05/06/2016
11 nouvelles supplément à "le un"
"Je n'arrive pas à comprendre l'obsession de rattacher un écrivain à son lieu d'origine. Il est de l'endroit où il est né, mais s'il écrit c'est pour être ailleurs. Comme on lit aussi pour voyager. Les polices du monde voudraient avoir l'adresse où se rendent tous ces écrivains et lecteurs afin de les empêcher de revenir. Éliminer d'un seul coup tous les rêveurs, un vieux rêve du pouvoir. Personne n' a jusqu'à présent pipé mot à propos de ce lieu invisible à ceux qu'un pareil début ne remue de toutes les fibres de leur être: "Il était une fois..." Le seul indice qu'on a de l'existence d'un tel lieu est ce petit dialogue surpris entre un écrivain et un lecteur:
-d'où venez-vous ?
-De nulle part.
-Joli coin."(Dany Laferrière)
Déniché par hasard sur une table de ma librairie préférée, ce petit recueil de nouvelles inédites, hors-série de Le Un , édité en partenariat avec France 5 et la Grande Librairie est un pur concentré de bonheur !
Placé sous le thème de l'ailleurs, ces textes offrent à des auteurs aussi dissemblables que Nancy Huston, Erri de Lucca, Marie-Hélène Lafon, Leïla Slimani, Irène Frain, Dany Laferrière, Michel Quint, William Boyd, Patrick Grainville ou Tahar ben Jelloun l'occasion d'explorer leur géographie, intime ou non, de cet autre part multiforme.
Irène Frain, partant du territoire de l'enfance, est la première à cartographier avec précision les catégories enfantines, hiérarchisées avec finesse"pour appréhender l'espace", plaçant en haut de son hit-parade personnel cet ailleurs longtemps repoussé et qui déclenchera, elle le découvrira a posteriori, son écriture. Une source inépuisable de liberté car "l'ailleurs est en moi."
L'héroïne de Marie-Hélène Lafon le trouve quant à elle dans un bois , dans une promenade devenue un rituel qui la ressource et dont elle emporte les bénéfices.: "on n'a pas de mots pour ça, elle n'en a pas, elle sait seulement que le silence du bois lui traverse le corps, c'est une affaire de corps." Un bois comme une source d'énergie, liée aux bêtes, quelque chose qui "vous prend au corps, et ne vous lâche plus, vous cueille et vous arrache, vous caresse et vous broie, vous remue, vous retourne. On n'a plus qu'à se laisser faire, ou à s'en aller."
à l'obscurité du bois s'opposent la lumière éblouissante et flamboyante de la nouvelle de Patrick Grainville évoquant le musée Picasso d'Antibes et les destinées qui se sont croisées en ce lieu. Si William Boyd nous emmène découvrir les Brésiliens et la musique brésilienne, Erri de Luca, quant à lui, parti chercher la tombe de Borges, découvrira sa maison et les traces de toutes une génération massacrée.
Si le héros de Tahar Ben Jelloun vit une expérience hors du commun dans le désert, point n'est besoin d'aller aussi loin pour Leïla Slimani, une simple rêverie suffit. Ou bien comme dans le texte de Michel Quint une microbrasserie en face de la gare de Lille.
Terminons avec Nancy Huston, qui, forte de ses multiples dépaysements, évoque les dysfonctionnements de nos vies à un vieil Indien imaginaire et brosse un portrait sans concession de nos sociétés. La dernière phrase de son texte offre une parfaite conclusion : "En somme, plus je voyage, moins j'ai de repères , de fierté, de certitudes."Se dépayser" de cette manière-là est une grande leçon philosophique. Pas rassurante pour deux sous, mais édifiante.
Je vous le recommande."
Pour 5,90 euros, on aurait tort de s'en priver !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles étrangères, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : le un
04/06/2016
Dites aux loups que je suis chez moi
" J'avais besoin de savoir que ma mère comprenait qu'elle aussi avait sa part de responsabilité dans cette histoire. Que toute la jalousie et la honte que nous portions en nous étaient notre maladie propre. Une maladie aussi grave que le sida de Fin et Toby."
Milieu des années 80, États-Unis, une maladie encore mal connue frappe Finn, peintre de talent . Son dernier tableau représente les deux filles de sa sœur: June ,adolescente écrasée par la forte personnalité de son aînée, Greta.
à l'enterrement de l'artiste apparaît son compagnon , Toby, violemment rejeté par la sœur de Finn, mais avec lequel June va nouer une relation complexe, tissée de jalousie et d'affection , pour retrouver, même partiellement ,le parrain qu'elle adorait.
Avec ce premier texte, Carol Rifka Brunt nous propose un roman d'apprentissage sensible et prenant qui évoque de manière très fine les relations fraternelles et sororales, à l'adolescence, mais aussi à l'âge adulte. Elle crée une atmosphère particulière, ouatée, évoquant le monde secret de June qu’elle s'est créé dans un bois où l'on entend hurler des loups, les secrets des adolescentes, délaissées par des parents aimants mais trop pris par leur travail, et aussi, par petites touches la honte et les peurs qui entachent le sida.
