04/07/2016
Ceci n'est pas une histoire d'amour
"Elle aimait les livres plus qu'elle n'aimait les gens . Il n'y avait aucun mal à cela. N'était-ce pas mieux que de vanter ses mômes ou de vivre l'existence d'un mari par procuration ? En tout cas , c'était mieux que de choper la chaude-pisse."
Harriet Post, blogueuse littéraire à succès (et romancière en devenir), s'est fixée une mission:dénoncer l'imposture de Sepp Gregory, star de téléréalité et prétendu auteur d'un roman, qui, elle doit bien se l'avouer, est fort bon.
Elle se lance donc à la poursuite de Sepp, plus prompt à retirer son tee-shirt pour exhiber ses tablettes de chocolat, que pour aligner trois mots, bien décidée à lui extorquer le nom du Ghost Writer qui a commis ce roman. Mais celui qui mènera la danse lors de ce road-trip, parfois chaud-bouillant, ne sera pas forcément celui qu’on croit...
Dénonçant les multiples réalités dans lesquelles se perd Sepp, tout autant que la fatuité d'Harriet, Mark Haskell Smith se livre à un réjouissant jeu de massacre de la société américaine. Ses personnages principaux son attachants, parfois pas forcément pour de bonnes raisons, ils inspirent "Le genre de réaction émotionnelle qu'on ressentait face à un chiot un peu débile. On hésitait entre lui faire un câlin ou le faire euthanasier."
Sepp, romantique fragile planqué derrière ses abdos et Harriet qu'il identifie comme une" femme fougueuse", comprendre : "Les femmes qui ont des couilles assurent", parviendront-ils à trouver un terrain d'entente et à se dépêtrer des situations explosives dans lesquelles ils vont se fourrer ?
Ce roman, qui se dévore à toute allure, ne peut que faire le bonheur des lecteurs français, car l'auteur l'assure à plusieurs reprises: les Français lisent encore des livres et échappent donc à la connerie ambiante !
En tout cas, Mark Haskell Smith nous offre ici un parfait remède à la morosité, roboratif, épicé et hautement réjouissant !
Ceci est une histoire d'amour qui commence avec cet auteur ou je ne m'y connais pas.
Ceci n'est pas une histoire d'amour, Mark Haskell Smith, Rivages 2016, traduit de l’anglais(E-U) par Julien Guérif
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : mark haskell smith
19/06/2016
Célibataire longue durée
"Et si , maintenant que je ne suis plus une femme, je décidais d'en devenir une ? "
Quand une héroïne a la gentillesse de résumer sa situation, on ne va pas se gêner : "Si je récapitule, je viens d'être licenciée, depuis deux ans je suis veuve et seule responsable de mes enfants, sans compter que le grand amour n'a toujours pas frappé à ma porte. Soit je fais une dépression, soit je me dis que je suis à un tournant de ma vie et qu'il va falloir négocier le virage intelligemment." Ajoutons que Vanessa Poulemploi est à l'aube de la cinquantaine, qu'elle a deux amies et un meilleur ami toujours là pour l'aider, ce qui est fort utile quand on est à la fois"grande gueule et fonceuse" et "serpillère, qui s'écrase comme une merde".
Le processus d’identification joue à fond ici dans cette fiction endiablée où, à force de chercher le grand amour, Vanessa finira sans doute par se connaître et identifier ses vrais besoins, ce qui n'est déjà pas si mal. On la suit avec bonheur dans son parcours, émaillé de râteaux mais aussi de rebellions mémorables et jouissives, entre autres un email d'anthologie qui revient façon boomerang dans la face d'un goujat de première catégorie. Car,si parfois elle comate sur son canapé, elle a aussi du punch Vanessa et une façon de retomber sur ses pieds fort réjouissante ! La fin réussit même à déjouer les clichés du genre, ce qui est en soi un petit miracle !
Vous l'aurez compris j'ai pris un énorme plaisir à dévorer d'une traite ce nouveau roman de Véronique Poulain , un anti-grisaille garanti !
Célibataire longue durée, Véronique Poulain, Stock 2016, 216 pages pleines d'humour et de rythme !
