04/02/2014
Le bruit de la gifle
"Personnellement, j'ai toujours été très famille.Malheureusement, en fait de parents proches, je n'ai plus que mon père, et sans doute pas pour très longtemps: je songe en effet à m'en débarrasser."
Un peu de paix, une parenthèse de silence, de solitude, brève ou définitive, voilà ce à quoi aspire la plupart des personnages des nouvelles d'Emmanuelle Urien dans Le bruit de la gifle.
En quelques pages, la nouvelliste crée ainsi des univers très différents mais toujours au plus près des sensations et des sentiments de ses personnages. Nous sommes au bord d'une plage du Nord où un homme vient effectuer un étrange pèlerinage , savourant immuablement un goûter d'enfance: "Pain, beurre, chocolat" "en savourant la moindre miette, lentement grimaçant chaque fois que ses dents crissaient sur les grains de sable qui s'immisçaient à l'intérieur du sandwich, quelques soient les précautions prises pour l'envelopper.", à bord d'"un bateau sur l'eau" avec un homme perdu qui joue à l'aventurier, dans un drame rural où l’héroïne mettra "Les pieds dans le plat", conciliant Éros et Thanatos, gourmandise et amour. Entre autres.
Souvent d'ailleurs, l'auteure glisse une petite phrase qui, mine de rien, nous annonce ce qui se joue en sous-main: " Violette saisit l'inspecteur par le bras, comme si elle voulait l'emmener en promenade. Le balader pour ainsi dire."
Entre humour noir et tendresse, Emmanuelle Urien scrute le cœur de ses personnages avec bienveillance, nous gratifiant au passage de superbes phrases témoignant de son sens de l'observation et de sa finesse psychologique : "Quelquefois le promeneur espère malgré tout qu'elle changera, d'elle même; qu'elle se fatiguera de sa propre douleur à vivre, et découvrira l'autre versant des choses, celui où on peut se réjouir. De ce qui est, de ce que l'on a . Il se dit qu'elle chemine pour atteindre le sommet. Qu'il faut du temps. Qu'elle a de petites jambes."
Le bruit de la gifle, Emmanuelle Urien, Éditions Quadrature 2014, 101 pages qui ne nous laissent jamais sur notre faim.
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02/01/2014
L'immobilier
"Rien ne m'obligera à supporter ça. Dès qu'il prononcera sa phrase à la con, je me lèverai, je prendrai mes affaires et je partirai sans dire un mot. J'espère qu'il ne va pas trop me faire attendre, j'aimerais me coucher tôt."
Le fil rouge de ces quatorze nouvelles est L'immobilier. En quoi il nous affecte, en quoi il nous marque , en quoi il nous révèle. De l'étudiante en arts plastiques à la vieille dame isolée qui rencontrera ses voisins à l'occasion d'un incendie, sans oublier le couple d'amies que nous retrouverons dans plusieurs variations sur le même thème (l'acquisition d'un logement et les hypothèses a posteriori qu'il entraîne), sans oublier les nouvelles pratiques locatives, tout est prétexte à peindre avec acuité mais sans acrimonie notre société dans ce qu'elle a souvent de marginal . Au fur et à mesure des nouvelles, l'auteur prend de plus en plus de libertés avec la réalité et laisse ses personnages être contaminés par une folie douce qui leur va bien.
L'humour est toujours présent mais jamais vachard et l'on prend beaucoup de plaisir à la lecture de ces textes souvent doux-amers que j'ai constellés de marque-pages !
Un petit extrait pour la route : " Quand j'y réfléchis, je me dis que j'ai peut être quitté Tom, au fond, parce que je n'aime pas l'idée que quelqu’un se lave après moi dans l'eau de mon bain. De même ,j'aime jeter le gras de ma tranche de jambon sans qu'on s'interpose entre moi et la poubelle. J'aime froisser mes feuilles de papier après y avoir griffonné un seul mot, me débarrasser du journal de la veille sans l'avoir lu, rendre les DVD sans les avoir regardés, ne pas utiliser la totalité de mon forfait téléphonique. Gâcher un peu ma vie , enfin."
