27/02/2019
les cuisines du grand Midwest...en poche
"Après des dizaines d'années passées loin du Midwest, elle avait oublié que cette générosité déroutante était une manie répandue dans cette région."
Quand un jeune papa, féru de cuisine ,concocte pour sa fille qui vient tout juste de naître des menus sophistiqués pour les cinq premiers mois de sa vie, nul doute que celle-ci ne devienne une gastronome .
Et pourtant, il faudra bien des rebondissements pour que Eva Thorvald, l’adolescente, croqueuse aguerrie de piments ,n'accomplisse son destin.
Roman d'initiation , Les cuisines du grand Midwest utilise le biais de la cuisine, de la plus traditionnelle à la plus pointue, pour nous brosser le portrait d'une jeune femme que la vie n'a pas épargnée mais qui a toujours su faire face.
Si Eva est bien le fil rouge que nous retrouvons tout au long de ce texte, elle n'est pas forcément le personnage principal de chacun de chapitres qui donne alternativement le point de vue d'autres personnes croisées tout au long de sa vie. Ainsi, l'auteur, usant des ellipses, allège son récit tout en lui conservant sa densité. Un magistral chapitre final permet de réunir des éléments ayant joué un rôle dans la destinée d'Eva, mais n'en disons pas plus.
On prend beaucoup de plaisir à lire ce roman qui m'a parfois fait penser aux premiers textes de John Irving.
Entrecoupé de recettes de cuisine, le texte d'une apparente légèreté aborde des sujets graves sans jamais se prendre au sérieux, mais en faisant preuve de bienveillance et en évitant tous les pièges du pathos. Une magnifique réussite !
Les cuisines du grand Midwest, J. Ryan Stradhal, traduit de l’américain par Jean Esch, Editions Rue Fromentin 2017, 342 pages que j'ai quittées à regret.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : j. ryan stradhal
16/02/2019
L'homme est un dieu en ruine...en poche
"Les gens ne s’adoucissaient pas avec l'âge, ils se décomposaient, c'était tout, constatait Viola."
Deuxième volet du diptyque de Kate Atkinson consacré à la Seconde Guerre mondiale, L'homme est un dieu en ruine aborde cette fois le destin de Teddy, frère d'Ursula, l'héroïne au centre de Une vie après l'autre.
Pas de variations cette fois autour des possibles d'une existence mais néanmoins un travail d’orfèvre sur la temporalité puisque l'autrice alterne passé et présent , sans jamais perdre son lecteur en route.
Teddy donc qui a vingt ans, en 1940, s’enrôle dans pilote de bombardier et participera à des raids sur l'Allemagne. Teddy qui vivra très longtemps, connaîtra une belle et tragique histoire d'amour, aura une seule fille et deux petits-enfants, aux destins très variés.
J'avoue ne guère être attirée par les récits de guerre mais Kate Atkinson, à son habitude, parvient à nous rendre sensible la bravoure de ces très jeunes gens embarquant dans des avions à la sécurité toute relative, sans pour autant minorer la souffrance des populations civiles victimes de ces bombardements.
L'aspect familial n'est pour autant pas négligé et , par l'intermédiaire de Viola, fille unique de Teddy, baba cool et mère en apparence indigne, elle dépeint avec subtilité les relations compliquées entre parents et enfants au fil du temps. Que Viola devienne une écrivaine à succès n'est certainement pas un hasard, car comme nous l'indique Kate Atkinson, dans sa postface très éclairante, ce roman traite aussi de la fiction.
On retrouve,avec énormément de plaisir, l'humour souvent vachard de l'autrice, sa subtilité et son art de la narration. Un très grand bonheur de lecture !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : kate atkinson for ever !
09/02/2019
Ces rêves qu'on piétine ...en poche
"Elle n'a jamais blessé personne. Elle n'a jamais haussé la voix. Elle a été à la hauteur. Elle s'est battue. Elle a menti. Elle a collé au personnage qu'on avait voulu faire d'elle. Digne de son rôle."
