18/09/2015
L'ange de l'oubli
"Entre l'histoire officielle de l'Autriche telle qu'elle est proclamée et l'histoire effective s'étend un no man's land où il y a de quoi se perdre. Je me vois aller et venir entre une petite cave sombre et oubliée de la maison d'Autriche et ses vastes espaces clairs et richement décorés."
Dans les montagnes de Carinthie, à la frontière entre la Slovénie et l'Autriche, la minorité Slovène subit toujours le poids de la Seconde guerre mondiale qui a vu déporter les membres de cette minorité dans les camps nazis.
Entre une grand-mère survivante du camp de Ravensbrück et un père marqué par son engagement chez les Partisans (comprendre les résistants) la narratrice grandit et atteint l’âge adulte, comblant petit à petit les silences.
La forêt, les déplacements occupent une place cruciale dans ce récit de formation où la langue est elle aussi un marqueur essentiel. Se tournant vers le théâtre, la poésie, la narratrice s'affranchit peu à peu de ce passé de cet "enfermement dans son propre corps dont le métabolisme enferme le passé comme un microbe de la mémoire, un microbe vivant qui en certaines occasions prend possession de la personne, l'envahit et la scinde de tout le présent." pour trouver sa propre voie.
Un roman à la langue poétique et sensible qui m'a fait découvrir tout un pan de l'Histoire que j'ignorais totalement. Une lecture parfois exigeante, de nombreuses ellipses (on découvre au détour d'une phrase que l'héroïne a des frères et sœurs) mais très émouvante, sans jamais tomber dans le pathos.
L'ange de l'oubli, Maja Haderlap, traduit de l'allemand (Autriche) par Bernard Banoun,Métaillier 2015.
L'avis d'Hélène.
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : maja haderlap
17/09/2015
Ma mère, le crabe et moi
"Depuis la maladie de maman, je n'avais plus peur de me faire mal."
La mère tient un blog où elle dépeint une vie quasi idyllique, remplie de lectures et de petits plats,mitonnés avec amour pour une famille parfaite. La réalité est toute autre: elle est divorcée et vit seule avec sa fille, Tania, quatorze ans ,férue de "trucs un peu glauques, un peu sombres, voire carrément gothiques", Tania qui rue un peu dans les brancards face à cet enjolivement maternel de la réalité. Rien que de très normal donc.
La découverte du cancer du sein de la mère va changer la donne et transformer radicalement les deux femmes et les relations qu’elles entretiennent.
Tania, adolescente pleine d'humour, parfois vachard,n'hésite pas à tarabuster sa "mammouthe" et par là même à lui insuffler de l'énergie pour se battre contre la maladie. La solidarité qui s'instaure entre mère et fille e n'est pas dépeinte dans un but d'édification des masses ou de vidages de boîtes de mouchoirs en papier. Tania ne devient pas une adulte en miniature mais demeure bien une adolescente avec les réactions parfois excessives et les soucis de son âge: échapper au cours de sports, aux regards inquisiteurs des autres, mais aussi à cette fichue habitude de rougir quand Zlatan "le balourd des Balkans, alias le Yéti soviétique, alias La Patate qui venait du froid" lui adresse la parole...Et c'est ce qui fait toute la force de ce roman plein de vie, d'énergie et d'humour mais, qui ne nous voilons pas la face, m'a parfois mis les larmes aux yeux. Une description sensible et pleine de justesse .
Le joli marque-pages accompagnant ce roman rappelle qu'il est partenaire de la campagne officielle de sensibilisation de l'association " le cancer du sein Parlons en ! "dont acte.
Ma mère, le crabe et moi, Anne Percin, le Rouergue 2015, 127 pages juste parfaites.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans Jeunesse, l'étagère des indispensables, rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : anne percin, cancer du sein
16/09/2015
La défense
Les romans ayant pour thème un procès, surtout aux États-Unis, ce n'est vraiment pas ma tasse de thé.
Je les trouve trop pinailleurs et leur fonctionnement, à mille lieues des procès français, me laissent souvent avec un sentiment d’insatisfaction quant au triomphe , sinon de la vérité, du moins d'une certaine justice.
Rien de tel dans le très musclé, tonique et intelligent, premier roman de Steve Cavanagh, La défense.
