11/12/2023
Objectif zéro
"Il sait que, une fois sacrifiée, l'intimité ne pourra plus être reconquise[...]. "
Envie d'un bon gros roman addictif , intelligent et bien mené? Alors précipitez-vous sur Objectif Zéro. L'intrigue ? Le test d'une intelligence artificielle qui, pour assurer la sécurité des États-Unis, dispose de moyens insensés pour retrouver n'importe qui n'importe où . Grâce à votre démarche, vos habitudes, la possibilité de fouiner dans votre passé, de transformer n'importe quel objet en micro qui vous trahira? C'est ce qu'affirme en tout cas Fusion qui pour valider cette application de surveillance des citoyens doit avoir l'aval de la C.I. A et lance donc un Bêta test. Dix participants ,ayant accepté les règles du jeu, tentent donc de remporter la somme de trois millions s’ils échappent à l'équipe de Fusion, ses algorithmes, ses caméras de surveillance et ses drones. Celle qui paraît la moins bien placée pour gagner est une insignifiante bibliothécaire et pourtant c'est celle qui leur donne le plus de fil à retordre...
Si la première partie du livre m'a donné une furieuse envie de vite me glisser à nouveau dans le roman pour voir qui de David ou de Goliath allait l'emporter, la deuxième m'a nettement moins enthousiasmée, les enjeux étant totalement différents. Il n'en reste pas moins que ce roman évoque des thèmes d'actualité cruciaux, sait ménager le suspense tout en brossant des portraits nuancés de ses personnages. Il file donc sur l'étagère des indispensables.
Éditions Denoël 2023, 464 pages. Traduit de l’anglais par Frédéric Brumen.
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16/10/2023
#Cellesquontue #NetGalleyFrance !
"Rien de plus facile que d'apprendre à détester les femmes. Les professeurs ne manquent pas. Il y a le père. L’État. Le système judiciaire Le marché. La culture. La propagande. Mais ce qui l'enseigne le mieux, d'après Bia, ma collègue du cabinet, c'est la pornographie. "
L'Acre, l’État qui présente actuellement le plus fort taux de féminicides au Brésil, c'est là que se rend l'héroïne du roman, avocate envoyée par son cabinet pour documenter le cas d'une jeune indigène torturée, violée et assassinée dans des circonstances particulièrement atroces.
Très vite, elle va se rendre compte de l'ampleur du phénomène de ces féminicides impunis et empiler dans un carnet les noms et les circonstances dans lesquelles ces femmes sont mortes.
Cette violence faites aux femmes fait écho à celles faites aux indigènes et à la forêt amazonienne, qui couvre une partie de ce territoire, le tout dans la plus grande indifférence.
Celles qu'on tue est un roman puissant qui nécessite des pauses dans sa lecture tant les situations évoquées suscitent à la fois un sentiment de révolte et d'horreur. La grande force de Patricia Meo est tout à la fois de s'appuyer sur des faits documentés, mais aussi de créer du suspense et de susciter l'empathie avec la narratrice dont la mère a été elle aussi tuée par son époux. Une dimension hallucinatoire et onirique est apportée par le récit des prises d’ayahuasca par l'héroïne qui s'initie aux rituels ancestraux des indigènes. Un roman à l'atmosphère étouffante , mais dont la lecture est nécessaire.
Éditions Buchet-Chastel 2023
Traduit du portugais (brésil) par Élodie Dupau.
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09/10/2023
Le Grand Incident
" La place de la femme dans notre société, la sexualisation du corps féminin (dans les œuvres d'art ancien comme dans la vie de tus les jours) , le harcèlement de rue et le traumatisme des confinement avec la fermeture des lieux culturels constituent les motifs principaux du Grand Incident. "
Qu'est ce qui a mené les visiteurs mâles à devoir se dévêtir totalement pour visiter le musée du Louvre ? La révolte des nus féminins , qui par le truchement d'une femme de ménage qui communique avec elles, ont exprimé leur ras-le bol de devoir subir encore et toujours le harcèlement masculin.Elles ont donc disparu des œuvres , créant ainsi Le Grand Incident et semant la panique dans l'administration du musée.
C'est donc à"Paris un jour comme aujourd’hui", que se déroule la fable à la fois didactique et très drôle imaginée par Zelba. On y apprend, entre autres que "Contrairement au corps masculin dont la nudité est, la plupart du temps, un signe de courage et de force virile, le nu féminin est fréquemment abonné aux poses de soumission ou d'humiliation. ", de quoi "émoustiller " les commanditaires des œuvres...
