09/09/2014
Un quinze août à Paris
"Mon univers intérieur avait enflé. Il avait débordé sur le monde extérieur, escamoté, et cependant je n’étais plus vraiment quelqu'un. ou seulement cette observatrice en arrière-plan, qui se contentait de juger avec intransigeance ce grand corps apathique."
En 2009, en plein été, Céline Curiol se retrouve aux urgences d'un hôpital parisien car elle n'a plus assez de médicaments pour tenir bon face à la grave dépression qui la lamine. Sa demande est traitée avec désinvolture par un corps médical débordé et/ou qui ne prend pas la mesure de la souffrance ressentie.
Cinq ans plus tard, guérie, Céline Curiol entreprend le récit de cette lente remontée vers le plaisir. Elle analyse avec précision, convoquant aussi bien les écrits scientifiques que romanesques, les mécanismes de réappropriation de son corps, de son rapport au temps, de sa lutte contre l'angoisse, contre le manque de volonté qui la terrasse.
Pas question ici d’auto-apitoiement , à peine mentionnera-telle, comme en passant les deux pertes déclenchant ce qui couvait sûrement à bas feu depuis longtemps, mais une description au plus près de ce qu'on ne décide pas de "faire " comme on le dit trop souvent mais qu'on subit de plein fouet. Un récit comme j'en ai rarement lu. Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Un quinze août à Paris, Céline Curiol, Actes Sud 2014.205 pages couvertes de marque-pages et une bibliographie très riche.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Récit | Lien permanent | Commentaires (14)
26/08/2014
Des objets de rencontre
"J'entends une dame dire à son amie : "Ah, qu'est-ce qu'ils sont bien chez Emmaüs, dis donc, ils recueillent même les écrivains ! ""
Pendant neuf mois, l’écrivaine Lise Benincà s'est installée à un "bureau de passage" au beau milieu des objets hétéroclites, ayant vécu plusieurs vies, voire plusieurs passages dans le même endroit: un espace de vente d' Emmaüs Défi.
Son objectif initial était de valoriser, de présenter sous un nouvel angle ce que l'on perçoit trop souvent comme un bric à brac pittoresque mais qui témoigne de parcours de vie et représente aussi la possibilité de s'équiper à moindre coût ou de s'offrir un peu de rêve pour les plus démunis.
Très vite, les salariés en réinsertion professionnelle,ayant eux même connu des parcours chaotiques, se sont glissés dans le projet de l'auteure , que ce soit par le biais d'ateliers d'écriture qu'elle a organisés ou tout simplement par les textes très justes qu'elle leur a consacrés.
Le risque, souligné d'ailleurs par l'auteur, dans ce type de démarche est la condescendance (façon dame patronnesse d'autrefois) car "La ligne est mince entre un regard que l'on croit sincère et un regard faussé."mais Lise Benincà a su éviter cet écueil et nous présenter de manière sensible et extrêmement neuve , fraîche un univers à mille lieues de ce qu'on en imaginait. "C'est sans doute une vision tronquée, au moins en partie, mais j'ai l'impression que les personnes qui travaillent chez Emmaüs savent vraiment pourquoi elles y viennent chaque matin On n'y produit rien de plus que ce qui existe déjà, on ne rajoute pas des objets à un monde déjà encombré , on les recueille. On ne produit pas autre chose que de l'entraide ,du lien social, de la dignité."
207 pages revigorantes.
Des objets de rencontre, Lise Benincà, Joëlle Losfeld 2014.
Merci, Cuné !
06:00 Publié dans Récit, Rentrée 2014 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lise benincà, emmaüs
08/08/2014
Moyenne
"Je vais finir par devenir trop vieille pour devenir grande."
Ne nous leurrons pas : si j'ai acheté ce livre c'est plus pour son titre (quelqu'un qui se revendique Moyenne dans un monde où règne la compétition, ça intrigue) et pour son auteure (la sœur d'une actrice qui bénéficie en ce qui me concerne d'un gros capital sympathie) que pour son thème.