L’immobilier - Hélèna Villovitch
Gallimard, collection Verticale, 2013, 180 pages
Le billet de Cuné, la tentatrice !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : hélèna villovitch
14/12/2013
L'autan des nouvellistes
Des nouvelles inédites de :
Mouloud Akkouche, Michel Baglin, Marie-José Bertaux, Julien Campredon, Manu Causse, Magali Duru, Hélène Duffau, Didier Goupil, Alain Leygonie, Jean-Jacques Marimbert, Alain Monnier, Frédérique Martin, Serge Pey, Francis Pornon, Brice Torrecillas, Jan Thirion, Emmanuelle Urien
composent ce recueil collectif publié par une "petite " maison d'édition : L'atelier du gué.
L'occasion de prendre des nouvelles d'auteurs déjà connus ou de découvrir des nouvellistes. Des tonalités très différentes mais toujours un réel plaisir de lecture! Merci Cath !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : l'atelier du gué
30/07/2013
Honte de tout
"Ok pour être un homme, mais pas comme lui. Pas comme mon père."
Honte de tout, ils ont ! Rémi, Sofian, Jeanne et les autres, des ados en pleine mutation, le regard des autres, les réflexions et le comportement trop con des parents en prime !
Dans ces seize nouvelles, ils prennent la parole avec une lucidité aiguë car, s'ils sont empêtrés dans leur corps et leur identité sexuelle, ils analysent finement les situations. Qu'ils soient issus de l'immigration , qu'ils fassent partie des "tuyaux de poêle, des Groseille, ce qui veut dire des gens sans manières, sans gêne", ou d'une famille monoparentale qui a du mal à couper le cordon, ils paraissent parfois plus mûrs que leurs parents.
Beaucoup d'humour aussi dans ces textes ( où les anciens adolescents se reconnaîtront sans doute !), de sensibilité et de tonalités très variées . Le premier texte, "Cette connerie de virginité", est aussi le plus dérangeant, car on reste quelque peu estomaqué par la crudité des messages SMS, mais bon, ça fait partie aussi de le la violence due à l'âge, et l'on ne sait si on doit rire jaune de cette ado qui affirme avec sérieux "Je ne voulais pas figurer dans les vieilles filles de la classe, je devais passer ce cap. Je devais coucher." Elle n'est qu'en 4 ème quand même...Les adultes ne pratiquant pas Facebook découvriront aussi la brutalité et les implications de la rupture via les réseaux sociaux, bref, ils mettront un pied dans cet univers en perpétuel changement et comprendront peut être un peu mieux ces êtres ronchons et mal lunés qui vivent à leurs côtés.
Une écriture vive et pleine d'empathie, une auteure qui ne rit jamais de mais avec et un panorama plutôt réjouissant de ces homards, comme les appelait Françoise Dolto.
Piqueté de marque-pages, in-dis-pen-sable !
Honte de tout, éditions Thierry Magnier 2013, Carole Fives, 150 pages jamais trash !
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13/06/2013
La fréquentation des à-pics
"On rejoint les adultes au seuil de l'explication du monde et on voit bien qu'ils n'en savent pas plus."
Épouses, mères, grands-mères ou petites-filles, de l'immédiat après-guerre au XXIème siècle, Catherine Charrier s'attache à nous peindre ces femmes qui connaissent La fréquentation des à-pics.
Rien de spectaculaire pourtant mais des situations sur le fil du rasoir, des prises de consciences infimes mais marquantes, des vies simples capturées dans la durée ou en un fragment et qui possèdent une intensité extrême. Des détails capturés, un bisou sur une nuque paternelle dans une 403, et c'est tout l'amour d'une ex-petite fille qui reparaît. Cela peut être aussi un regard suffisamment aigu pour prendre conscience d'une injustice, d'une violence banale et l'on bascule dans la "désillusion sombre et imbécile des adultes." Mais ce sont également des repères lumineux qui apparaissent dans la trame des jours, une amie qui tend la main quand le monde se dérobe sous vous, des éclaircies dans le malheur.
On sent beaucoup d'empathie de la part de l'auteure car toutes ces histoires, vécues par elle ou qui lui ont été confiées, sont racontées avec pudeur et sensibilité. J'ai mis du temps à entrer dans la première nouvelle, Irène, car je craignais la caricature, l'histoire déjà rabâchée (une jeune française s'entichant d'un GI noir) mais , au fil du récit, les descriptions pleines de luminosité et de sensualité ont fait que j'ai pu accepter l'attitude de cette femme libre, plus femme que mère. Une très jolie découverte !
Lu dans le cadre de Masse critique.
La fréquentation des à-pics, Catherine Charrier, Kero 2013 , 225 pages sensibles et poétiques.
