30/09/2019
L'horizon qui nous manque
"Chacun connaît de ces moments maladifs, comme à battre des bras et des jambes dans la semoule, comme à essayer de s'accrocher aux lambeaux de son existence, et les paroles perdent en logique et en sens, et les gestes semblent indépendants de toute conscience."
Dans un espace naturel , miraculeusement préservé, entre Dunkerque et Gravelines, trois marginaux tentent de cohabiter. Le premier installé, Anatole, retraité, fabrique des oiseaux de bois flotté, supposés être des leurres destinés à la chasse.La deuxième, Lucille, institutrice en rupture avec l’Éducation Nationale, est désabusée depuis le démantèlement de la jungle de Calais où elle s'était investie auprès des migrants. Quant au dernier, Loïk, il est bien trop imprévisible pour ne pas retomber dans ses anciens travers qui l'ont déjà mené derrière les barreaux.
Même si la fraternité existe entre ces personnages qui partagent un goût certain pour Jean Gabin, on est bien loin de l'esprit d'Ensemble c'est tout . Ici, la tension est quasi permanente et l'on sent bien, entre une tournée de moules-frites ou un concours improvisé de décorticage de crevettes, que tout peut basculer sur un malentendu car "Quand il n'y a plus rien à gagner, on peut continuer à tout perdre...".
Un roman noir, ponctué de chansons des Rubettes et autres Mike Brant, où l'on arpente les plages du Nord, où l'on suit une chouette, où l'on découvre ce qui fait la culture populaire d'un territoire marqué par l'Histoire , l’industrialisation et la crise économique. Du grand Dessaint.
Rivages 2019, 218 pages iodées.
06:05 Publié dans Rentrée 2019, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pascal dessaint
24/09/2019
#PremierArrêtAvantLAvenir#NetGalleyFrance
"Il le fait pour elle, parce qu'il est inquiet, parce que, pour la première fois de sa petite existence égoïste, il s'inquiète pour quelqu'un d'autre que lui."
Pierre, dix-huit ans, coaché par son ancienne institutrice et soutenu par sa mère, a réussi un parcours d'excellence et s'apprête à intégrer une prépa parisienne.Une chance quasi inespérée pour ce jeune homme issu d'un milieu modeste.
Le voilà quittant sa région, mais dans le train, la rencontre d'une jeune femme, Olympe, un peu plus vieille que lui, coiffée de dreadlocks et un essai de Proudhon en mains, va bouleverser ses certitudes.
Tout semble opposer ces deux jeunes gens, ce qui ne peut évidemment que leur plaire, mais chacun à sa manière va enrichir l'autre. Pierre abandonnera-t-il ce pour quoi il s'est programmé ou se laissera-t-il tenter par le projet humanitaire d'Olympe ?
Avec beaucoup de finesse et un grand sens de l'observation Jo Witek dépeint des adolescents idéalistes et politisés (Olympe et ses amis) mais brosse aussi le portait d'un jeune homme qui s'apprête à devenir un transfuge de classe, sans états d'âme, Pierre. Au contact de ces nouveaux amis ce dernier gagnera en humanité et en maturité. Si le discours final me paraît un peu trop mature dans la bouche de pierre, il n'en reste aps moins que j'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman .
Jo Wtek, Actes Sud junior 2019.
Cuné m'avait donné envie: clic.
06:00 Publié dans Rentrée 2019, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jo witek
17/09/2019
#CélibataireHeureuseEtPrêteàTout#NetGalleyFrance
" Lorsqu’elle se réveilla le lendemain matin, elle avait un torticolis, l’impression que de la fourrure avait poussé sur sa langue, et elle se demanda si le fait d'écouter Grandpa Jones toute la nuit n'avait pas provoqué des lésions cérébrales."
Le titre programmatique d'une des onze nouvelles qui composent ce recueil donne le ton : elles ont beau se fourrer dans des situations inconfortables, parfois bien malgré elles (qui a envie de se faire draguer par le véto qui va euthanasier votre vieux chien chéri ?) les héroïnes de ces textes sont joyeusement amorales et donnent la pêche.
