11/03/2014
Je suis debout
"L'hiver sera ici.La mousse glaciale du givre raidira les feuilles encore vertes. La dernière scarole sera fichue. L'hiver va mordre les gencives rouges des chanteurs de rue. Ils bredouilleront vaguement des cantiques vermoulus en offrant à la ronde des chapeaux renversés."
Lucien Suel s'est fait connaître récemment du grand public avec trois romans où la poésie avait la part belle : Mort d'un jardinier (clic), La patience de Mauricette (clic) et Blanche étincelle (reclic).
Mais cela fait bien longtemps qu'il "capte les pensées fugitives , la prose bop spontanée, le cut-up des langues, sans hiérarchie ni sélection. Rien que la vie brute" Et pour cela , il s'empare avec enthousiasme et plie à ses envies toutes les formes de poésie à sa disposition : calligrammes -pour mieux figurer les terrils-, haïkus, prose poétique, alexandrins ... autant de cadres pour jouer avec les mots, leurs sonorités : "Dans le tumohubohulte d'azur et d'acier, le promeneur est un espion, un danseur sur la scène sur le champ de bataille."
Une belle énergie pour dire et vivre "la quotidienneté en continu", cueillir des alexandrins qui nous avaient échappé, souligner l’absurdité de ce que nous nous contentons d'effleurer, faire sourire et réfléchir tout à la fois : "La campagne, de publicité, était souillée".
Rien n'est indigne de la poésie: le déambulateur, les lunettes, le pèse-personne, le téléphone mobile. Rien n'échappe à l'attention du poète, à son intérêt. Il scrute, pointe des mots les incohérences de notre époque et réaffirme aussi son amour de la Beat Generation. ça pulse, ça vibre et je n'ai qu'une hâte: entendre ce soir Lucien Suel faire vivre avec intensité ses textes.
Ce sera au bateau Livres à 19 h à Lille.
Je suis debout , recueil regroupant des poésies déjà parues ou inédites, Lucien Suel, La table ronde 2014.
06:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : lucien suel
24/12/2012
Offrons le globe aux enfants
Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore,
Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme,
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.
Offrons le globe aux enfants
Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie,
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.
Dünyayı verelim çoçuklara
Dünyayı verelim çocuklara hiç değilse bir günlüğüne
Allı pullu bir balon gibi verelim oynasınlar
Oynasınlar türküler söyliyerek yıldızların arasında
Dünyayı çocuklara verelim
Kocaman bir elma gibi verelim
Sıcacık bir ekmek somunu gibi
Hiç değilse bir günlüğüne doysunlar
Bir günlük de olsa öğrensin dünya arkadaşlığı
Çocuklar dünyayı alacak elimizden
Ölümsüz ağaçlar dikecekler
Nâzım HİKMET (1901-1963)
Joyeux Noël à tous !
06:00 Publié dans Bric à Brac, Poésie | Lien permanent | Commentaires (12)
11/10/2012
Si je suis de ce monde
"Tenir des livre dans ses
bras voyagés là posés plan-
tés poussant du sol piles
renversées égratignées pa-
quets de phrases portées
debout."
Dans Si je suis de ce monde, Albane Gellé invente une forme compacte, une seule phrase, commençant immuablement par l anaphore "Tenir" et se terminant par "debout", comme des butées pour mieux cadrer le texte et le maintenir au centre de la page. Seul varie le contenu, sans ponctuation, au lecteur de la rétablir, parfois hachée, parfois coulant d'un seul souffle.
Dans ces petits pavés , l'auteure joue avec le lecteur qui guette les variations autour de "tenir" et le surprend souvent, l'emmenant dans des chemins de traverse qui vivifient une langue en apparence simple. Au fil des textes, des animaux, des éléments naturels sont convoqués pour dire la volonté de résister malgré les obstacle , quelle que soit leur nature: "(vitesse ogresse des journées)" ou "cerisier en équilibre sur roulis d'un jardin calme", "comment garder de l'air assez dedans parmi rouleaux de mer draps dépliés et noeuds".
Des vignettes, des cailloux traçant un chemin où chacun piochera à sa guise pour trouver de quoi Tenir debout, une poésie fraîche et revigorante. Un grand coup de coeur , pour le texte et pour une édition magnifique, tant par la typographie que par la qualité des papiers employés !
Un grand merci aux Editions Cheyne et à Libfly !
Lu dans le cadre de La voie des Indés (lisez hors pistes !)
06:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : albane gellé
14/03/2012
Vrouz
Voici du VROUZ ! annonce le bandeau de couverture. Du Vrouz? Un mot-valise plein d'énergie créé par l'acteur Jacques Bonnaffé (avec Sardine Robinson et Adèle Cockrobin) pour désigner V(alérie) Rouz(eau).
Et de l'énergie il y en a dans ce recueil de poèmes qui m'a enthousiasmée du début à la fin !
L'auteure fait feu de tout bois et recycle avec un humour parfois caustique les messages formatés de notre quotidien, qu'ils figurent sur une emballage de cigarettes , une notice de médicaments, voire une feuille de résultats d'analyses ! Elle nous entraîne dans son univers, qui pourrait être le notre, celui d'une quadra qui s'affirme dès le premier vers "Bonne à ça ou rien" , énumère ses incapacités , parfois cocasses, parfois plus sombres ,avant de conclure
"Pas fichue d'interrompre la rumeur qui se prend
Dans mes feuilles de saison"
et c'est tant mieux !
Une grande liberté aussi dans l'incorporation des citations d'auteurs chéris (et dûment répertoriés dans les notes de fin de volume- la dame est fort honnête et nous invite par la même occasion à emprunter de nouveaux chemins -) dans l'utilisation des registres de langue, voire de mots anglais. N'oublions pas en effet que Valérie Rouzeau est traductrice et spécialiste de Sylvia Plath.
Ces jeux sur les sons et les rythmes entraînent parfois la suppression des déterminants et des rencontres lexicales parfois brutales pour dire le monde où les humains sont réifiés, aussi interchangeables et remplaçables que leur téléphone (page87) sonnant dans une poubelle.
Les tonalités diffèrent donc, mais si les nuages et la pluie semblent omniprésents, le temps n'est pourtant pas à la mélancolie facile. L'auteure se livre sans fards , laissant deviner les marques de l'âge, les découragements devant cette "époque médiatique" si creuse et nous offre un très joli autoportrait (page 156) où elle affirme:
"Ne suis pas très causante encore moins conviviale
Quand vos paroles sont tellement toujours les mêmes
Interchangeables et creuses formules des tics en toc"
et renouvelle page 114 le thème de la Supplique pour être enterré en demandant :
"Plantez un chêne pour la rouzeau
Du vertical pour l'horizon
Puis de l'herbe bien folle autour
Plutôt qu'un gazon dormitif"
Une bien dynamique façon d'envisager le paysage qui abritera son corps !
Pour conclure une dernière citation :
"J'ai l'amour spontané de mon prochain saud quand
Mon prochain s'intéresse de trop près à mon goût
à ma personne gentille et froide et solitaire
Alors là je m'éloigne à grande enjambées
Du buffet dînatoire où j'étais conviée
Et je rentre chez moi savourer mon congé"
Un recueil tout bruissant de marque-pages (un paquet y est passé !)
Vrouz, Valérie Rouzeau, La table ronde 2012, 169 pages toniques et jubilatoires !
Et zou , le voici promu d'emblée livre de chevet !
06:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : valérie rouzeau
07/03/2012
Une poétesse contemporaine...
...en couverture , un événement rare ! j'ai hâte de me procurer ce numéro !
06:00 Publié dans Bric à Brac, Poésie | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : valérie rouzeau
18/01/2012
Pour un matin pas chagrin...
07:10 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : haïku
10/12/2011
Si je pouvais vivre une nouvelle fois ma vie
06:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : josé luis borges
06/07/2011
Ariel...en poche, enfin !
"Elle a l'habitude de ce genre de choses.
Et ses ténèbres craquent et ses ténèbres durent."
Comme le rappelle Valérie Rouzeau dans sa préface"la biographie occulte parfois l'oeuvre [de Sylvia Plath] et c'est dommage."
S'imposant défi sur défi ,cette jeune poétesse américaine qui par amour pour Ted Hughes, s'était installée en Grande-Bretagne, avait laissé un recueil de poèmes encore en chantier , Ariel, poèmes dont elle était persuadée "Qu'ils feraient sa renommée" et qui ne paraîtront qu'en 1965, deux ans après que Plath se soit donné la mort.
Les notes de la traductrice- et poètesse elle même- Valérie Rouzeau- éclairent les poèmes et d'emblée nous précisent l'ordre voulu par Sylvia Plath pour organiser ce recueil, ordre que changea son mari Ted Hughes.
