19/08/2016
New York, esquisses nocturnes
"Le milieu, l'esbroufe, l'envie de gloire, les conversations blasées ou les interminables discussions critiques ne l'avaient pas encore polluée."
Raul Engales, peintre argentin en exil,bourré de talent mais qui tire le diable par la queue et tente d'oublier ceux qu'il a laissés derrière lui, Lucy, jeune banlieusarde de l’Idaho, émerveillée par Manhattan et sa faune et James Bennett critique d'art qui fait la pluie et le beau temps, tels sont les personnages dont les destins vont se croiser grâce à un tableau.
Tous trois portent des regards différents sur le New York de cette époque, New York qui est un personnage à part entière de ce roman et qui leur offre le succès mais aussi des épreuves terribles.En effet, pour l'un d'entre eux, il faut "Supplier New York de lui donner une chance en enfer."
Entremêlant les points de vue,Molly Prentiss brosse un portrait plein de vie du microcosme artistique du New York des années 80.
On sent beaucoup d'empathie de l'auteure pour chacun des personnages principaux et secondaires , dont elle aime peindre les particularités et les vies, sans jamais les juger. Elle parvient particulièrement bien à rendre compte des synesthésies que connaît James Bennett , qui lui assurent des critiques particulièrement originales et prisées.
Un premier roman brillant et sensible qu'on ne lâche pas. Un coup de cœur !
New York, esquisses nocturnes, Molly Prentiss, traduit de l'anglais (E-U) par Nathalie Bru, Calmmann-Lévy 2016, 413 pages piquetées de marque-pages.
Un coup de cœur pour Antigone !
06:00 Publié dans Rentrée 2016, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : molly prentiss
18/08/2016
L'administrateur provisoire
"Il y a sûrement quelque part dans son corps -mais où ? - un endroit où fouiller pour trouver cette parole arrêtée, mais je n'arrive jamais à remonter tout à fait assez haut, tout à fait assez loin dans le corps de mon père pour qu'on parle, ce qui s'appelle parler."
Pourquoi le frère du narrateur, hanté par la Shoah, est-il mort ?Pourquoi leur mère participe-t-elle à des réunions d'amitié judéo-chrétiennes alors que rien ne les relie à la religion juive ? à ces questions, et à bien d'autres, le narrateur entreprend de trouver des réponses.
Aidé d'abord par son oncle, puis par un historien, il découvre que son arrière-grand-père, Raoul H., a occupé, sous Vichy, le poste d'administrateur provisoire. Derrière ces mots,en apparence anodins, se cache une entreprise d'aryanisation collective, de spoliation des entreprises possédées par des personnes juives en France, que Raoul H. a mené sans états d'âme, "dans un style parfaitement neutre, très méthodique , scrupuleux". Une manière de procéder que l'on peut rapprocher de la formule utilisée à l'époque, "éléments juifs",qui ,en réifiant les personnes aseptise et déshumanise. Formule qui sera aussi utilisée par une gardienne du camp,de Bergen-Belsen.
Il règne dans le deuxième roman d'Alexandre Seurat une angoisse diffuse,créée par les non-dits ou le demi-vérités qui circulent dans cette famille bourgeoise aux liens distendus. La mère sème quelques indices , évoquant les romans de Modiano ou le texte d'Alexandre Jardin consacré à son grand-père collaborateur, sans jamais les nommer explicitement, tandis que le narrateur, lui, s'en tient aux faits, s'appuie sur des documents réels, cités dans le roman. Il redonne une identité- même si les noms ont été changés-, une histoire,aux victimes de l'arrière-grand-père. Il remonte à la source du secret de famille, mal qui a gangréné le corps et l'esprit de son frère, le conduisant à la mort et par-là même dévoile tout un pan encore trop mal connu de notre histoire.
Un roman nécessaire.
L'administrateur provisoire ,Alexandre Seurat, Editions du Rouergue 2016.182 pages glaçantes.