De la même autrice: clic
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : véronique poulain
06/04/2016
Murmures dans un mégaphone
"Un homme levant une tasse devant lui et servant un deuxième thé à une femme qu'il vient tout juste de rencontrer. Une femme qui s'est aventurée à l'extérieur après trois ans d'emprisonnement volontaire. Un homme dont les pensées rationnelles ont été suspendues tels des draps lavés de frais, gonflés par le vent, rien que cela, gonflés par le vent."
Cela pourrait être une accumulation de personnages plus ou moins gentiment dysfonctionnels.Jugez un peu: Myriam , trente-cinq ans ,vient juste de décider de quitter la maison où elle a vécu volontairement recluse. Ralph, le jour se son anniversaire, quitte sa femme car "S'il existait un Oscar du déni, Sadie l'emporterait chaque année.Une experte, une professionnelle." De plus, cette dernière étale en direct sur les réseaux sociaux le naufrage de leur mariage...Exit donc Sandy et direction les bois où, bien évidemment, Ralph rencontre Myriam. Sortez les violons, préparez la guimauve ? Que nenni !
Rachel Elliott, dont c'est ici le premier roman, est aussi psychothérapeute (comme Ralph, tiens...) et son empathie pour ses personnages ne l'empêche pas d'éviter les clichés du genre. Avec délicatesse, finesse et précision, elle peint les errements de ces personnages avec beaucoup d'humour. Elle ne juge jamais leur léger décalage , les accompagne dans leur quête d'une vie meilleure avec empathie et nous fait entendre leur Murmures dans un mégaphone ,les rendant sacrément vivants aux yeux du lecteur.
La fin, apaisée, évite cependant le happy end à tout prix et c'est avec un sourire aux lèvres que l'on referme ce formidable roman. Un grand coup de cœur !
Comme l'écrit Véronique Ovaldé sur le bandeau de ce roman : "Ne sous-estimez pas le mystérieux pouvoir de ce livre."
Murmures dans un mégaphone, Rachel Elliott, magnifiquement traduit de l’anglais par Mathilde Bach, Rivages 2016,444 pages qui réenchantent le quotidien !
06:02 Publié dans Les livres qui font du bien, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : rachel elliott
15/03/2016
Sans oublier la baleine
"Les courbatures qui continuaient de meurtrir ses membres évoluaient en une douleur d'une espèce différente-une sourde nostalgie de la beauté du monde, du bleu tendre du ciel, du gris minéral de l'eau, des verts délicats des prairies."
Joe Haak a filé d'une traite de la City jusqu'à un petit village de Cornouailles où son sauvetage par une baleine providentielle a fait de lui le héros en devenir d'une légende locale.
Pourtant tout semblait opposer ce jeune prévisionniste, officiant pour les traders londoniens, aux 307 habitants de ce paisible village de pêcheurs, francs du collier et si pittoresques, comme sortis d'un roman d'Agatha Christie. Une auteure appréciée par Joe pour leur goût commun de relier des faits entre eux et d'en tirer des déductions.
Mais, ce "choc des cultures" va vite devenir une " fable survivaliste" dont John Ironmonger va détourner tous les poncifs. C'est en effet une vision optimiste que nous offre ici l'auteur de Sans oublier la baleine.
Un roman réconfortant, plein de chaleur humaine, où rien ne se passe comme prévu, où le danger le plus banalisé peut devenir le pire et où la solidarité l'emporte sur l’égoïsme, le tout sans tomber dans un angélisme outrancier. Bien au contraire, l'auteur se fonde sur des faits réels, des théories prévisionnistes, le tout relevé par son grand art de conteur .
On n'oubliera pas de sitôt John, Polly, Aminata et les autres, Sans oublier la baleine, bien sûr !
Du même auteur, vient de sortir en poche: clic.
Sans oublier la baleine, J.W. Ironmonger, très subtilement traduit par Christine Barbaste, Stock 2016, un petit délice à ne pas rater !
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : j.w ironmonger
11/03/2016
Chiens perdus et coeurs solitaires...en poche
Rachel perd simultanément son amoureux, son boulot, son appart. De surcroit, cette quasi quadragénaire hérite de sa marraine, un refuge pour chiens à la campagne. Pour elle qui n'est pas cynophile, il semblerait que le sort s’acharne .
