17/12/2012
Le cas Sneijder
"N'importe quelle lumière vaut mieux que l'obscurité."
Paul Sneijder, unique survivant d'un accident d'ascenseur dans lequel a péri sa fille, n'a trouvé que deux moyens pour maintenir la tête hors de l'eau. Le premier: emmagasiner des informations sur les ascenseurs, comme si ce savoir pouvait le rapprocher de celle qu'il a si peu connue. Le second: promener des chiens, au grand dam de son ambitieuse épouse qui, suppute-t-il "aurait[...] préféré que je m'enfonce dans un long coma, sorte de période transitoire à l'issue de laquelle elle aurait pu enfin se prévaloir d'un gratifiant statut de veuve. libérée d'un conjoint socialement déclassé, d'un compagnon déprimant, elle aurait pu mener une nouvelle existence plus en rapport avec sa surface sociale, territoire préservé avec jalousie, dont, chaque jour, elle vérifiat les côtes et les frontières."
Alternant acuité terrible et émotion, Jean-Paul Dubois n'est jamais aussi bon écrivain que quand il nous décrit des hommes aux prises avec une réalité qu'il ne peuvent plus supporter.
Les ascenseurs et les chiens sont pour son héros deux biais pour envisager une humanité pas jolie jolie aux yeux de ce sexagénaire qui refuse dorénavant tout ce qu'il avait supporté jusqu'à présent. On ne sombre jamais dans le pathétique mais on a juste le coeur serré à la fin du roman, un peu comme dans certains films d'Elia Kazan.
Le cas Sneijder, Jean-Paul Dubois, points seuil 2012, et zou sur la fameuse étagère des indispensables , extensible ,comme on n'en trouve pas chez le Suédois.
Merci à Sylvie de m'avoir donné envie !:)
Plein d'avis chezBabelio !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : jean-paul dubois
16/11/2012
Cinq carillons
"Elle n'était plus qu'une femme composée d'espaces vacants."
Une journée écrasée de soleil à Sydney. Dans cette ville, parmi la foule des touristes, quatre personnes dont les histoires vont se frôler, se croiser parfois, avec toujours en ligne de mire l'opéra de Sydney, comme un repère auquel ils vont tous se référer, chacun en proposant une vison différente.
Trois femmes, un homme, d'horizons différents, mais ayant comme point commun un passé qui continue à peser sur leur vie.
Parmi eux, deux anciens amants ont rendez-vous. Leur particularité? Ils se sont connus très jeunes et leurs amours adolescentes sont racontées avec une pudeur et une délicatesse extrême. Les autres ? Une jeune femme qui vient d'arriver d'Irlande. Tout est pour elle l'occasion de découverte. Quant à la plus âgée des personnages , une Chinoise, c'est probablement celle qui a connu le passé le plus difficile car elle a connu en Chine la période des gardes rouges. Mais, paradoxalement, elle est certainement celle qui est la moins prisonnière de son passé.
Quant au cinquième carillon, je vous laisse le soin de découvrir sa tonalité car, Gail Jones, si elle se donne comme contraintes l'unité de temps et de lieu- même si les retours en arrière sont très importants- sait aussi se libérer de son cadre et réserver bien des surprises à son lecteur.
La langue est poétique et fluide , un grand bravo à la traductrice , l'intrigue parfaitement menée et Gail Jones sait créer des personnages (en particulier celui de la Chinoise que j'ai préféré) émouvants et denses.
Un roman profond et aérien.
Cinq carillons, Gail Jones , traduit avec beaucoup de talent par Josette Chicheportiche, Mercure de France 2012, 315 pages qui résonneront longtemps en moi.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2012, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : gail jones
30/10/2012
Le jeu des ombres
"L'idée de symétrie était si puissante que pendant de longues années je ne compris pas que la structure s'était gauchie."
Un couple, lui ,peintre, elle, son unique modèle, se délite .Le tout sous les yeux de leurs trois enfants. Ecrit ainsi, cela paraît trivial, voire pire. Sous la plume de Louise Erdrich cela devient un récit fascinant tant par la composition que par l'écriture, acérée et poétique à la fois. En effet, de prime abord Gil, Irene et leurs trois enfants constituent une famille modèle. Mais petit à petit, de petits indices, vus en particulier à travers des yeux enfantins, font prendre conscience de l'ampleur des dégâts et de la catastrophe imminente qui se profile.
Tout est ambivalent dans ce récit, y compris le faux journal que Irene écrit à l'intention de son mari quand elle découvre que celui-ci a lu le vrai. Au lecteur de confronter les deux versions , y ajoutant le point de vue de Gil et celui du narrateur omniscient. Manipulations de part et d'autre, mais aussi complicité qui renaît contre la psychothérapeute que le couple va consulter, tout peut basculer dans la violence ou l'amour et tout peut être utilisé comme une arme: la peinture ou les mots.
J'ai adoré chaque élément de ce ce roman de Louise Erdrich, le premier que je lis de cette auteure. L'attention portée aux détails qui pourraient paraître insignifiants mais sont tellement révélateurs. Ainsi l'attitude des chiens qui captent la tension de la famille et s'interposent pour mieux la gérer. Le fait que le lecteur voie sans cesse remise en question sa vision des principaux protagonistes, y compris dans la dernière partie, magistral retournement de situation. Mais aussi l'écriture, au plus près des sensations , des sentiments, une écriture qui fouille et appuie là où ça fait mal, cingle pour mieux s'adoucir. Un roman dans lequel on retrouve, mais sous un mode mineur l'un des principaux thèmes de Louise Erdrich: celui des Indiens d'Amérique, un retour aux sources qui permettra à certains personnages de trouver le chemin de la résilience. Une oeuvre magistrale et dérangeante. Un vrai et beau coup de coeur !