Un texte qui vous prend tout de suite par la main et qu'on ne peut lâcher.
Dites aux loups que je suis chez moi, Carol Rifka Brunt, traduit de l'anglais (E-U) par marie-Axelle de la Rochefoucauld, Buchet Chastel 2015, 492 pages qui auraient peut être gagné à être un peu élaguées parfois.
- 10/18 2016
"
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : carol rifka brunt
28/05/2016
Les adieux pour débutant...en poche
"Nous n'avons jamais réussi à devenir un couple semblable aux autres.Nous aurions dû prendre des cours, suivre une formation quelconque, voilà ce que je me dis."
Légèrement handicapé, Aaron est passé de la coupe de sa mère à celle de sa sœur. Son mariage avec Dorothy a donc été une bouffée d'air pur. Malheureusement, le décès brutal de son épouse va laisser Aaron désemparé.
Au tout début du roman, Dorothy est revenue d'entre les morts lui tenir un peu compagnie. Rien d'étrange à cela aux yeux d'Aaron qui s'étonne bien au contraire des réactions ou plutôt de l'absence de réactions des autres.
Remontant le temps, le veuf va réexaminer son mariage et parviendra progressivement à aller de l'avant , comme si la réapparition de sa femme était une étape obligée avant leurs adieux définitifs.
Un roman sans pathos, au plus près du quotidien, qui, tout en douceur, apprivoise la disparition.
le billet de Papillon qui m'avait donné envie de renouer avec cette autrice que j'ai beaucoup lue autrefois (mais pas chroniquée) clic.
De la même autrice, clic
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : anne tyler
20/05/2016
L'étrangère...en poche
Le génocide arménien de 1915 n'a toujours pas été reconnu par la Turquie et son déroulement, ses causes et ses conséquences sont encore trop ignorées du grand public. L'auteure, ex directrice de Elle, est la petite-fille d'une survivante de ce génocide. Elle a entrepris de raconter, sous forme romanesque, les informations qu'elle est parvenue à recueillir de son aïeule.
Alternant récit du génocide tel que l'a vécu sa grand-mère et parties concernant son enfance, l'auteure remonte ainsi le temps et éclaire un épisode de l'Histoire trop souvent passé sous silence. Une lecture éprouvante mais très éclairante.
L’étrangère, Valérie Toranian, J'ai Lu 2016.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit | Lien permanent | Commentaires (2)
19/05/2016
Féline...en poche
Une jeune fille coréenne adopte un chat errant. Ce n'est pas par bonté d'âme mais pour le vendre via internet.
Hélas pour elle, le félin croit reconnaître en elle un de ces humains fabuleux qui comprennent le langage des chats et n'aura de cesse de la rejoindre.
Deux êtres aussi sauvages l'un que l'autre vont progressivement apprendre à se connaître et à s'apprécier.
Schéma connu desservi ici par des personnages peints de manière un peu rude et un style tout aussi brut de décoffrage. Il manque un je ne sais quoi de policé dans ce texte pour emporter l'adhésion. Bilan en demi-teintes donc.
Le billet d'Aifelle pour qui ça n'a pas été un coup de cœur...
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : bu hui-ryeong
18/05/2016
Regarde les lumières, mon amour...en poche
"L'hypermarché est pour tout le monde un espace familier dont la pratique est incorporée à l'existence, mais dont on ne mesure pas l'importance sur notre relation aux autres, notre façon de "faire société" avec nos contemporains au XXIème siècle."
Pendant un an, l’écrivaine Annie Ernaux a "consigné le présent" ,sous la forme d'un journal , de la vie du Auchan de Cergy qu'elle fréquente en tant que cliente régulière. Pourquoi avoir choisi un tel lieu ? Parce qu'il est à la fois tellement familier, révélateur du mode de fonctionnement de notre société. Parce que c'est aussi un lieu où se croisent des populations qui ne se rencontreraient pas ailleurs et surtout parce que c'est un endroit "qui commence seulement à figurer parmi les lieux dignes de représentation."
Annie Ernaux scrute avec acuité le fonctionnement de la grande distribution qui impose sa propre temporalité, "suscitant les désirs aux moments qu'elle détermine", souligne "son rôle dans l’accommodation des individus à la faiblesse des revenus, dans le maintien de la résignation sociale."mais croquant aussi avec beaucoup d'empathie tous les comportements des clients. Les tensions, les bribes de dialogues, les comportements auxquels nous ne prêtons même plus attention tellement ils sont devenus automatiques sont ici restitués dans toute leur subtilité.
Une analyse riche de "L’hypermarché comme grand-rendez-vous humain" mais aussi une écriture fine et sensible. à lire absolument.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : annie ernaux
12/05/2016
Poulets grillés...en poche
"-Y a du corgi, le chien de la reine d'Angleterre, un peu de teckel, du bâtard, du corniaud, du clébard. Ce n'est plus un croisement, c'est un échangeur d'autoroute, gloussa-t-elle, contente de sa blague ou de son chien. Il s'appelle Pilote, mais vous pouvez Pilou.
