24/09/2017
Les fantômes du vieux pays
"Sa mère paraissait plantée en lui comme une écharde impossible à enlever."
Samuel Anderson, professeur d'anglais à l’université de Chicago, n'en est pas encore conscient mais son existence entre étudiants paresseux et aventures passionnantes dans le jeu en ligne Le Monde d'Elfscape est sur le point d'exploser. Son seul souci était apparemment le roman qu'il s'était engagé à écrire il y a dix ans en échange d'un confortable à valoir depuis longtemps dépensé, mais voilà que sa mère , qui avait quitté le domicile familial sans plus jamais donner signe de vie alors que Samuel avait onze ans, est projetée sous les feux de l'actualité.
Elle a en effet lancé une poignée de gravier sur un homme politique et l'événement entraîne des conséquences disproportionnées nécessitant l'intervention de son fils. Samuel va entreprendre alors un retour en arrière, dévoilant ses failles intimes, ses souffrances , mener une enquête sur le passé de sa mère, tant pour comprendre son attitude que pour essayer de trouver le moment où dans sa propre vie il a fait le mauvais choix.
Un roman foisonnant et pourtant très bien structuré dont on pardonne volontiers les quelques longueurs tant il est enthousiasmant. Multipliant les points de vue, les retours en arrière, tantôt drôle (les passages avec l'étudiante tricheuse sont un pur régal de mauvaise foi !), tantôt émouvant, Les fantômes du vieux pays entraîne son héros, et avec lui le lecteur ravi, dans un maelstrom de rebondissements , brossant au passage un portrait décapant de l’Amérique contemporaine. Un formidable roman d'apprentissage aux personnages très attachants et un pur de bonheur de lecture !
Si , comme moi vos poignets craignent le poids des 720 pages, pensez à la liseuse électronique, vous pourrez en outre mesurer combien d'heures de lecture- et donc de bonheur -vous restent à partager avec Samuel ,Faye et les autres.
Et zou sur l'étagère des indispensables !
Traduit de l'américain par Mathilde Bach
Le billet de Cuné.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : nathan hill
21/09/2017
Le couple d'à côté
"Le crime n'est pas son truc, visiblement,et pourtant il s'enfonce encore, il persiste à creuser."
Quoi de plus d'anxiogène que l'enlèvement d'une adorable petite fille de six mois ? Quoi de plus culpabilisant pour les parents que, la baby-sitter leur ayant faut faux-bond au dernier moment, de s'être rendus malgré tout à l’invitation de leurs voisins, sans leur bébé ? Visiblement le fait d'aller la voir toutes les demi-heures et la surveillance du baby-phone n'auront pas été suffisants.
Ravagés par la douleur, Marco et Anne voient débarquer dans leur maison si cossue la police qui ne va pas tarder à révéler bien des fêlures et des mensonges...
Avocate dans une première vie, Shari Lapena nous offre ici une intrigue riche en rebondissements et manipulations qui tiennent en haleine le lecteur, mais le laissent aussi un peu dubitatif. à trop vouloir montrer son savoir-faire narratif, le récit perd un peu en émotion.
En outre,les personnages frôlent la caricature, le style est à l'emporte pièces et les dialogues sonnent souvent faux. Autant de défauts expliquant mon jugement en demi-teintes. Un roman trop formaté à mon goût.
Le couple d'à côté, Shari Lapena, traduit de l'anglais (Canada) par Valérie Le Pouhinec, Presses de la cité 2017.
Déjà paru chez France Loisirs.
Lu dans le cadre du grand prix des lectrices de Elle.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : shari lapena, policier, suspense
20/09/2017
En vrac...
*Une dose de douleur nécessaire, Victoire de Changy,
Premier roman, roman d'amour entre une jeune femme et un journaliste, marié, père de famille, ayant le double de l'âge de son amoureuse. Passion toxique qui se termine par un renversement de situation qui n'a pas su me séduire même si l'écriture est très (trop?) travaillée. Éditions Autrement 2017.
*Le monde entier dans ma classe, Dominique Resch
Dominique Resch le reconnaît lui-même, maintenant que ses élèves savent qu'il écrit des livres les mettant en scène, il est devenu difficile de distinguer les "bons mots" spontanés des autres. D'où le plaisir moindre à lire cet opus.
En outre, utiliser et mettre en scène les défauts, et erreurs de ses collègues (y compris les siens d'ailleurs) n'a pas la même saveur...
Éditions Autrement 2017.
06:00 Publié dans Document, rentrée 2017, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : victoire de changy, dominique resch
19/09/2017
La tête et le cou
"L'homme était pris dans la vie sociale de telle sorte qu'il était plutôt un homme "collectif", et il lui était difficile d'incarner un homme ordinaire qui pouvait avoir des problèmes sexuels ou d'ordre amoureux."