Récit à la première personne du parcours d'une femme qui va devoir se dépasser parce que la naissance de sa fille grande prématurée et handicapée moteur bouleverse sa vie, Moyenne a su m'étonner par bien des aspects.
D'abord par la personnalité de Laurence Kiberlain qui ne se pose jamais en victime, n'agresse (verbalement) personne , même si elle pointe parfois posément au passage les incohérences, les incompétences, la mauvaise foi qui vont accompagner son parcours et celui de sa fille. On sent que c'est une belle personne qui a su s'adapter et évoluer pour elle-même et pour sa fille.
Enfin par le style de ce récit, simple mais pas simpliste, sans effets de manches ni pathos.Posé. On sourit parfois aussi de ses analyses : "Je ne m'y connais tellement en rien que j'ai du recul en tout.", on admire sa lucidité et son courage. Un bon moment de lecture.
Moyenne, Laurence Kiberlain, Livre de poche 2014, 136 pages et quelques illustrations de l'auteure (dont la couverture) et une flopée de marque-pages.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : laurence kiberlain
14/07/2014
Patients
"Je découvre les joies de l'autonomie zéro, de l'entière dépendance aux humains qui m'entourent et que je ne connaissais pas hier."
A deux semaines de son vingtième anniversaire, Fabien heurte le fond d'une piscine pas assez remplie . Le diagnostic tombe: risque de paralysie à vie.
De cet accident de plongeon (deuxième cause de tétraplégie après les accidents de la route), à la réanimation où il a le temps d'observer consciencieusement la couleur du plafond et sa teinte, en passant par les centres de rééducation où il rencontrera de drôles de loustics, gais ou tristes , Fabien raconte avec humour et sensibilité, sans auto apitoiement, le passage brutal de sa condition de valide à celle d’handicapé.
Dans ces centres, le tragique côtoie l'humour volontaire ou non,mais quand on a vingt ans , même en fauteuil roulant, c'est aussi l'âge des conneries, aussi limitées soient-elles ! Un récit plein de vie qui analyse avec lucidité le regard que l'on porte sur les handicapés:"Pour ceux qui n'ont pas l'habitude de le côtoyer, le statut d'handicapé (surtout en fauteuil roulant) est tellement marquant (effrayant, dérangeant ) qu’il masque complètement l'être humain qui existe derrière. On peut pourtant croiser chez les personnes handicapées le même genre de personnalités qu'ailleurs : un timide, une grande gueule, un mec sympa ou un gros con."
Patients *Grand Corps Malade, Points Seuil 2014, 166 pages enlevées.
*"Quand tu es dépendant des autres pour le moindre geste, il faut être pote avec la grande aiguille de l'horloge. la patience est un art qui s'apprend patiemment."
PS: je en connais pas bien les textes de slam de Grands Corps Malade, mais la personnalité sympathique de ce grand gaillard m'a donné envie de lire son récit et je ne le regrette pas .
Pour continuer sur un thème identique, avec une écriture plus travaillée , on lira de Régine Detambel:Son corps extrême .clic
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : grand corps malade, fabien marsaud
02/06/2014
Les oies des neiges
"J'avais l'impression d'exister entre deux pôles, le connu et le nouveau, et je me sentais alternativement attiré vers l'un ou l'autre."
Revenu dans la maison familiale pour une période de convalescence , suite à une hospitalisation,l'étudiant Ralph Fiennes se rend vite compte que, malgré la sollicitude des siens ,il se sent à l'étroit, au sens propre et au sens figuré , dans ce qui n'est plus son "home". Il commence alors à s'interroger sur la notion de "chez soi " et la redécouverte par hasard d'un roman lu dans l'enfance, L'oie des neiges, va l'inciter à suivre ces oiseaux dans leur périple de près de cinq mille kilomètres.
Rien ne prédisposait l'auteur (qui oui est bien apparenté aux acteurs Ralph et Joseph) à entreprendre ce voyage et cette méditation sur le mal du pays, la nostalgie, le tiraillement perpétuel entre l'envie de bouger et de se fixer, de rester seul ou d'aller à la rencontre des autres. Il aura fallu la conjonction de ces deux événements, la maladie et le roman pour que naisse Les oies des neiges.