Montage alterné pour ce roman mettant en scène la fin de la Seconde Guerre mondiale: tandis que sont engagées les marches de la mort, Martha Goebbels et six de ses enfants se terrent avec quelques dignitaires nazis dans le bunker berlinois d'Hitler.
L'occasion de revenir sur le parcours de cette femme qui a bâti sa vie sur un mensonge (son père était juif) et a embrassé sans barguigner les thèses du nazisme pour livrer cours à ses ambitions.
L'occasion aussi de brosser un portrait saisissant et puissant des derniers massacres, tant par les soldats que par les populations civiles, des survivants des camps de la mort.
Faisant le lien entre les deux, les lettres (imaginées par l'auteur) qu’un père a adressées à la fille qui n'a rien fait pour le sauver.
Si le style de l'auteur est à la fois très évocateur mais sans pathos, je suis malheureusement restée à distance de ce texte, un peu pour me préserver et aussi parce que j'avais déjà lu plusieurs romans sur cette période historique .Ce dernier en a sans doute pâti.
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08/02/2019
Sur les chemins noirs...en poche
"Je préférais demander aux chemins ce que les tapis roulants étaient censés me rendre: des forces."
On l'a connu fanfaronnant sur les toits parisiens, mais c'est un chalet montagnard qui aura eu presque raison de lui. Rafistolé par des médecins dont il s'étonne qu'ils ne lui aient reproché, Sylvain Tesson, désormais sourd d'une oreille, paralysé du visage et doté de quelques vis dans la colonne vertébrale, décide de se soigner à sa façon.Pour cela , il parcourt ce qu'il appelle Les chemins noirs, cette "géographie de traverse" qui subsiste, loin de l'aménagement imposé au territoire.
Et c'est bien cette géographie, plus que le corps et l'âme en berne du narrateur qui sont au cœur de ce récit. Quelque fois sentencieux, mais le plus souvent poétique, Sylvain Tesson fait aussi quelques rencontres , parfois hautes en couleurs, mais le plus souvent fort modestes.
C'est cette poésie champêtre et cette modestie qui ont su emporter mon adhésion et me réconcilier avec le personnage et l'auteur.Le récit est bref et bien moins nostalgique que celui de Benoit Duteurtre, plus axé lui sur l'histoire.
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06/02/2019
L'amour après ...en poche
"Il faut déserter les modèles, fuir leurs pièges, leurs barbelés invisibles. L'important, c'est d'avoir de l'air, alors tout peut commencer."
Années 50, Marceline Loridan -Ivens qui est "une fille de Birkenau" est rentrée en France et ne tarde pas à prendre son indépendance vis à vis de sa mère.
La jeune femme dont le corps a été figé dans l'adolescence par le camp a soif de vie et de culture. Elle enchaîne aussi les aventures amoureuses ,même si son corps ignore toute sensation de plaisir, de désir ,et restera à jamais "sec", c'est à dire stérile, sans que Marceline le regrette, bien au contraire.
La nudité reste attachée au regard d'un médecin décidant de la vie ou de la mort et Marceline aura toujours des difficultés à se dénuder, y compris dans un contexte médical.
Un récit rare qui évoque le corps, les sentiments d'une jeune femme fracassée par les camps mais qui est pleine d'ardeur, de vie, d'énergie et d'une formidable liberté.
06:00 Publié dans Biographie, Document, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marceline loridan-ivens
30/01/2019
Les rêveurs...en poche
"...la même absence de liberté, et surtout d'intérêt de leur famille à l'égard de de ce qu'ils étaient vraiment."
Une fille-mère et un bisexuel comme parents , même dans les années 70, voilà qui n'était pas courant. Famille hors-normes donc pour des enfants qui ne rêvent que de normalité, mais qui, bon an , mal an vont devoir s'accommoder d'une drôle de famille où l'amour et l'art sont très présents.
