09/11/2018
La femme brouillon ...en poche
"Le bébé siphonne notre tendresse. On s'adresse l 'un à l’autre comme deux vieux collègues exaspérés."
Entre bonheurs et inquiétudes, "Le père du bébé aurait fait une bien meilleure mère. Son instinct de sacrifice est plus développé, et c'est toujours lui qui fait les crêpes.", mais toujours avec beaucoup d'humour et d'énergie, la narratrice nous raconte les étapes obligées de sa grossesse, de l'annonce à une conclusion qui évoque très joliment la transmission.
Celle qui se définit successivement ou simultanément comme "la gosse qui n'a pas les mots, l'ado blessée, la femme-lézard, la féministe, l'écrivaine et la demi-mère", une femme brouillon donc, dont on devine que le rapport à sa propre mère est plutôt douloureux, pose des mots très justes sur cette grossesse.
Si elle souligne l'attendrissement de certains devant son gros ventre, elle n'en oublie pas néanmoins que, bizarrement, ce dernier semble devenir invisible dans les files d'attente ou les transports en commun...Avec lucidité, elle décrit ses propres contradictions de féministe et de mère en devenir, tiraillée entre le fait qu'on veuille la limiter à ce rôle et l'acceptation de ce rôle, trop normatif à son goût.
Ne perdant jamais son regard critique, dénichant la violence sous la guimauve, la narratrice s'en tire haut la main, ne reniant jamais son aspect revendiqué de Femme brouillon, bien loin des mères parfaites qui nous sont imposées comme modèles.
Un livre qui pose un regard décapant, drôle et intelligent sur la grossesse, voilà qui ne se refuse pas, quel que soit son âge !
Un grand coup de cœur, constellé de marque-pages !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : amandine dhée
08/11/2018
Le jardin arc-en-ciel ...en poche
"Mais peut être certaines choses s'offraient-elles à notre regard justement parce que nous étions en marge."
Izumi, jeune mère célibataire, rencontre une lycéenne en classe de Terminale au moment où celle-ci se prépare à se jeter sous un train. Les deux jeunes femmes vont tomber amoureuses et se réfugier dans un village de montagnes retiré.
Là, elles ouvriront une maison d'hôtes qui accueillera tout le monde, mais particulièrement ceux qui souffrent ou se sentent rejetés.
La famille créée par ces deux femmes et leurs enfants ne sera pas toujours bien accueillie mais saura faire face aux préjugés, tout en préservant sa bienveillance.
Les différents narrateurs, dont les enfants de cette famille, offrent chacun leur ressenti face aux événements parfois dramatiques, mais toujours présentés de manière un peu ouatée. Une lecture où l'on retrouve toute la délicatesse de Ito Ogawa.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : ogawa ito
31/10/2018
Traders, hippies et hamsters...en poche
"La façade de la normalité est intacte. Tout va pour le mieux."
Doro(thy) et Marcus, vieux hippies gauchistes , juste devenus excentriques aux yeux de leur progéniture, ont décidé de se marier.Une surprise pour leurs trois enfants : Serge (ne dites pas à ses parents qu'il est trader, ils le croient thésard en mathématiques); Clara, enseignante dans une école pour enfants défavorisés et Oolie, trisomique sur le chemin de l'indépendance.
Cette union est donc l'occasion de revisiter le passé, les idéaux égratignés par la réalité, mais sans rancoeur ni idéalisation a posteriori.
Roman polyphonique, Traders, hippies et hamsters est sympathique en diable, plein d'humour et fait confiance à l'intelligence de son lecteur. Voyez comment Marina Lewycka pratique l'ellipse narrative: "En l'espace de six mois, Julia et Pete s'étaient séparés et Julia étaient retournée à Merseyside, le coeur brisé et, dans la main, une touffe de cheveux auburn arrachée à Moira." Quant au personnage désinhibé de Oolie, il suscite à la fois humour et tendresse. Un roman chaleureux et attachant , plein d'humanité, de mixité sociale, et qui fait un bien fou !
Traders, hippies et hamsters, traduit de l'anglais, Éditions des deux terres 2013, J'ai lu 2018320 pages à savourer !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marina lewycka
06/10/2018
Eileen...en poche
"Tout ce que j'avais à offrir, c'étaient mes talents de serpillière, de mur aveugle, de fille désespérée prête à tout, hormis commettre un assassinat , pour se faire apprécier, sans même parler de se faire aimer."
