21/08/2017
La servante écarlate...en poche
"Je regrette qu'il y ait tant de souffrance dans cette histoire. Je regrette qu'elle soit en fragments, comme mon corps pris sous un feu croisé ou écartelé de force. Mais je ne peux rien faire pour la changer."
Théocratie, la République de Gilead , pour pallier la baisse tragique de la fécondité, a mis en place toute une série de stratégies et une ségrégation de la société, en particulier des femmes.
La narratrice, Servante vêtue de rouge, dont nous ne connaîtrons jamais le vrai prénom, est nommée Defred, "patronyme composé de l'article possessif et du prénom du monsieur en question", c'est à dire du Commandant au service duquel elle est entrée et qui pouvait donc varier. Mais plus que son identité, c'est son corps qui est nié. En effet, les Servantes sont chargées d'assurer la postérité des membres de la classe dirigeante, dans des conditions qui ramènent ces femmes au rang d'objets purement fonctionnels.
Au fur et à mesure du récit, nous découvrons, effarés, le fonctionnement de cette société et la manière dont elle s'est mise en place. Certaines pages (la 290 par exemple) semblent cruellement d'actualité.
Dystopie glaçante, La Servante écarlate, comme le précise Margaret Atwood dans la postface de cette édition, n'utilise "rien que l'humanité n'ait déjà fait ailleurs ou à une autre époque , ou pour lequel la technologie n'existerait pas déjà." pour mieux renforcer la crédibilité de son texte et le rendre d'autant plus puissant. Mission accomplie dans une langue superbe et une construction imparable.
à (re)lire de toute urgence.
J'avais lu une première fois ce roman quand il était sorti pour la première fois en France en 1987, mais j'avoue qu'alors il n 'était pas autant entré en résonances avec les préoccupations que j'avais à l'époque et le monde dans lequel nous vivions.
La servante écarlate, Margaret Atwood, Robert Laffont Pavillons poche 2017, 522 pages bruissantes de marque-pages. Un indispensable et un classique.
15:30 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : margaret atwood
11/08/2017
La faille
"Elle avait raison, bien sûr, mais je ne voyais pas en quoi une chose que personne ne lirait ferait du tort à l'intéressée. Son malheur deviendra plus réel, a dit Lucie."
Quand la narratrice, Mina, retrouve Lucie, la plus belle fille du lycée, qu'elle avait laissée à l'aube d'une carrière prometteuse de comédienne, cette dernière est presque méconnaissable.
Rapidement, Mina constate que Lucie semble être sous l'emprise de VDA, son mari, homme plus âgé qu'elle qui exploite sans vergogne La faille de Lucie. En effet, Lucie, que sa mère ne trouvait pas suffisamment intelligente, veut à tout prix plaire, est prête à tout pour les hommes dont elle tombe amoureuse.
Il est beaucoup question de manipulations, mais aussi d'art dans ce roman dont la narratrice est le double de l'auteure. Beaucoup question aussi de mères mal aimantes et de pères absents.
Un roman qui souffre de quelques longueurs (500 pages) mais qui manipule avec brio son lecteur.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : isabelle sorente
03/07/2017
Body...en poche (réédition)
"Je savais pas ce que le mot souffrir voulait dire avant que je me lance là-dedans."
Bienvenue à l'hôtel Flamingo où va se tenir le concours pour être élue Miss Cosmos, suprême récompense que visent deux candidates bodybuildeuses que tout oppose. D'un côté Shereel Dupont, créée de toutes pièces par son coach, ex red neck devenue une candidate menue au corps parfait ; de l'autre une Noire somptueuse et imposante, dont la masse musculaire a été sculptée par la fonte mais aussi par toute une série de piqûres. Deux conceptions opposées du corps féminin dans un microcosme dominé par les hommes.
Dans cet hôtel devenu un temple du muscle et de l'ascèse ,va débarquer une famille de ploucs XXL dans tous les sens du terme .
De ce choc des cultures, Harry Crews tire un roman qui fait la part belle non aux corps parfaits, mais à ceux qui ne correspondent pas aux canons de beauté en vigueur dans le monde du bodybuilding. Il n'est que de voir le contraste entre les deux scènes de sexe, l'une clinique, l'autre voluptueuse, dans ce roman.
L'auteur analyse aussi le fonctionnement de la société américaine et si on ne s'étonne pas de voir évoquer Arnold Schwarzenegger, le fait de citer Donald Trump, en exemple de l'avidité américaine, s'avère quasi prophétique dans ce roman publié pour la première fois en 1990.
Ce pourrait être juste amusant, et l'auteur a certes le sens de la formule, mais c'est aussi bien noir et bien des indices annonciateurs de la tragédie à venir nous sont donnés au fil du texte. Une découverte improbable au départ qui a su me séduire.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : harry crews, bodybuilding
27/06/2017
Les méduses ont-elles sommeil ? ...en poche
"Il y a cette fille à l'énergie débordante qui me laisse perplexe. Je lui demande à quoi elle tourne pour avoir autant la pêche. Elle me répond : "Au sommeil !". Je suis scotchée."