Le ton est enlevé et même si je n'ai plus depuis longtemps l'âge du public visé, je me suis régalée en lisant ces textes où l'on retrouve parfois des personnages récurrents. Alors, vite, faites fi de vos apriori sur les nouvelles et précipitez-vous sur ce recueil acidulé , bourré de formules décapantes .
De le même autrice , un roman : clic.
05:55 Publié dans Nouvelles étrangères, Rentrée 2019 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : katherine heiny
16/09/2019
#Nobelle#NetGalleyFrance
"Tout ce qui est géant peut devenir gênant."
Lors de la réception de son prix Nobel de Littérature, Annette Comte, revient ,dans un bien trop long discours, sur un amour de jeunesse l'été de ses dix ans , en 1972. Saint Paul de Vence est encore auréolé de la présence de Prévert et tout l'entourage de la fillette semble baigner dans la littérature.
Elle-même fait alors ses premières armes littéraires et on ne manque évidemment pas d'évoquer Minou Drouet, poétesse du même âge qui divisa la critique et connut un engouement passager, mais aussi les foudres de Cocteau qui déclara: « Tous les enfants sont poètes, sauf Minou Drouet. »
En se plaçant à la hauteur d'une enfant Sophie Fontanel courait le même risque: tomber dans la mièvrerie et/ou avoir un texte qui sonne faux . Et c'est bien ce dernier travers que je lui reproche: à force de soleil, de baignades, d'amours enfantines , d’entretiens avec un grand écrivain, j'ai été saturée par cette gamine qui m'est vite devenue insupportable. Dommage
Sophie Fontanel , Éditions Robert Laffont 2019.
06:00 Publié dans Rentrée 2019, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sophie fontanel, schtroumpf grognon le retour
09/09/2019
Adelphe
"...ce livre est la bible familiale, transmise par Gabrielle, l'exemple à ne pas suivre, dedans est inscrit tout ce qu'il convient de ne ps faire lorsqu'on est une femme, les mille et une raisons pour lesquelles il faut en finir avec la soumission aux mâles et aux maîtres, cette tragédie dont la pauvre Nêne est la si consternante incarnation..."
Adelphe est le tranquille pasteur d'une tout aussi paisible bourgade. Autour de lui, une constellation de femmes qui, en cette année 1920 vont découvrir, via Gabrielle, une bourgeoise qui aspire à l'émancipation, le prix Goncourt,Nêne. Cette histoire édifiante d’une servante ,qui se sacrifie sur l'autel de la société patriarcale, va entraîner bien des répercussions chez chacun de ces lecteurs.trices.
Quelle belle idée qu’utiliser un roman, ma foi bien oublié, comme élément déclencheur de prises de conscience au sein d'une petite communauté !
Adelphe est quelque peu dépassé par les événements et ce sont bien les femmes qui mènent la danse dans ce roman où, si les mots de "lesbiennes", "avortement", "mariage des prêtres" ne sont jamais prononcés par les personnages, les thèmes sont pourtant bien présents.
C'est tout un pan d'Histoire qui se donne à voir ici, même si l'aspect historique proprement dit reste à l'arrière plan, celui d'une émancipation féminine. Un coup de cœur.
Adelphe, Isabelle Flaten, Le Nouvel Attila 2019 .213 pages où souffle un vent de libertés. .
05:55 Publié dans Rentrée 2019, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : isabelle flaten
05/09/2019
Miss Islande
"- Tu n'as toujours pas avoué à ton poète que tu écris ?
Elle aurait aussi bien pu me demander: Est-il au courant que tu caches en toi une bête sauvage qui n'attend que d'être libérée ? Un écrivain est-il capable de comprendre un autre écrivain ? "
Elle aurait pu choisir de se présenter, comme d'aucuns le lui conseille à l'élection de Miss Islande, ou plus simplement endosser, comme son amie Isey, le destin de mère de famille. Mais Hekkla, qui écrit avec une facilité déconcertante, veut accomplir son destin d'écrivain.
