais (E-U) par la virtuose Lætitia Devaux.
Rivages 2021
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : claire lombardo
10/06/2021
#Rienàperdre #NetGalleyFrance
"[...] Des retrouvailles, un voyage inoubliable, une histoire d'ambitions démesurées...et puis la fuite dans une voiture avec une femme enceinte et un cadavre..." Quand le roman se résume lui-même pourquoi ne pas en profiter ?
A l’aube de la cinquantaine , trois Argentins qui ses sont connus au lycée embarquent pour ce qui devait être une échappée plaisante en Uruguay et va vite se transformer en une épopée qui les mettra à rude épreuve, tant physiquement que moralement.
Ces trois corniauds , comme ils en viennent eux-mêmes à se nommer, vont en effet s'embarquer dans une aventure dangereuse qui les les forcera à abandonner leurs illusions et à se regarder tels qu'ils sont vraiment: des losers fatigués .
A la fois drôle et noir , ce roman de 160 pages nous entraîne à leur suite dans ce road trip à bord d'une antique Taunus et on ne peut les lâcher.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roberto montana
17/05/2021
L'octopus et moi
" C'est parce que les pieuvres voulaient dire quelque chose pour moi: quelque chose qui parle de sacrifice féminin, de persévérance, de la futilité de tout ça, quelque chose qui dit que nos corps peuvent rater , ou peuvent être forcés de rater, et que pourtant on continue comme on peut..."
Lucy , jeune femme australienne qui vit et travaille en Tasmanie, rencontre une nuit une pieuvre qui cherche à traverser une route pour rejoindre la mer et y pondre ses œufs. Rencontre improbable et violente qui va mettre le corps de Lucy a rude épreuve (alors qu'il a déjà été mis à mal par le cancer ) et la forcer à reconsidérer tout à la fois ce qui fait sa féminité et sa place dans la Nature.
Ce roman est tout à la fois l'occasion de découvrir un territoire sauvage, ses habitants (qui se définissent eux-mêmes en "bouseux" ou "hippies") , un territoire malmené par certains alors que d'autres essaient, parfois juste en paroles de le préserver.
Il est aussi question de la volonté de "ne pas seulement vivre de la nature mais dans la nature, l'immersion.", ce qui ne va pas sans rudesse ni contradictions. Et c'est bien ce qui fait, en plus de l'écriture précise et poétique de ce premier roman, la richesse de ce texte.
Lucy se cherche, tâtonne, commet des erreurs et n'assène jamais de vérités inébranlables. Son rapport au corps, tout comme ses sentiments, évolue et les passages consacrés à certains animaux proposent des contrepoints originaux. L'humain n'est donc pas le seul ici à donner son point de vue.
roman où il est aussi question de conserves, de tricot, de pêche et de tout ce qui peut paraître banal, mais crée du lien. Un roman souvent sur le fil et qu'on ne peut lâcher qu'à regret.
Traduit de l’anglais (Australie) par Valentine Leÿs, Éditions Dalva 2021.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : erin hortle
14/05/2021
Sous le signe des poissons
"Étais- je si vide que ça pour avoir besoin que quelqu’un d'autre délimite une frontière et me dise qui j'étais ? "
Lucy, trente-huit ans, ne parvient pas à terminer sa thèse sur Sappho, sans doute par peur de ce qui pourrait se passer ensuite. Elle vient de rompre avec son petit ami et sombre dans la dépression. Pour la tirer de là, sa demi-sœur l'invite à venir garder sa superbe maison de Los Angeles à condition qu'elle garde son chien diabétique, Dominic, et qu'elle participe à une groupe de parole de femmes.
L'évolution, très fouillée du point de vue psychologique, de Lucy est intéressante et ne sombre ni dans l'angélisme ni l'optimisme à tout crin. La franchise de cette femme en ce qui concerne tout ce qui est corporel (et pas que les relations sexuelles, décrites de manière très crue) , peut déranger mais participe de cette volonté de rien (se) cacher.
En dépit de quelques longueurs, on suit jusqu'au bout cette anti héroïne et le tournant mythologique qui s'opère dans la dernière partie du texte lui confère une dimension symbolique originale et puissante.