Cette série d'entretiens avec trois générations de femmes russes parlant de leurs vies quotidiennes et de l'évolution de leurs pays m'a d'abord passionnée tant l'écart entre ce que nous en connaissons et ce qu’elles en disent est grand.Une Histoire douloureuse où les femmes ont su faire face et survivre dans un monde où les hommes étaient devenus rares, suite aux conflits armés.
Pourtant, au fur et à mesure mon intérêt diminuait tant ils étaient redondants. Seules l’analyse du psychanalyste et la postface de Hélène Yvert-Jalu ont vraiment su retenir mon attention en approfondissant la réflexion.
Lu dans le cadre du Grabat Prix des Lectrices de Elle
06:00 Publié dans Document, rentrée 2017 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : maureen demidoff
18/09/2017
Summer
"C'est donc ça. La réputation de ma famille, une fois de plus, l'image que nous donnons, de supériorité et de pouvoir."
Summer, dix-neuf ans, blonde, solaire, disparaît lors d'un pique-nique au bord d'un lac suisse. Vingt-cinq ans plus tard, son frère cadet, Benjamin, ne parvient plus à avancer dans la vie, bloqué qu'il est par le souvenir de cet été et par cette disparition inexpliquée.
"Et toujours en été" a-t-on envie de fredonner en lisant ce roman de Monica Sabolo tant l'impression de lumière prévaut dans ce texte. Pourtant, cette luminosité est contrebalancée par la métaphore filée de l'eau, à la surface certes brillante sous le soleil, mais dont les profondeurs se révèlent bien plus troubles et boueuses.
Ainsi en est-il de la vie de cette famille à qui tout semble sourire, où la superbe Summer, tel un cygne blanc attire tous les regards, tandis que son cadet se vit davantage comme le vilain petit canard dont chacun pense peut être en secret que c'est lui qui aurait dû disparaître.
Aveuglé par la colère envers ses parents, tout autant que par son amour pour Summer, Benjamin va remonter le fil du temps et mettre à jour tout ce qu'il avait occulté.
Roman poétique et entêtant, Summer distille au fil du texte des notations fugitives, comme autant d'indices qu'il faudra réagencer pour réinterpréter les fait a posteriori. Un texte qui a su me séduire, alors que j'avais beaucoup d'a priori en le commençant, craignant par-dessus tout que ce ne soit qu'un roman d'atmosphère et que je demeure frustrée par la fin. Rien de tel, bien au contraire.
Summer, Monica Sabolo, JC Lattès 2017, 316 pages troublantes.
Lu dans le cadre du grand prix des Lectrices de Elle.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : monica sabolo
14/09/2017
Dans le désert
"écrire un livre de voyage, c'est une déclaration d'amour. On égratigne parfois, on ironise, on témoigne des saloperies ou des absurdités dont on est témoin, mais on vante surtout des charmes, on dissèque la beauté, on tente de transmettre des sensations."
Devant un Qatar "fermé à double tour", une Arabie Saoudite "seul pays au monde qui ne délivre pas de visa touristique",un Bahreïn qui ne se laissera pas tromper par sa profession de "communication" et le renverra illico presto, il aura fallu bien de l'obstination pour que Julien Blanc-Gras parvienne à aller au-delà des avis tranchés pour atteindre son objectif humaniste de voyageur et établir de vrais contacts avec la population de ces pétromonarchies du Golfe.
Ce petit livre (181pages) regorge d'informations à la fois lucides et souvent humoristiques, mais version humour noir car la vie n'est pas souvent riante dans ces contrées où l'extrême richesse exploite sans vergogne les travailleurs asiatiques. Un document qui donne envie de connaître davantage ces pays, d'autant que le Qatar accueillera en 2022 la coupe du monde de football.
Dans le désert, Julien Blanc-Gras, le Diable Vauvert 2017.
Lu dans le cadre du Grand prix des Lectrices de Elle.
06:00 Publié dans Document, rentrée 2017 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : julien blanc-gras
13/09/2017
Inavouable
" -Je trouverai bien une idée quand j y serai, dit- il à voix haute prouvant par la même occasion qu il était le digne héritier de la tradition insurrectionnelle polonaise."
Quel est le rapport entre le premier attentat terroriste sur le sol polonais, le vol organisé d’œuvres d'art durant la Seconde Guerre Mondiale et une incroyable histoire d'espionnage ? C'est ce que vont devoir découvrir la cheffe du département de recouvrement de biens culturels polonais, un marchand d'art qui fut l'amoureux de la susnommée, un officier de services secrets polonais fraîchement retraité (mais qui a encore de très jolis restes) et une voleuse d’œuvres d'art.
Un drôle d'attelage donc, une sorte de Quatre Fantastiques, la référence est clairement donnée dans le texte, qui vont devoir conjuguer leurs talents pour faire face à de multiples rebondissements qui tiennent le lecteur en haleine.
Plus qu'un roman policier, nous sommes ici face à un roman d'aventures façon Indiana Jones, qui joue avec dextérité de tous les ingrédients requis: aspect bon enfant, violence, suspense, sentiments, le tout ponctué d’autodérision quant à la Pologne et ses usages. N'était une histoire d'espionnage tendance complotiste, j'aurais totalement adhéré à ce pavé de 591 pages qui se dévore d'une traite.
