07/01/2024
Comment jouir de la lecture ?
"Moi, Lectrice, qu'est-ce que je ressens, et quel endroits du texte créent ce ressenti?
La jouissance est là, entre Texte et moi. "
Partant de l'idée que "les plaisirs sexuels que nous croyons naturels, immédiats et personnels, sont en réalité construits, conditionnés et culturels", Clémentine Beauvais élargit cette notion aux plaisirs engendrés par la lecture qu'il faut apprendre à élargir par une éducation au ressenti.
Elle commence par distinguer deux catégories établies par la société: le discours qui hiérarchise les livres (ceux qu'il faut avoir lus, "il n'appartient qu'à nous de nous hisser à leur hauteur") et celui, plus progressiste en apparence qui prône n'importe quelle lecture, l’important étant de lire.
Soulignant les limites de cette division, elle rappelle la difficulté de parler des textes qui nous ont plu et dresse une liste non exhaustive des plaisirs suscités par les textes: du délice addictif , aux enchantements rebelles, en passant par l'orgie de relectures, le tout émaillé de citations et de références. En tout une vingtaine de jouissances possibles, susceptibles d'évoluer au fil du temps pour un même lecteur.
Elle aborde enfin la dimension politique de ces plaisirs de lecture et la nécessité de les analyser. Un texte revigorant.
Alt 2024. 3 euros 50
06:00 Publié dans Essai, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : clémentine beauvais
04/01/2024
Le Roitelet...en poche
"" Tu devrais écrire un livre dans lequel rien n'arrive. " J'ai trouvé l'idée d'autant plus séduisante que j'ai sous la main, avec ma vie très banale, une grande quantité de matière à partir de laquelle travailler. "
Quel plaisir de retrouver ici l'auteur du Jour des Corneilles ! Ici, il ne s'agit plus d'un père et de son fils mais principalement de deux frères, dont l'un est écrivain (l'auteur) et l'autre travaille dans une jardinerie. Ah oui, il est aussi schizophrène mais il ne faudrait pas le ramener uniquement à cette maladie qui le fait souffrir et rend son comportement parfois difficilement compréhensible aux autres tant ses remarques sont parfois étonnantes et lumineuses.
Dans ce texte, il est aussi beaucoup question de nature, d'animaux , d'écriture et c'est de manière apaisée, mais sans occulter les difficultés que Jean-François Beauchemin avec une écriture d'une finesse incomparable évoque cette relation fraternelle hors-normes.
Un texte dont les pages se tournent toutes seules et qu'il faut prendre le temps de relire pour encore plus le savourer. Et zou, sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : jean-françois beauchemin
01/01/2024
108 voeux
...à ouvrir au hasard, à savourer, à détacher (ou non ) de leur anneau et à distribuer pour que la poésie infuse nos journées et nous fasse envisager le monde d'un œil neuf.
Et un pour commencer cette année nouvelle : "Que le chemin danse sous tes pas"
Mélanie Leblanc
Éditions Les Venterniers
00:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Poésie | Lien permanent | Commentaires (12)
19/12/2023
Le danger de ne pas être folle
"La fiction est un voyage vers l'autre, et ce trajet est le plus fascinant que l'on puisse faire. "
En 288 pages, la romancière et journaliste Rosa Montero, forte de sa propre expérience et de sa formation en psychologie nous propose un voyage fascinant au cœur de la création littéraire.
Elle dégage les lignes de force communes aux créateurs que d'aucuns qualifient de "fous" en s’appuyant sur de nombreuses références littéraires (gare aux liste de lectures qui vont s'allonger ! ) et scientifiques . C'est d'ailleurs de manière tout à fait incidente qu'elle découvrira elle-même que l’euphorie qu'elle éprouve quand elle est satisfaite de ce qu’elle a rédigé n'est pas ressentie par tous mais seulement par celles et ceux qu’elle nomme les "junkies de l’intensité".
Par ailleurs, avec malice, Rosa Montero nous informe au détour d'une page que la fiction est elle aussi bien présente au cœur de ce qu'elle nous a présenté comme étant autobiographique. De quoi réaffirmer son goût de l'imaginaire... Un texte riche et enjoué qui file sur l'étagère des indispensables.
Éditions Métailié 2023.
Traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse.