La voilà donc qui quitte son père et sa campagne pour aller de petit boulot en petit boulot à Reykjavik. Là elle retrouve son meilleur ami, Jon John, homosexuel qui , comme elle espère pouvoir déployer ses ailes dans la capitale.
Mais en 1963, dans ce tout petit monde qu'est alors l’Islande, certes irrigué par la poésie, une femme écrivain et un jeune homme considéré de par son orientation sexuelle comme "...un criminel, un déviant, un malade [...] une infamie." vont avoir du mal à se frayer un chemin.
Par petites touches subtiles, sans jamais donner de leçons, Audur Ava Olafsdottir montre ce que l'on n’appelait pas encore le harcèlement sexuel, la condition des femmes qui n'avaient pas encore accès à la contraception, l'aliénation des mères de famille et la mise au banc des minorités sexuelles, mais aussi la bohème des apprentis poètes.
Ses héros sont lumineux, et si l'on connaît rarement les pensées de Hekkla, on les devine grâce aux lettres de son amie. Tous les personnages sont croqués à ravir et même si la décision finale de la jeune femme est frustrante, elle s'inscrit parfaitement dans la logique de l'époque. Un très grand bonheur de lecture et une héroïne qu'on n'oubliera pas de sitôt.
L'étagère des indispensables, bien sûr.
Magnifique traduction d'Eric Boury. Zulma 2019, 268 pages et plein de marque-pages.
Cuné est enthousiaste : clic
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2019, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : audur ava olafsdottir
02/09/2019
#LePlusFouDesDeux#NetGalleyFrance
"Le problème avec les morts, c'est qu'on en fait des bourgeois avec de petites âmes. On leur taille des destins sur mesure quand ils n'ont plus le choix de nous contredire, comme quand je bégaie et qu'on finit mes phrases à ma place, toujours à côté de ce que j'avais l’intention de dire. L'artiste a-t-il pour vocation de modifier le destin des morts ? "
Imaginez : un inconnu vous intime : "-Donnez-moi une bonne raison, une seule de ne pas me suicider cette nuit !" Cette phrase va agir sur Lucie Paugham, célèbre marionnettiste, comme un détonateur et faire remonter une scène qui s'est déroulée trente ans plus tôt au sein de sa famille. Scène dont les motifs sont restés obscurs aussi bien pour Lucie que pour sa sœur Agnès et leur mère: le suicide du père de famille qui avait posé presque la même question avant de mettre fin à ses jours.
Commence alors une relation étrange entre les deux protagonistes, toujours sur le fil du rasoir, relation qui va totalement chambouler la vie de Lucie, tant du point de vue artistique que familial. C'est aussi l'occasion de découvrir l'univers méconnu des marionnettistes pour adultes et de retrouver la subtilité d'une auteure dont je suis toujours avec attention l'évolution.
Jean-Claude Lattès 2019
De la même autrice: clic
06:00 Publié dans Rentrée 2019, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sophie bassignac
30/08/2019
Agathe
"Je suis enterrée vivante dans ma propre existence!On vous aurait cru capable de percer à jour l'humour du condamné, lorsque vous y êtes confronté."
Un psychanalyste au bout de cinquante ans de carrière, quelque peu désabusé, sur sa pratique et sur sa patientèle, égrène les huit cents entretiens qui lui restent à assume ravant la fermeture de son cabinet.
Une ultime nouvelle patiente, Agathe, va venir briser la tranquille routine dans laquelle il s'était enlisé, aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle.
Agathe, en effet, met quelque peu à mal l'autorité distanciée derrière laquelle se retranche le psychanalyste. Ce dernier sortira alors de sa zone de confort et se confrontera au plus près des angoisses et des peurs que nous partageons tous, psychanalyste ou pas.
