30/03/2009
"Un faux mouvement et on ne retrouvait plus son chemin."
Attention ! Ne remplacez jamais un collègue en littérature lors d'un voyage culturel en Asie centrale. Il pourrait vous en cuire ! Ne fréquentez pas non plus d'écrivain, à moins que, comme certains, vous ne vouliez vous retrouver dans un de leurs romans et ainsi glaner un peu de cette Gloire éphémère ou non qui préoccupe peu ou prou les héros de Daniel Kehlmann.
Dans ces neuf textes apparemment indépendants mais qui, en fait tissent des liens les uns avec les autres, les éclairant d'un jour nouveau, on trouve :des écrivains à qui on pose toujours les mêmes questions, mais pas seulement, des gens connus qui veulent oublier leur image, un hilarant pastiche d'un "auteur d'ouvrages sur la sérénité, la grâce intérieure et la quête du sens de la vie par la randonnée à travers de vertes contrées" et qu'une "Réponse à l'abbesse" va jeter dans un profond trouble. On y rencontre aussi des gens qui doivent se colleter avec la réalité dans ce qu'elle a de plus difficile.Car Kehlmann n'est pas tendre avec ses personnages : le monde dans lequel il les fait évoluer est à la fois drôle et angoissant. Rien ne nous assure de la stabilité du réel dans un monde où l'image prévaut , où les techniques modernes, téléphone portable en tête, peuvent nous permettre de mentir éhontément sur notre identité ou l'endroit où nous sommes. Qu'il harcèle ou serve de bouée de sauvetage, le téléphone nous est devenu indispensable et qu'il occupe à la fois le rôle principal d'un roman qui se clôt par les phrases "Son téléphone sonna. Elle n'y prêta aucune attention." n'est sans doute pas innocent. Le langage lui-même tourne à vide et l'on en prête une oreille distraite aux propos des autres que pour pouvoir (enfin) prendre la parole. Il devient aussi une sorte de bouillie pleine de fôtes d'ortograf, sabir étrange de termes techniques et d'anglais de base qui dissimule à peine la vacuité de cet employé plus accro à internet qu'à son boulot....
Daniel Kehlmann est un virtuose et certains de ces textes sont de purs chefs d'oeuvre, je pense ainsi à L'Est qui génère un malaise presque physique par la situation kafkaïenne dans laquelle il plonge cette brave romancière. Quant à la structure de ce livre elle est totalement maîtrisée et génère plein de surprises au lecteur qui se met à guetter le retour d'un personnage, découvrant parfois une explication à la toute fin du livre. Les apparitions de l'auteur-narrateur sont autant de clins d'oeil qui n'alourdissent pas le récit mais établissent une complicité avec le lecteur qui sort de ce roman,un peu ébouriffé mais ravi, comme après un tour de grand huit ! Une pure merveille !
Un grand merci à Cuné qui a su me forcer la main !
Daniel Kehlmann , Gloire, Actes Sud.175 pages .
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26/03/2009
"Il voit des choses en lui qu'il doit extérioriser."
Irène Husse a tout pour nous plaire: un mari cuisinier de profession (ce qui s'avère bien utile), des jumelles adolescentes on ne peut plus supportables , sans oublier Sammy, un chien fort affectueux, y compris avec les demoiselles caniches peu farouches...Ah, j'oubliais : c'est aussi une ancienne championne de ju-jitsu ,ce qui s'avérer fort utile quand on travaille dans la police et qu'on est sur les traces d'un tueur en série particulièrement macabre puisqu'il démembre ses victimes.Le pire étant que les cadavres apparaissent partout où passe Irène...
Le roman d'Helene Tursten est diablement efficace . Tant par l'intrigue, très prenante sans pour autant verser dans le sensationnalisme ,que par l'évocation du quotidien de l'héroïne , qui vient heureusement contrebalancer toute cette noirceur. Se déroulant à la fois en Suède et au Danemark, Un torse dans les rochers nous vaut aussi, au passage, de savoureuses notations sur les modes de vie de ces deux pays. On attend déjà avec impatience la suite des aventures de cette héroïne qui est déjà devenue notre copine !
Helene Tursten, Un torse dans les rochers. michel Lafon. 413 pages captivantes. traduit du suédois par Hélène Hervieu.
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24/03/2009
Balade suédoise
L'arrivée d' Annie et de sa petite fille Mia, la veille de la Saint Jean,rompt un peu la routine de ce petit village suédois, non loin de la frontière norvégienne. La découverte par la jeune femme de deux touristes sauvagement assassinés dans une tente la bouleversera encore plus...