Sur un canevas assez classique, un avocat est contraint de défendre le chef de la mafia russe locale.L'enlèvement de sa fille et une ceinture d'explosifs devraient l'encourager à se montrer persuasif et efficace.
Mission impossible ? Pas pour Eddie qui avant de devenir avocat était un escroc patenté , débrouillard et futé.
On sent l'auteur très à l'aise dans son récit dont il maitrise à la fois le rythme et les rebondissements. Pas de jargon, de l'efficacité et du punch, que demander de plus ?
La défense, Steve Cavanagh, traduit de l'anglais (iralnade) par Benoît Domis, Bragelonne 2015, 379 pages qui font le job.
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : steve cavanagh
14/09/2015
Le maître des apparences
-"Toute ma vie, Tansy, depuis ma petite enfance, les gens que j’aimais ou qui s'occupaient de moi m'ont quitté, largué, ou ont été emportés par la mort. Je veux savoir pourquoi."
Né en Malaisie, sir Edward Feathers, plus connu sous le nom de Filth, avocat international renommé travaillant à Hong Kong , rentre dans la mère patrie avec sa femme Betty, pour profiter de sa retraite.
Tous deux sont des "enfants du Raj", c'est à dire de l'Empire britannique, nés en Asie mais envoyés dès leur plus tendre enfance dans des familles d’accueil, plus ou moins tendres, puis dans des internats pour être éduqués en Angleterre.
Pas question à l'époque de se plaindre de mauvais traitements et encore moins du fait que votre famille vous traite avec une désinvolture frisant l'indifférence coupable.
Entremêlant les époques, Jane Gardam brosse le portrait éclaté d'un homme aux multiples facettes, qui" s 'est fabriqué ce moi acerbe et impeccable"marqué par un événement traumatique qui ne sera explicité qu'à la toute fin du roman.Bien loin d'avoir mené" une longue vie calme et lisse",comme le croient ceux qui le nomment "le Vieux Filth" l'octogénaire a connu une existence pleine de péripéties, digne d'un roman de Kipling, auteur dont l'ombre plane sur ce roman
.Les secrets enfouis, tout comme un collier de perles dont il faut taire l'origine, réapparaissent au détour d'une phrase et éclairent d'une nouveau jour cette vie tout sauf ennuyeuse.
Si Filth n'écrira aucune ligne de ses mémoires, il entreprendra un voyage qui tournera à l’épopée tragi-comique pour renouer avec les témoins d'un passé dont il sent qu'il ne peut faire l'économie.
Un roman à la construction impeccable, au début un peu lent, mais qui captive de bout en bout et se révèle plein d'émotions et de surprises car tout est vu du point de vue d'un personnage atypique.
C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai renoué avec l'écriture de Jane Gardam, une auteure dont il faut tout lire ! pour en savoir plus: clic et reclic.
Le maître des apparences, Jane Gardam,Éditions Lattès 2015.
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : jane gardam
11/09/2015
La vie selon Florence Gordon
"La croulante scandaleuse."
Florence Gordon, 75 ans, est une icône féministe à l'esprit aussi acéré que la langue.Plus penseuse qu'épouse, mère ,voire grand-mère, elle entend bien, vu son âge, se consacrer tranquillement à ses mémoires, mais le monde conspire pour qu'il en soit autrement.
Forcée de faire appel à sa petite fille, Florence entend bien ne pas lâcher le cap et ne pas changer d'un iota son comportement, tout sauf agréable.
Magnifique portrait de femme au crépuscule de sa vie, La vie selon Florence Gordon est aussi un récit de transmission. C'est plus par l'exemple que par les paroles que la grand-mère, tout sauf gâteau, montrera la voie à sa petite-fille.
Allez savoir pourquoi, tout au long de ma lecture, j'ai visualisé Florence sous les traits d'une romancière, non pas new-yorkaise ,mais britannique, la grande Doris Lessing, regrettant au passage que Brian Norton n'ait pas su donner davantage d'épaisseur à ses personnages. Un bon moment de lecture néanmoins.
L'avis de Cuné qui m'avait donné envie.
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : brian morton
09/09/2015
à parts égales
"Il me semble que la place de chacun a bougé, dans ce petit ballet."
Créatrice d'une entreprise familiale de céramique, Susie Moran ,l'âge venant, entend bien continuer à mener sa barque comme elle l'entend.
