03/03/2020
Débâcle...en poche
"C'est peut être à ça qu'on les reconnaît, les familles où ce qui est le plus essentiel va de travers: pour compenser, elles inventent un tas de petites règles et de principes ridicules."
Eva est invitée à la fois pour commémorer le trentième anniversaire que ne fêtera jamais Jan, le frère d'un de ses amis, et pour l'inauguration d'un "site de production laitière ,presque entièrement automatisé." Doublon bizarre qui donne d'emblée le ton de ce roman où les sentiments s'expriment de manière quasi souterraine, dans un microcosme, celui d'un village flamand ,où elle a passé toute son enfance.
L'occasion pour la jeune femme de revivre deux été qui auront décidé de son existence et du fait qu'elle se rende à cette invitation munie d'un gros bloc de glace...
Eva, Pim et Laurens, une fille deux garçons, les seuls enfants nés en 1988, coïncidence qui les unira façon trois mousquetaires, même si leurs origines sociales sont bien différentes.Un triangle dont les relations s'effilocheront et deviendront de plus en plus troubles.
La tension ne cesse de monter, et même si parfois, on se perd un peu dans ces retours en arrière, rien de grave : on est tenu en haleine par ces familles dysfonctionnelles chacune à leur manière , où le drame se cache dans les détails qu'Eva scrute avec une acuité sans pareille et sème comme autant de petits cailloux blancs qui, rétrospectivement prennent toute leur valeur.
J'ai été bluffée par ce premier roman qui distille une atmosphère à la fois lumineuse et trouble, qu'on ne lâche pas et qu'on termine quasi exsangue.
Traduit du néerlandais (Belgique) par Emmanuelle tardif.
06:02 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : lize spit
29/02/2020
Les recettes de la vie...en poche
"Je veux ta colère, tes reproches, tes insultes, tes coups. Tout, sauf ton silence immobile et cette putain de chape de plomb qui recouvre tes émotions depuis que maman est partie.Je n'en peux plus de tes habits de deuil, de ta rectitude de moine soldat qui dort près de son fourneau. Je ne veux plus de ta sollicitude de père courage, de ta transmission sans émotion, de nos rites qui pédalent dans le vide."
Au lendemain de ce qu'on n’appelle pas encore la guerre d’Algérie, Monsieur Henri, flanqué du fidèle Lucien, a fait du Relais fleuri un restaurant d'habitués. Là, il mène une vie toute entière consacrée à sa femme, à son fils Julien et, bien sûr, à sa cuisine.
Mais, toujours il refusera que son fils devienne à son tour cuisinier.
Quand le roman commence, Henri est plongé dans le coma et Julien veut à toutes forces retrouver le cahier de recettes de son père, ce qui le replongera dans le passé et lui fera découvrir les secrets de son taiseux de père.
Je connaissais Jacky Durand par ses chroniques culinaires, je découvre ici son deuxième roman et c'est un pur régal. Tendresse, gouaille, et bien sûr, évocations de plats qui font saliver, sont au menu de ce très joli roman de filiation empêchée entre un père et son fils.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacky durand
28/02/2020
Principe de suspension...en poche
"Il sait ce que signifie le mot "faible": la conscience de ses propres fragilités. Il sait que lutter contre les autres est plus facile que lutter contre soi-même. Qu'il faut, parfois, faire preuve d'indulgence."
Thomas a racheté une PME de la filière plastique et se bat pour défendre l'industrie dans sa région du Grand Ouest. En butte aux trahisons intimes et professionnelles, son corps lâche prise.
Alors que Thomas est plongé dans le coma, sa femme, Olivia, va peu à peu sortir de sa passivité et envisager d'une nouvelle manière leurs relations quelques peu sacrifiées par les nécessités du travail trop prenant de son époux.
Egrainant les définitions des mots "principe" et "suspension", les chapitres de ce roman remontent le temps afin de démonter les rouages de ce qui a amené au burn out.
Si la description de la vie d'une PME , bien trop rare en littérature, est intéressante, elle manque singulièrement de souffle. On sent la volonté de trop bien faire, de délivrer toutes les informations dont s'est nourrie l'autrice afin de rendre justice à ces patrons de PME, trop souvent oubliés. cela au détriment de la littérature.
J’avoue aussi avoir été passablement agacée par le personnages d'Olivia, singulièrement détachée de la réalité. Bilan en demi-teintes donc.
De la même autrice: clic.
04:55 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vanessa bamberger
26/02/2020
Sous le compost...en poche
"A propos de cholestérol, la femme de Denis débarqua vers 19 h 30, cheveux violets, bouclettes grillées."
Franck, père au foyer, chérit ses trois petites filles, fait un peu de vélo avec des gars du cru, mais s'occupe surtout de son potager , tandis que sa femme, vétérinaire, sillonne la campagne et s'active des heures durant.
Cette belle harmonie est rompue quand Franck reçoit une lettre anonyme l'informant des infidélités de son épouse.