Trop souvent les intrigues policières sont rondement menées. En moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, après quelques fausses pistes, l'assassin est vite démasqué. Amateurs de rapidité, passez votre chemin ! En effet, Kerstin Ekman,dans Crimes au bord de l'eau, plus que l'enquête, la police apparaît d'ailleurs très peu, privilégie davantage les personnages et le milieu naturel dans lequel ils évoluent. la forêt suédoise, qu'elle soit saignée à blanc, ou pleine de vie, devient ainsi le cadre qui structure la vie de ces habitants fort disparates d'où émergent quelques individualités que nous allons suivre au fil du temps. Car il faudra dix-huit ans et une nouveau meurtre pour qu'enfin l 'assassinat de deux campeurs soit élucidé.
Pourtant on ne s'ennuie pas un instant dans ce récit qui prend les chemins de traverse, égrenant les noms des plantes et des arbres, effectuant de brusques sauts dans le temps qui déroutent passagèrement mais aussi très agréablement le lecteur. Il est toujours plaisant de découvrir de nouveaux modes de vie et se laisser envoûter par la magie d'une écriture.Une magnifique découverte !
Merci à Cuné pour l'envoi !
Crimes au bord de l'eau , kerstin Ekman, Babel noir, 623 pages
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : crimes au bord de l'eau, kerstin ekman, suède, nature
20/03/2009
"La nature n'était pas tendre."
Eté 1976, Paulette, la parfaite maîtresse de maison, son mari Franck et leurs enfants profitent de la demeure familiale de Cape Cod. Tout ce bonheur en apparence paisible va voler en éclat quand, en bon scientifique qu'il est , Franck découvre que leur fille, Gwen, est atteinte du syndrome de Turner : elle conservera à jamais son corps d'enfant.
Chaque membre de la famille va réagir à sa façon à ce coup du sort : Paulette se réfugie dans un premier temps dans le déni tandis que Franck conserve son attitude scientifique et cherche une solution au problème. Quant aux enfants, chacun d'eux évoluera de manière différente (et pas forcément plaisante pour leurs parents...) Il faudra attendre vingt ans pour que la famille soit à nouveau réunie dans la villa de Cape Cod.
Jennifer Haigh, dans La condition alterne les points de vue des différents protagonistes,les faisant évoluer avec une grande vérité psychologique, nous laissant libres d'accepter les points de vue de chacun. Elle se penche avec une grande sensibilité sur les problèmes générés par le syndrome de Turner mais aussi sur les relations existant entre les différents membres de la constellation familiale. Nous ne trouverons pas ici le cliché "Nous sommes une famille et nous devons faire face ensemble à l'adversité" dont nous gavent allègrement les feuilletons américains. au contraire, tous les personnages revendiquent avec force leur individualité, quel que soit leur âge. J'ai particulièrement apprécié la justesse et la beauté de ces portraits d' adultes vieillissants et leur manière d'appréhender les renoncements nécessaires auxquels les contraint le passage du temps. A noter aussi une superbe scène de plongée nocturne nous peignant "l'équipe de nuit" des fonds sous-marins. Un bon gros roman confortable.
Jennifer Haigh, la condition, Michel Lafon, 416 pages d'une grande justesse psychologique.
L'avis de Cuné. (à deux , c'est mieux, lecture tandem !)
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : jennifer haigh, la condition, syndrome de turner, renoncements nécessaires, cape cod
17/03/2009
"Chacun jouait son rôle dans une comédie à laquelle il ne voulait même pas participer."
La vie de Lewis bascule à l'âge de dix ans, quand il assiste, impuissant, à la noyade de sa mère, jeune femme fantasque et aimante.Vite remarié, ni son père ni sa jeune belle-mère ne parviendront à briser la carapace d'indifférence dans laquelle s'enferme le garçon. Cette attitude lui vaudra de se couper de la communauté bien-pensante dans laquelle sa famille évolue. Tant de violence rentrée ne peut, bien sur qu'exploser, ce qui lui vaudra deux ans de prison. En 1957, il a dix-neuf ans et sa révolte à sa sortie de prison, va faire exploser tous les faux-semblants et balayer comme un raz-de-marée toute l'hypocrisie de ce petit village du Surrey.
Délinquance, automutilation, violences conjugales, autant de mots qui me rebutaient d'emblée et pourtant, à peine avais-je commencé Le Proscrit que j'étais happée par les personnages, emportée par la houle des sentiments de Lewis, qui affecte une impassibilité toute britannique face aux affronts qu'il doit subir.