J'ai particulièrement apprécié les "cabines de redescente émotionnelle" dont je vous laisse découvrir l'utilité ainsi que le clin d’œil final. Une BD pour s’immerger dans le Louvre d'une manière à la fois ludique et féministe. Un pur régal.
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01/10/2023
Eloge de la plage
" Après la plage-salon, la plage -chambre-à-coucher, la plage-atelier, l'homme a donc créé la plage -dépôt-d'ordures. Et ici risque de s'arrêter l'histoire de notre littoral. Dégoûté, je suis sorti de l'eau et j'ai regardé la plage étouffer.
Il y a deux siècles, les fous ont ouvert le bal des bains de mer, notre folie contemporaine y mettra bientôt fin. "
Mêlant sa pratique des plages, son ressenti mais aussi une approche tout à la fois historique, culturelle et écologique des plages, Grégory Le Floch nous propose un magnifique Éloge de la plage.
Érudit dans jamais être pédant, l'auteur nous rappelle que les plages n'ont pas toujours été ces espaces voués au culte du corps et à l'hédonisme et que malheureusement, à cause des guerres et du changement climatique, cet état de fait risque de ne pas perdurer. On apprend par ailleurs que le sable est pillé ,dans la plus grande indifférence, ciment oblige, pour satisfaire, entre autres, les caprices des milliardaires de Dubaï.
Grégory Le Floch aime les plages et son amour transparaît dans chacune des lignes de cet essai, à la fois sensuel et documenté, qui file sur l'étagère des indispensables.
Éditions Rivages 2023.
05:30 Publié dans Essai, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : grégory le floch
14/09/2023
Zoomania...en poche
"Au cours des dernières semaines, il m'avait expliqué pourquoi . D’après lui, la plupart des gens étaient incapables de comprendre dans quelle situation désespérée se trouvaient les animaux. Ils étaient trop protégés pour le voir. Trop en sécurité. ils avaient beau connaître les faits et les chiffres , ils ne prenaient pas la mesure de l'ampleur de la dévastation."
La vie des Mc Cloud a été dévastée par une tornade de force 5 ne laissant comme survivants qu'une fratrie de 3 sœurs et un frère. Ne possédant plus rien, Darlène, l'aînée, fait une croix sur ses études à l'université et vend aux médias le récit de leur tragédie, stigmatisant ainsi leur famille, les marquant du sceau du malheur et de la tristesse.
Refusant cette situation, Tucker, garçon intransigeant s'enfuit. Il ne reviendra que trois ans plus tard, à la date anniversaire de la tornade, pour libérer de manière dramatique les animaux de laboratoire d'une usine de cosmétiques.
Blessé, pourchassé, il entraîne dans sa cavale, sa plus jeune sœur, Cora, neuf ans, et entreprend , au fil de leur périple, de lui expliquer la révélation qu' a été pour lui la tornade et l'engagement radical pour défendre la cause animale qui en a découlé.
Récit tour à tour poignant, haletant , Zoomania sait aussi ménager des moments de pure grâce, comme celui d'un animal incongru évoluant en bord d'océan, ou de tension extrême. Abby Geni manie en virtuose les métaphores et ne présente jamais de manière pathétique ses personnages. Elle peint des scènes hallucinantes ,en n'oblitérant pas leurs aspects dramatiques ou drolatiques, et l'on n'oubliera pas de sitôt l'ultime mission que s'est assigné Tucker.
Un livre palpitant qui fait la part belle à la Nature, sans la présenter de manière angélique, et montre différentes formes de résilience, parfois inattendues.
Un roman puissant qui marque les esprits. Et qui file sur l'étagère des indispensables ,bien sûr.
Traduction Céline Leroy. Actes Sud 2021, 357 pages magistrales.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : abby geni
11/09/2023
Eden
"Cela m'a fait comprendre que même si mon travail consiste à analyser la manière dont idées et sentiments se coulent dans le moule du langage, je n'ai pas toujours été très douée pour faire coïncider mes pensées avec mes paroles. Il est à la fois étrange et illogique qu'une souris soit à l'origine de telles réflexions , et il est plus bizarre encore que, juste après, j'aie décidée de construire un mur en pierres. "
Alba enseigne la linguistique à l'université de Reykjavík, participe à des colloques dans le monde entier sur les langues en voie de disparition , sans que cela soit suivi de beaucoup d'effet... Elle assure aussi la lecture et la correction d 'ouvrages pour une maison d'édition qui la tanne pour qu'elle lise un recueil de poésie, ce que la jeune femme semble toujours remettre à plus tard.