06:00 Publié dans Essai, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : rosa montero
11/12/2023
Objectif zéro
"Il sait que, une fois sacrifiée, l'intimité ne pourra plus être reconquise[...]. "
Envie d'un bon gros roman addictif , intelligent et bien mené? Alors précipitez-vous sur Objectif Zéro. L'intrigue ? Le test d'une intelligence artificielle qui, pour assurer la sécurité des États-Unis, dispose de moyens insensés pour retrouver n'importe qui n'importe où . Grâce à votre démarche, vos habitudes, la possibilité de fouiner dans votre passé, de transformer n'importe quel objet en micro qui vous trahira? C'est ce qu'affirme en tout cas Fusion qui pour valider cette application de surveillance des citoyens doit avoir l'aval de la C.I. A et lance donc un Bêta test. Dix participants ,ayant accepté les règles du jeu, tentent donc de remporter la somme de trois millions s’ils échappent à l'équipe de Fusion, ses algorithmes, ses caméras de surveillance et ses drones. Celle qui paraît la moins bien placée pour gagner est une insignifiante bibliothécaire et pourtant c'est celle qui leur donne le plus de fil à retordre...
Si la première partie du livre m'a donné une furieuse envie de vite me glisser à nouveau dans le roman pour voir qui de David ou de Goliath allait l'emporter, la deuxième m'a nettement moins enthousiasmée, les enjeux étant totalement différents. Il n'en reste pas moins que ce roman évoque des thèmes d'actualité cruciaux, sait ménager le suspense tout en brossant des portraits nuancés de ses personnages. Il file donc sur l'étagère des indispensables.
Éditions Denoël 2023, 464 pages. Traduit de l’anglais par Frédéric Brumen.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : anthony mccarten
16/10/2023
#Cellesquontue #NetGalleyFrance !
"Rien de plus facile que d'apprendre à détester les femmes. Les professeurs ne manquent pas. Il y a le père. L’État. Le système judiciaire Le marché. La culture. La propagande. Mais ce qui l'enseigne le mieux, d'après Bia, ma collègue du cabinet, c'est la pornographie. "
L'Acre, l’État qui présente actuellement le plus fort taux de féminicides au Brésil, c'est là que se rend l'héroïne du roman, avocate envoyée par son cabinet pour documenter le cas d'une jeune indigène torturée, violée et assassinée dans des circonstances particulièrement atroces.
Très vite, elle va se rendre compte de l'ampleur du phénomène de ces féminicides impunis et empiler dans un carnet les noms et les circonstances dans lesquelles ces femmes sont mortes.
Cette violence faites aux femmes fait écho à celles faites aux indigènes et à la forêt amazonienne, qui couvre une partie de ce territoire, le tout dans la plus grande indifférence.
Celles qu'on tue est un roman puissant qui nécessite des pauses dans sa lecture tant les situations évoquées suscitent à la fois un sentiment de révolte et d'horreur. La grande force de Patricia Meo est tout à la fois de s'appuyer sur des faits documentés, mais aussi de créer du suspense et de susciter l'empathie avec la narratrice dont la mère a été elle aussi tuée par son époux. Une dimension hallucinatoire et onirique est apportée par le récit des prises d’ayahuasca par l'héroïne qui s'initie aux rituels ancestraux des indigènes. Un roman à l'atmosphère étouffante , mais dont la lecture est nécessaire.
Éditions Buchet-Chastel 2023
Traduit du portugais (brésil) par Élodie Dupau.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2023, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : patricia melo
09/10/2023
Le Grand Incident
" La place de la femme dans notre société, la sexualisation du corps féminin (dans les œuvres d'art ancien comme dans la vie de tus les jours) , le harcèlement de rue et le traumatisme des confinement avec la fermeture des lieux culturels constituent les motifs principaux du Grand Incident. "
Qu'est ce qui a mené les visiteurs mâles à devoir se dévêtir totalement pour visiter le musée du Louvre ? La révolte des nus féminins , qui par le truchement d'une femme de ménage qui communique avec elles, ont exprimé leur ras-le bol de devoir subir encore et toujours le harcèlement masculin.Elles ont donc disparu des œuvres , créant ainsi Le Grand Incident et semant la panique dans l'administration du musée.
C'est donc à"Paris un jour comme aujourd’hui", que se déroule la fable à la fois didactique et très drôle imaginée par Zelba. On y apprend, entre autres que "Contrairement au corps masculin dont la nudité est, la plupart du temps, un signe de courage et de force virile, le nu féminin est fréquemment abonné aux poses de soumission ou d'humiliation. ", de quoi "émoustiller " les commanditaires des œuvres...
J'ai particulièrement apprécié les "cabines de redescente émotionnelle" dont je vous laisse découvrir l'utilité ainsi que le clin d’œil final. Une BD pour s’immerger dans le Louvre d'une manière à la fois ludique et féministe. Un pur régal.
06:00 Publié dans BD, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (2)
01/10/2023
Eloge de la plage
" Après la plage-salon, la plage -chambre-à-coucher, la plage-atelier, l'homme a donc créé la plage -dépôt-d'ordures. Et ici risque de s'arrêter l'histoire de notre littoral. Dégoûté, je suis sorti de l'eau et j'ai regardé la plage étouffer.
