12/09/2010
Retour aux mots sauvages
"Il a eu du mal au début: la parole contre le silence, la bouche contre la main, c'est un drôle de combat."
Cela aurait pu être pire, il aurait pu connaître le chômage. Et même s'il faut changer de prénom, endosser une autre identité pour les clients de la plate-forme téléphonique, devenir ce Eric qui va lire sur un écran des formules toutes faites, des mots calibrés, soigneusement pesés, l'ancien électricien devenu téléopérateur a eu de la chance: il est tombé sur une équipe sympa, où le chef a su garder humanité et compassion. Pourtant les suicides commencent à ne plus pouvoir être cachés au sein de cette entreprise qui ne sera jamais nommée. Comment ne pas se faire broyer par le travail? Comment revenir aux mots sauvages, aux mots libres, ceux de la vie non formatée ?
Thierry Beinstingel dresse un constat glaçant du monde de l'entreprise en prenant le point de vue d'un nouvel arrivant , doublement incongru car lui c'était avec ses gestes précis et efficaces qu'il se sentait réellement utile, non avec des mots creux qu'il faut savoir manipuler au gré des campagnes de vente.
En lisant ce roman, le lecteur ressent physiquement le malaise du narrateur dépossédé de son savoir, et de longues coulées de noms viennent accentuer cette impression. Un roman qui fait froid dans le dos mais qui témoigne aussi de l'humanité qui se niche dans les endroits les plus arides.
Retour aux mots sauvages, Thierry Beinstigel, Fayard, 295 pages nécessaires.
08:10 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : thierry beinstingel, souffrance au travail
09/09/2010
Mauvais élève
"A l'école, j'apprenais juste à voir les côtés moches de la vie. ça n'avait pas d'intérêt."
Mauvais élève !, pan !, comme un tampon sur la couverture du livre, comme un rappel de l'appréciation perpétuelle d'Arthus, petit garçon de dix ans , intelligent mais qui n'arrive pas à trouver sa place à l'école. Il est vrai qu'il n' a pas de chance non plus, doté qu'il est d'une maîtresse de CM 2 obnubilée par le programme à respecter, véritable machine à distribuer les punitions à tous ceux dont la tête dépasse et qui va bientôt faire glisser le petit garçon éveillé et curieux dans la catégorie des Invisibles, ceux à qui elle feint de ne plus prêter attention...
Heureusement Arthus a des atouts : ses parents, ses amis , son sens de la répartie et son amour de la beauté.
Audren, dans ce roman ne dresse pas un réquisitoire contre l'école. Non, par le personnage du directeur et par les réflexions des parents, le lecteur est amené à prendre conscience des difficultés de la maîtresse face à ces vingt-huit élèves, vingt-huit personnalités différentes auxquelles elle ne pourra forcément convenir.
En outre, malgré les difficultés, Arthus parvient toujours à rebondir et même à se rapprocher d'autres élèves dans la classe, élèves dont il appréciera finalement la personnalité :" Certaines personnes naissent avec le don de se rosir la vie. C'était son cas. Sourire, charmer, aimer, s'amuser, partager, quel joli programme en fin de compte !".
L'auteur dresse avec finesse, sensibilité et humour un portrait tout en délicatesse d'un enfant qui prend conscience des contradictions des adultes mais sait aussi profiter des instants de beauté, si fugaces soient-ils.
Il n'en reste pas moins que cette satanée Murielle, avec ses oeillères et sa volonté de mettre tout le monde dans le même moule m'a sérieusement agacée. Sa capacité à brider toute tentative de créativité de ses élèves m'a carrément fichue en rogne et m'a rappelé de mauvais souvenirs encore un peu frais...Car, même si je suis des deux côtés de la barrière, en tant que mère et en tant que formatrice, que je suis bien consciente, pour les vivre, des difficultés à enseigner, il n'en reste pas moins que l'étroitesse d'esprit de certains enseignants me hérissent sérieusement. Alors, évidemment, comme le remarque Arthus, il est plus facile pour certains parents de plaider la cause de leurs enfants, de par leur statut social, entre autres, face à ces tyranneaux de tableau noir, mais cela ne va pas sans difficultés et compromis.
Un livre pour redonner espoir aux enfants "qui ne rentrent pas dans le moule" et à leurs parents.
Un livre qu'il ferait bon aussi glisser dans chaque cartable d'enseignant...