1964. Eileen a vingt-quatre ans. Orpheline de mère, elle vit avec un père tyrannique et alcoolique que seul son ancien statut de policer municipal sauve de la déchéance totale. Elle travaille dans un centre de détention pour jeunes délinquants qui exercent une trouble attirance sur elle. Mais dans le déni total de son corps et de ce qu'elle appelle ses "cavités", elle se contente de bâtir d’improbables questionnaires que les mères des prisonniers remplissent sans broncher.
L'arrivée d'une jeune femme très sexy dans l'institution où travaille Eileen sera l'élément déclencheur pour un changement de vie radical pour la narratrice.
Récit rétrospectif, à cinquante ans de distance, Eillen, est un roman où l'aspect organique règne en maître. On a parfois l'impression que les pages empestent la sueur, le vomi ou les sécrétions. Paradoxalement, dans la dernière partie du récit , l'excès de propreté sera le signe d'une perversion extrême.
Autoportrait placé sous le signe de l'auto dénigrement- on pourrait s'amuser à collecter les définitions déplorables que la narratrice donne d'elle-même- ce premier roman est bourré d''humour noir et je me suis vraiment régalée à le lire même si la dernière partie, avec son retournement de situation plus qu’improbable, est nettement moins convaincante. Une auteure à suivre !
Eileen, Ottessa Mosfegh, traduit de l'anglais( E-U) par Françoise Du Sorbier
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ottessa mosfegh
05/10/2018
Manuel à l'usage des femmes de ménage ....en poche
"Quand elle voulait exprimer ce qu'elle ressentait mais que c'était trop dur, elle montrait un poème. En général, son interlocuteur ne comprenait pas."
Un recueil de nouvelles de 560 pages. Deux bonnes raison de fuir ou de pousser des cris d'orfraie ? Oh que non ! Ce serait rater la découverte d'une écrivaine et d'une femme hors-normes, Julia Berlin .
Elle a vécu plusieurs vies dès l'enfance, passant d'une existence choyée et confortable à une vie plus chaotique et sombre, illuminée par des amours passagères et marquée longtemps par l'alcool. Elle a trimé pour élever plus ou moins seule ses quatre enfants, côtoyant les pauvres, les alcoolos, les détenus. Bref tous les laissés pour compte de la société. Son empathie et son humanité sont sans pareilles.
Fi du pathos et des bons sentiments ! Le rythme de sa prose est vif, plein d'énergie. On passe parfois à l'intérieur d'un même texte, d'un narrateur à un autre. On est soufflé par une chute (elle n'en abuse pas pour autant) et souvent on relit pour mieux voir comment elle a opéré pour nous cueillir au creux de l'estomac à retardement, en quelque sorte ,ce qui est encore plus efficace.
La préface évoque l'autofiction, mais on est loin chez Julia Berlin de ce que cette catégorie peut recouvrir en France. Ici les textes sont nourris, irrigués de ce que l'autrice a vécu et on retrouve, au fil des nouvelles, des personnages , on découvre leur évolution, comme si l'on prenait des nouvelles de vieux amis perdus de vue.
L'humour, même s'il est discret, est néanmoins présent et s'il est parfois rude , il peut aussi flirter avec l'absurde ou le cocasse.
Julia Berlin sait en quelques lignes , parfois triviales (parune odeur par exemple) ou violentes, dégager l'essence d'un personnage, le croquer en quelques traits et le faire apparaître, là , sous nos yeux .
Bref, ne vous laissez pas intimider par ces 560 pages , prenez-les plutôt comme l'occasion exceptionnelle, de découvrir à votre rythme une écrivaine puissante et diablement efficace pour nous faire passer à travers toute une gamme d'émotions.
Manuel à l'usage des femmes de ménage, Lucia Berlin, magistralement traduit de l’anglais (E-U) par Valérie Malfoy.
06:01 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : lucia berlin
29/09/2018
Inavouable...en poche
" -Je trouverai bien une idée quand j y serai, dit- il à voix haute prouvant par la même occasion qu il était le digne héritier de la tradition insurrectionnelle polonaise."