Un roman dérangeant qui peut aussi agacer.
Christian Bourgois 2021, traduit de l'anglais (E-U) par Marguerite Cappelle
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : melissa broder
06/05/2021
#UnechambreenAllemagne #NetGalleyFrance
"Je préfère vivre pour toujours en réfugiée, me glisser dans le lit des autres, petit-déjeuner dans des tasses étrangères, des tasses que je n'ai pas choisies et qui m'indiffèrent et ne même pas me rappeler le nom de la rue dans laquelle je me réveille. Je préfère m'étonner en ouvrant la fenêtre, me demander comment est e quartier, comment ce serait de vivre ici avec des histoire, ou avec les histoires des autres parce que de toute façon tout est toujours partout tellement pareil."
De sa vie en Argentine, nous ne connaîtrons que des bribes qui viendront par petites touches brosser le portrait de cette jeune femme venue en Allemagne, à Heidelberg "pour dormir et marcher. Dormir et marcher ne semblent pas grand-chose, mais ce sont deux bonnes choses." Elle est aussi venue mettre ses pas dans ceux de ses parents qui , fuyant la dictature, s'étaient réfugiés dans cette ville , où la narratrice était née et avait vécu ses premières années.
Deux parenthèses enchantées qui se font écho, teintées de mélancolie, de tendresse aussi, mais où rôde en permanence, à la lisière, la mort.
Cette jeune femme est en perpétuel décalage, en léger retrait, par sa nationalité bien sûr, son âge (elle est un peu plus vieille que les étudiants de la résidence où elle a trouvé refuge), mais aussi son humour ("Étudier en Allemagne, pour un Japonais, c'est comme sortir faire la fête" )ce qui lui permet de cultiver l'étonnement qu'elle recherche.
Au fil de rencontres, de ses déambulations dans la ville et ses alentours, nous la suivons et le charme agit puissamment. Nous aussi, à l'instar de Mario, son vieil ami retrouvé, nous aimerions pouvoir la serrer dans nos bras et ressentir cette "tendresse si sincère". 160 pages enchantées.
Un premier roman qui file sur l'étagère des indispensables.
Éditions Métailié 2021. Traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : carla maliandi
03/05/2021
Harpie
"J'étais donc devenue l'une de ces femmes . Ces femmes que j'avais croisées dans les livres, qui se sont retirées du monde , qui ne vibrent plus que de mépris, se murent dans leur propre cellule de condescendance."
Dans ce nouveau roman, Megan Hunter semble accumuler les clichés à foison. Jugez un peu : son héroïne Lucy a sacrifié ses ambitions personnelles pour devenir mère et mener une vie en apparence parfaite aux côtés de on universitaire de mari, Jake. Tout ceci bascule quand un coup de fil lui apprend que son mari la trompe avec Vanessa, une collègue plus âgée. Au moins lui a-t-il épargné (et à nous aussi par la même occasion) le cliché de l'étudiante qui tombe amoureuse et/ou subit l'emprise de son prof.
A partir de là les failles qu'on pouvait deviner par certains petit détails grinçants vont s'élargir de plus en plus et le couple va passer un étrange pacte puisque Jake propose à Lucy de le punir par trois fois. Il ne sait pas ce qu'il a déclenché chez sa femme qui, convoquant le mythe de la Harpie, cette chimère mi-femme mi-oiseau de proie qui ,selon la mère de Lucy, punit les hommes là où ils ont péché ,va révéler une cruauté de plus en plus grande...
Tour à tour satire sociale, roman féministe, Harpie emprunte aussi au fantastique pour révéler la vraie nature de Lucy et l'écriture, précise et hypnotique de Megan Hunter, ferre son lecteur pour ne plus le lâcher.Un roman dérangeant et qui pulvérise joyeusement tous les clichés évoqués. une réussite !
Traduit de l’anglais par Cécile Roche. Éditions du Globe 2021, 275 pages féroces et réjouissantes.
De la même autrice:
"Il existe tant de silences différents, et seulement un mot pour les désigner. le silence dans la maiosn a mûri, de silence comme absence de bruit à autre chose, un silence texturé, granuleux, une épaisseur à traverser en trébuchant."