Avec le thème classique de l'héroïne détonnant dans un nouvel environnement, Lucy Dillon joue sur du velours. Il n'en reste pas moins que ses personnages sont pleins de vie, variés et avec des problématiques qui changent de la chick litt habituelle.Un soupçon de pédagogie concernant les rapports humains/chiens ne gâte rien et on prend beaucoup de plaisir à cette lecture qui vide aussi bien la tête qu’une balade avec son chien !
Vous avez envie de lire un bon gros roman romantique, sans prise de tête, pas trop sucré et donnant souvent le sourire ?
Si vous aimez les chiens , la campagne anglaise et ses pittoresques habitants, ce bon gros roman de 498 pages (qui se tournent toutes seules) est fait pour vous !
Chiens perdus et cœurs solitaires, Lucy Dillon, Éditions archipoche 2016.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Les livres qui font du bien | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : lucy dillon
14/08/2015
La silencieuse...en poche
"Ce n'est pas la campagne qui ne me convient pas, c'est moi."
Suite à une rupture amoureuse, Clara , sculptrice, va s'installer, provisoirement ou pas, elle n'a encore rien décidé, à la campagne.
Là, elle prend peu à eau ses marques, observe la nature, se promène au bord du fleuve avec le chien du voisin et, même si elle vit dans une demeure plutôt isolée, va bientôt tisser des liens avec des habitants du coin. Elle prend aussi conscience de la quête qui l'anime : "De ce qui me retiendrait mes sculptures et moi, de cette incessante tentation de s'envoler."
Comment ne pas tomber sous le charme en apparence fragile mais puissant de ce roman ? Il donne l'impression à chacun de ses lecteurs qu'il n'a été écrit que pour lui ou elle . Comment ne pas être ému par ce personnage intimidé par "la nouveauté du lieu, de ma vie ici" et qui ne trouve pas toujours les mots ? L'écriture est lumineuse et le portrait sensible. Un grand coup de cœur !
La silencieuse, Ariane Schréder, Philippe rey /fugues 2015, 190 pages qui font du bien.
Je l'avais laissé passer chez Aifelle, je ne l'ai pas raté chez Antigone ! Merci à toutes !
Plein de liens chez Keisha qui en parle aujourd'hui .
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Les livres qui font du bien, romans français | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : ariane schréder
10/06/2015
L'art de voyager léger et autres nouvelles
"Elle s'habillait toujours au lever du soleil, chaudement et avec enthousiasme. Elle boutonnait soigneusement ses pulls et son pantalon de moleskine autour de sa taille généreuse et une fois ses bottes enfilées et ses cache-oreilles baissés, elle s'installait devant l'âtre dans un état de bien-être que rien n'aurait pu perturber , parfaitement immobile et l'esprit libre de toute pensée, tandis que les flammes réchauffaient ses genoux. Elle accueillait chaque nouveau jour de la même manière et attendait l'hiver avec la même constance."(p.96-97)
Quel bonheur que ces textes célébrant le rituel, le chez soi, le sentiment de "sécurité absolue" et ceci de l' enfance d'une narratrice , qu'on peut supposer être l'auteure , au dernier été sur une île qu'on pourrait identifier comme celle évoquée dans Le livre d'un été (clic).
Seul le dernier texte, donnant son titre au recueil (le seul titre relativement original par rapport aux autres, nettement plus ternes) met en scène un personnage masculin, mais les thèmes restent les mêmes.
En quelques pages, Tova Jansson crée un univers où l'enfance se déroule dans une grande liberté, au sein de la nature, où l'on est attentif aux sensations, aux sentiments. Des textes en apparence anodins mais où l'on ressent une grande intensité , une grande attention à ce qui fait la vie même.
Un huis-cos sur une île entre une femme et un écureuil, les sentiments exacerbés d'une enfant qui "courtise" un adulte , un Noël dans une famille à la fois bohème et soucieuse des traditions, une "expédition" qui pourrait mal tourner , autant de petits moments dont se dégage le plus souvent "un grand sentiment de quiétude". Et zou, sur l'étagère des indispensables !
L'art de voyager léger, Tove Jansson, traduit du suédois par Carine Bruy, livre de poche 2015, 165 pages qui résonnent en nous.
Ps: parfois les livres se prolongent de manière involontaire et opportune : Moan Chollet évoquait les Mommins (imaginés par Tove Jansson)et le chez soi, j'ai enchaîné avec ces textes dont je guettais fébrilement la parution...
