16/06/2023
La vallée des fleurs...en poche
"Viens me chercher, je pense. Emmène-moi. Laisse-moi me jeter dans la mer obscure. "
La vallée des fleurs est un roman tout en contrastes qui relate l'itinéraire d'une jeune femme inuite qui va intégrer une université au Danemark. Si son homosexualité est tout à fait acceptée par sa famille, on sent bien d'emblée que sa singularité se situe ailleurs et qu'elle dérange. Serait-ce son hypersensibilité ou un comportement parfois atypique ?
Au Danemark, l'effort d’adaptation au monde étudiant ,mais aussi aux subtilités de la langue (elle ne détecte pas immédiatement l'ironie ,par exemple) vont lui être coûteux et un deuil dans la famille de sa petite amie sera l'occasion pour elle d'aller dans l'Est du Groenland ,près de ce cimetière qui donne son titre au roman.
Car la mort irrigue ce roman, dont les têtes de chapitre de la première partie sont scandés par la mention factuelle de suicides de jeunes gens. Une vague de suicides touche en effet le Groenland et les mesures prises pour l'endiguer ne semblent guère efficaces.
Si l'humour est bien présent, la souffrance l'est tout autant et l'autrice dépeint avec une extrême sensibilité cette écorchée vive qui tente de se retrouver. Un roman extrêmement dépaysant , qui montre aussi bien la beauté sauvage que les laideurs de ce pays, sa rudesse et sa délicatesse.
Traduit du danois par Inès Jorgensen
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : niviaq korneliussen
18/05/2023
Evidemment Martha...en poche
"Je voulais lui dire que c'était la première fois que j'étais capable de décider comment réagir à un événement négatif, aussi insignifiant soit-il, au lieu de réagir avant d'avoir pris conscience. J'ai dit que je ne savais pas qu'on pouvait choisir quoi ressentir au lieu d'être submergée par une émotion extérieure. J'ai dit que c'était difficile à expliquer. Je ne me sentais pas différente, je me sentais moi-même. Comme si je m'étais trouvée."
Depuis l'âge de dix-sept ans, Marthe souffre de troubles psychiques et tente de s'en accommoder avec l'aide de traitements peu efficaces. Elle a maintenant trente-quatre ans, un premier mariage éphémère à son actif et un second qui se délite.
Les autres membres de sa famille (un père poète jamais édité, une mère sculptrice (qui vit aux crochets de sa sœur tout en la méprisant copieusement) une sœur quasi jumelle exténuée par ses grossesses successives) , ont chacun à leur manière tenté de "faire avec" l'attitude chaotique de Martha mais semblent eux aussi sur le point de lâcher prise.
L'autrice a fait le choix de ne jamais nommer la maladie (qui sera enfin correctement diagnostiquée ), sans doute pour ne pas stigmatiser ou pour ne pas limiter le récit et cela me convient très bien car ce qui est davantage montré ici est la souffrance de Martha et celle de tous ceux qui l'entourent.
La structure éclatée du roman, les allers retours dans le temps, l'analyse fine des rapports complexes liant Martha à sa famille et, en particulier, à son second mari en apparence trop patient, la révélation retardée de certaines réactions de la jeune femme contribuent à maintenir la tension tout au long du récit.
Un roman clivant sans doute mais que j'ai dévoré et qui m'a serré le cœur.
Traduit de l'anglais par Anne Le Bot
Le Cherche Midi 2022, 399 pages qui peuvent dérouter et/ou profondément émouvoir.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : meg mason
17/05/2023
La fille qui voulait voir l'ours...en poche
"Je ne me suis jamais senti aussi humaine et pleine vie que dans ce cosmos sylvestre. J'y ressens la palpitation du monde. J'imagine les flux de sève dans les arbres, les racines exploratrices du sol, les usines à chlorophylle des feuillages.
Mais je sens aussi mes limites à écouter, sentir, comprendre tout ce qui m'entoure. "
Acheté un peu par hasard, beaucoup pour travailler sur le thème du voyage en privilégiant le voyage au féminin, ce récit de Katia Astafieff a dépassé mes espérances par sa fluidité d'écriture, son humour, son attention aux autres et à la nature et surtout sa volonté de ne pas se poser en héroïne.
La narratrice ne nous cache rien de ses échecs, de ses limites physiques et surtout détaille bien les problèmes spécifiques qui se posent aux femmes en matière de préparation logistique: quid du soutien-gorge , comment résoudre le problème des règles en conciliant efficacité et légèreté car il faut veiller à ne pas trop se charger. Et la voilà partie sur le sentier international des Appalaches en plein été...
Un récit qui détonne agréablement comparé à ceux de certains de ses confrères masculins...
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : katia astafieff
15/05/2023
Ours...en poche
"Elle aimait l'ours. Il y avait en lui des profondeurs qu'elle ne pouvait atteindre, qu'elle ne pouvait sonder, ni détruire de ses doigts d'intellectuelle."
Quand Lou, archiviste à Toronto se voit proposer d'aller inventorier le contenu d'une bibliothèque sur une île au Nord de l'Ontario, c'est l'occasion rêvée de briser la routine de sa vie quelque peu étriquée.