Du jour au lendemain, peut être à la suite d'un rêve, la trentenaire décide d’acquérir une maison dans la campagne islandaise et de planter une forêt de bouleaux.
Tous ces faits, en apparence juxtaposés, trouveront progressivement leur explication, parfois données par le père, la sœur d'Alba ou d'autres protagonistes de ce roman que j'ai dévoré d'une traite avant de le relire dans la foulée plus posément cette fois.
Il y est en effet beaucoup question de mots, et l'on y découvre au passage, le fonctionnement ardu de la langue islandaise, mais aussi de nature, de réfugiés et du changement climatique, le tout sans aucune leçon donnée.
Tout y est fluide, aussi bien le style que la manière dont les gens passent d'un métier à un autre, ou le temps de la neige en mai au soleil radieux. Un pur délice qui file bien évidemment sur l'étagère des indispensables.
Traduction Eric Boury, Editions Zulma 2023.
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22/08/2023
Le Vieil Incendie
" J'ai de la peine à me rappeler que nous avons été indissociables. Nous avions les mêmes timidités, les mêmes craintes de la vie sociale. On ne se chamaillait pas. Notre langue de silences et de cris nous a réunies. "
A quinze ans, l'aînée, Agathe, a fui sa sœur cadette,Véra, aphasique, et son père. Elle a fait sa vie aux États-Unis où elle écrit des scénarios et des dialogues de films. Quinze ans plus tard, Agathe et Véra doivent vider la maison familiale qui sera abattue. Et pour cela , elles ont neuf jours.
Pas de disputes autour des objets ici, Agathe étant même prête à incendier le contenu de la maison dont elle ne veut rien garder. Elle apprend à redécouvrir sa cadette qui n'a plus rien de celle qu'elle se sentait obligée de protéger. Au fil des jours, des souvenirs reviennent et les secrets se révèlent.
Avec une infinie délicatesse, par petites touches, Elisa Shua Dusapin brosse le portrait de ces deux sœurs pour qui les silences sont peut être plus parlants que les mots. Car peut-on se fier aux mots ? Ils sont trompeurs, déformés, peuvent devenir le vecteur d’humiliations...Ils peuvent être difficiles à prononcer ou à écrire , même quand on en a fait son métier...
La nature joue également un rôle très important ici, ainsi que le corps des femmes, corps bridé, corps faillible ou corps retrouvé. Un texte magnifique dans sa concision parfaite et l'émotion intense qu'il dégage. Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Éditions Zoé 2023.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers, romans suisses | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : elisa shua dusapin
19/08/2023
Un chien à ma table...en poche
" Et puis , tu vois, ce serait un titre généreux, générationnel, un titre qui dit : ici on accueille les espèces à table, entrez , les bêtes, on est à table, on vous fait de la place. C'est un titre ouvert, un titre table ouverte aux bêtes, crié de loin par les enfants. C'est un symptôme. Un manifeste. Crois-moi, c'est le bon titre, Sophie. Un chien, émissaire de l'animalité, d'après Kafka, est invité à la table des humains. Sophie, surtout , garde ce titre."
Après Un ange à ma table, récit autobiographique de Janet Frame (autrice d'ailleurs évoquée dans ce roman , mais pour un autre récit), voici donc Un chien à ma table, où l'on retrouve les thèmes chers à l'autrice: la nature, les animaux, la vie retirée dans une maison isolée dans la montagne avec un compagnon, Grieg, féru de lecture , ainsi que l'écriture bien sûr.
La narratrice, prénommée Sophie, est maintenant octogénaire et elle observe sa relation à ce corps plus aussi souple, qui peine à se mettre en marche le matin. Pourtant l'irruption d'une chienne de berger, victime d'un zoophile, dans la vie de ce couple âgé va leur insuffler une nouvelle énergie, instaurer une nouvelle relation au vivant. Cette chienne, aussitôt baptisée Yes, tant elle semble positive, va se montrer "affamée de langage", ce qui ne peut que réjouir l'écrivaine , Sophie.
