16/02/2024
Le lâche...en poche
"Suivant qui vous êtes, les handicapés vous apparaissent comme des memento mori, la bonne action de la journée à accomplir, un réceptacle pour votre pitié ou un motif de curiosité. "
Qui est le lâche dans ce roman ? Le fils qui a fugué il y a dix ans sans donner de nouvelles et se retrouve maintenant dans l'obligation d'appeler son père à la rescousse car il est paralysé et sans ressources à la suite d'un accident ; ou le père qui, à la mort de sa femme, a plongé dans l’alcool et la violence ? Peu importe au fond. L'essentiel est que, bon gré, mal gré les deux hommes vont devoir cohabiter , s'adapter l'un à l’autre , et cela n'ira pas sans mal car si le père a su gommer (en partie) ses aspérités, le fils est une boule de colère contre le destin, contre les autres, mais surtout contre lui-même.
Pas d'autoapitoiement, mais une bonne dose d'humour noir et un regard acéré porté sur le handicap, la manière dont il est vécu de l'intérieur ( le fait que l'auteur soit lui-même en fauteuil n'y est sans doute pas pour rien) et un magnifique portrait , très nuancé, des relations familiales. L'auteur qui signe ici son premier roman fait une belle entrée dans la littérature.
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09/02/2024
A prendre ou à laisser...en poche
"Elle refusait d'apparaître aux yeux de son assassin de mari comme un vieux tacot goulu en carburant dont il faudrait remplacer tant de pièces qu'il se révélerait moins onéreux de l'abandonner à la casse et d'acheter un véhicule neuf. "
Pour des raisons diverses (des antécédents de dégénérescences du cerveau ,le désir ne pas être un poids pour le National Health Service...) , Cyril et Kay ont passé un pacte: le jour du quatre-vingtième anniversaire de Kay, ils mettront fin à leurs jours.
Arrive le jour fatidique et tout n'est pas si simple.
Un point de départ, douze possibilités et autant de textes aux tonalités diverses qui nous permettent de réfléchir sur la vieillesse et la fin de vie. Le risque était de tomber dans une certaine mécanique, mais Lionel Shriver parvient toujours à nous surprendre, voire à nous effrayer. L'humour est toujours aussi grinçant et l'autrice n'hésite pas à brosser d'elle un portrait au vitriol , un clin d’œil bien venu pour éviter toute position surplombante. Un pur régal.
Traduit de l’américain par Catherine Gibert
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lionel shriver
26/01/2024
Sortir au jour ...en poche
"Le deuil est devenu une affaire individuelle avec des étapes à franchir. Mais nous ne sommes pas des êtres linéaires. Il y a toujours des retours en arrière. "
Dans une librairie, Amandine Dhée rencontre une thanatopractrice, Gabriele. Pour cette dernière, en quête de sens , ce métier est une reconversion qui suscite bien des étonnements, voire des rejets.
Entre les deux femmes s'instaure un dialogue , entrecoupé par des extraits du verbatim d'une émission : Vis ma vie de thanatopracteur.
Quelle drôle d'idée un livre sur la perte, pourrait-on penser. Mais l'autrice, mêlant ses réflexions sur la mort, mais aussi la création et la volonté de transmission instaure un échange fécond , souvent surprenant, mais riche d'humanité.
Elle y évoque, souvent avec humour, aussi bien le confinement et ses conséquences ,"Ce soir , le président de la République nous pousse à l'intérieur de nos maisons et nous ordonne d'y rester. Il nous invite même à lire, c'est dire si la situation est grave. " que sa famille , "On parle de liens du sang, mais les familles sont d'abord faites de beurre et de sucre, n'en déplaise aux scientifiques et aux diététiciens. "
Le ton se fait parfois plus grave, mais la tendresse règne toujours quand il s'agit d'évoquer ses enfants ou de rendre un hommage à France Gall.
Quant à Gabriele, elle nous permet de voir l'envers d'un décor qui trop souvent est occulté .Elle aussi sait se montrer drôle mais se révolte aussi contre les hypocrisies sociales qui veulent passer la beauté de sa profession à la trappe.
Un livre plein de vie qui ferait presque la nique à la mort.
06:10 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : amandine dhée
19/01/2024
L'été de la sorcière...en poche
"Son entraînement pour devenir sorcière était bien différent de ce qu'elle avait cru au début, mais tout était nouveau pour elle et amusant malgré tout. "
L'annonce de la mort de sa grand-mère, d'origine anglaise mais totalement intégrée à la culture japonaise, est pour la jeune Mai l'occasion de revenir sur ce séjour qu'elle avait effectué deux ans auparavant auprès de cette femme atypique, un peu sorcière selon les dires de la mère de la jeune fille.
