18/10/2019
Désintégration...en poche
"C'est moi qui décide à présent. J'ai gagné le seul pouvoir qui m'a toujours importé, celui de refuser une chose lorsque les conditions de celle-ci ne me conviennent pas, et , surtout, la liberté de n'en exercer sur personne."
Son seul objectif est d'écrire. Mais ni ses études, pourtant spécialisées, ni ses origines sociales modestes ne pourront l'aider à se frayer un passage dans un univers où elle n'a pas sa place. Ses colocataires bourgeois bohèmes parisiens, souvent fils ou filles de, le lui font bien comprendre, que ce soit par des réflexions ambiguës ou lorsqu'ils feignent de l'ignorer, lorsqu'elle n'a pas les bons codes, comportement d'autant plus violent que nié.
La liberté de la narratrice s’exprime aussi dans son rapport à son corps. Elle couche avec qui elle veut ,quand elle veut, et tant pis si cela bouscule les conventions d'un milieu hypocrite.
Avec acuité, Emmanuelle Richard dépeint la vie des travailleurs précaires à laquelle son héroïne est aussi confrontée, ces gens qui s'usent le corps et l'esprit pour un travail inintéressant et mal payé qui leur laisse juste la fin de semaine pour reconstituer leur force de travail.
En opposition,s'intercalent les entrevues avec celui qu'elle appelle l'homme-fleur, producteur qui la juge d'emblée vulgaire et qui la fascine sans pour autant lui donner l'envie de vaincre La désintégration à laquelle le présent la confronte, maintenant qu'elle a fait ses preuves en étant éditée.
Comme Annie Ernaux, la narratrice a "vengé sa race" mais ici elle est confrontée à la solitude des corps et au manque de tendresse.
Un roman qui peut choquer par sa virulence ,mais une description très juste d'un monde que bien souvent nous aussi feignons d'ignorer.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : emmanuelle richard
16/10/2019
My absolute darling ...en poche
"Elle pense, Tu es vouée à commettre des erreurs, et si tu n'es pas prête à en commettre, tu seras à jamais retenue en otage au commencement des choses, il faut que tu arrêtes d'avoir peur, Turtle. Tu dois t'entraîner à être rapide et réfléchie, ou un jour, l'hésitation te foutra en l'air."
Si Julia (alias Turtle ,alias Croquette ,alias Connasse) semble jouir d'une grande liberté pour une jeune fille de quatorze ans(elle se balade seule en pleine nature avec des armes ), la réalité est toute autre à la maison.
En effet, elle vit dans un huis-clos délétère avec son père, manipulateur hors pair qu'elle déteste et aime à la fois quels que soient les actes qu'il lui fasse subir.
Refusant les main tendues qui s'offrent à elle, Turtle ne veut compter que sur elle, quitte à repousser, pour mieux le sauver, Jacob, un lycéen qu'elle ne laisse pas indifférent.
Gabriel Tallent, dont c'est le premier roman, instaure d'emblée un climat à la limite du supportable et montre bien l'ambivalence des sentiments qui anime son héroïne. A l'instar de Turtle, qui pourtant le connaît bien, notre cœur bat chaque fois que Martin, son père, entre en scène tant ses réactions sont imprévisibles. Si l'on peut déplorer quelques longueurs, il n'en reste pas moins que nous assistons ici à un véritable tour de force, tant du point de vue de l'auteur que de la traductrice, Laura Derajinski.
05:30 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : gabriel tallent
05/10/2019
Comment t'écrire adieu...en poche
"J'ai fait payer de longues années à mon frère de onze ans les posters de Samantha Fox et Sabrina ; et moi, femme adulte, cérébrale somme toute, et armée de convictions inversement proportionnelles à celles de mes bonnets, je me fais cueillir par cette blonde peroxydée, fluette mais qui s'est fait rajouter des seins comme si elle devait instamment exercer la profession de nourrice." [Il s'agit de Dolly Parton].
R. est parti. Sans dire adieu à Juliette qui, du coup, revisite via quatorze chansons éclectiques la bande sonore de sa vie. Elle décortique à sa manière drôle et futée les paroles de ces viatiques singuliers et revient sur cette histoire d'amour chaotique, ses fêlures, son enfance, son chien Gros, ses amis, ses amours précédentes, ses fixettes, le tout avec panache.
le texte de Juliette Arnaud pâtit un peu de cette volonté de vouloir tout dire en une seule fois,en vrac, mais c'est avec une sincérité désarmante. On retrouve avec beaucoup de plaisir le style si reconnaissable de la chroniqueuse de France Inter (dans l'émission Par Jupiter) et si la fin est un peu abrupte, on a néanmoins passé un très bon moment avec cette fille très sympathique dont on aimerait bien faire sa copine
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : juliette arnaud
04/10/2019
Microfictions II...en poche
"C’est un sport , l’existence. Un sport extrême quand on en a définitivement marre de courir, de pédaler, de monter les côtes en rampant, de les dévaler sur le dos comme une boule mal équarrie."
