15/02/2022
Le Signal /Récit d'un amour et d'un immeuble
"Je n'en reviens pas.
Que le signal soit capable encore, après toutes les souffrances , d'offrir cette poésie folle, d'inventer ce paysage nouveau, de la mer en transparence, presque en symbiose."
Quelle drôle d'idée que de consacrer un ouvrage à un immeuble et de le voir évoluer au fil des ans !
Oui mais cet édifice est tout à fait particulier. Il s'agit en effet du Signal ,immeuble d’habitations construit entre 1965 et 1970 en bord de mer et destiné à offrir une vue imprenable à des populations modestes dont c'était le rêve de toute une vie.
Las, le rêve vire au cauchemar car l'érosion marine a été plus rapide que prévu, réchauffement climatique oblige, et l'océan qui a gagné sur la côte aquitaine a chassé les propriétaires de leurs appartements.
Coup de foudre en 2014 pour Sophie Poirier qui suit, fascinée son évolution, imagine les vies des propriétaires expulsés et en procès avec les autorités.
Cet immeuble fait aussi résonner en elle des relations à d'autres habitations et ouvre simultanément l'imaginaire de ses lectrices et lecteurs.
Le Signal fonctionne donc comme une formidable machine à rêver , tantôt poétique, tantôt prosaïque, n'occulte en rien les aspects sociaux et environnementaux et nous fait à notre tour tomber en amour pour cet immeuble promis à la démolition cette année.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
à noter également les photographies d'Olivier Crouzel .
Éditions Inculte 2022.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Récit | Lien permanent | Commentaires (9)
10/02/2022
Requiem
"Or, ce qui rend la vie supportable, c'est de pouvoir oublier."
Jonas quitte Reykjavík et se réfugie dans un village des fjords de l'Est de l’Islande. Là, il note dans un carnet de moleskine toutes les musiques qu'il entend dans les bruits du quotidien : ronronnement du réfrigérateur, bruits de moteurs etc. Mais il ne cesse de minorer cette création et ne se revendique jamais comme compositeur.
On comprend petit à petit que sa vie de rédacteur publicitaire lui pèse , que son couple se délite et qu'un drame les a frappés : "Pourquoi nul ne s'enquiert de Joakim ? ". Comme autant de petit cailloux semés au fil du texte, les indices de cette souffrance jamais clairement énoncée apparaissent. Car c'est bien là le problème: Jonas ne peut parler à parler de choses importantes.
Il s'enfonce de plus en plus dans la solitude et les pertes successives jalonnent son parcours. Son identité elle-même peu à peu s'efface et cet itinéraire,tout en retenue, n'en devient que plus poignant. Un roman où quelques pointes d'humour (souvent noir) émergent d'une tonalité mélancolique et prenante. Un grand coup de cœur qui file sur l'étagère des indispensables.
Traduit de l'islandais par Catherine Eyjolsson. La Peuplade 2022
Du même auteur: clic
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : gyrdir eliasson
28/01/2022
Le lièvre d'Amérique..en poche
"Diane ne se souvenait pas de cette impression de faire entièrement partie du paysage, de la proximité des grandes oies des neiges, comme si elles piétinaient sa peau. C'est sûrement ça qu'elle avait oublié en partant subitement. L'appartenance."
Alternant les souvenirs d'adolescence de Diane et de son ami Eugène dans une nature sauvage où ils évoluent en parfaite harmonie, descriptions naturalistes de l'animal qui donne son titre au roman et récit d'une Diane adulte se remettant d'une mystérieuse intervention destinée à la rendre encore plus performante, le texte de Mireille Gagné alterne les tonalités et les temporalités sans jamais perdre son lecteur.
L'écriture est étonnante de véracité et de poésie , tant dans les sentiments que dans les descriptions de la nature et c'est par petites touches que se découvre une transformation qui pourrait aussi bien appartenir à l’univers du conte qu'à un futur très proche, tant les manipulations génétiques deviennent monnaie courante.