Quel est le rapport entre le premier attentat terroriste sur le sol polonais, le vol organisé d’œuvres d'art durant la Seconde Guerre Mondiale et une incroyable histoire d'espionnage ? C'est ce que vont devoir découvrir la cheffe du département de recouvrement de biens culturels polonais, un marchand d'art qui fut l'amoureux de la susnommée, un officier de services secrets polonais fraîchement retraité (mais qui a encore de très jolis restes) et une voleuse d’œuvres d'art.
Un drôle d'attelage donc, une sorte de Quatre Fantastiques, la référence est clairement donnée dans le texte, qui vont devoir conjuguer leurs talents pour faire face à de multiples rebondissements qui tiennent le lecteur en haleine.
Plus qu'un roman policier, nous sommes ici face à un roman d'aventures façon Indiana Jones, qui joue avec dextérité de tous les ingrédients requis: aspect bon enfant, violence, suspense, sentiments, le tout ponctué d’autodérision quant à la Pologne et ses usages. N'était une histoire d'espionnage tendance complotiste, j'aurais totalement adhéré à ce pavé de 591 pages qui se dévore d'une traite.
Inavouable de Zygmunt MILOSZEWSKI traduit du polonais par Kamil BARBARSKI
10:03 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : zygmunt miloszwski
21/09/2018
La vie secrète des vaches...en poche
"C'est à nous de leur apporter les conditions nécessaires pour qu'ils puissent être à l'aise et être suffisamment heureux pour bien dormir."
Depuis plus de cinquante ans, Rosamund Young élève des vaches dans une sorte de petit paradis. Jugez un peu: les bovidés vivent en liberté, avec des abris à disposition, des herbes variées leur permettant d’éventuellement se soigner elles-mêmes et entourées d'amour et de soins. Car c'est bien cela qui se dégage de ses chroniques: évidemment, Rosamund Young élève des vaches dans un but économique (même si cela n'est jamais vraiment évoqué) avec énormément d'attentions et d'affection.
Elle observe les amitiés et les inimitiés, les manifestations de solidarité, de bienveillance entre les animaux, soulignant la grande palette de caractère existant chez les vaches, relevant la fierté de l'une, la bienveillance de l'autre car "Plus on connaît un animal, plus on lui est utile." Ici, on a vraiment l'impression que les éleveurs sont au service de leur animaux.mais il n'y a pas que des bovidés dans cette ferme et l'autrice nous régale aussi d'anecdotes concernant des moutons, des cochons et des poules, avec toujours un grand sens de l’observation et beaucoup de bienveillance.
Certains pourraient peut être lui reprocher son anthropomorphisme, elle applique en effet parfois aux vaches un comportement humain,elles bavardent par exemple en contemplant un paysage, mais cela ne m'a pas du tout heurtée, loin de là. Oui, les vaches font du baby-sitting et rendent service aux copines, (j'ai même observé dans le Gers un taureau placide qui gardait sa progéniture autour de lui tandis que les vaches étaient parties paître un peu plus loin); oui ce sont des êtres sensibles et intelligents, ou bêtas selon les individus. Faits que les scientifiques semblent découvrir de nos jours mais que les éleveurs et les propriétaires d'animaux domestiques savaient depuis longtemps...
à noter que Rosamund Young, pleine de bon sens, plaide pour un élevage respectueux du bien être des animaux car "Rendre les animaux heureux et leur permettre d'exprimer leur comportement instinctif n'est pas seulement moralement et éthiquement essentiel, c'est également avantageux d'un point de vue financier.Les animaux heureux se développent plus vite" Une bouffée de bonheur bucolique.
Traduit de l’anglais par Sabine Porte, préface de François Morel, avant-propos d'Alan Bennett,
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rosamund young
20/09/2018
Un homme doit mourir ...en poche
"- Il y a des gens et des idées qui sont comme des larves dans l'écorce des beaux arbres."
Boris, naturaliste, rédige des rapports de contre-expertise destinés à favoriser les projets industriels controversés . Le dernier en date ? Celui d'une installation d'unité de stockage de matières dangereuses dans une les Landes, là où vit une espèce rare de libellule.S'il a vendu son âme au diable, Boris entretient paradoxalement de bonnes relations avec Pépé, odonatologue passionné, opposant bien décidé à faire de cet endroit une Zone A Défendre.
Un peu plus loin, une villa cossue défie la Nature et les lois littorales. Son propriétaire, homme d'argent et de pouvoir, y a convoqué deux de ses amis , tout aussi peu scrupuleux que lui.