Si comme moi vous attendiez que ce recueil sorte enfin en poche, vous ne pouvez que dévorer ces poèmes fiévreux , pleins d'énergie, solaires , brassant les thèmes de la mort, de la chair corrompue, de la résurrection aussi, traversés par la luminosité des voilages blancs et du rouge qui blesse les yeux. ..
112 pages qui vont m'accompagner longtemps.
06:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : sylvia plath, valérie rouzeau
23/06/2011
La vie sexuelle des libellules
"Des fois elle est chiante la poésie
Elle arrive sans qu'on l'invite"
prologue :ouvert au hasard en pleine période toutmetombedesmains *, je découvre ceci :
"Pas envie de lire
sauf une lettre anonyme
truffée d'insultes injures insinuations salaces
que je trouverai dans ma boîte aux lettres un samedi matin
en revenant du marché
C'est sûr je reconnaîtrai l'écriture
puisque c'est moi qui l'écrirai"
J'étais cuite.
Des libellules et de leur vie sexuelle il n'en sera fait mention qu'une seule fois, au passage. Tant pis pour les odonatologues **, tant mieux pour les amateurs de poésie, libre et foutraque car Bernard Friot se lâche dans ces textes jouant avec l'espace, avec les mots, y compris les gros, dans une énergie débordante et jubilatoire.
Pas de titres, sauf parfois un vers qui se détache et qu'on pourrait considérer comme tel. Pas facile donc de les identifier mais pas grave, on s'en arrange et on avance. Comme on s'arrange de cette vie quotidienne semblable à un théâtre où des "morts vivants" sont "trimballés cahin-cahot dans le bon vieux métro brinquebalant". Heureusement que le poète-Créateur est là pour "allumer dans leur cervelle éreintée quelques ampoules / basse tension .
Célébrant l'amitié "allez on continue", l'imagination, Bernard Friot vitupère contre cette société qui fait la part belle aux messages prémâchés de la publicité:
"fraîcheur citron en super-promotion
donnez-moi ma ration d'illusions"
A chaque page, on glane des vers, des trouvailles, des surprises en pagaille et les "dessins et gribouillis" de Bruno Drouin, sans oublier une couverture facétieuse qui joue aussi les 4 èe de couv', (gare aux étourdis qui trouveront le texte sans dessus dessous !)contribuent à cette atmopshère créative en diable !
La vie sexuelle des libellules, Bernard friot, Milan 2011, 93 pages*** enthousiasmantes !
*Oui, je sais c'est dur à croire vu mon rythme apparent de croisière mais ça sert aussi à ça un blog : embellir la réalité !:)
** scientifiques étudiant les libellules (appris dans un autre livre commencé, et abandonné pour l'instant).
*** dont certaines ont été testées et approuvées par mes élèves !
06:00 Publié dans Jeunesse, Les livres qui font du bien, Poésie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : bernard friot, amis libidineux passez votre chemin !
20/06/2011
Mort d'un jardinier
"...tu n'es plus connecté au serveur de la réalité ici et maintenant, tu glisses dans un autre monde, dans les débris de ton cerveau en capilotade..."
Un jardinier, aimant autant les mots que les salades, est frappé d'un accident cardiaque dans son jardin. Tandis qu'il gît sur le sol, envisageant ainsi la réalité sous un autre angle, tous les artistes, écrivains , musiciens qu'il a aimés sont convoqués autour de lui.
Mais ce sont aussi les mots, ceux qu'il a écrits, ceux qu'il a lus qui envahissent son corps, accomplissant ainsi une transsubstantiation finale : "ton corps est ton dernier volume."
De grands pans de plusieurs pages, le rythme va en s'amplifiant au fil du roman, répartis en courts chapitres, un flot par lequel il faut se laisser emporter, admirant au passage le travail toujours recommencé du jardinier, usant du vocabulaire imagé du potager mais aussi de celui de la modernité (le jardinier-poète ne se coupe pas de la technicité et accueille tous les mots), voici qui peut dérouter de prime abord. Mais très vite on se laisse séduire par cette vision et par cette écriture qui balaie tout sur son passage.
Un livre d'une densité aigüe, qui brouille les frontières entre roman et poésie.
Mort d'un jardinier, Lucien Suel, La Table Ronde 2008, Folio 2010, 159 pages que j'ai pris le temps d'apprivoiser (dans ma Pal depuis 1 an !) mais là c'était le bon moment et je l'ai dévoré d'une traite !
06:00 Publié dans Poésie, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lucien suel