23/01/2020
Ailleurs sous zéro
"Et puis, vlan, que nenni ! fi des belles intentions, un autre quotidien, sans vergogne ni respect pour la beauté de vivre, tout de hargne ordinaire, d' ébouriffante agitation, vous saisit au colback et vous secoue d'emblée, vous donnant le tournis au rythme enivrant d'une tout autre saison, en toute autre campagne: celle des élections."
Dans le prologue, Pierre Pelot se pose en défenseur du gens des nouvelles , "ces petites histoires à choc répétés", ces "mal-aimées "qu'il compare aux fleurs des orties , ces "si jolies petites fleurs que bien sûr on ne remarque pas d'emblée sous les feuilles qui brûlent."
Et, pour sûr, ici ça brûle, c'est fort ardent et violent. Qu'il s'agisse d'un texte écrit "au profond d'une sorte de gouffre qui s'ouvre sous vos pas sans crier gare et vous tranche dans le vif sans vous laisser le temps d'un cri", texte qu'on devine autobiographique et qui tord le cœur et les tripes ou se référant à d'autres codes littéraires, la violence est toujours présente.
Celle du racisme ordinaire et décomplexé, de la violence faite aux femmes, aux voleurs de poules ou de compresseur, celle d'un monde à la dérive qui sera le notre demain. Pierre Pelot emprunte ici des formes différentes , mais son sens de l'ellipse, des dialogues fait ici merveille. Le choix des noms de ses personnages est déjà programmatique et les inscrit dans une réalité rurale et rustaude. 159 pages qui arrachent la bouche
Éditions Héloïse d'Ormesson
06:02 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : pierre pelot
04/10/2019
Microfictions II...en poche
"C’est un sport , l’existence. Un sport extrême quand on en a définitivement marre de courir, de pédaler, de monter les côtes en rampant, de les dévaler sur le dos comme une boule mal équarrie."
D'abord , il y a le volume: 1135 pages pour 500 microfictions, noires, très noires, avec un rythme enlevé, format et style obligent. On ne peut pas se contenter d'enchaîner les platitudes et les clichés dans une page et demie, comme dans certains romans qui semblent s'écrire tout seuls, tant leurs auteurs sont prolifiques.
Ensuite, il y a les titres ,sagement rangés dans l'ordre alphabétique de "Aglaé" à "Zéro baise", en passant par "De savoureux ananas qu'on cueille à l'arc", ou "Mars est chaud à Maubeuge". On y croise aussi des personnages aux noms savoureux: "Xavière Téton", "Cousin Marmelon" ou "Laure ponédon".
Quelques injonctions vigoureuses nous sont parfois données: "Va claquer des dents à la cuisine" ou "Mettre la réalité en pause". Bref, rien qu'à feuilleter le pavé, on devine qu'on n'entre pas ici au royaume du tiédasse et de la joliesse.
La quatrième de couverture , qui bat en brèche tous les clichés sur l'enseignement et les illusions des parents, donne le ton (et le texte complet va encore plus loin dans l’excès , n'hésitant pas à convoquer la coprophagie !).
Je me suis finalement lancée et ce fut un régal ! Attention, sous peine de gueule de bois littéraire, il ne faut pas abuser de ces microfictions qui passent à la moulinette le couple, la famille, bref, tout ce qui fait que nos vies sont trop souvent "navrantes" aux yeux de l’auteur.
On pense, en plus délié, aux Nouvelles en trois lignes de Félix Fénénon pour l'humour noir et la brièveté, avec un zeste de crudité. Régis Jauffret s'offre le luxe de commencer ses nouvelles très souvent par une première phrase qui en dit déjà long sur son personnage ou la situation mise en place, situation qu’il n'a plus qu'à laisser tomber encore plus bas car "L'existence n'est jamais à court de marches quand il s'agit de les dévaler."
Amateurs d'humour noir précipitez-vous sur cette arme de destruction massive de la bienpensance.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : régis jauffret
12/07/2019
Le poids du monde est amour...en poche
"Je l'aime, je trouve très doux de le regarder et le fais comme on s'assoit devant un paysage apaisant."
En cent micro-fictions ciselées, David Thomas dresse la carte du tendre contemporaine. Du célibat de la jeunesse à la solitude subie de l'âge mûr, il narre les mille et une variations , fluctuations de l'amour et son livre peut donc se lire comme un roman, où un seul "Je" (mais à multiples facettes: homme, femme, homo, hétéro, jeune, vieux...) prend la parole, assurant ainsi la continuité et la fluidité.