Pourtant, en arrière plan de cet heureux trio , l'atmosphère , évoquée par petites touches, est lourde, le danger rôde, les temps ne sont plus à la réjouissance, mais "On peut très bien écrire avec des larmes dans les yeux."
J'ai retrouvé avec bonheur l'écriture de Claudie Hunziger, soulignant à tour de bras les formules qui émaillent ce texte , profitant pleinement de ses analyses et de son écriture tour à tour poétique et ancrée dans le réel. Un roman qui file sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claudie hunziger
16/08/2023
En ces temps de tempête
" Vous êtes une bulle dans une bulle dans une autre bulle. Votre ville, votre État, votre pays- pour l'instant, vous occupez une position privilégiée. Vous avez gagné à la loterie géopolitique. Et c'est dans la nature humaine de protéger ses acquis, qu'on les mérite ou non. "
Les tempêtes mentionnées dans le titre du dernier roman en date de Julia Glass peuvent se prendre aussi bien au sens propre qu'au sens figuré. Nous sommes en effet dans un futur très proche où le réchauffement climatique se fait de plus en plus violent , où les attentats continuent à faire des victimes, aussi bien physiques que psychologiques .
Pour rendre compte de tout cela , l'autrice se penche sur le microcosme privilégié de Vigil Harbor et offre tour à tour la parole à huit personnages, d'âge et de conditions sociales différents (on y retrouve d'ailleurs un jardinier apparaissant dans un de ces précédents romans). Communauté qui sera troublée par l'arrivée d'un homme et d'une femme qui ne sont peut être pas ce qu'ils affirment être...
Gros roman choral de 598 pages, En ces temps de tempête se dévore puis se savoure tout à la fois. A son habitude, Julia Glass y fait preuve d'un grand sens de la construction narrative, mais aussi d'une grande humanité, se penchant avec beaucoup de bienveillance sur ses personnages. Suspense et humour sont au rendez-vous , il est grand temps de craquer !
Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Gallmeister 2023, traduit de l'américain par Sophie Aslanides.
Le billet d'Aifelle, qui vous mènera vers d'autres.
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29/05/2023
Eté
"Un conte triste, c'est mieux pour l'hiver, alors Shakespeare injecte l'artifice de la tristesse, c'est un artifice de dramaturge: il répand l’hiver partout précisément pour avoir un véritable été et faire jaillir un conte joyeux d'un conte triste. "
Comme la pièce de Shakespeare que Grace a joué tout un été il y a trente ans et dont elle conserve un souvenir ébloui, le roman d'Ali Smith commence en hiver. Paradoxe qui s'explique par la relation au temps qui irrigue tout le roman et qui emprunte beaucoup à Einstein dont est féru Robert, un jeune garçon pour le moins surprenant.
Par l'intermédiaire d'une expression prise au pied de la lettre par son frère Robert, Sacha, seize ans, va faire la connaissance d 'Art et Charlotte qui , de fil en aiguille , vont emmener les ados et leur mère, Grace, rencontrer un très vieil homme qui a connu la mère d'Art.
Avec un grand sens du montage quasi cinématographique, la romancière nous fait passer de l'époque contemporaine - dont elle fustige les travers avec acuité- à l’époque où l'île de Man accueillait dans des camps (qui demeuraient néanmoins des prisons) les Allemands qui avaient cru qu'il seraient en sécurité durant la Seconde guerre mondiale en Angleterre. Nous y croiserons Fred Uhlmann, qui n'avait pas encore écrit L'Ami Retrouvé mais dessinait pour témoigner de ce qu'il ressentait.
Il est très difficile de résumer le roman d'Ali Smith qui, de prime abord peut paraître touffu, mais dont la lecture s'avère d'une étonnante fluidité. L'autrice y évoque par petites touches l'importance des mots dans une période de changement à la fois climatique, politique et pandémique, la nécessité de l'hospitalité et de l'engagement , sans jamais se montrer "donneuse de leçons".
Son roman est riche d'humanité et l'été qui lui donne son titre irradie chaque page tant les sensations y sont présentes. 358 pages dévorées d'une seule traite.
Traduit de l'anglais par l'excellente Lætitia Devaux ; Grasset 2023.
Ce roman clôture la tétralogie mais peut se lire indépendamment des autres saisons.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : ali smith, laetitia devaux