Il y a deux siècles, les fous ont ouvert le bal des bains de mer, notre folie contemporaine y mettra bientôt fin. "
Mêlant sa pratique des plages, son ressenti mais aussi une approche tout à la fois historique, culturelle et écologique des plages, Grégory Le Floch nous propose un magnifique Éloge de la plage.
Érudit dans jamais être pédant, l'auteur nous rappelle que les plages n'ont pas toujours été ces espaces voués au culte du corps et à l'hédonisme et que malheureusement, à cause des guerres et du changement climatique, cet état de fait risque de ne pas perdurer. On apprend par ailleurs que le sable est pillé ,dans la plus grande indifférence, ciment oblige, pour satisfaire, entre autres, les caprices des milliardaires de Dubaï.
Grégory Le Floch aime les plages et son amour transparaît dans chacune des lignes de cet essai, à la fois sensuel et documenté, qui file sur l'étagère des indispensables.
Éditions Rivages 2023.
05:30 Publié dans Essai, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : grégory le floch
14/09/2023
Zoomania...en poche
"Au cours des dernières semaines, il m'avait expliqué pourquoi . D’après lui, la plupart des gens étaient incapables de comprendre dans quelle situation désespérée se trouvaient les animaux. Ils étaient trop protégés pour le voir. Trop en sécurité. ils avaient beau connaître les faits et les chiffres , ils ne prenaient pas la mesure de l'ampleur de la dévastation."
La vie des Mc Cloud a été dévastée par une tornade de force 5 ne laissant comme survivants qu'une fratrie de 3 sœurs et un frère. Ne possédant plus rien, Darlène, l'aînée, fait une croix sur ses études à l'université et vend aux médias le récit de leur tragédie, stigmatisant ainsi leur famille, les marquant du sceau du malheur et de la tristesse.
Refusant cette situation, Tucker, garçon intransigeant s'enfuit. Il ne reviendra que trois ans plus tard, à la date anniversaire de la tornade, pour libérer de manière dramatique les animaux de laboratoire d'une usine de cosmétiques.
Blessé, pourchassé, il entraîne dans sa cavale, sa plus jeune sœur, Cora, neuf ans, et entreprend , au fil de leur périple, de lui expliquer la révélation qu' a été pour lui la tornade et l'engagement radical pour défendre la cause animale qui en a découlé.
Récit tour à tour poignant, haletant , Zoomania sait aussi ménager des moments de pure grâce, comme celui d'un animal incongru évoluant en bord d'océan, ou de tension extrême. Abby Geni manie en virtuose les métaphores et ne présente jamais de manière pathétique ses personnages. Elle peint des scènes hallucinantes ,en n'oblitérant pas leurs aspects dramatiques ou drolatiques, et l'on n'oubliera pas de sitôt l'ultime mission que s'est assigné Tucker.
Un livre palpitant qui fait la part belle à la Nature, sans la présenter de manière angélique, et montre différentes formes de résilience, parfois inattendues.
Un roman puissant qui marque les esprits. Et qui file sur l'étagère des indispensables ,bien sûr.
Traduction Céline Leroy. Actes Sud 2021, 357 pages magistrales.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : abby geni
11/09/2023
Eden
"Cela m'a fait comprendre que même si mon travail consiste à analyser la manière dont idées et sentiments se coulent dans le moule du langage, je n'ai pas toujours été très douée pour faire coïncider mes pensées avec mes paroles. Il est à la fois étrange et illogique qu'une souris soit à l'origine de telles réflexions , et il est plus bizarre encore que, juste après, j'aie décidée de construire un mur en pierres. "
Alba enseigne la linguistique à l'université de Reykjavík, participe à des colloques dans le monde entier sur les langues en voie de disparition , sans que cela soit suivi de beaucoup d'effet... Elle assure aussi la lecture et la correction d 'ouvrages pour une maison d'édition qui la tanne pour qu'elle lise un recueil de poésie, ce que la jeune femme semble toujours remettre à plus tard.
Du jour au lendemain, peut être à la suite d'un rêve, la trentenaire décide d’acquérir une maison dans la campagne islandaise et de planter une forêt de bouleaux.
Tous ces faits, en apparence juxtaposés, trouveront progressivement leur explication, parfois données par le père, la sœur d'Alba ou d'autres protagonistes de ce roman que j'ai dévoré d'une traite avant de le relire dans la foulée plus posément cette fois.
Il y est en effet beaucoup question de mots, et l'on y découvre au passage, le fonctionnement ardu de la langue islandaise, mais aussi de nature, de réfugiés et du changement climatique, le tout sans aucune leçon donnée.
Tout y est fluide, aussi bien le style que la manière dont les gens passent d'un métier à un autre, ou le temps de la neige en mai au soleil radieux. Un pur délice qui file bien évidemment sur l'étagère des indispensables.
Traduction Eric Boury, Editions Zulma 2023.
05:55 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2023, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : audur ava olafsdottir