Merci à Babelio et à aux éditions Kero !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : catherine charrier, femmes
03/06/2013
Petit éloge des vacances /Dimanche chez les Minton
"L'écrivain est un dompteur de silence; le vacancier prend le risque du vide."
*Avec cet opuscule de 116 pages , parfois teinté de nostalgie, je découvre le style poétique, élégant et précis de Frédéric Martinez. Un thème accrocheur et des pages souvent cornées, voilà qui atteste d'un bon moment passé en compagnie de cet écrivain.
Si je n'ai pas toujours été convaincue par les portraits que lui inspirent des passantes estivales, j'ai été tout à fait séduite par des passages évoquant à la fois l'écriture et les vacances. Un extrait juste pour vous mettre l'eau à la bouche :
" J'aimerais pouvoir chaque jour me réjouir que le soleil se lève, scruter la nuit cousue d'étoiles et, pétri de gratitude, prendre place parmi les vivants; passer ma vie comme en vacances. Il m'arrive d'y parvenir. Je m'entiche alors du moindre détail. Je suis des yeux la course d'un nuage; regarde pendant de longues minutes les branches d'un arbre qu'éploie le vent, les motifs que trace au sol l'ombre de la feuillée. Je fais des festins de lumière. Quand adviennent ces jours fastes, je demeure sans impatience. Des heures durant, je frotte au silence un adjectif, le remonte doucement des limbes jusqu'à ce qu'il affleure la trame du papier où se fige l'encre de mes phrases."
* Dans la même collection Folio à deux euros, Dimanche chez les Minton .Cinq nouvelles pour retrouver l'univers de Sylvia Plath, tout en subtilité , disséquant tantôt avec une férocité réjouissante tantôt avec ce sourd désespoir inéluctable les relations de couple , les conventions sociales. Et toujours ce sentiment de malaise des personnages féminins d'inadéquation au monde, et ce parfois, dès l'enfance : "Je restai allongée, seule dans mon lit, avec le sentiment que l'ombre noire rampait sous le monde comme une marée. Rien ne tenait, rien n'y échappait."
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : frédéric martinez, sylvia plath
28/05/2013
Couplets
"D'ailleurs, dans un groupe, un couple qui se dispute est toujours bienvenu pour la satisfaction personnelle des autres."
Pas de ritournelles sentimentales dans ces nouvelles de Claire Castillon qui s'enchaînent à un rythme soutenu mais une observation caustique et acérée de différentes configurations de couples. Une vision qui manque un peu de densité et qui fait qu'une fois terminé ce recueil , il ne m'en est pas resté grand chose...à ne pas offrir en cadeau de mariage ou de pacs.
Le billet de Clara la tentatrice !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : claire castillon, les histoires d'amour finissent mal...en général
13/02/2013
Dernières nouvelles du front sexuel
Où en avais-je entendu parler ? Mystère . Mais, au vu du titre et de la couverture, ce recueil de nouvelles allait me permettre de sacrifier au nouveau rite en vigueur: la lecture de textes érotiques.
Pour éviter de le chercher dans les cinq étages de la librairie où il était disponible (et faire preuve d'une discrétion de bon aloi), je le réservai le matin.
L'après-midi, déception, il ne m'attendait pas à l'accueil. " C'est quel genre d'ouvrage ?
Pour éviter les regards libidineux du client suivant qui se collait déjà contre moi au comptoir, je soupirai intérieurement et lâchement lançai :" Je sais pas, c'est pas pour moi." Ben tiens !
"Alors allez voir mes collègues, là-bas en littérature." Dont acte.
Un vendeur évidemment. Et tout à côté de moi un autre client .
Bon cette fois, je n'allais pas tourner autour du pot. "Il s'agit de nouvelles érotiques, claironnai-je."
Et de me rendre avec le vendeur dans le rayon adéquat où je fus instantanément jaugée par une femme pomponnée et un homme tout de noir vêtu. Mes cinq épaisseurs de vêtements n'ont pas dû leur plaire. Sans regrets.
Finalement, après avoir mis en émoi tout un bataillon de vendeurs, le fameux recueil fut déniché au rayon... sexualité. Pour la discrétion, je repasserai .
