08/04/2018
La cartographe...en poche
"et se cacher dans une petite mort prudente pendant des heures et des heures, qui ne paraissent que des secondes lorsqu’on se réveille."
Pas d'effets de manche, de nouvelles à chute dans ce recueil de Tove Jansson. Tout y est empreint de subtilité et de très fines observations. A l'instar du dessinateur de la nouvelle "Le loup" qui observe un animal sans rien faire et ne le "croquera" en quelques traits que peut être des années plus tard quand il en aura saisi l'essence , Tove Jansson va ici à l'essentiel .
On ne se lasse pas de la lire et de la relire, tant son écriture est précise et fait souvent la part belle à un humour teinté de noir. Si vous avez aimé son précédent recueil L'art de voyager léger, précipitez-vous sur celui-ci. Et c'est en poche !
de la même autrice: clic.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tove jansson
15/01/2018
Certains souvenirs
"Nous ne savions pas que pour la mère de Vincent nos visages étaient beaux, et nous étions rentrés à la maison avec l'impression qu'il y a bien des choses qu'on n'est capable de dire que lorsqu'elles sont irrévocablement passées."
Il est toujours compliqué de rendre compte avec justesse d'un recueil de nouvelles, surtout si, comme celui de Judith Hermann, celui-ci rassemble 17 récits ayant pour point commun les sensations et des sentiments.
On a parfois l'impression qu'il ne se passe rien ou pas grand chose , mais en fait l'écriture d’Hermann résonne en nous parfois à contretemps , avec un léger décalage. Il faut laisser infuser les images suggérées par les textes, se laisser séduire par la subtilité d'une écriture cristalline.
Pas de coups de théâtre, pas de nouvelles à chute mais des ambiances, des moments de vie, souvent très courts mais décisifs, quoi qu'il en paraisse à première vue. Un plaisir délicat à ne pas manquer.
Traduit de l'allemand par Dominique Autrand, Albin Michel 2018.
De la même autrice: clic.
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : judith hermann
27/08/2017
Si un inconnu vous aborde...
"Ici , pas besoin de rappeler aux gens de s'occuper de leurs affaires. on pouvait bien agoniser sur sa pelouse, ils étaient du genre à tirer poliment les rideaux pour ne pas nous offusquer en remarquant quoi que ce soit."
Quinze nouvelles aux tonalités très différentes composent cet unique recueil de Laura Kasischke. Elle scrute ici avec un regard perçant, non dénué d'humour, notre vie quotidienne, nos drames, nos appréhensions, nos incompréhensions, comment on se débat avec la trame de ce qui constitue nos jours.
Il est souvent question de féminité, de sexualité sous-jacente :une mère qui fouille les affaires de sa fille adolescente si parfaite et si sage, peut être parce qu'elle même au même âge, trompait trop bien son monde. Un père, au bord du divorce, qui se rend à l'anniversaire de sa petite fille et ressent de manière hypertrophiée et agressive la féminité dans tous ses aspects, sans pouvoir la comprendre. Et pourtant, il a lu tous les bons ouvrages féministes, romans , essais et manuels !
Qui d'autre que Laura Kasischke peut ainsi décrire un gâteau d'anniversaire :"Le gâteau faisait penser à l'image surréaliste d'un vagin-rose au centre et entouré de roses encore plus roses faites en glaçages mais qui ressemblaient beaucoup à des chairs humides, le tout surmonté d'une poupée Barbie miniature en maillot de bain comme une danseuse go-go." ? En une cinquantaine de pages, dans ce texte intitulé Melody, c'est toute l'histoire d'un amour, de sa glorieuse naïveté à sa fin incompréhensible pour le narrateur; qui se déroule sur fond de "frénétique combustible d'anniversaire".
Quelques fois, les nouvelles basculent dans le fantastique, à des degrés divers, peut être " par une espèce de distorsion, comme la petite mise en garde faite au pochoir au bas du rétroviseur" mais qu'il s'agisse d'un vieil homme, d'une petite fille ou d’une femme dont l'enfant est malade, tous ces héros partagent la même capacité à nous émouvoir, nous intriguer ou nous faire sourire.