Ce n'était pas une époque facile pour Mai, trop angoissée pour continuer à suivre ses cours au collège. Mais sa grand-mère avait su l'apaiser par un rythme de vie régulier au sein d'une nature tout sauf idyllique, où la mort avait autant sa place que la mort.
Grâce à une écriture en apparence simple, mais pas simpliste, des personnages aux caractères bien moins lisses qu'il n'y paraît à première vue, l'autrice réussit un tour de force: évoquer des thèmes puissants tout en apaisant ses lecteurs.trices. Voilà qui relève bien d'un peu de magie et donne bien sûr envie de découvrir d'autres œuvres de Nashiki Kaho.
Picquier 2021, traduit du japonais par Déborah Pierret-Watanabe.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : nashiki kaho
13/01/2024
Petite Sale...en poche
"Demest est semblable à ses champs: froid, dur à la tâche, gelé, animé par des projets plus grands, par des mouvements profonds."
Du 10 au 19 février 1969, la vie des habitants d'un petit village situé non loin du Chemin des dames va être bouleversée: la petite fille de 4 ans du potentat local a été enlevée. Une demande de rançon tombe. Des policiers parisiens sont envoyés en renfort . La dernière personne a avoir vu la petite Sylvie est Catherine. La Petite Sale c'est elle.
Ces qualificatifs expriment bien tout le mépris de classe envers cette jeune femme qui s'active à la ferme et à laquelle personne ne prête attention. Elle a d'ailleurs tout leur d'intérêt dans ce monde d'hommes à ne pas avoir un corps attractif...
Nous sommes donc en 1969 mais nous pourrions être un siècle plus tôt, comme le remarque un personnage, car la modernité ne semble pas être arrivée dans cette campagne où M. Demest fait la pluie et le beau temps , tenant les habitants sous sa coupe, étant le seul à leur offrir du travail. C'est aussi un tyran domestique contre lequel rares sont les membres de sa famille sont ceux qui osent regimber.
Ce nouveau roman de Louise Mey est un magnifique roman d'atmosphère, une plongée dans la boue et le froid, mais aussi un roman policier qui fleure bon les enquêtes à la Maigret, repas au café du village parmi les habitants taiseux.
C'est enfin une magistrale dénonciation du patriarcat, s'exerçant à différents niveaux, dans un monde où les femmes commencent à peine à se forer leur place.
Le style est également magnifique, la construction impeccable et une grande place est accordée à la description des corps marqués par le travail, de ses corps auxquels on ne prête pas attention mais qui pourront peut être un jour se déployer. Du suspense et de l'espoir, un excellent cocktail. Et zou , sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : louise mey
11/01/2024
Bivouac...en poche
"Comme les humains, les arbres isolés n'ont pas grand chance de survie. La résilience du bois vient avec la force du nombre , la prise de ses racines entortillées à une société de semblables. "
Quel plaisir de retrouver Anouk, Raphaëlle et Coyote, leur chienne ! Cette fois , les deux amoureuses vont se confronter à la vie en communauté , d'abord dans une éco-ferme communautaire puis , par la force des choses, au cœur d'une tribu de guerriers écologistes.
En effet, Gros-Pin , l’arbre préféré de Raphaëlle , est menacé d'être abattu et avec lui toute une partie de la forêt que les protecteurs de la nature voudraient protéger en en faisant une réserve faunique. Mais les intérêts économiques et politiques priment et la construction d'un oléoduc ne s’embarrasse ni de la biodiversité, ni des conséquences catastrophiques à plus long terme.
Gabrielle Filteau-Chiba, à son habitude, maitrise à la perfection l'art du récit et c'est pourquoi nous retrouvons un personnage,Riopelle, avec qui Anouk avait connu une liaison aussi brève que passionnée. L'occasion pour le lecteur de découvrir la vie de ces "eco-Warriors" qui ont fait le choix de sacrifier leur vie personnelle pour tenter de sauver la Nature. L'occasion aussi de confronter ses personnages aux fluctuations du désir et au polyamour.
La langue est toujours aussi belle, l'intensité dramatique aussi forte et le lecteur ne sortira pas indemne de cette lecture qui fait la part belle aux descriptions de le la forêt et des vies qui s'y déploient. Une réussite qui file sur l'étagère des indispensables.