Loin de surréagir, Franck décide juste de se lancer à son tour sur le chemin de l'adultère , même s'il se rend bien compte que "...c'était une erreur de jouer la surenchère plutôt que la conciliation."
Et il commence par l'épouse de celui qui couche avec sa femme. Séduction à la hussarde d'abord, comprendre à la limite du viol (avec une description hilarante du membre du narrateur reprenant des clichés éculés, ce que l'on retrouvera d'ailleurs à plusieurs reprises dans le roman), puis plus policée ensuite.
Au bout de 200 pages, sentant que son récit s'essouffle, apparaissent de nouveaux personnages qui viennent révéler un autre aspect de ce velléitaire de Franck; c'est un écrivain raté. L'aspect roman noir , juste suggéré auparavant, va brièvement se développer avec une victime désignée d'office : la séductrice qui vient affoler tous les mâles du village.
Beaucoup de clichés donc, et la description acide de cette vie villageoise tourne vite court. Décevant.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nicolas maleski, schtroumpf grognon le retour
25/02/2020
Le lambeau...en poche
"Les chirurgiens n'aiment guère que leurs patients ne justifient pas leurs efforts et Chloé supportait mal l'échec."
Survivant de la tuerie de Charlie Hebdo, Philippe Lançon raconte de manière incroyable l'attentat, on a vraiment l'impression d'y être, choisissant de raconter du point de vue parcellaire qui était le sien.
Gravement blessé au visage, il relate dans Le lambeau sa lente reconstruction, tant chirurgicale que psychologique, de manière très crue, très franche aussi, n'ayant pas peur de ne pas paraître sympathique.
Les arts (littérature, cinéma, peinture...) l'aident beaucoup dans ce retour à la vie, ainsi que les soignants et les policiers qui le gardent, dont ils brossent des portraits pleins de vivacité et d'empathie.
L'écriture est superbe d'un bout à l'autre de ces 510 pages. Un texte couvert, à jute titre, de prix.
Couverture chez Folio de Fabienne Verdier.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit de vie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : philippe lançon
21/02/2020
On dirait que je suis morte ...en poche
"Il comptait parmi ces gens chanceux: il était sorti de l'enfance en un seul morceau et son passé n'était pas une énorme masse inamovible dotée d'un climat propre."
Mona, jeune femme de ménage (elle adore les aspirateurs !) distribue le soir des préservatifs et des seringues aux drogués. C'est là qu'elle tombe amoureuse de celui qu'elle surnomme M. Dégoûtant, artiste raté et édenté. Au vu du titre de cette première partie , Le Trou, on se doute bien de l'issue de cette relation.
Mais Mona n'a pas dit son dernier mot et la voilà bientôt en route pour le Nouveau-Mexique où, au fil de rencontres (voisins, clients, amis, hauts en couleurs et éclectiques), elle parvient progressivement à se libérer d'un passé qu'on devine toxique, d'après des bribes qu'elle nous a distillés.
Ce pourrait être trash, mais c'est plein d'émotion et de retenue.La langue est métaphorique, surprenante et Jen Beagin, dans ce premier roman, réussit un pari fou: créer un univers et des personnages pleins de vie, attachants , sans jamais tomber dans le glauque. Tout est sur le fil du rasoir mais Mona fait toujours un léger pas de côté in extremis pour éviter le sordide et choisir le camp de l'humour ,de la surprise ou de l'art. On n'oubliera pas de sitôt Yoko et Yoko, Jésus, Betty, et Mona , bien sûr. Une vraie découverte !
Un roman enthousiasmant traduit brillamment de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy qui avait su attirer mon attention sur ce roman .
Buchet-Chastel 2019, 275 pages qui donnent la pêche !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3)
13/02/2020
La daronne... en poche
"Nous étions entre nous, appartenant au grand flou des classes moyennes étranglées par ses vieux. C'était rassurant."
A part une brève parenthèse de bonheur marital, on ne peut pas dire que la vie de notre narratrice ait été marquée par la joie de vivre. Lasse d'être employée au noir par l’État comme interprète judiciaire, de n'avoir ni sécu ni retraite en vue, lasse d'avoir bossé pour payer les études de ses filles, puis maintenant pour l'EPHAD de sa mère, elle saisit l'opportunité de se glisser dans un monde qu'elle connaît bien pour le suivre via des écoutes téléphoniques : celui du trafic de drogue.
Et là, elle revit, jonglant avec la langue qu'elle connaît depuis l'enfance, "la langue d'avant Babel qui réunit tous les hommes", à savoir l'argent. Elle endosse avec jubilation l'identité de La daronne, délicieusement amorale, fustigeant notre société et ses hypocrisies. Usant d'une langue tour à tour soutenue puis argotique, "elle, au contraire, avait l’œil émerillonné de celles qui aiment le biff", Hannelore Cayre se régale visiblement à ponctuer son récit de remarques vachardes et délicieuses à nos yeux de lecteurs: "Je me suis très mal conduite avec lui, mais il faut dire que son honnêteté à toute épreuve en faisait un sacré boulet."