La douleur, la dépression, deux tentatives de suicide mais la vie qui malgré tout reprend le dessus et une écriture très touchante font de ce premier roman, à tendance autobiographique, une entrée en littérature plutôt réussie.
Isabelle Carré,dont le sourire lumineux joue beaucoup dans le formidable capital sympathie dont elle bénéficie, révèle à demi-mots ses failles mais montre aussi que les enfants d'homosexuels ne vont ni moins bien ni mieux que ceux d'hétéros. Un très bon moment de lecture.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : isabelle carré
25/01/2019
Les chemins de la haine...en poche
"Il y avait des milliers d'Andrus Tombak qui faisaient vivre les immigrés dans des conditions que ne tolèreraient jamais jamais ceux qui déversaient leur haine sur eux."
Un homme est mort dans l'incendie d'une cabane de jardin de Peterborough. Il s'agit d'un travailleur immigré estonien, Jaan Stepulov. Un parmi tous ceux qui arrivent des pays de l'Est dans ce qu'ils croient être un Eldorado mais qui se révèle bien trop souvent un enfer.
Nouveaux esclaves, ils sont exploités sans scrupules et haïs par la population locale.Les deux policiers qui mènent l'enquête, Zigic et sa partenaire, Ferreira ,immigrés de la deuxième génération ont eux-mêmes , à des degrés divers, été en butte à ce racisme plus ou moins larvé de la part des Britanniques de souche.
Les chemins de la haine possède tous les ingrédients d'un formidable roman noir: personnages parfaitement croqués, intrigue à rebondissements et surtout un arrière-plan social passionnant. Addictif ! On a d'emblée hâte de découvrir le prochain roman de cette auteure.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : eva dolan
23/01/2019
Le paradoxe du bonheur
"Comme dans son monde à elle , il n 'y avait pas forcément de règles strictes; parfois, il valait mieux laisser les situations s'équilibrer d'elles-mêmes. Plus on intervenait, plus on risquait de perturber les variables infinies."
Sur un pont de Londres, un renard va, sans le savoir, rapprocher deux destinées: celle d'une américaine,Jean, fraichement divorcée, biologiste chargée d'observer les goupils qui se sont approprié le territoire urbain et celle d'Attila, ghanéen au nom de guerrier, qui intervient certes sur les lieux de conflits partout dans le monde ,mais en tant que spécialiste du stress post traumatique.
Ils sont solitaires, comme tant d'autres autour d'eux qui œuvrent dans les coulisses de la ville, mais la fugue d'un petit garçon établira des connexions inattendues et multiples entre des personnages riches d'humanité.
Des loups, des coyotes, des renards mais aussi des perruches effrontées traversent ce roman et , pour certains d'entre eux, la ville de Londres, nous rappelant qu'il nous faut composer avec la nature et non tenter inutilement de la détruire faute de pouvoir la dominer.
Quant aux personnages, on s'attache très vite à eux et des retours en arrière, nous permettent de mieux les comprendre,avec pudeur et émotion. La résilience est au cœur de ce roman, sans pour autant céder à la tentation des bons sentiments, et l'écriture, riche de métaphores et de réflexions pertinentes, nous offre ici un peu bonheur de lecture.
On apprend plein d'informations mine de rien dans des domaines très divers et l'on se sent plus riche d'humanité en refermant ce livre que j'ai trimballé partout le temps de sa lecture, ce qui est un excellent signe !
Le Paradoxe du Bonheur (Happiness)Traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par Claire Desserrey, Editions Delcourt 2019, 411 pages piquetée de marque-pages.