Ses trois filles, aux caractères et aux talents très différents, son mari, toujours accommodant, sans oublier les pièces rapportées, comprendre les beaux-fils, toute cette constellation bien huilée va voir son fonctionnement remis en question par les aspirations de chacun et surtout par l'arrivée surprise du père quasi inconnu de Susie, l'excentrique Morris.
Joanna Trollope a le chic tout à la fois pour raconter des histoires et croquer des personnages,bien ancrés dans une réalité quotidienne, ce qui nous les rend proches.Elle aurait pu faire de son héroïne un personnage tyrannique mais tel n'est pas le cas. Ses personnages sont nuancés et proposent des choix de vie parfois atypiques mais satisfaisants .Les dialogues sont francs mais jamais agressifs et l'on prend beaucoup de plaisir à cette lecture tout à la fois facile (et ce n'est pas condescendant de ma part) et agréable.
à parts égales, Joanna Trollope, Éditions des Deux terres, traduit de l'anglais par Johan-Frédéric Hel Guedj, 345 pages confortables.
Merci à Albertine Proust et aux Éditions des deux Terres.
06:04 Publié dans rentrée 2015, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : joanna trollope
31/08/2015
Quand le diable sortit de la salle de bain
"Il y avait bien entendu la question du crédit, ces satanées charges, mais je ne m'enlèverai pas entièrement du crâne que le travail, c'est aussi de la came, du chasse-conscience, c'est l'évacuation de soi par un moyen extérieur."
Sophie, trentenaire au chômage,connaît "la dèche" et en analyse avec précision les conséquences, l'une d’elle étant "de vous claquemurer dans vos soucis".à cet enfermement, à cette raréfaction des relations humaines aussi, s'oppose la grande liberté d'expression de la narratrice qui ne s'interdit rien ni les fantaisies typographiques, ni les remarques de sa mère qui commentent ses actions ( un peu comme une voix off), ni les longues énumérations foutraques (je n'aime pas les hommes qui... ), les listes de synonymes, l'intervention d'un diable lubrique, sans oublier celles un ami tout aussi désargenté qu’elle qui connaitra un entretien surréaliste et hilarant chez Pôle Emploi. Quant au plaidoyer du grille-pain qui ne veut pas être vendu, en vers raciniens, s'il vous plaît, c'est un petit chef d’œuvre d'émotion, si si !
Les ruptures de tons et la fantaisie débridée ne doivent pour autant pas faire oublier les descriptions très justes du monde de la restauration, la réflexion sur la manière dont ceux qui travaillent envisagent les chômeurs et l'impossibilité de partager avec sa famille, pourtant bienveillante, ses soucis.
Sophie Divry réussit un pari a priori fou: évoquer la pauvreté de manière extrêmement précise sans jamais tomber dans le pathos et en faisant tout à la fois sourire et réfléchir son lecteur.Jubilatoire.
Quand le diable sortit de la salle de bain, Sophie Divry, Notabilia 2015, 306 pages bourrées d'inventivité et d'énergie.
Cuné a aussi beaucoup aimé.
Yv, aussi !
06:00 Publié dans Objet Littéraire Non Identifié, rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : sophie divry
27/08/2015
Amelia
Quand Kate arrive en pleine journée au lycée de sa fille, il est trop tard: Amelia a sauté du toit .Pourtant rien ne semblait prédisposer cette élève intelligente et mature qui entretenait d’excellentes relations avec sa mère qui l'élevait seule à commettre un tel acte.
Alors qu'elle tente d'accepter la situation, Kate reçoit un SMS affirmant qu'Amelia n'a pas sauté.
Commence alors une exploration de l'univers de la jeune fille pleine de rebondissements et de révélations pour le moins surprenantes.
Pourquoi le cacher ? J'ai dévoré d'une traite ce roman hautement addictif , même si j'étais bien consciente qu'il fonctionnait sur des ressorts plutôt classiques (connaissons-nous vraiment nos proches ? l'amour d'une mère pour sa fille unique ). Classiques mais efficaces car, tout en variant les points de vue et les supports (textos, mails, conversations téléphoniques...) Kimberly McCreight sait raconter une histoire. Elle nous entraîne sur de fausses pistes, tout en dévoilant le petit monde pervers et hypocrite d'un établissement scolaire chic. Oui, le monde des ados est cruel et celui des adultes n'a rien à lui envier.