D'abord , il y a le volume: 1135 pages pour 500 microfictions, noires, très noires, avec un rythme enlevé, format et style obligent. On ne peut pas se contenter d'enchaîner les platitudes et les clichés dans une page et demie, comme dans certains romans qui semblent s'écrire tout seuls, tant leurs auteurs sont prolifiques.
Ensuite, il y a les titres ,sagement rangés dans l'ordre alphabétique de "Aglaé" à "Zéro baise", en passant par "De savoureux ananas qu'on cueille à l'arc", ou "Mars est chaud à Maubeuge". On y croise aussi des personnages aux noms savoureux: "Xavière Téton", "Cousin Marmelon" ou "Laure ponédon".
Quelques injonctions vigoureuses nous sont parfois données: "Va claquer des dents à la cuisine" ou "Mettre la réalité en pause". Bref, rien qu'à feuilleter le pavé, on devine qu'on n'entre pas ici au royaume du tiédasse et de la joliesse.
La quatrième de couverture , qui bat en brèche tous les clichés sur l'enseignement et les illusions des parents, donne le ton (et le texte complet va encore plus loin dans l’excès , n'hésitant pas à convoquer la coprophagie !).
Je me suis finalement lancée et ce fut un régal ! Attention, sous peine de gueule de bois littéraire, il ne faut pas abuser de ces microfictions qui passent à la moulinette le couple, la famille, bref, tout ce qui fait que nos vies sont trop souvent "navrantes" aux yeux de l’auteur.
On pense, en plus délié, aux Nouvelles en trois lignes de Félix Fénénon pour l'humour noir et la brièveté, avec un zeste de crudité. Régis Jauffret s'offre le luxe de commencer ses nouvelles très souvent par une première phrase qui en dit déjà long sur son personnage ou la situation mise en place, situation qu’il n'a plus qu'à laisser tomber encore plus bas car "L'existence n'est jamais à court de marches quand il s'agit de les dévaler."
Amateurs d'humour noir précipitez-vous sur cette arme de destruction massive de la bienpensance.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : régis jauffret
03/10/2019
Mon autopsie...en poche
"J'ai toujours eu peur de l'attendrissement.
La sensibilité me semblait une faiblesse qu'il fallait cacher.
J'ai essayé d'être dur. Je crains d'avoir réussi."
C'est à une double autopsie que nous convie Jean-Louis Fournier: celle de son corps (dont il a fait don à la science), qu'il imagine réalisée par une très jolie étudiante ( charmeur jusqu'au bout des os, Jean-Louis), celle de son âme, qu'il se réserve.
Quand on est familier de l’œuvre du créateur d'Antivol ou de la Noiraude, on retrouve ici les membres de sa famille évoqués dans ces précédents ouvrages, mais ici l'auteur se livre à une sorte d'examen de conscience sans complaisance et n'hésite pas à nous livrer certains aspects de son caractère ou de son comportement pas forcément sympathiques.
Il n'en reste pas moins que l'humour s'invite régulièrement , souvent en fin de chapitre, et que la fiction de l'autopsie corporelle apporte la distance nécessaire à ce qui aurait pu devenir un exercice trop auto centré. Une nouvelle fois, l'auteur de La servante du seigneur tend les bras métaphoriquement parlant à sa fille qui s'est éloignée de lui. Une œuvre sensible et touchante qui manie l'humour noir avec dextérité
05:50 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-louis fournier
02/10/2019
Valentine ou la belle saison...en poche
"Tu en connais beaucoup des familles où tout le monde s'aime, se parle sans hypocrisie ni jalousie, et ne cache rien à personne ? "
A l'aube de la cinquantaine, Valentine et son frère aîné, Frédéric, vont devoir faire face à de nombreux bouleversements.
Sur fond de campagne électorale présidentielle ,chacun d'entre eux va devoir affronter à sa manière et "digérer" des secrets de famille façon poupées russes , secrets d'autant plus violents qu’ils les obligeront à faire le deuil de l'image idéalisée de leurs parents.
Pour ne rien arranger, Fred comme Valentine doivent simultanément faire face à des tourments personnels...
Centré sur le personnage de Valentine, femme qui a bien du mal à accepter et son corps et la réalité, le roman d’Anne-Laure Bondoux se révèle addictif tant il excelle à croquer des personnages pleins de vie, de doutes mais d’énergie aussi.
Interrogeant les liens subtils, et parfois tortueux, qui unissent frères et sœurs, il brosse aussi en arrière plan le désenchantement d'une certaine gauche idéaliste.
