05/03/2010
les monstres de templeton
"Rien ne change jamais ici, n'est-ce pas ? "
Rien ne change ? Que nenni ! Et Willie Upton, rentrée rechercher du réconfort auprès de sa mère, l'ancienen hippie, Vivienne, va vite l'apprendre à ses dépens.
Tout commence par l'apparition soudaine du cadavre d'un monstre, sorte de Nessie local, apparition qui va subtilement déséquilibrer le bel ordonnancement de cette ville américaine tranquille, placée sous l'égide de ses fondateurs, les Templeton. Les Templeton auxquels Willie est apparentée par sa mère mais aussi par son père comme elle l'apprend soudainement.
Pour découvrir l'identité de songéniteur, la narratrice se lance alors dans une recherche historique qui montrera que les Monstres de Templeton ne sont pas forcément ceux que l'on croit.
Le monstre ici n'est qu'un symbole et ceux qui s'attendraient à un récit fantastique en seraient pour leurs frais. Non, il est davantage question de cette quête d'identité dans laquelle s'engage la narratrice, personnage haut en couleurs, dotée d'une amie tout aussi attachante. Remarquons au passage que les personnages frôlent à chaque fois le cliché et l'évitent subtilement. Lauren Groff éprouve visiblement de la sympathie pour chacun d'entre eux, sans pour autant tomber dans la mièvrerie (un échange de correspondance féminine se révèle particulièrement vénéneux et savoureux tout à la fois). Elle entremêle avec dextérité les liens passé/présent , même si ,comme Cuné,* je me suis parfois perdue dans cette généalogie complexe (mais le plaisir de lecture était toujours là, que ce soit pour les périodes contemporaines ou plus anciennes). Fertile en rebondissements, agrémenté de photos vieillottes, ce premier roman vous embarque et on le lâche plus , regrettant à la fin de devoir quitter ce monde si féroce et charmant à la fois. Une réussite !
Vient de sortir en poche.
L'avis de Cuné grâce à qui je l'avais découvert.
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27/02/2010
L'histoire d'un mariage
"Femme soigneuse, bonne jardinière, j'élaguais les rameaux porteurs du doute."
Cela commence de manière bien proprette, bien lisse, Pearlie, Holland, un mariage heureux un enfant , une vie bien rangée . mais comme le répète la narratrice, l'heureuse épouse : "On est seulement nés au mauvais moment.", comprendre dans les années 50 , aux Etats-Unis, dans une société marquée par la guerre de Corée, la ségrégation raciale et le maccarthysme.
Pearlie aspire au repos mais l'irruption de Charles Drumer dans leur vie de couple risque de tout faire voler en éclats.
L'histoire d'un mariage est un roman qui multiplie les surprises faites au lecteur, en se jouant de ses a priori. Le thème lui aussi va se révéler surprenant car la narratrice va se rendre compte qu'elle écrit -en creux- l'histoire d'une guerre, sans récits de combats, mais pas sans violence, une violence larvée et qui prend des formes multiples.
Fiction et réalité se mêlent en une troublante mise en abîme , "percevoir sa vie comme un roman qu'on a écrit et auquel on a cru." et si Andrew Sean Greer revient sur le thème classique "Nous en connaissons pas vraiment ceux que nous aimons", il l'aborde d'une manière originale m ême si le récit perd un peu de sa vigueur dans la dernière partie. le style est agréable , même si , à force d'avoir été induit en erreur, le lecteur en vient à s'inquiéter à chaque rétention d'information : Nouveau chausse-trappe ou pas ?
Vient de sortir en poche.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : andrew sean greer, couple
20/02/2010
Cabine commune
"Bande de vieilles taupes"
"Vestiaire de rugby",ring de boxe ? Non , Cabine commune d'essayage dans une boutique de luxe.
Sous forme de dialogues enlevés, sans une ligne de description, Delphine Bertholon réussit le pari de croquer sur le vif, les clientes (ou clients) et le personnel de ce magasin de vêtements féminins.