Et zou un roman qui fait du bien sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : aminatta forna
19/01/2019
Quand monte le flot sombre ...en poche
"Ces deux mois ont été très longs. Elle était beaucoup plus jeune, il y a deux mois. Elle avait traversé la soixantaine et dépassé les soixante-dix ans en marchant régulièrement sur un plateau des années durant, mais, maintenant, elle a brusquement descendu une marche. Voilà ce qui se passe. Elle sait tout là-dessus. Elle a été avertie plusieurs fois de l'existence de cette marche vers le bas, de cet étage inférieur. Ce n'est pas une falaise de la chute, mais c'est une descente vers un nouveau genre de plateau, vers un niveau inférieur. On espère rester sur ce terrain plat encore quelques années, mais on peut ne pas avoir cette chance."
Tandis que Fran sillonne l'Angleterre, évaluant des maisons de retraite, des inondations menacent, métaphore poétique de la mort dont sont proches presque tous les personnages du roman de Margaret Drabble Quand monte le flot sombre.
Pour autant ce roman n'est en rien lugubre ou désespérant. Fran est pleine de vigueur et ses amis ou connaissances abordent le dernier rivage avec, sinon, sérénité, du moins sans acrimonie. Il est vrai qu'ils ont eu des vies plutôt protégées, du moins dans leur âge adulte, riches d'un point de vue intellectuel et bénéficient de conditions de fin de vie confortables. Veuve mais s'occupant d'un ex-mari alité, Fran entretient aussi des relations subtiles, parfaitement décrites ,avec ses enfants, mais néanmoins empreintes d'une tendresse prudente.
Avec sa finesse et son humour parfois acidulé, Margaret Drabble nous livre une analyse psychologique fouillée, tissée de citations poétiques ou littéraires ,mais aussi un portrait d'une certaine Angleterre. Avec empathie, mais se tenant aussi à distance de ses personnages pour éviter tout pathos, la narratrice du roman affirme ignorer certaines de leurs pensées ou balayer d'un revers de la main, sans précisions, la fin de certains d'entre eux.
Un bon gros roman anglais comme on les aime !
06:02 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : margaret drabble
18/01/2019
Une histoire des loups...en poche
"L'aube est un laissez-passer.Je l'ai toujours pensé. Entre quatre et sept heures, le temps appartient à quelques oiseaux agités, à une dernière chauve-souris peut être, fondant sur les moustiques."
Madeline, quinze ans, vit de façon quelque peu marginale et rustique, dans une cabane en compagnie de ses parents, rescapés d'une communauté dont l'adolescente conserve quelques souvenirs.
Sauvage et solitaire, Madeline est fascinée par la vie d'un couple et de leur jeune enfant, installés confortablement depuis peu ,sur la rive opposée du lac.
Le père de famille étant parti travailler au loin, la jeune mère demande bientôt à Madeline de s'occuper de l'enfant, Paul, tandis qu'elle-même corrige les écrits de son époux. Madeline partage de plus en plus de moments avec ces gens qu'elle observe avec acuité, sans pour autant parvenir à analyser clairement les liens qui les unissent , avant que le drame , annoncé par de petit indices, ne survienne.
Dès la première page, Emily Fridlund instaure un climat troublant, marqué de manière implicite par la mort. D'emblée se donne aussi à entendre une voix, à la fois poétique et puissante, qui fait la part belle à la nature "Cette année-là, l'hiver s'écroula sur nous. Il tomba à genoux, épuisé et ne bougea plus."
Mais le talent de cette jeune romancière se montre aussi dans la construction subtile de son œuvre, alternant les époques sans jamais perdre son lecteur en route. Pas de coup de théâtre, mais une tragédie en marche, racontée a posteriori par celle qui avait quinze ans à l'époque. En arrière-plan, la vie d'une petite communauté rurale, où les destins semblent tracés d'avance, mais dont certains protagonistes parviendront, de manière subtile, à détourner les clichés attendus. Une héroïne ambiguë qu'on n'oubliera pas de sitôt.
Un roman captivant dont j'ai dévoré d'une traite les 297 pages.
Une histoire des loups, Emily Fridlund, traduit de l'américain par Juliane Nivelt, Gallmeister
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : emily fridlund