Inavouable de Zygmunt MILOSZEWSKI traduit du polonais par Kamil BARBARSKI Éditions Fleuve noir 2017
Lu dans le cadre du grand prix des lectrices de Elle.
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11/09/2017
Notre vie dans les forêts
"Ils nous traitent comme du bétail, je me suis dit. Ils nous infantilisent au point qu'ils ne nous avertissent pas de la procédure, même pas quand il s'agit de nos corps ! De mon corps !"
Après un essai sur une peintre allemande, revoici Marie Darrieussecq aux commandes d'une dystopie se déroulant dans un futur très proche, voire ayant peut être même déjà commencé.
Marie est psychologue, spécialisée dans le traitement des traumatismes, mais elle doute de plus en plus de l'efficacité des méthodes qu'elle applique. Tandis que dans son cabinet elle s'efforce de soigner, autour d'elle la société se délite et les libertés rétrécissent dangereusement. Mais un de ses patients va lui donner la possibilité de se rejoindre une bande d'humains et de clones libérés qui vivent au cœur des forêts.
Comme dans Truismes, la narratrice est empêchée dans son corps et se hâte de rédiger son histoire car la mort rôde. Mais là où le premier roman de l'écrivaine prenait son temps pour nous décrire les changements de la société, Notre vie dans les forêts est beaucoup plus court (189 pages) et le sentiment d’urgence encore plus grand.
Il y est beaucoup question de corps, augmenté par des implants et dont on change les organes comme autant de pièces de rechange si on est très riche. Le langage tient également une place importante, tout comme les clones dont la narratrice analyse avec finesse les interactions avec les humains.
Un roman surprenant, constellé de marque-pages.
Notre vie dans les forêts, Marie Darrieussecq, P.O.L 2017.
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06/09/2017
Mischling
"Il avait essayé de faire de nous des monstres. Mais, finalement, il était son propre défigurement."
Pearl et Stasha, douze ans, sontjumelles et, selon la législation en vigueur sous le IIIème Reich , elles sont aussi Mischling, ( d'ascendance partiellement non-allemande , c'est-à-dire, dans la plupart des cas, juive).
Cette double particularité fait qu'une fois déportées à Auschwitz, à l'automne 1944, en compagnie de leur mère et de leur grand-père, elles seront sélectionnées pour intégrer le "zoo humain" du Dr Mengele.
Sous des dehors extrêmement policés et souriants, celui qui se fait appeler par ses cobayes "Oncle" va, alors que l'armée soviétique est sur le points d'arriver au camp, séparer les jumelles et prendre la fuite.
Ses jeunes héroïnes utilisent le filtre de la fiction, de l'imaginaire pour survivre aux cruautés innommables qui leur sont infligées et aussi, tentent de manipuler avec leurs faibles ressources, cet "Oncle" monstrueux. Mais c'est surtout le lien indéfectible unissant les jumelles qui leur permet d’affronter le pire.
Alternant les points de vue des adolescentes, le roman relate tout autant la vie dans le camp que le chaos de l'immédiat après-guerre et en cela je l'ai trouvé extrêmement intéressant. Se basant sur une importante documentation , Affinty K réussit le pari d'une fiction à la fois crédible et déchirante, soulignant l'absurdité monstrueuse par exemple d'un match de football opposant détenus faméliques et gardiens, tandis que sur le bord du terrain pique-niquent sans vergogne les familles des dits gardiens.
Un roman que j'appréhendais vraiment de lire mais qui file directement, vu sa force, sur l'étagère des indispensables.
Mischling, Affinity K, traduit de l'anglais (E-U) par Patrice Repusseau, Actes Sud 2017, 362 pages piquetées de marque-pages
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : affinity k
04/09/2017
Vous n'êtes pas venus au monde pour rester seuls
"Je suis persuadé que si on arrête de raconter des histoires, on arrête aussi de vivre."
Le 29 juillet 2011, Sella observe ses voisins sous le choc de la mort de leur fille lors de la tuerie perpétrée par Anders Breivik sur l’île d’Utøya où soixante-neuf personnes, des jeunes pour la plupart, furent abattues.
Comment manifester sa compassion? Comment ne pas paraître intrusif, voyeur ?
Au fil des chapitres, alternant passé et présent, nous découvrirons que Sella et son mari ont eux aussi dû affronter un deuil personnel.
Deuil collectif, deuil personnel, comment faire face, comment commémorer ou non, comment être solidaire de la douleur des autres en trouvant la bonne distance ? Autant de questions que pose ce roman au rythme lent et tout en retenue.
Vous n'êtes pas venus au monde pour rester seuls, Eiving Hofstad Evjemon, traduit du norvégien par Terje Sinding, grasset 2017.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : eiving hofstad evjemon