De bizarres tribus s'y croisent le temps d'un essayage: "Celle-qui-veut-tout-pareil-que-la- voisine", les "Princesses", celles qui ont un problème avec leur corps : elles vont perdre deux kilos, elles n'ont jamais mis de 40 de leur vie... Elles mettent les nerfs des vendeuses à rude épreuve , vendeuses qui prédisent que "Bientôt les meurtres en boutique par des vendeurs excédés vont se généraliser(...) Un mal nécessaire, quoi !".
Unité de temps, une semaine, unité de lieu, la cabine, ce cadre bien précis donne toute leur force à ces mini-drames qui se donnent à voir.
Beaucoup d'humour (et de patience) sont nécessaire au personnel du magasin pour faire face à ces clientes , telle celle-ci qui affirme tout de go:"-Le mohair ça gratouille l'angora ça peluche la soie c'est fragile le cachemire ça fait des bourres et le mérinos ça rétrécit.
- Vous êtes sûre que vous voulez de la laine? ".
Néanmoins ces cabines ont un avantage pour certaines: "Je ne viens pas pour acheter. mais voir tous ces corps défraîchis à côté du mien, ça me remonte le moral ! Vos cabines communes, c'est ma cure de jouvence!". On peut quasiment en dire autant du roman de Delphine Bertholon : on en sort le sourire aux lèvres, toute ragaillardie !
Vient de sortir en poche .
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19/02/2010
De Niro's game
Dix mille bombes
"Les bombes pleuvaient. Les guerriers se battaient, nos ordures s'entassaient au coin des rues. Chats et chiens , gavés, grossissaient de jour en jour. Les riches en partance pour la France lâchaient leurs bêtes dans la jungle urbaine : toutous orphelins, bichons de luxe dressés à être propres, bassets portant prénoms français et noeud papillon rouge, caniches frisés au pedigree impeccable, cabots chinois ou génétiquement modifoés, clébards incestueux agglutinés en bandes qui couraient les rues par dizaines, unis sous le commandement d'un bâtard charismatique à trois pattes. La meute de chiens la plus chère du monde errait dans Beyrouth, courait sur la terre, hurlait à la lune énorme et dévorait des montagne de déchets à tous les coins de rue." Le décor est planté : Beyrouth durant la guerre du Liban, début des années 80, une ville d 'apocalypse où on tire en l'air pour se frayer un passage dans les rues ou se faire une place à la station-service.
Dans cette ville en ruines mais toujours palpitante de vie deux amis, comme deux frères: Bassam qui rêve de partir à l'étranger et Georges qui lui se sent attiré par la milice chrétienne et sa violence.
Une fraude dans un casino aux mains de ce groupe armé va précipiter les événements et décider du destin des deux garçons...
Rawi Hage, avec De Niro's game, titre faisant allusion au jeu de la roulette russe dans Voyage au bout de l'enfer nous livre un premier roman saisissant. Une plongée dans un monde où régne la violence , violence dans laquelle certains se vautrent mais que le narrateur, Bassam, utilise avec un certain détachement, outil nécessaire pour sauver sa peau. Bassam ne pose pas des mots sur ses sentiments juste des actes. Il ne joue pas au héros, il veut juste s'en sortir et ,quand la situation devient insupportable , il se raccroche aux mots et à des visions oniriques et poétiques, de longs flots inspirés qui charrient la boue et les étoiles. Cette opposition donne encore plus de force à des scènes qui sans quoi pourraient être insoutenables, comme la séance de torture qu'il subit. Le récit quant à lui est très structuré et culmine dans une séance d'explication finale qui éclaire d'un jour nouveau tout le roman. Un style inspiré et puissant qui m'a fait apprécier ce qui n'est pas d'ordinaire ma tasse de thé.
Vient de sortir en poche.
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30/01/2010
les années
"Une coulée suspendue"
"Ce ne sera pas un travail de remémoration, tel qu'on l'entend généralement, visant à la mise en récit d'une vie, à une explication de soi. Elle ne regardera en elle même que pour y retrouver le monde , la mémoire et l'imaginaire de jours passés du monde , saisir le changement des idées, des croyances et de la sensibilité, la transformation des personnes et du sujet."