Il serait dommage d'omettre d'évoquer les formidables images dont l'auteure parsème ses textes, comme autant de petits éclats de poésie nous faisant voir sous un autre angl, même les choses plus triviales: "..puis il s'approcha du bord et pissa dans l'eau-un arc brillant et doré qui heurta la surface de cette obscurité pour la disséminer en pièces de puzzle."
Saluons au passage le talent de la traductrice, Céline Leroy, qui a su rendre toutes les nuances de l'écriture de cette auteure.
Et zou sur l'étagère des indispensables !
Éditions Page à Page 2017, 190 pages .
06:05 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles étrangères, rentrée 2017 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : laura kasischke
14/06/2017
Le coeur sauvage
"-Il y a deux mondes auxquels je n’appartiendrai jamais, ai-je répliqué. Chez moi et ailleurs."
Il a souri, cligné des yeux, totalement perplexe."
Toutes les nouvelles de ce recueil se déroulent dans le Vermont, un État très rural, recouvert aux trois quarts de forêts. Forêts que certains exploitent, voire détruisent, et qui exercent une fascination importante chez beaucoup des personnages, tiraillés qu'ils sont entre l'envie de quitter ce coin paumé et le besoin de s'y fondre.
Jeunes ou vieux, ils affrontent souvent la solitude, les épreuves de la vie et si certains ne peuvent les supporter, d'autres au contraire trouvent du réconfort là où il s'y attendaient le moins.
On entre dans ce microcosme avec beaucoup de plaisir, croisant et recroisant d'un texte à l'autre certains personnages qu'on n'oubliera pas de sitôt. On a aussi envie d'aller à la découverte de ces forêts que Robin Macarthur décrit avec tant de sensualité et de subtilité: "Je ferme les yeux et je sais que mon père mourra un jour, et avec lui ce désir féroce et troublant de s'enfoncer loin, toujours plus loin au cœur des bois."
Une magnifique découverte !
Le cœur sauvage, Robin Macarthur, traduit de l’américain par France Camus-Pichon , Albin Michel 2017, 212 pages qui filent sur l'étagère des indispensables .
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : robin macarthur
22/05/2017
Des dieux sans pitié
"Le sable est une des armes dont se sert la nature pour combattre l’arrogance du béton."
Qu'elles se déroulent en Australie ou à l'étranger, ces nouvelles mettent toujours en scène des Australiens, jeunes ou moins jeunes, sans illusions. Peut être parce qu'ils ont intégré ce que se demande avec violence un personnage: "Pourquoi les gens nous déçoivent-ils toujours un jour ou l'autre ? "
Racisme, homosexualité, violence sont au programme de ces textes passant au crible la société australienne. Dès la première nouvelle, le ton est donné: sortez de votre zone de confort, accueillez à bras ouverts (ou non) le malaise distillé plus ou moins sourdement par ces textes.
J'avouerai que j'ai nettement préféré les textes où Christos Tsolkias, avec une grande économie de moyens, aborde des thèmes intimistes mais forts, en particulier les deux nouvelles mettant en scène des rapports mère fils, à ceux plus frontaux où la violence se donne libre cours. "Pornographie 2" est ainsi à la limite du supportable, tout comme le récit enchâssé dans le premier texte d'ailleurs.
Des textes comme des alcools forts, dont il m'a fallu espacer un peu la lecture.
Des dieux sans pitié, Christos Tsiolkas, traduit de l'anglais (Australie) par
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : christos tsiolkas
09/05/2017
Bêtes féroces, bêtes farouches
"Mon anniversaire tombe toujours en hiver. Chaque année. C'est nul. Parce que ce que j'aimerais, c'est une grande fête au parc avec tout le monde ou au bord d'un lac avec une nuit à la belle étoile et tout ça."
8 nouvelles sur 9* de ce recueil sont de pures merveilles. Exceptionnel pour une autrice qui débarque en littérature avec une maîtrise tant du point de vue de la narration (elle n’abuse pas de la chute, mais parvient par la composition de ces textes à nous ménager de nombreuses surprises, sans effets de manche ), que par le style.