06:00 Publié dans Rentrée 2016, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : alexandre seurat
17/08/2016
Sous la vague
"Tout reprendre, tout détricoter et retricoter ensuite dans le bon ordre et avec patience. Raccommoder les lambeaux de ce qu'était devenue sa vie, remette les choses à leur place, reconstituer la logique des événements, leur lente dégradation, puis l'effet de cette dégradation elle-même dans son esprit, comme une contamination par un virus, avec mutation et progression [...]."
Le tsunami de 2011, non content d'entraîner une catastrophe nucléaire, va pousser Bertrand Nerger-Lafitte, à la tête d'une prestigieuse mais vieillissante maison de cognac, Sous la vague. Jugez un peu: effondrement des cours des spiritueux, tractations en sous-main d'un de ses associés pour l'évincer, aidé de surcroît par son ex-femme. Quant à sa fille, elle est enceinte d'un de ses ouvriers syndicalistes.
Bizarrement,le quinquagénaire, au fil des événements apparemment saugrenus qui s’enchaînent, constate que "sa vie, de fade et pâle qu'elle était devenue avec le temps, prenait soudain une profondeur insoupçonnée, un relief, une dimension. Une couleur."
Discrètement épaulé par Eddy son chauffeur d"une redoutable efficacité", Bertrand va progressivement évoluer, "expliquer le rôle de chaque élément, pourquoi avoir voulu achever un faon, pourquoi avoir changé d'avis et désiré le protéger, pourquoi s’être accroché à cette idée afin d'éviter le naufrage de sa propre vie."Entre autres. Faudrait-il simplement se laisser aller ?
Dans cette comédie sociale (que je verrais bien adaptée au cinéma), on retrouve l'humour et le talent d'Anne Percin pour brosser le portrait d'êtres attachants et hauts en couleurs. Tous existent à nos yeux, y compris les personnages secondaires et les animaux , qu'elle sait tout aussi bien croquer .
Riche en citations et en réflexions, ce roman ,en apparence léger,dénonce aussi au passage les travers et les dérives de notre société. J'ai pris un plaisir fou à dévorer ces 200 pages jubilatoires (piquetées de marque-pages) ! Je les ai même relues avec tout autant d'enthousiasme !
Sous la vague, Anne Percin, Éditions du Rouergue 2016
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien, Rentrée 2016, romans français | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : anne percin
16/08/2016
Le grand jeu
"J'ai investi cet environnement et ces conditions qui me permettent de n'être pas dans l'obligation de croiser tous les matins un ingrat, un envieux, un imbécile. Qui me laissent le loisir de penser à tout autre chose, dans une action utile et mécanique."
Une femme s'isole dans un refuge high tech, épuré, accroché dans la montagne. La fatigue, la faim font partie de ce qu'elle appelle "[mon] traitement." Elle n'est pourtant pas malade : "Je ne me suis pas détachée par erreur , ni par lassitude, ni par aveuglement. Je travaille à mon détachement. Je suis en pleine santé."
Elle entend confronter son corps et son esprit aux éléments, s'entraîner tant physiquement que mentalement et répondre à cette question : comment vivre ?
Elle a tout prévu, tout organisé et s'emploie à tirer le meilleur parti de son espace, cultivant, pêchant, explorant, interrogeant ses relations aux animaux. Tout prévu, sauf la présence d'une nonne ermite. Impossible de l'ignorer. à la moitié du livre s'enclenche donc une nouvelle dynamique qui culminera dans un finale à la fois logique et extrême, Le grand jeu.
Récit de la découverte progressive d'une pratique, Le grand jeu est un roman qui en déroutera plus d'un mais qui m'a enthousiasmée au plus haut point. C'est encore dans un nouvel espace que nous entraîne Céline Minard. On y retrouve son goût d'un vocabulaire précis, celui lié à tous les sports d'escalade et d'équilibre, son style aiguisé.
Ponctué de nombreuses interrogations, le texte incite son lecteur à la réflexion et lui offre de vivre, par procuration ,une expérience ontologique de retraite dans une nature extrême. On en ressort transformé.
Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Le grand jeu, Céline Minard, Éditions Rivages 2016,190 pages enthousiasmantes.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2016, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : céline minard