Si le rythme est parfois lent, l'écriture est poétique, très visuelle, et nous glanons plein d'infos non seulement sur les oies (dont le trajet n'est en rien linéaire) mais aussi sur les hommes et femmes rencontrés par l'auteur. Un récit constellé de marque-pages !
Les oies des neiges, William Fiennes, Hoëbeke 2014, traduit de l'anglais par Béatrice Vierne,279 pages pour les amoureux des voyages et des animaux.
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : william fiennes, oies des neiges
17/04/2014
chroniques de new york
"Pour paralyser une ville, les Français peuvent compter sur leurs manifestations et les Américains sur leurs parades."
Journaliste française installée à New York, Cécile David-Weill dans ses chroniques s'amuse à croquer toutes les particularités de cette ville , de ses habitants et de leurs mœurs.
De quoi satisfaire notre curiosité dans de nombreux domaines, voire de nous effarer face à certains comportements comme cette course à l’échalote visant à inscrire dès le plus jeune âge ses enfants dans une école privée cotée.
Invasion de punaises de lits qu'on s'efforce de passer sous silence, rat géant, voire cercueil contenant un cadavre de cire, utilisés par des grévistes, restaurants à la mode (mais le sont-ils encore ? ), les comportements new-yorkais paraîtront fortement exotiques à nos yeux français. Plein d'infos donc dans ces chroniques auxquelles on reprochera pourtant un ton un peu plat et un intérêt centré très largement sur un mode de vie aisé.
Livre de poche 2014, 186 pages et des adresses à la fin de chaque chronique.
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : cécile david-weill
12/03/2014
Karina Sokolova
"Je voudrais faire de ce livre une petite flamme de chaleur, dans un coin de ta vie, que je veux belle, comme tu l'es, toi capable, sans l'avoir jamais appris, sans en avoir jamais reçu que des miettes, de diffuser autour de toi de l'amour et du bonheur, comme si tu les inventais."
Adopter un enfant a toujours été pour Agnès Clancier une évidence. Cette évidence , elle a su la mener à bien en adoptant une petite ukrainienne de trois ans. Ce récit lui est destiné. Et s'il fait l'économie des embûches, des mesquineries familiales, c'est parce que l'auteure prend le parti de privilégier l’émerveillement et l’évidence de ce lien qui s 'est tissé entre la petite bonne femme de trois ans et l'adulte qui doute souvent d'être "une bonne mère", si tant est que cela existe, mais saura toujours trouver l'énergie et les ressources pour affronter ceux qui ne supportent pas le clou qui dépasse. Parce que oui, cette petite fille souriante et ouverte ne correspond pas forcément aux normes, mais elle est devenue une adolescente qui a appris à pleurer, n'a plus peur de l'avenir et qui est est pleine de gaieté !
Sans angélisme, mais avec une écriture lumineuse et pleine de délicatesse, Agnès Clancier nous peint l'histoire d'une résilience et d'un amour qui a su vaincre les incertitudes. Magnifique !
Karina Sokolova, Agnès Clancier, Arléa 2014, 227 pages lumineuses.
Le billet tentateur de Cuné
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : agnès clancier
15/10/2013
Instinct primaire
"Il est hors de question de vivre avec des regrets rien que pour rassurer ceux qui n'ont pas le culot de vivre."
La narratrice a choisi de ne pas se marier, de ne pas avoir d'enfants, des exigences assumées sur lesquelles personne ne devrait avoir droit de regard. Et pourtant ces choix de vie dérangent aussi bien l'homme qu'elle aime- et à qui elle écrit cette longue lettre- que ses amies mariées et mères de famille.
Avec rigueur et méthode, Pia Petersen défend son point de vue féministe, n'hésitant pas parfois à se montrer extrémiste, à débusquer les hypocrisies sociales et ça fait un bien fou.