On suit de l’intérieur la métamorphose de Diane ,accro au boulot, qui s'est coupée de tout et de tous ( surtout de la nature, en fait)qui est devenue une proie et agit en tant que telle. On l'accompagne dans cette transformation, le souffle court, le cœur battant, espérant que la jeune femme s'en sorte.
A noter que l'autrice fait la part belle au vocabulaire maritime et au parler rural de l'île aux grues, île située sur le fleuve Saint-Laurent, donnant ainsi plus de véracité à son texte, mais aussi de précision et de charme.
S'inscrivant dans la lignée de La femme changée en renard de David Garnett , ou plus acide et violent de Truismes de Marie Darrieussecq, Le lièvre d’Amérique renouvelle le genre , par sa poésie et son amour de la nature, et se prête comme ses prédécesseurs à de multiples interprétations. Un grand coup de cœur pour ce récit envoûtant !
Et zou, sur l'étagère des indispensables.
06:03 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mireille gagné
27/01/2022
L'apparence du vivant
"Je pourrais achever tous les gens qui le méritent. Je préfère les laisser pourrir. "
Parce qu'elle cherchait des personnes âgées acceptant de poser nues devant son objectif, la narratrice fait la connaissance de Madame Martin, propriétaire d'un ancien funérarium à Liège.
Fascinée depuis l'enfance par la mort, un tel décor ne pouvait que plaire à la jeune femme qui entre alors au service de cette dame et de son tranquille époux. Entre les deux femmes s'établit une connivence , une relation de tendresse, mais aussi la transmission d'un savoir-faire: celui de la taxidermie. Un art dont Madame Martin veut repousser les limites à l'aide de sa protégée.
Pour un premier roman, c'est un coup de maître car Charlotte Bourlard évoque, avec beaucoup de tranquillité et quasiment sans affect, le parcours de ces deux femmes qui entretiennent de bien curieuses relations avec la mort. Sans coup de théâtre, mais par petites touches , nous entrons dans un univers où l'on frémit d'avance pour tous les êtres encore vivants qui côtoient ces deux femmes. Les descriptions techniques de la taxidermie, j'avoue les avoir juste survolées tant le texte nous pousse dans nos retranchements. Le corps, humain ou animal, est bien évidemment au cœur de ce roman qui évoque avec un grand naturel toutes les dégradations que la vieillesse et/ou la mort lui infligent.
Aucun excès dans l'écriture qui reste toujours très sobre, même quand elle décrit les pires vengeances, et on finit par s'attacher à ces personnages qui devraient susciter l'horreur. Tout reste feutré et mesuré avec quelques pointes d'humour noir. Du grand art.
Éditions Inculte 2022, 130 pages vénéneuses.Et zou sur l''étagère des indispensables, mais attention aux âmes sensibles.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : charlotte bourlard
08/01/2022
Le bonheur est au fond du couloir, à gauche...en poche
"Depuis l'enfance, on nous répète que nous sommes libres de réaliser nos rêves. On nous oblige à faire nos propres choix, à suivre la filière correspondant à nos vœux, et donc à assumer seuls nos erreurs et nos échecs.On nous a retiré la bouée de sauvetage de la faute à autrui. Merci du cadeau."
Le narrateur de ce nouveau roman de J.M. Erre est l’illustration parfaite de cette citation de Jean-Louis Fournier : "C'était un angoissé pour qui tout allait bien, jusqu'au jour où il est né."
Et angoissé Michel H. l'est d'autant plus que Bérénice vient de le quitter, lui laissant en cadeau une flopée de livres de développement personnel, traitant tous de l'art d'être heureux.
"Velléitaire", "timoré", "dépressif suicidaire", les qualificatifs ne manquent pas pour qualifier cet individu encore jeune , qui peine à trouver sa place dans une société où l'injonction au bonheur est devenue une véritable tyrannie , individu que son voisin peu amène, M. Patusse traite simplement de "raté".
Michel H. est persuadé que Bérénice reviendra s'il devient heureux et se lance donc dans une série de tentatives éperdues , loufoques, marquées par le déni le plus total de la réalité, déni qui le fera tomber de Charybde en Scylla.