Si certains ressorts narratifs apparaissent a posteriori un peu outrés, il n'en reste pas moins que j'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce bon gros pavé de 523 pages où je ne me suis pas ennuyée une minute !
Amelia, Kimberly Mac Creight, traduit de l'anglais (E-U) par Éloïse Leplat, le cherche Midi 2015.
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : kimberly mc creight
26/08/2015
J'ai vu un homme
"Aucun de leurs choix n'avait été malintentionné. Et cependant, leur combinaison avait engendré plus d'obscurité que de lumière."
Pourquoi Michael Turner explore-t-il la maison de ses voisins en leur absence ? Voilà à peine sept mois qu'il s'est installé à Londres et très vite, il est entré dans l'intimité des Nelson, une sympathique petite famille.
Différant la réponse à cette question, le récit remonte le temps ...
Michael peine à se remettre du décès de sa femme, Caroline, journaliste tuée au Pakistan. Il n'est pas le seul : le commandant Mc Cullen ,responsable de cette mort, semble lui aussi perturbé par ce cadavre de trop et l'américain qui ne supporte plus d'être "dissocié de ses actes" , a bien l'intention d'agir et d'assumer les conséquences ,par-delà les frontières ,d'une décision prise sans états d'âme.
Owen Sheers , dès la première phrase de son roman, instaure un malaise qui ira s'amplifiant et perdurera même quand sera identifié "l'événement qui bouleversa leur existence". En effet, les liens , bien plus complexes qu'il n'y paraît à première vue, entre les différents personnages, vont les entraîner dans des chemins très tortueux .
Remords, conflits de loyauté, culpabilité sont analysés avec finesse et sensibilité. La narration est extrêmement efficace, le lecteur se perd en conjectures sur la nature de cet événement avant de rester le souffle coupé.Le récit,ponctué de réflexions sur l'écriture (Michael est écrivain), gagne encore en profondeur et crée même peut être une mise en abyme, comme semble le suggérer la dédicace...
Un roman qui nous ferre d'emblée et qu'on ne lâche pas car il allie , et c'est rare, qualité de l'écriture et subtilité de la narration. Du grand art !
Il y avait la page 51 de David Vann il y aura maintenant celle d' Owen Sheers (je me garderai bien de vous donner sa numérotation !)
J'ai vu un homme, Owen Sheers, traduit de l'anglais par Mathilde Bach, Rivages 2015, 351 pages insidieusement addictives.
Et zou, sur l'étagère des indispensables! Nuits blanches en perspective !
Une dernière citation pour la route :" Une histoire qui n'est pas racontée , dit-elle en le pointant d'un doigt accusateur, c'est comme une décharge. Enfouis-la tant que tu veux , elle finira toujours par refaire surface."
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2015, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : owen sheers
25/08/2015
La clé sous la porte
"S'il faut toujours penser qu'il y a pire pour se dire que ça va bien, c'est que quelque chose cloche sérieusement."
Et pour clocher,ça cloche sérieusement ! Que ce soit pour Ferdinand, pris en tenaille entre une épouse volage et sa fille, ado atroce; José retraité solitaire et endurci; Auguste, dont les parents abusent tout à la fois de sa gentillesse et de sa disponibilité, idem pour Agnès, dont la vie amoureuse est un désastre, mais sur qui ses frères comptent bien pour qu’elle se rende au chevet de leur mère qui agonise pour la énième fois.
Rien de glorieux donc, mais rien que de très normal et de très humain. Seulement cette fois nos anti-héros ont assez et vont ruer dans les brancards, chacun à leur manière, plus ou moins radicale .
Quel régal que ce texte à la fois tendre et caustique ! Un feu d'artifices de remarques qui sonnent juste et qui donnent la pêche !
Sans illusions, ni sur eux-mêmes ni sur les autres, Ferdinand, Auguste et les autres agissent enfin pour secouer leur joug et envoyer valser tout ce qui les forçaient à "abdiquer d'[eux-mêmes]". Tonique et jubilatoire !
La clé sous la porte, Pascale Gautier, Éditions Joëlle Losfeld 2015, 191 pages pour "ne pas désespérer de l'humaine espèce."
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : pascale gautier