Annie Ernaux revient à plusieurs reprises dans Les Années sur son projet d'écriture et la nécessité de l'utilisation du pronom "elle". Je n'ai pas été gênée par ce pronom et me suis laissée emporter d'une seule coulée dans le flot continu du texte, scandé par la description de photos de la narratrice, comme autant de balises pour se poser un peu et prendre la mesure du temps passé.
Toutes mes craintes (retrouver les événements déjà traités dans les premiers romans d'Annie Ernaux que j'avais lus à leur sortie, se perdre dans cette évocation d'un passé qui ne m'appartient que partiellement) se sont envolées et j'ai dévoré d'une traite cette évocation d'une vie qui est aussi un peu la nôtre.
Vient de sortir en poche
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : annie ernaux
23/01/2010
"Vous êtes petite mais venimeuse."
Lemmer a fait 4 ans de prison pour meurtre et exerce maintenant le métier d'"invisible", c'est à dire de garde du corps ,plus efficace que les"gorilles" dissuasifs ,car plus discret. Sa nouvelle mission est de protéger Emma Le Roux, persuadée d'avoir retrouver la trace de son frère censé être mort depuis longtemps. D'abord méfiant et bardé de principes protecteurs,Lemmer va peu à peu accepter de croire les élucubrations de cette femme quand on va tenter de l'assassiner...
Se déroulant sous le soleil d'Afrique du Sud, Lemmer l'invisible joue sur plusieurs tableaux avec habileté. L'histoire apparemment classique s'enrichit du contexte politique de cet Etat en construction où des communautés doivent réapprendre à vivre ensemble maintenant que la donne a changé avec la fin de l'apartheid.Il faut aussi veiller au partage des terres entre réserves destinées à protéger les animaux (et en particulier les vautours, animaux que l'auteur nous présente de manière passionnante)et territoires revenant aux autochtones spoliés.
Les relations entre les personnages principaux sont analysées avec justesse et finesse, Deon Meyer veillant à ne pas se montrer caricatural. Le style est sobre et efficace,les personnages attachants, la narration pleine de rebondissements, que demander de mieux ?
Vient de sortir en poche.
Lemmer l'invisible, Deon Meyer, Points Seuil.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : lemmer l'invisible, deon meyer
16/01/2010
Petite bombe noire
Une nouvelle couv' (plutôt moche), mais un texte jubilatoire ! Une réédition pour ceux qui veulent découvrir l'univers déjanté de Brookmyre avec son premier roman, Petite bombe noire.
Son auteur, Christopher Brookmyre, possède un humour vachard, un style vigoureux ("plus serré qu'un cul de dromadaire pendant une tempête de sable") et ses héros roulent souvent à une vitesse "diana-cide" . Ses intrigues sont pleines de rebondissements et se déroulent dans une région pas du tout glamour , l'Ecosse, qu'il connaît comme sa poche et qu'il nous rend attachante avec ses supporters de foot azimutés et ses alcools variés.
Mais surtout Brookmyre, comme les "méchants" de ses livres, est un grand spécialiste de la manipulation jubilatoire. On se laisse mener en bateau avec bonheur aux côtés de l'inspectrice Angélique de Xavia qui , petite, femme et noire , cumule tout ce qui peut déplaire à ses collègues. A défaut de collectionner les amants (elle déplore qu'ils soient moins nombreux que ceux qu'elle a refroidis), elle accumule les ceintures noires dans divers sports de combat mais n'en reste pas moins une femme qu'il faut traiter avec délicatesse même si ,comme dit un de ses collègues admiratifs,elle a des couilles.
Brookmyre pulvérise avec panache tous les poncifs du genre policier (la prise d'otages dans Petit bréviaire du braqueur (indiponible actuellement) est un régal) et nous gratifie au passage d'une analyse politico-économique de la pipe (pas celle de saint Claude, l'autre) ou d'une diatribe contre les Pauves Enculés de Banlieusards...A ne louper sous aucun prétexte !
Petite bombe noire, Christopher Broomyre, Points Seuil.
Découvert grâce à Cuné !
Qui l'avait découvert grâce à Chimère !
06:01 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : christopher brookmyre
08/01/2010
avis de tempête
"Les balances à crabes orange devant la maison. La rangée de goélands argentés."