Tout ceci pour vous dire, qu'une fois en main, Dernières nouvelles du front sexuel se révéla encore plus surprenant. En effet, si les textes sont réalistes, ils n'ont en aucun cas l'ambition de rebooster nos libidos engourdies par l'hiver. Non, Ariane Bois s'amuse , sous formes de textes très courts (au maximum trois pages), à passer en revue, pour mieux les égratigner avec beaucoup d'humour, tous les diktats actuels en matière de sexualité, de relations , bref de tout ce qui tourne autour de nos corps et de nos sentiments.
Epilation, sex toys, sexe bio, mais aussi échangisme (avec un texte particulièrement hilarant !), tatouage, entre autres ,sont passés au crible et l'auteure en souligne les inconvénients avec un malin plaisir et beaucoup de bon sens. J'ai aussi tout particulièrement aimé la nouvelle mettant en scène un ado pris par sa mère à regarder des scènes de sexe sur internet. Un texte qui remet les pendules à l'heure avec énergie et efficacité ! L'émotion est aussi parfois au rendez-vous mais c e qui se dégage de la majorité de ces textes, c'est la volonté d'envoyer au diable tout ce qu'on se croit obligé de faire pour être dans l'air du temps et ça fait un bien fou !
Dernières nouvelles du front sexuel, Ariane Bois, L'Editeur.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : ariane bois
06/12/2012
D'autres vies que la nôtre
"La peau délicate et fragile de Rosette a des teintes de salaisons."
Parues dans Libération et rassemblées ici ces chroniques placées sous la double égide du grand naturaliste Hainard pour les mammifères, et de Fabre pour les insectes, racontent "des événements ténus, des allées et venues dans les bois et les champs", comme le précise Elisabeth de Fontenay dans sa préface.
Nulle visée didactique, même si on apprend plein d'infos au passage (si la taupe a tant besoin d'aérer ses galeries c'est qu'elle est une grande péteuse...) mais plein de récits de rencontres et d'observations sur une presqu'île située à 60 kilomètres de Paris où l'auteur a vécu quelques temps dans des conditions plutôt spartiates.
Si vous êtes insensible à ces fugitives visions d'une biche ou d'une martre, ces cadeaux que nous offre parfois la nature, alors peut être serez-vous sensible à l'écriture précise, riche, parfois un chouïa précieuse d'Homeric. Une écriture qui m'a souvent évoqué Jules Renard, voire Colette ,même si on en trouve pas ici la même gourmandise de la vie, que nous offrait l'auteure de La paix chez les bêtes.
Une splendide découverte, toute hérissée de marque-pages !
D'autres vies que la nôtre, Homeric, grasset 2012, 192 pages vivifiantes comme une balade en forêt.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : homeric, elisabeth de fontenay, animaux
29/11/2012
Carnivores domestiques
"Toi tu as l'habitude. Tu passes et tu observes. Toutes les nuits il ya des histoires et des vies qui s'arrêtent, un qui te file sous les doigts. Toutes les nuits des confidences .Un déchirement, et puis un vide. Et souvent un fardeau à prendre sur les bras. La briéveté de la vie, tu ne l'oublies jamais."
Si Balthazar, Darwin, Gribouille, Caramou, et autres Carnivores domestiques, chats et chiens de toutes conditions, prennent la parole au début de chacune des histoires composant ce recueil ,ce n'est que brièvement. Celui qui assure bientôt leur relais est un vétérinaire d'urgence dont on devine qu'il a beaucoup à voir avec l'auteur, malgré l'avertissement liminaire.
Le narrateur passe sans broncher de la mérote à chats qui vit dans un squat avec 35 félins et des conditions de vie dramatiques au jeune couple pimpant. Il ne se veut que témoin. Jamais il ne juge, mais parfois, mine de rien il agit ou tourmente par des mots celui qui a dépassé la mesure.
Il absorbe ainsi jusqu'à saturation la misère et les relations souvent perverties entre les hommes et les animaux. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : "Leurs histoires. Leurs vies en désorde. Ils croient parler de la maladie du chien, du chat ou du lapin nain, mais c'est d'eux qu'ils parlent bien sûr. De leurs plaies, de leurs bosses, de leurs fractures et de leurs contusions. Ils déballent tout ça , chargé de panique, de larmes et d'angoisses."
Un univers souvent très noir, servi par une langue économe et forte. Un texte plein d'humanité qui a révélé un véritable écrivain et nous éloigne de la vision souvent trop anthropomorphique des animaux.
Carnivores domestiques, Erwann Créac'h, points Seuil 2012, 210 pages parfois accablantes.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : erwann créac'h, chats, chiens et compagnie, humains