La structure est donc assurée, mais pourrait tourner à la mécanique, façon Exercices de style, s'il n'insufflait autant de vie à ses personnages, variant les tonalités (tendresse parfois rugueuse, humour, poésie...). L'exercice de la nouvelle est souvent périlleux, mais David Thomas, en funambule expert, se tient toujours sur le fil, et nous réjouit le cœur.
à lire, relire, un petit bréviaire amoureux qui file sur l'étagère des indispensables !
06:20 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : david thomas
06/06/2019
Une nuit à l'hôtel le 1
"C'est le prix à payer: dix-huit ans de sa vie pour la liberté de ses enfants."
Cette année, les auteurs mis à contribution pour le recueil de nouvelles annuel du 1 ont planché sur le thème d'Une nuit à l'hôtel. Hôtel, "lieu de tous les possibles" comme le souligne Julien Bisson dans sa préface. De fait, chaque auteur a s'est emparé à sa façon de ce thème et l'a traité sans jamais tomber dans la facilité.
De ce cru 2019, je retiendrai particulièrement la nouvelle d'Adeline Dieudonné, Alika, émaillée de citations d'un manuel destiné aux futures employées de maison philippines, qui fait froid dans le dos , mais ne tombe jamais dans le manichéisme. Un texte plein de sensibilité qui donne encore plus envie de lire à nouveau cette autrice très douée.
Changement de registre avec Serge Joncour qui, avec Une nuit, presque à l'hôtel, nous régale d'un récit à double chute, pour le plus grand plaisir de nos zygomatiques !
L'occasion aussi de découvrir des auteur.e.s aux tonalités très variées.
06:02 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : coulon, joncour, bouraoui, prudhomme, dieudonné, bouysse, djavadi, férey, astier, jauffret, zenatti
03/05/2019
Macadam Butterfly
"J'enterrerai donc deux fois ma jeunesse aujourd'hui. Une première avec ma petite chienne dans les dunes qu'elle aimait tant, et une deuxième avec ma grand-tante dans le village de bord de mer où elle a passé la fin de sa vie."
Être dans les toilettes d'un bar parisien quand une fusillade éclate au dessus de soi, se faire draguer par le petiote qu'on gardait autrefois (elle a bien grandi la petiote), courir à perdre haleine dans une ville la nuit à cause d'un texto, faire disparaître tout ce qui pourrait être gênant pour la famille d'un ami/amant décédé et dénicher des trésors de délicatesse bien enfouis, ouvrir la porte de l'appart de sa sœur et découvrir son choix irréversible...
Dans beaucoup des nouvelles qui composent ce recueil à dominante urbaine, Tara Lennart choisit d'envisager une situation sous un angle particulier et pertinent à la fois. L'écriture est parfois sensible, parfois crue et si certains textes sont plus prévisible et convenus dans leur volonté de courir vers une chute parfois crade, il n'en reste pas moins que j’ai globalement été séduite par ce Macadam Butterfly, plus délicat qu'il n'y paraît au premier abord.
Éditions Rue des Promenades 2019, 205 pages.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : tara lennart
15/11/2018
Devine qui vient pour Noël ?
"La normalité, c'est surfait, soyons bizarres ensemble pour aussi longtemps que tu le souhaiteras."Alix Marin
Envie de vous plonger dans l'esprit de Noël ? Alors foncez vous procurer ce délicieux recueil de nouvelles écrites par six grands noms de la romance française.
Chacune de ces auteures revisite, à sa façon, les incontournables de Noël : retrouvailles à la neige d'anciens élèves façon règlement de comptes amoureux pour Mily Black dans "Un secret sinon rien" et redécouverte d'un amour de jeunesse lors d'un noël en famille pour un "Homecoming flirt "chez Angéla Morelli.
Pour Emily Blaine, l'amour aura un parfum de vanille et de sapin car, c'est elle qui l'affirme "l'amour est très gourmand". Ce que confirmera l'héroïne d'Eve Borelli dans "Rien ne va plus" où il sera à la fois question de bûche géante et d'huitres.Une héroïne qui n'est pas sans évoquer Stéphanie Plum car elle enchaîne les catastrophes dans le cadre de son travail de policière !
De travail, il en sera d’ailleurs beaucoup question dans "Secret Santa" où Alix Marin nous montre les pièges de l'amour au bureau.