Moïra,"Dure comme un galet", "dure, obstinée" tente de tisser un lien avec sa soeur cadette dans le coma suite à une chute inexpliquée.
"Amy,c'est moi qui te parle,je veux que tu le saches. Ce ne sont pas des mots pris dans des livres,, ou des magazines. C'est moi qui les dis, moi qui me suis toujours si rarement exprimée par des mots, les mêmes que tout le monde mais par des nombres, par des symboles, des marques sur la peau. [...] Mais ces mots , ils sont aussi dans ma tête. c'est la voix de mon esprit, qui ne se tait jamais, et ce sont mes pensées: vives, miroitantes comme des écailles de maquereau. Elles surgissent par éclairs dans mon cerveau pendant que je marche, ou que je lis. Que je plante des jacinthes,agenouillée dans l'herbe de la pelouse. Que je ferme les fenêtres de cette chambre quand je sens venir la pluie."
Moïra remonte le cours du temps, petit à petit les pièces du puzzle s'emboîtent et l'on comprend pourquoi la narratrice ,toute sa vie s'est "tenue à la frontière" de l'amour, de l'amitié, de la vie.
Une voix mesurée, calme et dense qui se fraie un chemin en nous. Un style imagé, dont on pourrait quasiment extraire des haïkus, charnel et placé sous le signe de l'eau. Une vraie et belle découverte. Un livre magique.
Avis de tempête Susan Fletcher 444 pages.
Sorti en poche !
(Mais comment peut-on faire des couv' aussi moches, bon sang ! )
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : susan fletcher, soeurs
12/12/2009
Je vais tuer mon mari...
"Vois-tu,la parole me fait autant que je la fais."
La résolution initiale, Je vais tuer mon mari , n'est pas le fait d'un coup de sang. Non, elle est le résultat logique d'une réflexion argumentée.Pourtant au fil de cette semaine sainte durant laquelle la narratrice, qui est aussi écrivaine, va dresser le constat d'un couple que tout oppose, cette volonté va peu à peu mollir et se transformer en une force de vie qui balaiera tous les reproches. "Regimber c'est vivre" affime la fugueuse, qui manifeste un féroce appétit de vivre , que ce soit dans les bras de ses amants ou dans son dialogue avec une mère quelque peu intrusive.
Alors, il ya quelques longueurs, il faut s'approprier ces paragraphes sans virgules,mais c'est aussi la découverte d'une vraie voix, d'une écriture pleine d'inventivité et d'énergie, en témoignent les (très ) nombreuses pages cornées.
Je vais tuer mon mari..., Claire Fourier ,Omnia 2009,( 10 euros) paru pour la première fois en 1997.186 pages ardentes.
Ps: réaction sentencieuse de mon macho en herbe à la lecture du titre : "Il faut censurer ce livre ." :)
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : claire fourier, à glisser sous le sapin?, rapports hommefemme, écriture
11/12/2009
cahin-caha
"S'il paraît que le bonheur c'est du chagrin qui se repose, le blues pourrait être son hamac."
Une petite troupe de croches et de bancals, dont le narrateur, La Tremblote, part en stage d'équitation en Armorique.
Drôle d'idée apparemmment pour ces éclopés de la vie qui font face, chacun à leur manière, au mauvais tour que leur a joué la loterie génétique.
L'occasion pour le narrateur de se débarrasser des vieux schémas qui sclérosent sa vie et de découvrir que , même s'il aime se noyer dans le blues"...on n'est jamais à l'abri d'un joli feu d'artifice."
Sur un sujet casse-gueule, des ados atteints de pathologies lourdes, Anne Lenner a écrit un premier roman alternant émotion et humour, rempli de jolies formules, sans jamais tomber dans le pathos. Elle aborde avec une justesse confondante la manière dont les jeunes mais aussi leur famille vivent avec la maladie, parfois avec cynisme mais jamais avec auto apitoiement. Il faut accepter de se couler dans le langage familier du narrateur et une fois ceci admis, on est bel et bien ferré. Un roman qui ne va pas Cahin-caha mais qui file, pan, droit dans le coeur !
Cahin-caha, Anne Lenner, Pocket 2009, 191 pages et une larmichette au bout !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : anne lenner, adolescence