Roman qu'on devine autobiographique, Les méduses ont-elles sommeil ? est le récit de "huit mois de vie branlante qui m'ont paru des siècles."
Tout juste majeure , la narratrice s'installe à Paris où elle s'empresse de s'immerger dans le monde de la nuit et des drogues, en particulier, la MDMA.
Écrit a posteriori, ce roman n'idéalise jamais et, tendu et âpre, va droit à l'essentiel. On regrettera une fin un peu abrupte et théâtralisée, mais on sent ici une belle énergie et une écrivaine en devenir.
Frédéric Beigbeider qui a le sens de la formule évoque un texte "Entre Bonjour tristesse et Trainspotting."Je n'irais pas jusque là mais ne nierai pas pourtant l'impression durable de ce livre.
Folio 2017, 81 pages.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : louisiane c. dor
22/06/2017
Hikikomori...en poche
"Je n'ai jamais entendu parler de hikikomori américain. Les Américains ne se réfugient pas dans le silence, ils font encore plus de bruit.Ils deviennent fous et se mettent à tirer sur tout le monde."
Depuis trois ans, Thomas Tessler vit "en retrait, barricadé" dans sa chambre à Manhattan. Il a "enfermé le reste du monde dehors" et refuse toute communication avec sa femme, Silke. C'est un hikikomori.
Résolue à le sortir de son mutisme, son épouse fait appel à une jeune japonaise , Megumi, qui a déjà l'expérience de cette situation typiquement japonaise.
D'emblée le lecteur, et on le suppose bien évidemment Silke, perçoit toutes les conséquences possibles de cette situation hors-normes. Mais Jeff Backhaus dont c'est ici le premier roman, sait contourner tous les écueils et mène sa barque vers une destination bien plus complexe.
Histoires de solitudes qui se croisent, parfois à distance, les relations entre civilisations différenets sont analysées avec finesse. La poésie n'est pas absente (ah cette description de bain chaud en pleinair sous la neige la nuit !) et je n'émettrai qu'un seul regret: que le personnage de Silke n'ait pas été suffisamment exploré. Une très jolie découverte.
Hikikomori, jeff Backhaus, traduit de de l'anglais (E-U) par Marie de Prémonville,
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jeff backhaus
19/06/2017
Elvis Cadillac King from Charleroi...en poche
"Tu sais ce qu'il disait, Guitry, quand il en croisait une comme la tienne, avec le cervelet d'Heidi dans les pâturages ? "J'ai échangé quelques idées avec elle. Je m' sens tout vide !"
Sosie officiel - plutôt façon fin de carrière- du King, Elvis, le bien-nommé, est invité à animer l'anniversaire d'une vieille châtelaine.
Flanqué de sa fidèle chienne carlin Priscilla, dotée d'une kitschissime banane rose (postiche), le voilà qui donne un peu de rêve à la vieille dame. Las, cette dernière est bientôt retrouvée morte. Nombreux sont les membres de sa famille, plus fins de race et antipathiques les uns que les autres, qui auraient bien pu accélérer le trépas de la riche mamie.
Dans ce polar façon Frédéric Dard, l'enquête importe peu. C'est la langue truculente de Nadine Monfils qui mène la danse, agrémentant de notes de bas de pages savoureuses toutes les références belges ou non. Fiction et réalité s’entremêlent dans une joyeuse sarabande où l'on ne sait plus laquelle dépasse l'autre.
Les personnages rivalisent de foldinguerie , mais sous des dehors parfois outranciers, révèlent aussi une réelle culture. Qui aurait cru qu’Elvis parviendrait à résoudre deux énigmes grâce à un roman peu connu de Camus ? Vous le voyez, Nadine Monfils a plus d'un tour dans son sac et Elvis, sous des dehors un peu benêt en a sous la banane !
Certains feront peut être la fine bouche, perso, je me suis régalée !
La suite vient de paraître.
05:55 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : nadine monfils
17/06/2017
Le lagon noir...en poche
"Deux univers se rencontraient sur cette lande. Deux univers qu'Erlendur pensait inconciliables."
En pleine guerre froide , la base américaine de Keflavik en Islande est un emplacement stratégique important. Mais les relations entre autochtones et soldats US ne vont pas toujours de soi. Aussi quand un technicien, qui travaillait pour le compte des américains, est retrouvé mort dans Le lagon noir , l'enquête menée par Erlendur, alors jeune policier, s'avère particulièrement malaisée.
D'autant, qu'en parallèle, Endurable enquête sur la disparition d'une jeune fille,un cold case remontant à 25 ans.
On retrouve ici les thèmes chers à Arnaldur Indridason et son rythme toujours aussi lent , mais efficace. La description, nuancée des relations entre islandais et américains est particulièrement intéressante, le roman se lit d'une traite avec le confort habituel mais sans une once de nouveauté pour emporter totalement l'adhésion.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : arnaldur indridason
16/06/2017
Les messieurs...en poche
" Il n'y avait donc aucune méthode propre aux vieux d'avant 1938 dont j'aurais tout ignoré. Les nouvelles technologies n'avaient pas fait évoluer les baisers."