Quant à Alfreda Enwy, son héroïne se montre beaucoup plus délurée que Mary Poppins à qui on la compare souvent ! "Et s'il suffisait d'une fois ?" se demande -telle. En tout cas, avec elle Noël sera chaud chaud chaud !
Vous le voyez,tous les ingrédients sont réunis pour passer un bon moment de lecture, chants de Noël en fond sonore ou pas !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : emily blaine, eve borelli alfreda enwy, alix marin, angéla morelli, mily black, eve borelli (aumily black
12/11/2018
13 à table ! 2019
"Il parle d'une certaine organisation du temps, d'une certaine portion de temps laissé à autre chose que le travail ou le repas. Il parle des heures passées à cuire de la viande, à s'affaler dans l'herbe et à trinquer. Il parle d'une propension à rassembler des chaises autour d'une table en lançant aux amis de passage: "Serrez-vous de ce côté -là, ça fera de la place à Michel." Alice Zeniter
Il y a les fêtes auxquelles on voudrait assister pour se sentir enfin acceptée ou juste vivante. Quand on est une ado et qu'on se prénomme Perpétua, c'est pas gagné d'avance, comme nous le montre Véronique Ovaldé dans sa nouvelle "Je suis longtemps restée une clématite", nouvelle où elle analyse avec sa finesse habituelle les relations entre un père et sa fille vivant dans un environnement très particulier.
Quand on est une femme sous emprise cloitrée chez elle par un mari sans amour, La fête des voisins de Leila Slimani peut déboucher sur une folle envie de libération à tout prix.
Il y a aussi les fêtes l'on donne pour se convaincre qu'on est une famille joyeuse , même si amputée, pour retrouver "Le goût des fraises sauvages" chez Alice Zeniter.
Celles qui tournent mal, par exemple quand l'obsession de la perfection risque de gâcher tout plaisir ou quand le passé rattrape les pestes chez Tatiana de Rosnay . Y aurait-il une justice ? Philippe Jaenada semble montrer que non, revisitant , non sans humour, l'histoire d'une femme demeurée dans les mémoires comme étant la Pompe funèbre...
Il y a enfin les fêtes que l'on donne avec un objectif clairement assumé: se trouver un amoureux chez Françoise Bourdin, nouvelle où j'ai appris le nom des figures du rock, ou un financier comme chez Romain Puertolas . Objectifs atteints ou non ? à vous de le découvrir en dévorant cet excellent cru, couverture illustrée par Plantu.
Philippe BESSON • Françoise BOURDIN • Maxime CHATTAM • François d'EPENOUX • Éric GIACOMETTI • Karine GIEBEL • Philippe JAENADA • Alexandra LAPIERRE • Agnès MARTIN-LUGAND • Véronique OVALDÉ • Romain PUÉRTOLAS • Jacques RAVENNE • Tatiana de ROSNAY • Leïla SLIMANI • Alice ZENITER
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : philippe besson • françoise bourdin • maxime chattam • françois
24/07/2018
La vie effaçant toutes choses
"Je marche sous le joug d'une sacoche de dix kilos que j'appelle mon kit de survie, j'apprends que j'ai peur des baleines mortes et je ne sais pas qui je suis.Et je ne sais pas si je l'apprendrai ici.Mais je sens que si je me laisse porter par les fanfares de la Renaissance, par la tempête et les corps de baleines, j'accèderai à une part de moi que je ne me rappelle pas avoir jamais approchée."
Neuf femmes, d'âges,de milieux différents, mais toutes dans un moment de fragilité, fragilité qu'il leur faudra accepter, et surtout dans une volonté de se débarrasser de "l'échiquier social" qui leur a imparti un rôle -carcan. Signe de ce malaise à la fois psychique et physique, les cauchemars morbides (décrits de manière très réaliste) dont beaucoup d'entre elles souffrent.
Fanny Chiarello scrute ici avec une attention sans faille les micro-fonctionnements de nos relations avec les autres, en soulignant la violence cachée: "Il y a violence à feindre de ne pas percevoir le spectre lumineux d'un être vivant, même si l'on feint pour le laisser croire qu'il dispose d'une forme d'intimité, là, entre sa valise et le couloir du TER, même si l'on feint pour le laisser détendre ses épaules sans témoin."
Elle décrit aussi avec une précision poétique les paysages dévastés des bords de voies de chemins de fer, les petites villes côtières, les chambres d'hôtels modestes, tous ces lieux que nous traversons sans leur accorder plus qu'un regard distrait, mais qui en disent long sur notre humanité.