Le jeu des ombres, Louise Erdrich, traduit de l'américain par Isabelle Reinharez, Albin Michel 2012, 253 pages puissantes.
Et zou, sur ma fameuse étagère (extensible) des indispensables !
L'avis de Clara,tout aussi enthousiaste !
Celui d'Hélène, nettement moins !
Celui d'Athalie
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2012, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : louise erdrich, couple, art
16/10/2012
à travers les champs bleus
"La plupart du temps, chacun, esprit sensé ou esprit fêlé, trébuchait dans le noir, tendait ses mains vers quelque chose qu'il voulait sans même le soupçonner."
Entrer dans l'univers de Claire Keegan, c'est pénétrer dans un monde où les failles, les blessures se devinent à demi-mots, où les ellipses surprennent le lecteur, où la tendresse est souvent absente, voire dévoyée, où l'amour se fraye difficilement un chemin.
La vie de ses personnages est souvent aussi rude que le climat irlandais et même quand l'auteure situe l'action d'une nouvelle sous le soleil texan, dans un milieu privilégié , les relations familiales n'en sont pas pour autant apaisées.
Tout tient à peu de choses, un changement de vie auquel on ne peut se résoudre, le poids des traditions qui fait qu'une femme va gâcher sa vie à cause d'un mauvais choix: "Puis elle est montée et a passé le reste de son existence avec un homme qui serait rentré sans elle." . Tout est dit avec une grande économie de moyens.
Parfois pourtant les secrets sont révélés et même s'ils mènent apparemment à la destruction, le soulagement et la renaissance sont à portée de mains. L'humour, trouve aussi sa place, à travers le pouvoir des mots ,que souligne malicieusement la première nouvelle , La mort lente et douloureuse. Il faut prendre le temps de savourer les descriptions de Claire Keegan , de s'imprégner de l'atmosphère créée dans chaque texte et l'on y trouvera un plaisir sans pareil, un peu mélancolique et doux.
Et zou, à côté des autres livres de l 'auteure,clic, reclic, sur l'étagère des indispensables !
Le billet tentateur de Clara
06:04 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles étrangères, rentrée 2012 | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : claire keegan, irlande
11/09/2012
La survivance
"On s'est trouvés pris dans un bombardement de réalité."
Parce qu'ils n'étaient pas faits pour amasser de l'argent, Sils et Jenny, la soixantaine sonnée, sont expulsés de leur librairie. Avec beaucoup de livres et peu d'objets, en compagnie d'une ânesse et d'une chienne, ils vont trouver refuge dans une vieille maison, isolée et dépourvue de confort, plantée en pleine montagne vosgienne. Là, peut être réussiront-ils à mener à son terme une expérience de vie qu'ils avaient tentée au même endroit quarante ans plus tôt.
Ce roman tient peu de la robinsonnade, même si la nécessité de trouver de quoi survivre dans un territoire situé loin des hommes est présente. Mais il ne s'agit pas du tout ici de soumettre la nature , mais bien plutôt de s'y glisser pour mieux s'y accorder. D'où de magnifiques descriptions des hôtes sauvages qui vivent à côté d'eux par Jenny. Sils, quant à lui, fait plutôt la part belle aux livres qu'il fait dialoguer avec l'endroit où ils vivent.
Rien dans les conditions de vie n'est ici idéalisé et Jenny le souligne bien quand elle déclare: "Il y avait de la terreur, mais aussi de la force, une énergie qui se transfusait en nous. nos corps étaient en première ligne, tympans, pupilles, narines, gosier, poumons, muscles, ossature, ligaments, articulations, peau: tout. Jamais je n'aurais imaginé qu'à presque soixante ans, nous serions obligés de recommencer à vivre violemment."
C'est à une expérience tout à la fois de renoncements et de reconquêtes que nous convie ici Claudie Hunzinger avec une langue superbe et drue. Et zou sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2012, romans français | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : claudie hunzinger
23/08/2012
L'embellie
"Vous ne serez plus la même, mais au bout du compte, vous serez debout tenant la lumière dans vos bras."
Elle manie une dizaine de langues, apprises sans efforts, mais n'a "jamais su spécialement [se] servir des mots, en tête à tête, face à un homme."Coup sur coup, en ce mois de novembre pluvieux, cette trentenaire apprend , sans traumatisme apparent, avec une grande souplesse, pourrait-on dire, que son mari veut divorcer et que sa meilleure amie lui confie son fils de quatre ans, très myope et quasi sourd.
Commence alors un périple en voiture sur la route qui fait le tour de l'Islande pour regagner une vieille maison familiale .Un voyage, souvent cocasse, pendant lequel la jeune femme fantasque et l'enfant tisseront des liens qui ne passeront pas forcément par les mots , rencontreront des animaux et des hommes qui permettront peut être à une prédiction de s'accomplir.
En filigrane et par bribes, une histoire plus grave, venue du passé, se construit, éclairant sous un autre jour ce road trip.
Quel bonheur que ce livre lumineux et plein de fraîcheur ! Je l'ai d'abord dévoré d'une traite, puis ai pris le temps de le relire pour mieux en apprécier l'humour et surtout la manière pleine de justesse qu'à l'héroïne d'affronter les vicissitudes de la vie.
Un voyage initiatique, plein de charme et de tendresse retenue, qui se conclut d'une manière généreuse par quarante- sept recettes de cuisine et une de tricot !
Un énorme coup de coeur de cette rentrée littéraire !
L'embellie, Audur Ava Olafsdottir, traduit de l'islandais par Catherine Eyjolfsson, Zulma 2012, 395 pages et une forêt de marque-pages !
Du même auteur mon coup de coeur 2010 ! .....
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2012 | Lien permanent | Commentaires (26)