Sadie Jones fouille les replis des âmes et nous les montre dans toute leur crudité et leur vérité. Ainsi la tante de Lewis qui ne propose pas d'élever cet enfant avec les siens parce qu''elle sait confusément qu'elle ne pourra le supporter. On déteste avec force le hobereau, sorte de Dr Jekill et Mr Hyde, qui humilie Lewis et son père,on frémit en se disant que toute cette souffrance aurait pu si facilement ne pas exister, un peu moins de flegme, un peu plus de communication et on referme ce livre le souffle court. Un grand et beau roman.
Un grand merci à Cuné pour l'envoi.
Le proscrit , Sadie Jones; Buchet-Chastel, 377 pages.
L'avis d'Amanda, de Laurence, de Fashion, de Clarabel, de Lily.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : sadie jones, le proscrit, années 50, petite ville du surrey, rebellion
09/03/2009
"Femme soigneuse, bonne jardinière, j'élaguais les rameaux porteurs du doute."
Cela commence de manière bien proprette, bien lisse, Pearlie, Holland, un mariage heureux un enfant , une vie bien rangée . mais comme le répète la narratrice, l'heureuse épouse : "On est seulement nés au mauvais moment.", comprendre dans les années 50 , aux Etats-Unis, dans une société marquée par la guerre de Corée, la ségrégation raciale et le maccarthysme.
Pearlie aspire au repos mais l'irruption de Charles Drumer dans leur vie de couple risque de tout faire voler en éclats.
L'histoire d'un mariage est un roman qui multiplie les surprises faites au lecteur, en se jouant de ses a priori. Le thème lui aussi va se révéler surprenant car la narratrice va se rendre compte qu'elle écrit -en creux- l'histoire d'une guerre, sans récits de combats, mais pas sans violence, une violence larvée et qui prend des formes multiples.
Fiction et réalité se mêlent en une troublante mise en abîme , "percevoir sa vie comme un roman qu'on a écrit et auquel on a cru." et si Andrew Sean Greer revient sur le thème classique "Nous en connaissons pas vraiment ceux que nous aimons", il l'aborde d'une manière originale même si le récit perd un peu de sa vigueur dans la dernière partie. le style est agréable , même si , à force d'avoir été induit en erreur, le lecteur en vient à s'inquiéter à chaque rétention d'information : Nouveau chausse-trappe ou pas ?
Un grand merci à Cuné pour l'envoi !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : andrew sean greer, l'histoire d'un mariage
28/02/2009
"La vie n'était-elle pas plus facile sans cette femme si difficile ? "
Une exposition rassemblant tableaux mais aussi vêtements emblématiques de la célèbre Rachel Kelly, qui vient de décéder brutalement, voilà le point de départ de chacun des chapitres du roman de Patrick Gale, Tableaux d'une exposition.
A la présentation parcellaire ,et forcément lacunaire , de chacun des éléments de cette rétrospective, répond le texte du roman qui explore au plus près l'univers d'une femme fascinante, à la fois mère et épouse prédatrice , mais aussi passionnée, excentrique et si vivante quand la dépression la laissait tranquille. Une femme brûlée par son art et qui, bien involontairement , laissa derrière elle une famille déchirée . Cette famille possède cependant un centre de gravité , un homme exceptionnel lui aussi : Anthony, le père et l'époux, sorte de roc inamovible, quaker qui sut aimer et protéger tous les siens .
Pas de portrait à charge cependant, Patrick Gale avec la sensibilté qu'on lui connaît brosse ici le tableau d'une famille dont les enfants, très jeunes ,ont appris à composer avec la maladie de leur mère, et plus âgés ont eu du mal à se confronter à son talent... Nous découvrons petit à petit les différentes facettes de cette femme qui refusait de parler de son passé.
Les rebondissements et les changements de point de vue rendent le récit si vivant et rapide qu'on ralentit le rythme de lecture pour savourer un peu plus longtemps ce roman qui vibrera longtemps en nous. A noter que l'auteur réussit le pari ,si souvent raté, de nous faire voir les tableaux de Rachel. Une réussite !
Un livre tout corné, évidemment.
Tableaux d'une exposition. Patrick Gale. Belfond.360 pages fulgurantes.
06:05 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : patrick gale, tableaux d'une exposition, peinture, mère prédatrici, maniaco-dépression, art et maternité, magnifique portrait de famille et de femme
25/02/2009
"La violence réprimée s'est transformée en guerre contre les femmes. Une guerre qui ne connaît ni règle ni limite."