Même si la fin me laisse dubitative, j'ai dévoré à belle dents ce roman qui fleure bon la joie de vivre malgré tout.
05:50 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : anne-laure bondoux
20/09/2019
Trois fois la fin du monde...en poche
"Faut pas mollir. Organiser son temps. Avoir son propre règlement, que celui des Bleus ne soit plus le seul à s'imposer. Curieusement, au lieu de nous contraindre plus, cela nous garantit de la liberté, ou quelque chose d'approchant."
Un seul personnage principal , Joseph Kamal, va connaître Trois fois la fin du monde. La première en étant incarcéré pour la première fois de sa vie en prison où il fera l'expérience d'une communauté imposée et n'aspirera qu'à la solitude. La deuxième, quand à l'issue d'une Catastrophe, indéterminée, il fera partie des survivants et mettra à profit les acquis de la prison. La dernière, quand il se retrouvera seul dans la nature à rechercher la compagnie des animaux pour ressentir à nouveau des émotions et des sentiments.
N'étant guère friande ni de romans carcéraux ni de romans évoquant la fin du monde , je me suis pourtant régalée du début à la fin de ce roman de Sophie Divry, la présentation et la citation mise en exergue me donnant comme boussole" l’histoire revisitée d’un Robinson Crusoé plongé jusqu'à la folie dans son îlot mental". C'est donc avec enthousiasme que j'ai lu ce roman, établissant sans cesse des comparaison avec les textes de Defoe et/ou de Michel Tournier. Quant à la dernière partie, elle a tout de suite fait écho à un texte clairement revendiqué comme source d'inspiration par l'auteure, à savoir Le mur invisible de Marlen Haushofer.
Évoquant le thème de la solitude recherchée ou subie, Trois fois la fin du monde montre qu'une fois de plus Sophie Divry a su se renouveler avec bonheur.
Éditions Noir sur Blanc 2018.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sophie divry
11/09/2019
Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale...en poche
"On tire du ménage une sensation de contrôle et de pouvoir rarement égalée dans la mesure où il est aussi un défi au temps."
Partant de son expérience personnelle, s'appuyant aussi sur de nombreuses études, Titiou Lecocq analyse finement et , avec son humour habituel, l'inégalité de la répartitions des tâches ménagères au sein d'un couple et plus particulièrement d'un couple avec enfants. car c'est souvent à ce moment- là que la situation dérape.
Rappelant les racines du problème, l'éducation principalement, l'autrice pointe aussi du doigt les motivations psychologiques plus difficilement avouables ainsi que les différences dans la manière dont hommes et femmes se répartissent cette fameuse charge mentale.
Les "torts" sont partagés, pas de miracle préconisé pour régler le problème, mais une manière saine et enjouée d'envisager la situation. De quoi repartir sur de bonnes bases ?
06:00 Publié dans Essai, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : titiou lecoq
06/09/2019
Je m'appelle Lucy Barton...en poche
"Je me répétais que tous les cinq nous avions vraiment formé une famille malsaine, mais je voyais aussi combien nos racines étaient farouchement entremêlées autour de nos cœurs."
Hospitalisée, se sentant seule ,loin de son mari pris par son travail, loin de ses filles, Lucy Barton a la surprise de voir débarquer sa mère à son chevet. Issue d’une famille extrêmement pauvre, sans relations sociales, sans culture, sans expression de sentiments, Lucy a su tracer sa route, échapper à la solitude et devenir écrivain.
Pendant cinq jours, entre veille et sommeil, les deux femmes vont échanger de petits riens, mais, avec une extrême pudeur, trop de non-dits trop profondément enkystés empêchant toute expression directe, Lucy comprendra la profondeur des liens qui la lient à toute sa famille , aussi dysfonctionnelle qu'elle ait été. Un magnifique portrait de femme par l'auteur d'Olive Kitteridge. clic.
Je m'appelle Lucy Barton, Elizabeth Strout,
06:15 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : elizabeth strout
04/09/2019
Avec toutes mes sympathies...en poche
"Bénéfice secondaire du malheur, le bonheur ne me frappe plus au cœur, mais les contrariétés non plus."
Après le suicide de son frère, la critique littéraire Olivia de Lamberterie a rompu son vœu et exaucé le souhait fraternel : écrire un livre. Dont acte.
Mais sans doute eût-il été préférable qu 'elle se laisse le temps de prendre du recul, cela aurait sans doute favorisé une expression plus maîtrisée des sentiments et un peu plus de rigueur dans l'écriture aussi (à deux reprises, à quelques lignes de distance, la narratrice "se gorge" d'activités positives, comme dans une mauvaise publicité).
J'ai donc ressenti peu d'émotions, mais sans doute suis-je sans cœur.
05:55 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : olivia de lamberterie