Entrelaçant avec virtuosité les intrigues, Pascal Dessaint fait la part belle à la Nature, sans pour autant négliger le côté noir de son roman. La tension monte au fur et à mesure que s'annonce une tempête et que se révèlent les enjeux.
Les personnages ne sont ici en rien caricaturaux. Complexes et riches d'humanité, ils s'interrogent sur les liens qu'entretiennent les hommes , les végétaux et les animaux, sur la nécessité qui peut paraître dérisoire de préserver certaines espèces, constatent les vertus de la nature sur les tourments humains.
Un peu plus apaisé, l'auteur n'en perd pas pour autant son regard acéré, aussi prompt à identifier un oiseau qu'à dénoncer les hypocrisies de nos sociétés. Du grand Dessaint , tant par le style que par les réflexions qui émaillent le roman, sans jamais l'alourdir.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal dessaint
19/09/2018
Légende d'un dormeur éveillé
"Un Surréaliste ce serait précieux pour éclairer les chemins de l'inconscient. Et puis Robert, tu as cette qualité précieuse d'exprimer les choses les plus complexes avec des mots simples, de rester ludique même quand tu es grave. Tu n'es jamais élitiste ni ennuyeux. Vraiment, je trouve que vous êtes faits pour travailler ensemble !"
De Robert Desnos, chacun a en mémoire quelques vers , mis en musique ou non, jouant avec les sons, les images, pleins de fantaisie (Une fourmi de dix-huit mètres... Ce sont les mères des hiboux...). Une photographie vient peut être aussi à l'esprit, celle d'un "dormeur éveillé". Amours malheureuses, Surréalisme, Résistance composent les autres morceaux du puzzle, sans oublier sa mort du typhus juste après la libération du camp de concentration où s'achevait son parcours de déporté.
Avec sa Légende d'un dormeur éveillé, Gaëlle Nohant nous propose un roman qui se fixe pour objectif de "rejoindre la vérité par le biais de la fiction, ou en tout cas une vérité possible". Objectif pleinement atteint par ce texte foisonnant de vie, de sentiments, d'énergie, qui fait revivre de manière extrêmement vivante le Paris des années folles à l'occupation et l'existence de cet homme protéiforme.
Et de l'énergie il en fallait pour suivre le parcours de cet homme tour à tour et simultanément, poète critique, inventeur de slogans publicitaires, chroniqueur radio, porté par une telle exigence de liberté qu'il s'engagea dans la Résistance sans tarder. Ayant le coup de poing facile, ne craignant pas les inimitiés, mais extrêmement fidèle en amour comme en amitié, Roberts Desnos se révèle extrêmement attachant et sensible.
Émaillant judicieusement son texte d'extraits de poèmes, dûment référencés à la fin des 521 pages, l'auteure ,dans la dernière partie du livre, la plus poignante, se glisse aussi à la place de Youki, la femme aimée. Sous la forme d'un journal intime, elle retrace la toute dernière partie de la vie de l'auteur de Corps et Biens, une partie qui nous laisse la gorge serrée.
Un très grand coup de cœur, tant du point de vue de l'écriture, parfois lyrique, parfois plus intimiste mais toujours très prenante, que du point de vue romanesque. On ne s’ennuie pas une minute et on dévore d'une seule traite ce pavé addictif ! Vous voilà prévenu(e)s .
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : gaëlle nohant, robert desnos
15/09/2018
Troisième personne...en poche
Ils ne savent plus comment c'était de n'être responsables que d'eux-mêmes. Ils se questionnent mais ils ne peuvent revivre cet état comme on enfilerait un vieux vêtement retrouvé par hasard."
Commencé par un magnifique travelling où l'on suit à travers les rues de Paris transfigurées le trajet d'une mère et de son enfant tout juste née jusqu’au domicile devenu familial, le roman de Valérie Mrejen se clôt par la course effrénée de la fillette, éperdue de liberté ("Vos enfants ne sont pas vos enfants", disait Khalil Gibran...).
Entre les deux,toutes les métamorphises induites par cette Troisième personne:les doutes, les émerveillements, les angoisses, la fatigue...
Un roman plein d'amour et de poésie qui parlera à toutes les générations de mères, un parfait cadeau de naissance, jamais mièvre.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : valérie mréjen