Sur place, elle découvre la présence d'un ours ,laissé là par son précédent propriétaire.
Commence alors une relation qui, petit à petit, va entraîner le plantigrade et la jeune femme sur les chemins de la liberté des corps et des esprits, au plus près de nature .
L'ours reste obstinément opaque aux yeux de Lou qui n'est pas dupe qu'elle projette sur lui ses propres émotions et des petites notes , découvertes au fil de son travail, enrichissent ce portrait mouvant en inscrivant l’animal au cœur de différentes mythologies.
Récit d'émancipation, ce roman interroge aussi nos liens à la nature, à l'animal et efface les frontières que l'humain a établi entre eux.
Paru en 1976, ce roman a attendu 1999 pour être traduit pour la première fois en français .Le voici, dans une nouvelle traduction , et une sublime couverture, toute de sensualité.
Il y a toujours un risque à relire un texte que vous aviez beaucoup aimé à plus de vingt ans de distance mais le côté "étrange et merveilleux" que souligne Margaret Atwood sur le bandeau est toujours présent et le roman a conservé tout son pouvoir. A (re) découvrir absolument.
Cambourakis 2023.Traduit de l'anglais (Canada) par Géraldine Chognard.
06:05 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : marian engel
13/05/2023
La fin des hommes...en poche
" -Rappelez- leur qu'avoir un travail, c'est avoir un but. Même si on n'en veut pas, un travail est une raison de se lever le matin. C'est avoir un avenir auquel on ne croyait plus. "
Rédigé avant la pandémie de Covid 19, ce roman imagine une sorte de grippe , extrêmement mortelle et ne touchant que les hommes. Nous sommes en 2025, parti d’Écosse, le mal se répand d'abord au Royaume Uni, puis dans le monde entier. Mais, hormis quelques incursions dans certains pays étrangers, l'action sera centrée sur le Royaume Uni .
Le récit est pris en charge par plusieurs narratrices, ce qui permet de varier les points de vue (scientifique, historique, politique). Mais, il faut bien l'avouer, tout ceci reste assez superficiel et l'autrice privilégie bien plus l'aspect émotionnel qu'économique par exemple. Elle se débarrasse d'une pichenette désinvolte de certains problèmes, (faute de données , toute la situation en Afrique, par exemple, ne peut être évoquée) même si elle souligne certains biais misogynes de la société ante pandémie. En outre, un épisode de violence domestique, réglé façon humour noir, par le Fléau a lieu en ...Russie. Aucun cas d'alcoolisme ou de violences faites aux femmes au Royaume -Uni ?
Bref, même si j'ai lu jusqu'au bout les 471 pages de ce roman, je n'ai pas été totalement convaincue par le traitement de l'intrigue.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christina sweeney-baird
11/05/2023
Pas dormir...en poche
"Quand nous marchons au milieu des plantes et des animaux, nous nous déplaçons dans du vivant, nous en faisons partie. Quand nous nous tassons au milieu des objets, ce qui nous entoure est mort, nous en faisons partie. Et l'immobilité nous cloue entre les planches de l'insomnie."
Nul besoin d'être insomniaque pour dévorer ce nouvel opus de Marie Darrieussecq.
Souffrant de ce mal depuis la naissance de son premier enfant, elle revient ici sur toutes les méthodes employés pour tenter d'arriver à dormir, convoquant nombre d'auteurs et autrices grands insomniaques eux aussi, Kafka et Duras en tête.
Faisant preuve d'une grande franchise, elle n'élude pas son alcoolisme, boire lui permettant de dormir, mais avec des réveils plus que difficiles, mais ne se centre pas seulement sur son cas. L'insomnie lui permet aussi d'évoquer aussi bien la forêt africaine, que la jungle de Calais, posséder un lieu où dormir, une chambre à soi, n'étant pas donné à tout le monde.
Tenant à la fois du témoignage, de l'analyse, cet Objet Littéraire non Identifié n'est pas dénué d'humour et, cerise sur le gâteau, est ponctué de photographies, pas toujours très lisibles malheureusement. 297 pages dévorées d'une traite .
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, Objet Littéraire Non Identifié | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marie darrieusecq
10/05/2023
Avec joie et docilité...en poche
"L'été est comme une plante sortant de terre. Il s'écoule à la fois avec la lenteur imperturbable de la germination et avec la rapidité presque agressive de la pousse des tiges et des fruits au cœur de la belle saison."
Finlande, 2016. Ce pays a tiré les leçons des erreurs du passé et vit, coupé du monde. La population est divisée en trois catégories: les virilos, comprendre les hommes, les éloïs, femmes blondes soumises, élevées uniquement dans le but de satisfaire tous les désirs des virilos et les morlocks , femmes rebelles à qui la reproduction est interdite (elles sont stérilisées).
Dans ce monde où le seul plaisir permis demeure le sexe, la consommation de piments est interdite, générant bien évidemment tout un trafic pour le plus grand bénéfice de nos héros, Vanna, une morlock travestie en éloï et son ami virilo, Jare.