Elles ne recherchent ni un père de substitution, ni un sugar daddy qui les comblerait de cadeaux. Non, les héroïnes et narratrices de ces nouvelles sont attirées par Les messieurs âgés depuis toujours , ou presque: "- à huit ans, elle adorait déjà les vieux !"
Partagées entre bienveillance (qui les aimeraient si elles ne le faisaient pas ? ) et ironie mordante (elles ne perdent jamais leur sens de l’humour ), traquant qui la mèche-pont , qui les mesquineries ou les fautes de goût impardonnables, elles se font parfois prendre à leur propre jeu.
Notons au passage que les relations sexuelles ne constituent pas l'enjeu premier de ces relations ni de ces textes.
Si je craignais le côté "pervers-pépères" ou lolita, j'ai vite été rassurée car Claire Castillon prend un malin plaisir à brouiller les pistes et à rendre ses personnages plus riches et plus fouillés.
Certains textes sortent nettement du lot , "le chant du cygne" ou "Quatrième Segpa", entre autres, mais tous recèlent une trouvaille tendre ou acerbe qui fait mouche.
Un petit plaisir à s’offrir en poche.
06:02 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claire castillon
10/06/2017
Ne mords pas la main qui te nourrit...en poche
"Je pense avoir mis en évidence un lien statistique entre le don de soi excessif et la victimologie en rassemblant un échantillon de femmes accomplies, intelligentes et dévouées, qui deviennent la proie de prédateurs sociaux à cause, justement, de leur empathie."
Morgan, trentenaire préparant une thèse en victimologie, rentre à son appartement de Brooklyn et découvre, horrifiée, le cadavre de son fiancé canadien, Bennett. Les coupables?Tout désigne les trois chiens de Morgan, deux pitbulls et une chienne Montagne de Pyrénées.
Rapidement, la jeune femme va découvrir que son amant n'était pas celui qu'il prétendait. Elle va donc mener l'enquête, tout en essayant de sauver ses chiens, dont elle est persuadée qu'ils sont innocents.
Je ne vous cacherai pas que le leitmotiv "Nous en connaissons pas nos proches" aurait plutôt tendance à me faire fuir, tant il est utilisé dans ce type d'ouvrage. Seul le nom de Amy Hempel, nouvelliste chaudement recommandée par Véronique Ovaldé, et le thème des chiens m'a décidée à emprunter ce roman.
Grand bien m'en a pris car une fois en main, je ne l'ai plus lâché !
L’héroïne, Morgan est bien parfois exaspérante de naïveté, il n'en reste pas moins qu'on apprend plein d'informations sur la psychologie et la manière dont les chiens sont traités dans le système judiciaire américain.
L'intrigue est bien ficelée et ce n'est qu'après coup qu'on s'aperçoit de quelques incohérences, mais en attendant le contrat du page turner a été rempli.
à noter, la présence brève, mais très drôle d'un beagle...
06:01 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : a j rich
09/06/2017
le maître des apparences...en poche
-"Toute ma vie, Tansy, depuis ma petite enfance, les gens que j’aimais ou qui s'occupaient de moi m'ont quitté, largué, ou ont été emportés par la mort. Je veux savoir pourquoi."
Né en Malaisie, sir Edward Feathers, plus connu sous le nom de Filth, avocat international renommé travaillant à Hong Kong , rentre dans la mère patrie avec sa femme Betty, pour profiter de sa retraite.
Tous deux sont des "enfants du Raj", c'est à dire de l'Empire britannique, nés en Asie mais envoyés dès leur plus tendre enfance dans des familles d’accueil, plus ou moins tendres, puis dans des internats pour être éduqués en Angleterre.
Pas question à l'époque de se plaindre de mauvais traitements et encore moins du fait que votre famille vous traite avec une désinvolture frisant l'indifférence coupable.
Entremêlant les époques, Jane Gardam brosse le portrait éclaté d'un homme aux multiples facettes, qui" s 'est fabriqué ce moi acerbe et impeccable"marqué par un événement traumatique qui ne sera explicité qu'à la toute fin du roman.Bien loin d'avoir mené" une longue vie calme et lisse",comme le croient ceux qui le nomment "le Vieux Filth" l'octogénaire a connu une existence pleine de péripéties, digne d'un roman de Kipling, auteur dont l'ombre plane sur ce roman
.Les secrets enfouis, tout comme un collier de perles dont il faut taire l'origine, réapparaissent au détour d'une phrase et éclairent d'une nouveau jour cette vie tout sauf ennuyeuse.
Si Filth n'écrira aucune ligne de ses mémoires, il entreprendra un voyage qui tournera à l’épopée tragi-comique pour renouer avec les témoins d'un passé dont il sent qu'il ne peut faire l'économie.
Un roman à la construction impeccable, au début un peu lent, mais qui captive de bout en bout et se révèle plein d'émotions et de surprises car tout est vu du point de vue d'un personnage atypique.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jane gardam