Roman ou nouvelles ? L’éditeur ne tranche pas. Disons qu 'il s'agit de neuf récits qui s'interpénètrent par le biais de personnages récurrents, qu'ils soient principaux ou non, une SDF, Rita , étant un peu le fil rouge que l'on va retrouver dans chacun de ces textes, simple silhouette ou actrice à part entière, interagissant avec les autres héroïnes.
Autre lien : la musique, qu'elle intervienne par le biais d'orchestres, d'une artiste ou d'une station de radio dont certains animateurs ou animatrices joueront aussi un rôle au sein de ce dispositif narratif.
Certaines métaphores servent aussi de leitmotiv, comme autant de cailloux que l'auteure sème à l'attention du lecteur.
Un roman puissant, tant par la forme que par le fond .
L'écriture de Fanny Chiarello, précise, vive, donne chair à ces neuf femmes, parfois rugueuses, nous les rend attachantes, sensibles et presque sœurs. Un grand coup de cœur ! Et zou sur l’étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles françaises, romans français | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : fanny chiarello
23/07/2018
Madame rêve
"Juste le temps de récupérer, un peu, avant de reprendre son long chemin de solitude."
Quelques vers de Victor Hugo, une chanson de Bashung, voilà de quoi panser certaines plaies des héros de ces huit nouvelles de Ludovic Joce.
Souvent solitaires (abandonnés, sur le point de l'être, âgé, veuve...), obnubilés par la nourriture , leur carrière ou simplement par une paire de chaussures de marque, gens de peu ,comme les appelait avec tendresse Pierre Sansot, l'auteur fait entendre leur voix, tantôt mélancolique, gouailleuse ou oppressée, avec délicatesse et empathie. Le temps est suspendu et l'on n'oubliera pas de sitôt l'image de ce "gâteau au chocolat couronné de trois bougies blanchâtres aux mèches noircies" aperçu dans un réfrigérateur.
Ludovic Joce confirme tout le bien que je disais déjà de cet auteur ici.
Madame Rêve, Ludovic Joce, Éditions in&dits 2018, 69 pages à découvrir.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ludovic joce
19/06/2018
Le 1 Hors-série; 11 histoires de séduction
"A vingt ans, sur la plage de Carnac, pourtant mince, beau, je crois, souple et disponible, j'avais à peu près la puissance de séduction d'une endive au jambon aux Seychelles." Philippe Jaenada
Comment séduire ? Qui séduire ? à ces questions les onze auteurs de ce recueil répondent chacun dans leur tonalité.
Pour David Foenkinos et Olivier Adam, plutôt classiques, même si leurs personnages évoluent dans des milieux situés aux antipodes, il faut séduire ou continuer à séduire la femme aimée. Quant à Philippe Jaenada, renouant avec sa veine autobiographique, il nous propose un récit plein d'autodérision où Proust va l'aider à gagner un concours ( bien peu glorieux) de drague estivale. Concours où le gagnant sera séduit à son tour, mais d'une manière surprenante...
Des mots écrits pour séduire, il en sera aussi question dans le texte de Leonor de Recondo qui flirte avec le fantastique , jetant un pont par-delà les siècles. Le héros de Carole Martinez, lui, après avoir tenté de suivre les leçons d'un maître es drague, une tendance forte en ce moment sur internet paraît-il,en reviendra à un méthode plus traditionnelle
Récits plus troubles pour Monica Sabolo qui explore à son habitude le territoire de l’adolescence et ses aspects vénéneux ,ainsi que pour Véronique Olmi qui dépeint avec finesse une tentative de séduction jouant sur les registres du pouvoir dans une situation de manipulation très originale.
Avec Kaouther Adimi, on ne sait s'il faut sourire ou non devant la mise en scène utilisée pour séduire, non pas la femme aimée , mais sa famille !
Tonalité plus grave aussi avec Lola Lafon, qui par le biais d'un stagiaire de troisième, revient sur une histoire de séduction qui a viré au viol ,ainsi que sur la manière dont la justice l'envisage. Philippe Claudel pousse le curseur encore plus loin dans une dystopie glaçante où un simple regard dans un endroit public est interdit. Enfin, François-Henri Désérable , comme dans son précédent roman, surfe entre fiction et réalité littéraire évoquant les amours chaotiques de Diego Rivera et Frida Kahlo, ce qui nous vaut une magnifique illustration de Julie Guillem.
Un petit bonheur de lecture pour moins de 7 euros !