Un roman profondément bienveillant, empli d'humanité, écrit par une psychologue danoise.
Traduction du danois par Inès Jorgensen, La peuplade 2019.
Cuné a aimé aussi: clic.
06:00 Publié dans Rentrée 2019, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : anne catherine bomann
29/08/2019
Un mariage américain
"Nous ne sommes pas la version noire de la famille américaine idéale."
Le seul crime de Roy ? Avoir été un Noir au mauvais endroit , au mauvais moment, qui plus est dans un État sudiste des États-Unis. Condamné rapidement pour viol, alors que sa femme, Celestial, sait qu'il est innocent, le jeune homme voit basculer sa vie en un rien de temps.
Tout semblait pourtant leur sourire: Roy s'apprêtait à lancer son business tandis que sa jeune épouse commençait à se lancer dans une carrière artistique. Bien qu'appartenant à la classe moyenne américaine, Roy paraît voué à incarner le destin de l'homme noir : "Porté par six ou jugé par douze.", comprendre être dans un cercueil ou passer devant le tribunal.
Tayari Jones choisit de ne pas s'attarder sur le procès, mais bien d'analyser en profondeur la relation qui va peu à peu se déliter entre ceux qui ne sont mariés que depuis dix-huit mois. Par le biais de leur correspondance, puis donnant tour à tour la parole aux différents protagonistes de cette histoire, elle scrute au plus profond les motifs de la distance qui s'établit entre eux. Sans manichéisme, sans parti pris, elle analyse ainsi l'évolution de cette relation et dénonce le racisme qui gangrène la société américaine.
Un roman puissant qui aurait pu néanmoins détailler un peu plus le revirement de la justice et s’épargner quelques lourdeurs concernant les pressentiments de certains personnages.
Attention, la quatrième de couverture en dit beaucoup trop.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Karine Lalechère, Plon 2019, 415 pages prenantes.
Merci à Babelio et à l’éditeur.
05:40 Publié dans Rentrée 2019, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : tayari jones
27/08/2019
#LesGrands Cerfs#NetGalleyFrance
"Je découvrais "l'effet affût": le monde arrive et se pose à nos pieds comme si nous n'étions pas là. Comme si nous n'étions pas, tout court. On constate que le monde se passe de nous. Et même davantage: il va mieux sans nous."
"Un tonnerre de beauté", telle est la première métaphore pour désigner l'un de ces êtres magnifiques qui donnent son titre au nouveau roman de Claudie Hunziger. Cette apparition nocturne, dans la lumière des phares le 29 octobre 2017 va déclencher une nouvelle étape d'un processus né de la rencontre avec un photographe animalier se consacrant uniquement aux cerfs, Léo.
Ce dernier a demandé à la narratrice -qui ressemble fortement à l'autrice-,des années auparavant, l’autorisation d'installer un affût sur un terrain des Hautes-Huttes, nouvelle appellation à ce lieu retiré ,parfois appelé Bambois dans d'autres textes de Hunziger. A commencé alors une amitié en pointillés, Léo toujours sur la réserve, pendant laquelle le photographe a distillé ses connaissances sur les différents cerfs de ce coin des Vosges.
La narratrice , fascinée par la beauté des cervidés, prend aussi conscience des enjeux économiques qu'ils représentent pour des intérêts contradictoires: ceux des chasseurs et ceux de l'Office National des Forêts. Intérêts contradictoires mais ayant quand même pou runique résultat la destruction des cerfs.
Ce roman est une splendeur, par la langue, à la fois ultra précise concernant le vocabulaire spécifique lié aux cerfs, que poétique. C'est à un véritable bain de nature que nous convie Claudie Hunziger, bain alarmiste toutefois car l'autrice tire aussi la sonnette d'alarme sur la disparition des espèces animales et végétales, qu'elle a pu elle-même constater en une dizaine d'années.
Un roman qui file sur l'étagère des indispensables.
Grasset 2019.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2019, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : claudie hunzinger