-C'est vrai, je peux ? Il ne se vexera pas ? "
On ne peut pas les virer ? Qu' à cela ne tienne ! Le nouveau patron du 36 quai des Orfèvres crée une nouvelle brigade composée de tous les indésirables de la police. ll y a là un ancien négociateur du raid, une écrivaine s’inspirant un peu trop de ses collègues, un alcoolo, un porte-poisse, un ou deux crétins, le tout chapeauté par Anne Capestan, étoile vite montée, vite déchue de la judiciaire.
Réussissant à dénicher deux affaire à deux doigts d'être classées, cette belle bande de bras peut être pas si cassés que cela , va se mettre en branle et donner son maximum pour révéler la vérité.
Un grand sens du rythme, de l'humour et des personnages bien croqués font de ces 342 pages endiablées un petit plaisir de lecture à dénicher, comme moi en médiathèque, ou à s’offrir en poche.
Sophie Hénaff
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : sophie hénaff
03/05/2016
Un an dans la vie d'une forêt...en poche
Pour préparer une longue fin de semaine...
"Une expérience directe de la forêt nous donne l'humilité nécessaire pour replacer nos vies et nos désirs dans le contexte plus large qui inspire toutes les grandes traditions morales."
Pendant un an, le scientifique David G . Haskell a étudié "un espace d'un mètre de diamètre, équivalant en taille aux mandalas des moins tibétains"sur une pente boisée dans le sud-est du Tennessee.
Ce pourrait être ennuyeux à mourir mais observer ce microcosme, en privilégiant pour chaque journée relatée (i n'y en a pas 365 !) un de ses aspects permet d'étudier "la communauté écologique", d'établir les liens qui unissent de manière souterraine ou pas les différents éléments naturels, et de replacer l'homme dans une perspective différente. C'est passionnant, on apprend plein d'informations, l'auteur est un excellent vulgarisateur et , ayant fréquenté les ateliers d'écriture américains, il est doté d'un très joli brin de plume. On frémit quand on apprend qu'un petit mammifère est capable de maintenir ses victimes vivantes mais "droguées", on se passionne pour la lutte des arbustes pour grandir et on colle des marque-pages à tour de bras devant de telles notations: "Jeter un coup d’œil sous la surface du mandala, c'est comme se poser légèrement sur la peau et sentir la vie palpiter."
Un énorme coup de cœur dont j'ai fait durer la lecture pour mieux le savourer !
Un an dans la vie d'une forêt, David G Haskell, traduit de l'anglais (E-U) par Thierry Pélat, Flammarion 2014,334 pages enthousiasmantes ! Collection Libres Champs 2016
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : david g. haskell
01/05/2016
La libraire...en poche /l'affaire Lolita (nouvelle édition)
”Un livre est l'élément vital et précieux d'un esprit supérieur...”
En 1959, Florence Green, veuve sans histoire, décide d'acheter The Old House, vieille bâtisse à l'abandon depuis plusieurs années, pour créer une librairie, la première de Hardborough, petite ville anglaise assoupie.
Cette décision va mettre en branle toute une série de manœuvres dissuasives pour contrecarrer cette décision.
L'affaire Lolita ,(précédent nom du roman en France) provoquée par la mise en vitrine du roman de Nabokov, ne sera qu'un épisode de cette lutte sourde entre Florence Green et Mrs Gamart qui a jeté son dévolu surThe Old House.
Le roman de Penelope Fitzgerald nous montre avec précision et un charme très british la faculté d'exclusion d'une petite communauté , pas pire qu'une autre.Qui y chercherait un roman sur la création d'une librairie ou sur le scandale créé par le roman de Nabokov ne pourrait qu'être déçu.
L'humour britannique rend cette lecture très plaisante
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : penelope fitzgerald
30/04/2016
Les oies des neiges...en poche
"J'avais l'impression d'exister entre deux pôles, le connu et le nouveau, et je me sentais alternativement attiré vers l'un ou l'autre."
Revenu dans la maison familiale pour une période de convalescence , suite à une hospitalisation,l'étudiant Ralph Fiennes se rend vite compte que, malgré la sollicitude des siens ,il se sent à l'étroit, au sens propre et au sens figuré , dans ce qui n'est plus son "home". Il commence alors à s'interroger sur la notion de "chez soi " et la redécouverte par hasard d'un roman lu dans l'enfance, L'oie des neiges, va l'inciter à suivre ces oiseaux dans leur périple de près de cinq mille kilomètres.
Rien ne prédisposait l'auteur (qui oui est bien apparenté aux acteurs Ralph et Joseph) à entreprendre ce voyage et cette méditation sur le mal du pays, la nostalgie, le tiraillement perpétuel entre l'envie de bouger et de se fixer, de rester seul ou d'aller à la rencontre des autres. Il aura fallu la conjonction de ces deux événements, la maladie et le roman pour que naisse Les oies des neiges.
Si le rythme est parfois lent, l'écriture est poétique, très visuelle, et nous glanons plein d'infos non seulement sur les oies (dont le trajet n'est en rien linéaire) mais aussi sur les hommes et femmes rencontrés par l'auteur. Un récit constellé de marque-pages !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : william fiennes