L'occasion pour J M. Erre de dégommer tous les travers de notre société, en une série de raisonnements biaisés, de fausse logique , le tout assaisonné d'une bonne dose d'humour noir. Le récit file à toute allure et il faut prendre le temps de le relire pour mieux en apprécier toute la saveur. Un festival de citations à collecter et une mécanique imparable dans la construction font de ces 183 pages de la dynamite ! Un indispensable, bien évidemment !
06:00 Publié dans Humour, l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jm erre
02/12/2021
Les orageuses...en poche
"Comment ça, elles ripostent ? Comment ça, elle ne laissent pas couler ? Comment ça, elles s'approprient la violence ? "
A l'instar de l'héroïne de Dirty Week-end (roman anglais un peu tombé dans l'oubli, mais qui vient d'être réédité et que je recommande chaudement), Les Orageuses de Marcia Burnier, parce qu'elles ont été violées, décident de se venger ,mais de manière moins sanglante que l'héroïne de Helen Zahavi.
Autre différence, elles s'organisent en bande, se soutiennent et mettent donc en pratique une sororité qui les aide à apaiser le monstre en elle , à trouver une forme de paix, une forme de réparation, chacune à leur façon.
Si le style de Marcia Burnier est vigoureux, ses analyses sont pertinentes et nuancées, n'hésitant pas à présenter la peur des femmes en pleine action de vengeance, ce ne sont pas ni super women ni des va-t-en guerre, ou cette fameuse zone grise où la victime se demande si elle a bien été agressée sexuellement.
Leur corps est lui aussi présenté de manière puissante, tant dans la description de la déflagration subie que dans ses capacités physiques à se défendre, même si la société les avaient conditionnées à se croire faibles.
Quant aux hommes, mêmes les meilleurs amis ont une fâcheuse tendance à minimiser voire à oublier rapidement, même si dans un premier temps ils se montraient compatissants. Un premier roman nécessaire et percutant. t zou, sur l'étagère des indispensables.
Cambourakis poche 2021
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français, romans suisses | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : marcia burnier
23/11/2021
#Doubleaveugle #NetGalleyFrance !
"Il était tellement soulagé d'avoir un malheur ordinaire que , parfois, il aurait voulu le dire au monde entier, comme ces personnages dans les comédies musicales qui se lèvent et se mettent à chanter pour que tout le bus entende."
Embarquer dans ce roman difficile à résumer de Edward St Aubyn, c'est comme se lancer dans des rapides qui vous feront connaître des sensations fortes, tantôt dramatiques, tantôt drolatiques à souhait mais dirigé par un capitaine qui a la main sûre et ne vous perdra jamais en route.
Disons que ce texte brasse des thèmes comme l'amour,les liens familiaux, l'écologie, la génétique, les nouvelles technologies , sans oublier la psychanalyse, que ses personnages (des trentenaires) sont ultra crédibles et formidablement attachants par leur complexité et leurs failles (l’auteur se glisse dans la peau d'un jeune homme souffrant de troubles psychiatriques avec une virtuosité remarquable).
Les fêtes sont l'occasion de moments hauts en couleurs mais l'émotion n'est jamais loin et la description d'une rencontre magique et du sauvetage d' un animal coincé dans un grillage restera longtemps dans ma mémoire. La fin ouverte nous laisse espérer une suite...Du grand art !
Et zou sur l'étagère des indispensables.
Grasset 2021
Traduit de l’anglais par David Fauquemberg.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2021, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : edward st aubyn
22/11/2021
#Sadapter #NetGalleyFrance !
"Il sentait bien que ce n'aurait pas dû être son rôle. Mais il sentait aussi que le sort aime défaire les rôles et qu'il fallait s'adapter.
L'arrivée d'une enfant inadapté dans une famille concentre généralement l'attention sur lui, et ce , souvent , au détriment des autres membres de la fratrie. Dans ce roman, qu'on devine teinté d'autobiographie, Clara Dupont-Monod, délaissant les romans historiques, choisit de nous raconter, du point de vue des pierres de la maison familiale, l'histoire d'une fratrie hétéroclite mais où la bonté et l'affection circulent, empruntant cependant des chemins différents.