Si ce dernier compte bien s'échapper de Finlande, Vanna, quant à elle cherche surtout à élucider la disparition de sa sœur.
Double intrigue donc et double point de vue sur les événements, le tout intercalé de documents officiels, expliquant la domestication des femmes, d'après des méthodes utilisées sur des animaux.
C'est la couverture de" Chez Gertrud "qui m'a donné envie de découvrir ce roman et , même si je ne suis pas férue de dystopie, cette analyse de la situation faite aux femmes a su me séduire par la manière dont elle est traitée. Bien évidement, on se dit que ce roman n'intéressera que les convaincu(e)s, mais une petite piqûre de rappel ne fait jamais de mal...
Avec joie et docilité, Johanna Simisalo, traduit du finnois par Anne Colin du Terrail, Actes Sud 2016.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : johanna sinisalo
05/05/2023
Les affinités sélectives...en poche
L'une, Elisabeth, a écrit un roman et vient d'avoir un enfant. Elle s'ennuie dans une petite ville, bien trop loin de New York. L'autre, Sam, est une étudiante, d'origine modeste, dont l'avenir est déjà entravé par des prêts contractés pour payer ses études.
Elisabeth va embaucher Sam pour garder son fils et vite s'enticher de la jeune femme dont elle entend bien révéler le potentiel artistique. Mais l'ingérence dans la vie amoureuse et professionnelle des autres est-elle vraiment une bonne chose ?
Tout est un peu trop parfait, trop lisse, dans ce roman qui entend pourtant dénoncer certains faits économiques et surfe sur l'air du temps en mentionnant par exemple les groupes sur les réseaux sociaux et autres influenceuses. Mais cela reste bien timide et les problèmes financiers sont trop vite résolus...
Il n'en reste pas moins que l'écriture fluide de l'autrice fait que l'on tourne les pages sans déplaisir. Un bon gros pavé estival qui fait le job.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : j. courtney sullivan
04/05/2023
Le pays des phrases courtes...en poche
"Personne ne veut savoir comment tu vas, dit-il .Souviens-toi de ça. "
Pièce rapportée, l'héroïne et narratrice de ce roman l'est à plus d'un égard. Son compagnon a été embauché dans une école d'un type particulier , privilégiant les arts, dans une région rurale du Danemark. Enseignants et élèves forment une communauté, quasi une secte aux dire d'une autre pièce rapportée, et si cette appellation est formulée avec humour, il n'en reste pas moins que la narratrice se sent fortement décalée et peine à créer des liens d'amitié avec une population trop laconique à son goût.
Expansive, peinant à obtenir son permis de conduire, jeune mère analysant avec acuité et humour les perturbations engendrées par cette naissance, nous la suivons dans ses tribulations, le tout ponctué par les lettres drolatiques et les réponses hautes en couleurs qu'elle fournit en tant qu'"oracle" dans le journal local, sorte de courrier du cœur, emploi que lui a procuré la directrice de son mari. L'écriture de chansons satiriques lui permet aussi de tenir le coup dans cet univers si étrange à ses yeux.
Le point de vue décalé, fin et plein d'humour, l'écriture alerte et les personnages croqués à ravir font de cette lecture un pur délice. J'ai surligné à tour de bras et j'ai déjà hâte de voir traduit un autre roman de cette autrice .
Éditions Le Bruit du monde 2022.
Traduit du danois par Catherine Renaud.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : stine pilgaard
18/04/2023
Les grandes occasions...en poche
"Dans la famille, il n'y a pas d'affection. On ne sait pas se toucher. Le corps est absent. Aussi absent que les espoirs. La même peur de décevoir. La même peur du rejet, de l'énervement formidable si on s'approche trop. Chacun doit rester en soi. Se maîtriser. Ne pas donner aux autres la responsabilité de s'aimer. "
Esther, par cette journée caniculaire , veut à tout prix réunir cette fratrie qui se délite autour d'elle et de son mari Reza. Deux garçons, deux filles , leurs enfants aussi, qui, comme d'habitude, sont en retard, voire trouveront des prétextes pour ne pas se retrouver autour de celle qui, patiemment a noué, métaphoriquement, les fils d'un tapis qu'elle espère solide et durable.
L'attente est aussi le prétexte pour revenir sur le passé, les mille et une histoires de cet amour empêché au sein de cette famille.
Je l'avoue, j'ai bien failli abandonner ce récit majoritairement composé de phrases juxtaposées (pour mieux rendre l'absence de liens entre les protagonistes ?) qui ressassait trop à mon goût cette métaphore du tapis.
Mais J'aurais eu tort de me laisser gêner par ce défaut mineur qui disparaît ensuite au premier tiers du livre , pour mieux fouiller les portraits des différents protagonistes, leur donner de l'épaisseur et davantage faire confiance au lecteur, en ne lui donnant pas forcément toutes les réponses.
Un roman qui fouille les plaies, procure parfois une sensation d'étouffement ,mais brosse un portrait de groupe criant de vérité. Un premier roman non exempt de défauts ,et c'est normal ,mais qui augure bien de l'avenir de cette romancière.
Les Avrils 2020 , 249 pages écrasées de soleil.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alexandra matine matine