Un vrai et grand coup de coeur !
Mauvais élève ! Audren, Neuf de l'école des Loisirs, 2010, 127 pages nécessaires.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : audren, échec scolaire
07/09/2010
Nagasaki
"Cette femme était à maudire. A cause d'elle le brouillard s'était levé."
Quelques indices lui ont mis la puce à l'oreille. Alors Shimura-san qui vit seul et mène une vie bien réglée entre la station météorologique où il travaille et sa maison, va installer une webcam dans sa cuisine. Bientôt l'impensable va se donner à voir...
Partant d'un fait-divers survenu au Japon, Eric Faye sonde avec finesse l'ambivalence des sentiments de ce personnage bien falot et interroge la notion d'intimité . Il souligne aussi l'absence de liens dans une société vieillissante où les androïdes seront de plus en plus amenés à se substituer aux humains.
Ni fantastique ni poétique le récit avance à l'image se son personnage principal, tout en retenue , suscitant d'abord l'étonnement et levant beaucoup d'interrogations chez le lecteur.Mais à trop vouloir boucler son récit bien proprement, l'auteur , tout à la fin ,lui fait perdre de son intensité. Dommage !
Nagasaki, Eric Faye, Stock 2010 , 108 pages denses.
Merci Cuné !
Choco a davantage apprécié.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : eric faye, japon, intimité, intrusion
06/09/2010
La belle Adèle
"Qui aurait parié un sou sur sa capacité cataclysmique ? "
Pour s'intégrer , se fondre dans la masse et mieux supporter "la dictature du collège", Adèle et Frédéric, qui sont juste amis depuis la maternelle décident de faire semblant d'être un couple. Cette stratégie fonctionne au delà de leurs espérances jusqu'à ce qu'Adèle se fasse rattraper par le battement d'ailes d'un papillon, enfin par les conséquences du cadeau d'anniversaire de sa tante..
La belle Adèle , d'abord édité en épisodes à lire sur téléphone portable , ce qui lui donne un rythme trépidant fort plaisant, aborde les thèmes de l'éveil de la féminité, de la célébrité passagère (subie) et insiste sur la disproportion pouvant exister entre un acte apparemment anodin et ses conséquences.
Mais à force de cavaler à toute allure les personnages , tout plaisants qu'ils soient, n'ont pas le temps d'être approfondis . Quant à la fin, plutôt télescopée ,elle résoud en un tour de main un problème grave et du coup perd toute crédibilité. Un roman qui possède donc les défauts de ses qualités .
La belle Adèle, Marie Desplechin, Gallimard 2010 , 155 pages qui plairont sans aucun doute aux collégiens.
L'avis de Clarabel.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : marie desplechin, s'intégrer, célébrité
03/09/2010
Zélie et les Gazzi
"Et comme ils s'ennuient, la journée se termine régulièrement par une bagarre."
Les Gazzi ? Des bandits à la petite semaine , des gamins dans des corps d'adultes, plus bêtes que méchants et qui , alors qu'ils projetaient un kidnapping ,vont se retrouver à quattre pattes en train de créer des déguisements avec Zélie , la fille de la couturière.
Evidemment , comme nous le montre la couverture, la petite fille va prendre le dessus , car elle est bien plus maligne que ces bandits d'opérette !
Comment lutter contre l'ennui, source de bien des ennuis ? Adrien Albert, aux commandes du texte et des dessins ( d'une fluidité remarquable) nous propose une solution qui plaira sans doute aux enfants en âge de lire la collection Mouche , mais pas qu' 'à eux !
Beaucoup de vivacité et d'humour, un régal !
Zélie et les Gazzi, Adrien Albert, Mouche de l'Ecole des loisirs 2010 .
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : adrien albert, ennui
02/09/2010
Grandir
Bien sûr, il y eut des fêlures , mais quand la mère, âgée, devient fragile, que la relation de "dépendance" commence à s'inverser, c'est l'occasion pour chacune d'elle de Grandir d'une manière différente et d'apprivoiser le temps qui passe .
Avec beaucoup de pudeur et d'élégance Sophie Fontanel nous livre ce beau récit entremêlant souvenirs heureux et découverte d'un tout autre univers, celui de la vieillesse et de ses aléas, en complet décalage avec le monde futile de la monde dans lequel évolue la narratrice. Des chapitres courts, comme autant de vignettes, pour dire la tendresse et les jolies choses dont il faut se souvenir, pour s'en servir comme d' un viatique.