Toujours sur le fil du rasoir, entre émotions contenues et humour, les mots semblent avoir été placés dans les phrases avec un ordre inédit. Qu'elle s'intéresse au contenu d'une assiette " Des pommes de terre farineuses se mettent en quatre pour ne pas finir en purée.", ou aux rues bordées d''herbes folles, à la manière dont un personnage rentre chez lui "je m'en remets à la technique pour arriver au cinquième étage", Karen Kohler parvient d'emblée à créer son propre univers, tant sa manière d'appréhender le monde et d'en rendre compte est personnelle.
La solitude, la mort, la douleur, la fin de l'amour sont quelques uns des thèmes évoqués mais avec une telle intensité retenue et une telle humanité qu'on ne regrette pas d'avoir embarqué dans un tel voyage. à découvrir sans plus attendre . Et zou sur l'étagère des indispensables !
Bêtes féroces, bêtes farouches, Karen Köhler, traduit de l'allemand par Isabelle Liber, Actes Sud 2017, 263 pages époustouflantes.
* Comme Cuné , la tentatrice, la dernière nouvelle ne m'a pas convaincue.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : karen köhler
08/05/2017
Petites histoires pour futurs et ex-divorcés
"Est-ce que ça aurait été plus facile d'être quittée, de devenir amère et d'évacuer la douleur par la haine ? La haine est une drogue fortement antalgique. Et addictive.
Dans ces 29 courtes nouvelles, Katarina Mazetti, plusieurs ex-maris à son actif, explore toutes les facettes de la séparation et/ou du divorce.
Seconde épouse dépassée par une nouvelle famille envahissante et peu respectueuse, trompeur trompé, certaines nouvelles sont plutôt malicieuses tandis que d'autres jouent davantage sur l'émotion. Ainsi cette nouvelle femme , qui , du fait d'une rupture va devoir abandonner les enfants de son futur ex-mari ,à qui elle a pourtant consacré plusieurs années de sa vie, sans avoir aucun droit sur eux.
Si certains textes paraissent un peu convenus, on prend beaucoup de plaisir à se reconnaître et/ou à reconnaître des situations vécues par des amis., à ceci près que le divorce apparaît nettement plus simple et plus rapide d'un point de vue administratif en Suède. Léger mais très agréable.
Traduit du suédois par Lena Grumbach, Gaïa 2017, 234 pages qui se dévorent d'une traite.
Cuné m'avait donné envie.
06:02 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : katarina mazetti
31/03/2017
Hermine blanche et autres nouvelles
"De sillonner la campagne, on l'a déjà presque épuisée. On a décrit toutes les rondeurs de ses collines, la mystérieuse neige, les étoiles piquetées dans le ciel et les bosquets figés, et on tourne en rond à la recherche d'autres détails pour féconder l'inspiration."
Il ne fait pas bon être un animal blessé, voire un blessé tout court, chez les personnages de Noëlle Revaz. Animés par une certaine candeur cruelle, ils ne font pas de quartier et ne pêchent pas par sentimentalisme.
Cette innocence apparente se retrouve de manière plus édulcorée , amis tout aussi trouble, chez ces jeunes adultes confinés dans dans l'enfance par des parents trop et mal aimants qui se livrent parfois à des simulacres hors de propos.
Certaines jeunes femmes n'hésitent pourtant pas à revendiquer leur autonomie dans des monologues souvent très drôles et acérés, même si parfois les coups pleuvent sur elles et que le mari se révèle un ogre, enflant à la mesure de son appétit.
Dans un univers souvent teinté d'onirisme et qui évoque parfois celui de Dino Buzzatti ou le monde des contes, Noëlle Revaz nous trouble par ces textes qui dérangent sans effets de manches. L'autrice use d'articles définis là où on attendrait l'indéfini, use d'helvétismes et crée ainsi de légères discordances qui entretiennent le malaise.
L'humour, souvent noir, est aussi présent et on n'oublie pas de sitôt les personnages un peu décalés qui en disent finalement beaucoup sur notre monde.
Une magnifique découverte !
Hermine blanche et autres nouvelles, Noëlle Revaz, Gallimard 2017.
