16/06/2016
Eloge du chat
"L'atout du chat est d'avoir assimilé que l'utilisation de la simple force n'est pas payante. La souplesse est une arme plus efficace quand on désire le pouvoir. Il y a plus de ténacité, de résistance dans les solutions flexibles."
Loin de s'en tenir aux qualités traditionnellement attribuées au chat, Stéphanie Hochet insiste davantage sur sa flexibilité, souligne ses ambiguïtés, ses paradoxes: "il n'est ni totalement sauvage, ni totalement domestiqué, il ressemble aux artistes".
L'exigence de liberté du félin lui fait aussi un point commun avec les écrivains dont il est souvent le compagnon. Mais c'est surtout la place qu'il occupe dans notre inconscient "représentant sa partie refoulée" qui peut expliquer les réactions excessives que le chat a pu susciter dans son histoire. Finalement, conclut Stéphanie Hochet, "Sa forme diffère de nous mais c'est nous que nous voyons quand nous le contemplons, un nous fantasmé."
110 pages fines et élégantes, émaillées de références qui donnent envie de prolonger bien évidemment la lecture.
Éloge du chat, Stéphanie Hochet, Rivages poche 2016
06:00 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : stéphanie hochet
09/06/2015
Chez soi, une odyssée de l'espace domestique
"Chacun, en fonction de ses dispositions personnelles et des occasions qui s'offrent à lui, s’enfonce plus ou moins loin sur les routes de papier; mais ces routes mènent au même but."
Casanière, mais aimant les récits de voyage de Nicolas Bouvier, Mona Chollet cultive les ambivalences et les assume. Elle analyse avec acuité notre relation au "chez soi", s'impliquant elle aussi au passage, dénonçant la violence de notre société mais aussi célébrant les charmes du home sweet home dans de très belles pages.
Ce que j’aime chez cette journaliste c'est le regard critique, la variété des angles, la manière dont elle n'hésite pas à se mettre aussi en scène et la variété des références aussi bien architecturales que littéraires.
Plein de découvertes, de marque-pages et d'envies de lectures !
Chez soi, Mona Chollet, Zones 2015.
Une réalisation de Terunobu Fujimori , architecte japonais à laquelle Mona Chollet consacre de très belles pages.
05:55 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : mona chollet
27/05/2015
Beauté fatale...en poche
"Plus généralement, les femmes sont loin d’entretenir, comme les héroïnes de Sex and the City, un rapport hédoniste et insouciant à leur corps et à l'industrie qui les invite à l'embellir: le système , plutôt que de les combler de gratifications qu'elles n'auraient qu'à cueillir, telle Eve dans un moderne jardin d'Eden, attise leur frustration, leurs complexes, leur anxiété, leur autodévalorisation; il prospère sur les tourments physiques et moraux que leur inflige le souci névrotique de leur apparence. Et il le fait, comme on le verra , indépendamment de leur adéquation aux canons en vigueur : celles qui sont perçues comme les plus jolies peuvent très bien être aussi les plus flippées."
C'est en feuilletant son dernier ouvrage, que j'ai découvert, juste à côté et au format poche, Beauté fatale, sous titré Les nouveaux visages d'une aliénation féminine.
Le projet est fort intéressant: en se penchant sur les discours publicitaires, les blogs, la presse féminine, les témoignages de mannequins (édifiants, à faire lira à toutes les jeunettes que ce métier fait rêver !), les séries télévisées, bref, le discours et les images dans lesquels nous baignons constamment, Mona Chollet montre comment les normes inatteignables qui leur sont imposées nuisent au bien être des femmes.
On croit le savoir, bien sûr, mais on l'oublie trop souvent, moi la première, tant les injonctions qui nous sont martelées apparaissent comme la norme qu'il faut suivre "naturellement".
J'ai parfois sursauté , tant le discousr est parfois violent dans la manière dont l'auteure s'en prend à certaines personnalités( Sophie Fontanel, Elisabeth Badinter) ,mais la démonstration est implacable et les exemples nombreux et variés. Un texte roboratif qui donne un autre son de cloche à entendre et nous permet de prendre de la distance par rapport au discours dominant et de réveiller notre esprit critique engourdi.
Beauté fatale, Mona Chollet, La découverte /Poche 2015, 289 pages
06:00 Publié dans Essai, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : mona chollet
11/05/2015
Chiens, chats...pourquoi tant d'amour ?