La narratrice vient juste d’accoucher quand Londres est envahie par les eaux.Elle, son mari R. et le nouveau-né, baptisé Z., vont devoir faire à cette catastrophe, d'abord ensemble, puis de manière séparée.
Entre la mère et l'enfant le lien se renforce, tandis que se déroule le scénario malheureusement connu de ce type de situations: camps de réfugiés, organisation des secours,le tout entrecoupé de violences évoquées ici de manière succincte et elliptique, en quelques mots dénués de toute émotion apparente.
On est ici à mille lieues des figures imposée et du style afférent à ce type de texte. Le récit est distancié, on assiste ici à une quasi dissociation de la narratrice, sans doute pour mieux tenir à distance les sentiments trop forts qui pourraient l'empêcher de mener à bien sa tâche essentielle: survivre afin que son fils survive aussi. Mais cette grande économie de moyens et le petit nombre de pages (167) rendent l'émotion d'autant plus puissante.
Un récit paradoxalement optimiste dont la discrète poésie ajoute au plaisir de lecture. Une parfaite réussite.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : megan hunter
19/04/2021
#MaggieOFarrell #NetGalleyFrance
Comment auraient-elles pu savoir qu'Hamnet était la pierre angulaire ? Que sans lui , tout se fragmenterait , se briserait comme une tasse tombée par terre ? "
De William Shakespeare il ne sera jamais nommément question. Il n'est d'abord envisagé ici que comme le fils du gantier , un fils "sur lequel personne n'aurait parié, qui depuis toujours était passé pour un bon à rien", celui qui, contre l'avis de tous a épousé une campagnarde, un peu sauvage et férue d'herbes, Agnes, à qui il a donné trois enfants. Une femme qui, voyant que son mari ne pouvait s’épanouir dans l'ombre d'un père trop violent, l'a mené sans qu'il s'en rende compte à sa vocation : les mots, le théâtre, Londres. et tant pis si cela l'éloignait du reste de sa famille.
Maggie O'Farrell s'empare donc ici de la biographie de l'auteur d’Hamlet par le biais de sa famille et du drame qui, on le sait d'emblée , va frapper son fils, Hamnet, deux orthographes pour le même prénom. Pourtant l'autrice maintient une tension extrême et l'émotion est à son comble quand le petit garçon meurt . A son habitude Maggie O'Farrell dépeint avec sensualité et empathie des destins de ses personnages, car il est bien question de destin ici et la tragédie ne pourra être évitée .Alors que j'ai beaucoup de mal avec les romans historiques, j'ai été emportée par le récit et par les émotions souvent puissantes qu'il génère chez le lecteur.
Fayard 2021, traduit par
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : maggie o'farrell
17/04/2021
la cigale du huitième jour...en poche
"Son visage exprimait le trouble de quelqu'un qui, pensant caresser le poil doux d'un petit animal, sentait sur ses mains un contact rêche et désagréable."
Une femme enlève, sans préméditation, le bébé qui aurait pu être le sien. Commence alors une fuite éperdue, tandis que se noue entre la mère de substitution et l'enfant une relation empreinte de douceur et d'amour.
Tout est surprenant dans ce roman japonais qui se joue dans sa première partie des codes de la cavale. En effet, la fugitive parvient toujours à créer , avec trois fois rien, des havres de paix pour la petite et rien ne semble pouvoir entamer l'harmonie de cette relation.
Le changement de point de vue, dans la seconde partie ,vient nuancer encore plus nos a priori et remettre en question la notion de victime et celle de singularité .
Un roman dont émane une étrange sérénité malgré le thème abordé, une traduction fluide et éclairante par les notes de la traductrice , bref j'ai dévoré d'une traite ces 344 pages ! (Et j'ai envie de poursuivre ma découverte de cette auteure !)
La cigale du huitième jour, Mitsuyo Kakuta, traduit du japonais par Isabelle Sakaï, Actes sud 2015.
à noter que ce roman fut au japon un immense succès et qu'il a été adapté au cinéma.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : mitsuyo kakuta