Clare Hart, à la fois journaliste et profileuse ,enquête sur le trafic des femmes en Afrique. Parallèlement, elle va collaborer avec la police pour découvrir l'identité d'un tueur en série qui s'en prend à de très jeunes femmes de Cape Town.
Plongée dans le monde de l'industrie du sexe sud-africaine Les captives de l'aube est un roman n même s'il souffre de quelques défauts mineurs. On se demande par exemple comment l'héroïne est devenue profileuse (mais peut être allons-nous l'apprendre dans un prochain volume). En outre la résolution de l'enquête doit autant aux informateurs arrivant fort à propos qu'aux talents conjugués des policiers et de la journaliste.
Abstraction faite de cela, Margie Orford sait habilement tisser les liens entre le passé et le présent, donner de la chair à ses personnages tout en glissant au passage quelques unes de ses convictions concernant la violence faite aux femmes, en bonne journaliste d'investigation qu'elle est, sans pour autant alourdir le récit.
Loin de la profileuse à l'intelligence aiguë et quasi désincarnée que l'on rencontre chez Andrea Japp (et dont j'avoue m' être lassée), Clare Hart se montre beaucoup plus humaine et donc forcément plus touchante. J'attends déjà avec impatience la suite de ses aventures qui savent montrer la violence sans voyeurisme complaisant.
06:05 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : les captives de l'aube, margie orford
23/02/2009
Un compagnon de cheminée
"Nous ne pouvons rendre heureux quelqu'un qui ne nous rend pas heureux."Telle est l'une des réflexions que se fait le Dr David Mc Bride lors d'un de ses entretiens avec l'une de ses patientes, admise dans son service après une tentative de suicide,Elizabeth Cruikshank. Cette dernière n'acceptera de lui livrer sa Part obscure qu'après une allusion à un tableau du Caravage. Commence alors une relation, où Elizabeth, jouant le rôle de catalyseur, va totalement bouleverser la vie du Dr Mc Bride.
Le roman de Salley Vickers, professeur de littérature et psychanalyste, est centré sur les entretiens entre le psychiatre et sa patiente, comme un foyer ardent autour duquel gravitent des personnages à la fois drôles et attachants, qu'ils soient patients eux aussi ou collègues. Les entretiens sont passionnants car ils abordent des thématiques qui nous parlent forcément : la difficulté que nous avons à changer de vie , à accepter la vérité de nos rapports avec les autres, la nécessité d'un regard extérieur pour comprendre ce qui nous unit aux autres... Il est plaisant de voir que le Dr Mc Bride, dans son désir de sauver les autres ,n'est pas capable de voir ce qui se passe sous son nez,mais la manière magistrale dont il réagira le fait encore grandir dans notre estime. Il ne se montre jamais borné mais profondément humain, jusque dans ses erreurs,et sait même reconnaître la supériorité d'un petit déjeuner roboratif sur n'importe quel traitement ou utiliser des maximes de la tante d'un de ses patients !
Alternant humour et émotion, La part obscure mène également une réflexion sur les rapports entre l'art et la vie, jamais de manière pédante ,mais toujours passionnante et l'on se prend à envier aussi bien les élèves que les patients de cette auteure.
Mon exemplaire a battu le record de pages cornées et ce depuis les deux ans et demi d'existence de ce blog ! Un livre intelligent et qui résonnera longtemps en moi.
06:05 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : salley vickers, la part obscure, le caravage, psychanalyse, art
20/02/2009
"Une inversion de la vie en plein milieu, comme une conclusion prématurée..."
Récit d'une histoire familiale marquée par une forme précoce de la maladie d'Alzheimer, L'histoire de l'oubli alterne les points de vue d'un grand-père et de son petit-fils qui ignorent tout l'un de l'autre.
N'ayant aucun goût pour les récits allégoriques, j'ai allègrement passé l'histoire d'Isidora, lieu mythique, légende familiale qui va rétablir le lien entre les membres de cette famille que la maladie et les secrets ont fait éclater.
Bardé de commentaires dithyrambiques, ce premier roman est certes un bon roman mais il ne confine pas au génie. J'y ai retrouvé une atmosphère déjà rencontrée dans d'autres romans américains et seul le thème de l'oubli m'a paru original. Le style est agréable et fluide.
Merci à Laure , qui elle a beaucoup aimé et me l'a gentiment prêté, et à Cuné qui me l'a transmis.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : histoire de l'oubli, stefan merrill block