Ce recueil rassemble certaines nouvelles parues dans des revues et le monologue à plusieurs voix Quand Mamie paru en 2011 aux éditions Zoë
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : noëlle revaz
13/03/2017
Des hommes sans femmes
"En l'espace d'un instant, dès que vous êtes un homme sans femmes, les couleurs de la solitude vous pénètrent le corps. Comme du vin rouge renversé sur un tapis aux teintes claires. Si compétent que vous soyez en travaux ménagers, vous aurez un mal fou à enlever cette tache. Elle finira peut être par pâlir avec le temps, mais au bout du compte elle demeurera là pour toujours, jusqu'à votre dernier souffle. Elle possède une véritable qualification en tant que tache, et, à ce titre, elle a parfois officiellement voix au chapitre. Il ne vous reste plus qu'à passer votre vie en compagnie de ce léger changement de couleur et de ses contours flous."
Sept nouvelles,dont la dernière donne son titre au recueil, où il est effectivement de veufs, de divorcés, de célibataires, avec des statuts plus ou moins flous: comment appeler celui qui apprend la mort de son ancienne amante par le mari de cette dernière ?
Au fil des textes,l'onirique se fait de plus en plus présent, les situations sont à la fois ancrées dans le réel mais se laissent aussi progressivement envahir par le fantastique: une Shéhérazade prend soin de diverses façons d'un reclus dont les motifs de l'enfermement sont laissés à notre imagination ; des serpents envahissent un jardin et conduisent un tenancier de bar à reconnaître enfin qu'il a été blessé par l'attitude de sa femme. Le fantastique culmine enfin dans les deux derniers textes "Samsa amoureux"où Murakami s'approprie le texte de Kafka en inversant la proposition initiale: "Lorsqu'il s'éveilla", il s'aperçut qu'il était métamorphosé en Grégor Samsa et qu'il était allongé sur son lit." Quant à la nouvelle éponyme, elle semble donner les clés des autres textes et le narrateur nous confie :"(il y a toujours, sur le parcours de mes promenades, des jardins qui abritent une statue de licorne)".
Avec une extrême sensibilité et beaucoup de pudeur, sans oublier quelques pointes d'humour, Murakami nous entraîne dans son univers si particulier où il est question de musiques, de mélancolie, et de femmes bien sûr. Et zou sur l'étagère des indispensables !
L'occasion de découvrir l’œuvre de Murakami pour ceux qui ne la connaitraient pas encore.
Magnifiquement traduit du japonais par Hélène Morita, Belfond 2017.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : haruki murakami
23/01/2017
Merci pour l'invitation
"Vraiment ? Si je laissais ma fille décider de ce genre de choses, je sortirais avec un beagle !"
Ouvrir un livre de Lorrie Moore c'est avoir la certitude d'entrer dans un univers où la réalité est scrutée avec un grand sens du détail, non dénué d'humour.
Cette écrivaine, que je suis depuis ses débuts avec toujours autant d’enthousiasme, est aussi la reine de l'ellipse, privilégiant le moins pour en dire plus, accordant ainsi toute sa confiance à l'intelligence de son lecteur. Dès la première phrase, le ton est donné : "Kit et Raf s'était rencontrés au cours d'un mouvement pacifiste où ils organisaient des manifs et fabriquaient des pancartes contre le nucléaire, ce qui ne les empêchait nullement d'avoir à présent envie de se tuer l'un l'autre."
Nous voilà donc embarqués dans une histoire où les personnages, bien qu'ancrés dans le monde réel, semblent légèrement déphasés, ayant fait ou étant sur le point de faire, un pas de côté, ce qui est aussi le cas des sept autres nouvelles composant ce recueil où j'ai glané de multiples citations. Une dernière pour la route "C'est sans doute pour cette raison que la foi avait été créée : afin d'élever des adolescents sans y laisser sa peau. Et bien sûr aussi pour cette raison que la mort avait été créée :pour échapper auxdits adolescents."
Vite découvrez, si ce n'est déjà fait, cette autrice !
Merci pour l'invitation, Lorrie Moore, traduit de l'anglais (E-U) par laetitia Devaux, Editions de l'Olivier 2017, 233 pages succulentes.
Le billet enthousiaste de Cuné !
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (8)