PS: peut se lire indépendamment des deux volumes précédents , mais ce serait se priver de grands bonheurs de lecture.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : gabrielle filteau-chiba
06/01/2024
L'engravement ...en poche
"Vous êtes trente ou vingt, parfois dix, peu importe, vous rampez sur l'allée, écrasés, vidés, fautifs, égarés sur le chemin que vous connaissez si bien. Pas de chance, aucun échafaud n'est dressé au bout de l'asphalte. Il y a un parking, un arrêt de bus, une rue que personne ne veut habiter, et votre vie, qui continue. La voilà la sentence : Vivez avec. "
Où se dirige ce troupeau, hétéroclite, mais uni par une même détresse, une même souffrance, un même espoir malmené , vacillant mais entretenu par la proximité des autres ? Il va vers cet endroit où leurs proches sont enfermés parce que leur vie , telle celle des baleines échouées sur les plages, n'a pas su s'adapter au bruit du monde, parce que ce bruit a poussé "leur stress à un paroxysme ingérable".
Ce sont ainsi différents parcours qui se donnent à lire via ce roman choral, entrecoupé par des discours souvent violents, révélant au passage les dysfonctionnements du système de santé. Nous voyons ainsi, par petites touches l'évolution des patients, celle de leurs aidants qui trimballent des sacs puant la pisse ou le sang, mais charriant surtout leurs minuscules victoires et leurs immenses échecs.
L'émotion est toujours là, mais sans voyeurisme et c'est tout un pan, souvent caché, de la société qui se donne à voir dans ce roman d'une force inouïe et bouleversante . Un très grand coup de cœur.
La Contre-Allée poche.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : eva kavian
04/01/2024
Le Roitelet...en poche
"" Tu devrais écrire un livre dans lequel rien n'arrive. " J'ai trouvé l'idée d'autant plus séduisante que j'ai sous la main, avec ma vie très banale, une grande quantité de matière à partir de laquelle travailler. "
Quel plaisir de retrouver ici l'auteur du Jour des Corneilles ! Ici, il ne s'agit plus d'un père et de son fils mais principalement de deux frères, dont l'un est écrivain (l'auteur) et l'autre travaille dans une jardinerie. Ah oui, il est aussi schizophrène mais il ne faudrait pas le ramener uniquement à cette maladie qui le fait souffrir et rend son comportement parfois difficilement compréhensible aux autres tant ses remarques sont parfois étonnantes et lumineuses.
Dans ce texte, il est aussi beaucoup question de nature, d'animaux , d'écriture et c'est de manière apaisée, mais sans occulter les difficultés que Jean-François Beauchemin avec une écriture d'une finesse incomparable évoque cette relation fraternelle hors-normes.
Un texte dont les pages se tournent toutes seules et qu'il faut prendre le temps de relire pour encore plus le savourer. Et zou, sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : jean-françois beauchemin
26/10/2023
L'enterrement de Serge...en poche
Serge Blondeau aura enchaîné les échecs jusqu'au jour de son enterrement , auquel peu de gens assistent , et sera même inhumé avec retard, à cause d'une grève.
Sa veuve, sa mère, sa sœur, son beau-frère et leur fille, sans oublier une voisine et un ami du défunt, devront donc cohabiter dans un petit hôtel, en attendant que la situation se décante. Tensions, révélations seront au menu dans ce huis-clos involontaire.
Les péripéties se succèdent jusqu'au dernier moment, mais j'ai lu ce roman avec moins de plaisir que les précédents car ces personnages manquent singulièrement de chair, sans compter que l'auteur use et abuse des rêves pour tenter de tromper le lecteur.
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12/10/2023
Monument National...en poche
" D'une pierre trois coups, elle devint mère, affirma sa position d'épouse entièrement dévouée à sa famille et à la paix dans le monde, et s'assura la matière d'un compte Instagram bien nourri. "
Le monument national dont il est ici un question est un monstre sacré, acteur "rival et frère " d'Alain Delon depuis plus de quarante ans, mais il emprunte beaucoup aussi à un vieux rockeur nanti, au fil du temps, de plusieurs épouses , dont la dernière beaucoup plus jeune que lui, et d'une progéniture dont les derniers représentants furent adoptés.
Peu à peu Serge Langlois, car c'est ainsi qu'il se nomme dans le roman de Julia Deck se voit considéré comme un objet, tant par ses conquêtes féminines que par le couple présidentiel qui veut lui rendre hommage. La situation va se dégrader rapidement, aidée en cela par le Covid mais aussi par l’introduction d'un personnage en apparence inoffensif dans ce microcosme où règne l'apparence...
C'est à un joyeux jeu de massacre que nous convie Julia Deck et sa plume assassine nous régale de formules mettant à mal tous ces fantoches qui s'agitent sous nos yeux. Un roman hautement jubilatoire.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julia deck