Un livre dérangeant dans le meilleur sens du terme. Une lettre qui devrait engendrer bien des polémiques dans le ronron ambiant.
Instinct primaire, Pia Petersen,
Le premier livre de ma liseuse !
le billet de Gwenaëlle, la tentatrice!
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : pia petersen, relation hommes femmes mode d'emploi
16/06/2013
Les nuits mouvementées de l'escargot sauvage
"L'escargot avait été pour moi un véritable mentor. Sa minuscule existence m'avait soutenue."
Une maladie mystérieuse et invalidante contraint Elisabeth Tova Bailey à rester alitée. Une amie lui offre un pot de violettes des champs et un escargot, un peu de la nature dans laquelle l'auteure ne peut plus se promener.
Cette amie est loin de se douter de l'observation passionnée à laquelle va se livrer Elisabeth Tova Bailey et des enseignements que celle-ci va en tirer. Ce gastéropode modeste et discret va se révéler tout à la fois inspirant et diablement surprenant par ses capacités ! Tout le talent de l'auteure est de nous faire partager sa réflexion sur le temps, la maladie, inspirées par la lenteur pourtant efficace de l'animal, de nous le rendre à la fois sympathique et passionnant ! Des notations humoristiques ponctuent ce texte fluide , jamais ennuyeux : "L'activité idéale [pour lui] est l'absence d'activité, à laquelel il s'adonnera de préférence en cachette et le plus souvent possible."
Jamais doloriste, ce court essai (160 pages) est à la fois poétique, empli d'informations scientifiques tout à fait accessibles , et surtout il nous propose une réflexion sur la vie quand elle bascule dans la maladie extrêmement pertinente. Un livre tout hérissé de marque-pages et qui file, zou, sur l'étagère des indispensables !
Les nuits mouvementées de l'escargot sauvage ( The sound of wild snail eating), traduit de l'anglais (E-U) par Marie-Céline Mouraux, autrement 2013
Merci à Dominique pour son billet drôlement tentateur !
Le site de l'auteure, où vous pourrez ,entre autres, écouter le son produit par un escargot en train de manger !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Récit | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : elisabeth tova bailey, escargot, maladie
29/04/2013
Dressing
"Nous prêtons au vêtement la capacité de nous faire paraître autre."
Vestiaire de Jane Sautière ne vise pas à la théorisation du vêtement mais entend "joindre, [...]laisser voir endroit et envers, le vêtement comme récit de son porteur."
L'aspect quelque peu décousu (en apparence) des textes ,courts et espacés, l'édition dans laquelle est publiée ce texte, me laissaient craindre le pire mais c'est le meilleur que j'ai trouvé. Passant en revue des vêtements portés , comme on ferait glisser des vêtements sur des cintres d'un dressing, Jane Sautière, qui travaille en milieu pénitentiaire, à mille lieues donc du monde de la mode, évoque avec une langue précise et poétique les liens qui unissent le vêtement et son porteur. Les réflexions sont à la fois précises, on n'arrête pas de se dire "C'est exactement ça" et sensuelles tant le style est au plus près de ce qu'il évoque.
à la fin de la lecture, les 147 pages sont , évidemment, toute bruissantes de marque-pages. Une très jolie découverte qui nous fera envisager d'un autre oeil nos relations , pacifiées ou compliquées, aux vêtements. On se love dans ce texte comme dans un vieux pull chéri...
Dressing, Jane Sautière; Verticales 2013.
Un extrait, juste pour donner envie "Habits, habiter, habitus, être là, vivre ici. Et avoir un manteau. Je crois les avoir tous en mémoire, sans doute parce que leur achat était un geste lourd dans mon enfance. un investissement resque "immobilier" , non seulement du fait de son prix élevé , mais bien parce que le manteau est bien une sorte de maison, un enclos, une hutte contre les froids de nos hivers, mais qui permet de sortir, d'être dehors , de devenir une passante. le manteau me rend passante dans les rues froides de la ville."
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : jane sautière, vêtements