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, Les livres qui font du bien, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : tove jansson
19/05/2015
La femme au carnet rouge
"Laurent se trouvait devant une femme-puzzle. Une silhouette floue, comme dernière une vitre pleine de buée , un visage semblable à ceux que l'on croise dans les rêves et dont les traits se brouillent dès que l'on tente de se les remémorer."
Laurent Letellier, libraire, découvre un jour un sac mauve, probablement volé, sans indication de l'identité de la propriétaire. Il décide alors de mener une enquête , placée sous les auspices de Modiano (que nous croiserons ! ) de Sophie Calle et de Pessoa, afin de le lui restituer.
Se tissent alors entre l'apprenti détective et la victime du vol des liens qui vont très largement dépasser le simple acte civique...
Si je n'avais pas acheté ce roman en format poche, il est probable que j'aurais moins ressenti le charme subtil, quelques fois un peu forcé, de ce roman agréable et léger qui fait un bien fou, car j'en aurais sans doute attendu trop. Mais là, nonobstant une couverture criarde (je sais que le jaune est à la mode cette saison, mais c'est définitivement non à cette couleur) , je me suis régalée à lre cette romance qui s'élabore quasi malgré les principaux protagonistes.
Des avis très tranchés sur Libfly !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Les livres qui font du bien, romans français | Lien permanent | Commentaires (11)
15/05/2015
ça aussi, ça passera
"Tout l'amour de mes amis et de mes enfants ne suffit pas pour que je puisse résister aux rafales de ton absence, j'ai besoin d'être agrippée à un homme pour ne pas être emportée dans les airs."
Bianca, quarante ans, vient de perdre sa mère . Elle part en vacances dans la maison familiale de Cadaqués, entraînant avec elle ses deux amies, ses deux ex-maris et ses enfants.N'oublions pas l'amant du moment qui rôdera aussi dans les parages, accompagné de sa propre famille. Une situation pour le moins atypique mais qui correspond bien à la narratrice, amoureuse éperdue de la vie.
Dans un paysage baigné de soleil, au bord de la mer, Bianca qui mène "une vie désordonnée et enfantine" s'adresse à celle qui vient de mourir entre deux considérations sur les relations hommes/femmes et un rendez-vous amoureux. La vie, la mort , tout est mêlé et Bianca , malgré sa douleur, est toujours prête à séduire,à aimer.
Ce pourrait être glauque, c'est lumineux, tendre et cruel à la fois,plein d'amour et d'apaisement. Une petite parenthèse de bonheur.
ça aussi, ça passera, Milena Busquets, traduit de l'espagnol par Robert Amutio, 176 pages ensoleillées.
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : milena busquets
20/01/2015
Le restaurant de l'amour retrouvé
"Et si jamais il m'était donné de cuisiner dans ce petit village paisible au cœur des montagnes, j'arriverais peut être à m'ancrer enfin dans la réalité, à vivre pleinement. Je le sentais, cette certitude jaillissait du plus profond de moi, comme un magma en fusion."
Rinco a tout perdu en une journée: ses meubles, ses instruments de cuisine (dont une cocotte Le Creuset !), ses économies, son petit ami et même sa voix.
La jeune femme se réfugie dans son village natal où vit encore sa mère, avec laquelle elle entretient des relations tendues. Là, elle va concrétiser un projet qui lui tient à cœur: ouvrir un restaurant très particulier, "Comme une grotte secrète où les gens, rassérénés, renoueraient avec leur vrai moi."
Rinco pratique une cuisine véritablement inspirée et régénère en quelque sorte ses clients , d'une manière délicate et précise.
C'est donc de résilience mais aussi de bienveillance et d'amour des autres qu'il est question dans ce roman dont le titre pouvait laisser craindre le pire : mièvrerie et naïveté. Mais ici le style est poétique et imagé (beaucoup de métaphores culinaires , bien sûr) et Ito Ogawa réussit à créer un univers à la fois poétique et fantasque, avec quelques touches de rudesse , mettant l'eau à la bouche de surcroît !
Une petite merveille de délicatesse et de sérénité ! On rêverait de connaître l'adresse d'un tel restaurant !
Le restaurant de l'amour retrouvé, Ito Ogawa,traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako Picquier poche 2015 , 253 pages succulentes.
Le billet d'Hélène .
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Les livres qui font du bien, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : ogawa ito