A mille lieues de l'univers habituel (chichiponpon )de l'auteure.
Grandir, Sophie Fontanel, Robert Laffont 2010, 145 pages réconfortantes.
Merci à Stéphie pour cette découverte.
Antigone a aimé aussi
Une belle surprise pour Papillon
Un coup de coeur pour Keisha !
08:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : sophie fontanel, rapport mère-fille, vieillesse
01/09/2010
Fugue
"Il faut beaucoup de temps pour découdre les mauvaises raisons."
A force de crier le prénom de sa fille qui s'est échappée de l'école le jour de la rentrée, Clothilde a perdu sa voix.
Et c'est tout un bel équilibre qui s'effondre car la jeune femme va provoquer tour à tour l'incompréhension de son père, de son mari et de sa meilleure amie en refusant de se soigner à marche forcée. Elle sent en effet qu'il lui faut prendre son temps pour retrouver sa voix et sa voie ca ,paradoxalement, le chant va entrer dans sa vie et prendre une place prépondérante.
Qu'elle est attachante cette Clothilde qui , à son rythme, faisant fi pour une fois des contrariétés qu'elle engendre chez les autres en ne leur renvoyant plus l'image qu'ils avaient d'elle, va distiller les événements et tranquillement s'insurger : "qu'est ce que je disais de si important que vous voulez entendre ? ". Elle va posément, en acceptant les opportunités qui s'offrent à elle, retrouver le chemin de sa vie , fuguer tout en restant chez elle, ne plus se contenter d'être la fille , l'épouse , la mère, voire l'amie, à la vie bien lisse.
Aucun ressentiment pourtant, aucunne revendication forcenée, non juste un constat simple et lucide du besoin de consacrer son énergie à quelque chose qui la fasse se sentir en harmonie, qui la révèle à elle même, tout en la reliant aux autres.
Ainsi le titre du roman, Fugue, joue-t-il sur la polysémie de ce mot. La fugue c'est bien sûr l'escapade initiale de la fillette mais aussi le morceau de musique qui tisse des liens de par sa structure, comme le roman le fait ici, multipliant les points de vue et éclairant de manière très subtile la personnalité de ces femmes et de la constellation familiale et amicale qui l'entoure.
Un très beau texte, empli de poésie, où s'engouffrent des moments exotiques et colorés, un roman d'une grande justesse psychologique , un magnifique portrait de femme.
Un livre lu et relu, dont j'ai extrait une flopée de citations .
Notons au passage un petit clin d'oeil qui fait le lien avec le précédent roman de Anne Delaflotte- Mehdevi : "Le temps pouvait bien passer, tout lui prendre, elle avait chanté, comme un cuisinier cuisine, comme un maçon construit bien, un relieur relie, un marathonien arrive au terme de sa course."
Fugue, Anne Delaflotte Mehdevi, Editions Gaïa 2010, 336 pages sereines et pleines de vie (un viatique? )
La relieuse du gué, c'est ici !
Pour découvrir la lecture du chapitre 1 de Fugue, c'est ici.
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : anne delaflotte mehdevi
31/08/2010
Babyfaces
"Tu n'es pas grosse. Tu es puissante."
Pas facile la vie de Nejma. Même si elle n'est pas violente, tout le monde la craint dans son école primaire, car moche, mal habillée et renfrognée, ça fait beaucoup pour une seule fille . En plus, la voici accusée d'avoir salement amoché Jonathan Suyckerbuck, grand amateur de catch !
Il lui faudra accepter l'aide de son ami, le freluquet Raja et d'Isidore , le vigile du supermarché, pour se sortir de cette sale affaire et même se sortir du marasme qu'est sa vie.
Marie Desplechin prête toujours une attention particulière aux habitants de ce qu'on appelle "les quartiers", ces ensembles clos, excentrés, qui enferment les populations et les isolent. D'où l'importance d ela passerelle qu'emprunte Nejma et qui exerce parfois sur elle une fascination un peu morbide.
L'auteur s'est ici penchée sur le phénomène du catch , nouvel engouement des enfants, en particulier dans les quartiers populaires. Pas question pour autant de cautionner un phénomène qui peut s'avérer dangereux -voir l'accident de Jonathan et la fermeture (un peu trop) providentielle de l'école de catch. C'est dans un autre sport que Nejma trouvera sans doute sa rédemption.