Enfin, une héroïne en colère, amorale et qui ne trouve pas son salut dans l'amooouuuur, voilà qui fait bien fou ! (Plein de femmes fortes d'ailleurs dans ce roman , chacune dans leur genre !).
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : hannelore cayre
12/02/2020
Le chant des revenants ...en poche
"Quelques jours plus tard, j'ai compris ce qu'il essayait de dire, que devenir adulte signifie apprendre à naviguer dans ce courant: apprendre quand se cramponner, quand jeter l'ancre, quand se laisser porter."
Trois voix portent le récit de cette famille noire du Sud des États-Unis. D'abord celle de Jojo, treize ans maintenant, enfant métis qui vit chez ses grands-parents noirs, chérit sa petite sœur Kayla, mais n'entretient que des relations sans illusions avec sa mère, Leonie qu'il n'appelle jamais "maman". Jojo voit les morts et en particulier Richie, jeune garçon noir que le grand-père de Jojo a connu autrefois au pénitencier de Parchman.
Richie est la deuxième voix de ce roman choral, relatant la violence dont ont été victimes les Noirs, même après l'abolition de la ségrégation.
C'est à Leonie, enceinte à dix-sept d'ans d'un premier enfant, droguée à la méthamphétamine pour oublier la mort de son frère , Given, victime officiellement d'un accident de chasse, mais dans les faits d'un crime raciste, que revient la troisième voix. Égoïste et bien trop amoureuse de Michael, un Blanc rejeté par sa famille car selon eux il a épousé une "pute noire", Leonie embarque ses enfants dans un road movie parfois halluciné pour aller chercher Michael qui va sortir de Parchman où il a effectué sa peine de prison. L'occasion de vivre de manière resserrée tout à la fois le racisme et la violence au quotidien.
Réalisme, lyrisme et une pointe de fantastique, tels sont les ingrédients de ce roman captivant où seul le chant d'une enfant pourra apporter le repos à tous ceux qui sont morts sans sépulture.
(Sing, unburied, sing, )traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, éd. Belfond, 272 p.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jesmyn ward
08/02/2020
Au grand lavoir...en poche
Alors j'irai au grand lavoir là-bas, où la mémoire se récure contre le granit rugueux, où la langue se rince au torrent qui mousse comme un savon d'encre, où la fiction fait Javel. Je regarderai l'eau crasseuse s'écouler dans une grande synovie de mots et je laisserai sécher les éclaboussures au soleil de leur consolation. Grande lessive.
Il a assassiné la mère de celle qu'il voit un jour à la télé, par hasard.
L'étudiante d'alors est devenue une écrivaine qui va venir pour une signature à Nogent-le-Rotrou Rotrou.
L'assassin a changé d'identité, a été réinséré. Il travaille aux espaces verts de cette commune et mène une vie routinière, totalement perturbée par cette nouvelle. Tous les stratagèmes mis en place vont montrer leurs faiblesses même si, paradoxalement, un point commun unit en pointillés ces deux personnages antagonistes: les plantes.
Utilisant un montage en parallèle qui alterne les points de vue, Sophie Daul met ici en scène un parcours à la fois imaginaire même si inspiré de sa propre histoire. Elle a en effet découvert le corps de sa mère assassinée. Face à un tel drame comment réagir ? Vengeance ? Pardon ? Dans une mise en scène troublante où se dit aussi un corps figé à l'instar de celui de la mère dans une taille 34, Sophie Daul définit ici une troisième voie.
A dire vrai, je craignais la lecture de ce texte qui aurait pu être lacrymal, usant de grosses ficelles, mais l'autrice est à la fois cérébrale et sensible et j'ai dévoré ce roman d'une traite.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : sophie daul
07/02/2020
Personne n'a peur des gens qui sourient...en poche
Qui ne s'est jamais faite belle pour déjeuner avec une amie, ou même pour elle-même, afin de ne pas naufrager ? "
ça commence un peu comme dans le court-métrage de Xavier Legrand avec Léa Drucker "Avant que de tout perdre" : Gloria embarque précipitamment ses enfants (ici deux filles, dont une ado en pleine rébellion) et se réfugie dans sa maison d'enfance en Alsace, près d'un lac.
D'emblée, la tension est là. D'emblée, le lecteur échafaude des hypothèses que le récit se chargera de réfuter. De la même manière, le personnage central de Gloria gagnera en épaisseur et en amoralité jubilatoire.
Véronique Ovaldé signe ici un roman dont l'écriture est piquetée de remarques souvent très justes, un roman dense sous une apparence de légèreté, dont l'épilogue est un peu précipité car on serait bien resté encore un peu (beaucoup) en compagnie de Gloria et ses filles.
Un roman qui fait oublier l'échec de ma lecture précédente :Soyez imprudents les enfants, que je n'avais pas réussi à finir.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : véronique ovaldé