Il y a d'abord l'aîné qui va endosser pleinement son rôle d'Aîné, chérissant ce petit frère aveugle, qui ne peut qu'entendre et dont le corps reste mou comme une poupée de chiffon, sans aucune préhension possible. La cadette, quant à elle, opte pour la révolte , mais saura œuvrer pour restaurer la vie dans cette famille au décès du petit frère. Enfin, il y a le dernier, qui n'aura jamais connu cet enfant inadapté mais qui"avait spontanément accepté l'étrange famille dans laquelle il était né, une famille blessée mais courageuse qu'il aimait plus que tout."
Avec une extrême délicatesse et une écriture qui avance comme sur la pointe des pieds ,mais néanmoins avec vigueur, Clara Dupont-Monod ne rédige pas un tombeau pour cet enfant mais se situe au contraire du côté de la vie, montrant comment ces trois enfants "formaient un cocon, tissaient des jours en forme de cicatrice."
On ne s'étonnera pas que ce roman ait déjà engrangé deux prix.
Stock 2021.
Et zou sur l'étagère des indispensables
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2021, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : clara dupont-monod
29/10/2021
Miettes (humour décalé)
"Le problème, c'est que les filles, la plupart du temps, elles ne sont pas endormies, et que nous, les garçons, on sait pas vraiment comment être charmants."
Quand un élève de Terminale gaulé comme une allumette, qui aime les livres de surcroit , le genre à être toujours choisi en dernier lors de la formation des équipes en sport, prend la parole pour un seul en scène censé être humoristique lors d'un spectacle de fin d'année, nul ne s'attend à ce qui va se passer.
A savoir une dénonciation non seulement de la culture genrée, de l'application de stéréotypes dès l'enfance , et ce quelque soit le milieu social, mais aussi des humiliations quotidiennes pour un garçon qui ne correspond pas aux critères de la virilité, sans pour autant qu'il soit homosexuel.
Un véritable jeu de massacre argumenté et nuancé qui va bientôt prendre une tournure plus douloureuse, pleine d'émotion, avec l'évocation d'un épisode traumatique vécu par ce jeune homme et une jeune fille lors d'un séjour scolaire à la montagne.
Les adultes ,qui ne prennent pas ou ne veulent pas prendre la mesure de tels comportements , ne sont non plus épargnés mais c'est bien la société dans son ensemble qui est mise en cause.
Un roman qui nous entraîne dans un tourbillon d'émotions. Un énorme coup de cœur. Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Stéphane Servant, Nathan, Collection Court toujours 2021.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : stéphane servant
05/10/2021
Pas Dormir
"Quand nous marchons au milieu des plantes et des animaux, nous nous déplaçons dans du vivant, nous en faisons partie. Quand nous nous tassons au milieu des objets, ce qui nous entoure est mort, nous en faisons partie. Et l'immobilité nous cloue entre les planches de l'insomnie."
Nul besoin d'être insomniaque pour dévorer ce nouvel opus de Marie Darrieussecq.
Souffrant de ce mal depuis la naissance de son premier enfant, elle revient ici sur toutes les méthodes employés pour tenter d'arriver à dormir, convoquant nombre d'auteurs et autrices grands insomniaques eux aussi, Kafka et Duras en tête.
Faisant preuve d'une grande franchise, elle n'élude pas son alcoolisme, boire lui permettant de dormir, mais avec des réveils plus que difficiles, mais ne se centre pas seulement sur son cas. L'insomnie lui permet aussi d'évoquer aussi bien la forêt africaine, que la jungle de Calais, posséder un lieu où dormir, une chambre à soi, n'étant pas donné à tout le monde.
Tenant à la fois du témoignage, de l'analyse, cet Objet Littéraire non Identifié n'est pas dénué d'humour et, cerise sur le gâteau, est ponctué de photographies, pas toujours très lisibles malheureusement. 297 pages dévorées d'une traite .
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
P.O.L 2021
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Objet Littéraire Non Identifié | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marie darrieusecq