Malgré la gravité de la situation décrite, Marie Desplechin parvient toujours à montrer à ses personnages une lueur d'espoir, reposant sur la solidarité et la fraternité. Seule, Nejma ne peut rien. C'est en s'ouvrant sur les autres et en acceptant leur aide qu'elle parviendra à s'en sortir. Un livre généreux et chaleureux. On n'en attendait aps moins de l'auteur de La prédiction de Nadia ,qui se déroulait aussi dans ces quartiers d'Amiens.
Babyfaces, Marie Desplechin, Ecole des Loisirs, collection neuf, 2010, 139 pages
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : marie desplechin, catch
29/08/2010
Vivement l'avenir
"La vie m'apprend de force, et c'est tant mieux."
Alex, jeune femme trentenaire volontairement sans amarres, a atterri un peu par hasard chez Marlène. Marlène , la forte en gueule qui malnène avec une belle ardeur la langue française et son mari , sans oublier celui qui lui pourrit un peu beaucoup ses rêves, son beau-frère handicapé, rebaptisé affectueusement Roswell par Alex.
Bien qu'elle s'en défende, la jeune femme va s'attacher de plus en plus à ce Picasso en volume ainsi qu'à deux autres garçons de son âge , Cédric et le Mérou, qui font le désespoir de leurs parents à osciller entre glandouille et chômage.
Cette rencontre sera peut être le déclic qui donnera envie à ces trentenaires angoissés de se lancer car "Combien de gens s'abonnent au malheur, tout seuls, comme des grands, et ne résilient plus jamais l'abonnement ? "
Des personnages sans prestige mais pas sans panache , une vie quotidienne parfois tristouille mais qu'il suffit de bousculer un peu pour la faire briller de nouveau, redonner un peu de lustre aux rêves du passé, voici un joli programme que nous propose Marie-Sabine Roger. On y croit le temps du livre et on collecte avec plaisir les citations comme autant de gri-gri pour les jours sans.
La construction alterne les points de vue et génère le sourire qand on voit comment une même situation peut être interprétée différemment par les protagonistes.
J'ai particulièrement apprécié le rapport aux mots qu'ont les personnages: Alex qui mine de rien rectifie les expressions de Marlène, qui s'enferre de plus belle, Le Mérou qui dispose de certains mots définitifs, mais aussi la poésie qui se fraie un chemin à travers le langage entravé de Roswell...Une écriture qui n'en fait jamais trop et ne tombe pas dans la joliesse, un très beau moment de lecture.
Vivement l'avenir, Marie-Sabine Roger, Editions du Rouergue, la brune 2010 , 302 pages Sschuper ! comme dirait Roswell.
Un grand merci Dame Cuné !
06:00 Publié dans rentrée 2010, romans français | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : marie-sabine roger, amitié
28/08/2010
Une forme de vie
"Les pays de l'Est sont excellents pour l'ego, je l'ai souvent remarqué."
A l 'opposé d'Un artiste de la faim kafkaïen, le G.I qui écrit d'Irak à Amélie Nothomb veut mettre en scène son obésité monstrueuse , devenir en quelque sorte un artiste de la graisse. S'engage alors un étrange échange de missives qui va susciter l'intérêt de notre romancière belge préférée.
Je n'aime que les romans d'Amélie Nothomb où elle se met en scène (voilà qui est dit ) avec une justesse et une attention aux autres tout à fait remarquables.
Ici, elle aborde avec finesse et précision les relations épistolaires qu'elle entretient avec ses lecteurs et cela nous vaut une description pertinente des vraies lettres qui ont "pour sens et mission l'épiphanie du destinataire."
La pirouette finale m'a un peu laissée sur ma faim mais j'ai retrouvé avec bonheur celle qui semble toujours être juste et ce quelque soit la situation (je l'ai vue dans ce qui s'est avérée être une émission littéraire qui tenait plus d'un jeu digne d'Intervilles que de Bouillon de culture et imperturbable, entre deux épreuves, parler sans faillir de son dernier roman !) .
Merci Cuné !
Mango a aussi été séduite.
Une forme de vie, Amélie Nothomb, Albin Michel 2010 , 169 pages, un assez bon cru .
06:00 Publié dans rentrée 2010, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : amélie nothomb, lettres, l'art de la graisse