"Ceux qui vivent avec des animaux s'y attachent comme à des personnes , parce que cet attachement s'impose du fait que nous sommes ce que nous sommes et que les animaux sont qui ils sont. Or, la plupart des recherches s'efforcent de comprendre le fait que des humains s'attachent à des animaux comme s'il s'agissait d'une anomalie.Aucun sociologue ne va enquêter sur les raisons pour lesquelles les gens aiment les enfants !"(Vinciane Despret)
Saviez-vous que des chiens, il y a bien longtemps, avaient été enterrés avec leurs maîtres ? Que la religion catholique, dans sa volonté de contrer la religion polythéiste égyptienne, avait beaucoup œuvré contre les animaux ? Que les chiens avaient le sens de l'humour ? (ça plein de maîtres le savent mais, comme le rappelle fort opportunément Le Telegraph du 11 juin 2004: " Les scientifiques viennent de prouver ce que les propriétaires de chiens savent depuis des siècles : leurs chiens comprennent presque tout ce qu'ils disent.").
Catherine Vincent, journaliste au Monde a interrogé Eric Baratay, professeur d'histoire contemporaine, Claude Béata, vétérinaire comportementaliste et Vinciane Despret, philosophe et éthologue, et leurs entretiens sont passionnants !
On a juste envie d'applaudir aux propos de chacun d'eux et tout particulièrement à ceux, pleins de vie, d'humour et d'empathie de Claude Béata et Vinciane Despret. Des réflexions émaillées d'anecdotes qui parleront forcément aux amis des animaux et , on l'espère aussi, aux autres.
Aucun jargon, de l' enthousiasme à revendre et une lecture qui confortera tous ceux qui, comme moi, sont persuadés que l'animal est sensible et intelligent. Je me suis régalée de bout en bout !
Un grand merci à Vinciane Despret (clic) qui a ,si gentiment et si rapidement ,répondu à ma demande de bibliographie supplémentaire !
Le lien vers l’émission de France inter qui m'a permis de découvrir cet ouvrage paru chez Belin: clic .
PS: ne pas s'arrêter à la couv', pourquoi avoir jugé nécessaire d'ajouter, en coloriant heureusement, des accessoires ridicules à ce bouledogue français ?
06:00 Publié dans Document, Essai | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : eric baratay, claude béata, vinciane despret, catherine vincent
05/05/2015
Le nénuphar et l'araignée
"Je suis de cette société docile obsédée de son danger intérieur. Ce que je mange, ce que je bois, ce que je fume, comment je baise, ce que je me fais de mal. Si j'avais un danger extérieur à affronter j'aurais sans doute moins peur. à force de prévenir le danger je l'ai fait pousser en moi : il me semble sans doute plus familier, moins périlleux parce que je crois en avoir la clé, la manette, le thermostat. J'avais mon petit danger portatif dans la poche. je l'appelais Lucky strike. il me permettait d'oublier tous les autres dangers qui n'étaient pas actionnés par moi."
Au départ de ces textes, une requête d'éditeur: écrire pour une collection des Allusifs intitulée Les peurs. "La collection n'existe plus mais le texte est là." car pour répondre à la demande, Claire Legendre s'est penchée sur ses propres peurs dans des textes tenant à la fois de la nouvelle auto fictive et de l'essai, interrogeant aussi bien sa phobie des araignées que la présence inquiétante de ce qu'elle appelle son nénuphar, comprendre une anomalie au niveau du thymus qui va lui empoisonner le corps et l'esprit.
L'auteure analyse avec acuité et souvent humour ses réactions, ses angoisses, qui sont bien évidemment en totalité ou en partie les nôtres. Une mise à distance souvent imagée et bien évidemment salutaire .
J'ai ainsi découvert le concept tchèque de la Litost (ne pas confondre avec la litote), intraduisible en français, qui est "le spectacle de sa propre misère. Kundera en fait , au filtre de la fiction , une humiliation, une honte sans gravité mais à laquelle on pourrait repenser, par exemple de façon intempestive, quand on est bien tranquillement installé sur le canapé devant la télé et elle vous donne des tics nerveux. Il arrive qu'on se gifle en repensant à telle réplique qu'on n’aurait pas dû dire, à tel geste qu'on n'aurait pas dû faire..." et l'auteure de remarquer avec malice (ou consternation ) : "Les hommes politiques sont de formidables digéreurs de litosts, moi je me serais jetée par la fenêtre une bonne dizaine de fois si j'avais le palmarès de certains."
Un livre qui fera du bien aux angoissés. Et aux autres !
Le nénuphar et l'araignée, Les Allusifs 2015, 100 pages où volètent de nombreux marque-pages.
06:00 Publié dans Essai, Objet Littéraire Non Identifié | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : claire legendre
02/02/2015
L'une et l'autre
"Elle écrit au pèse-nerfs , dans une sorte de stridence, d'exaspération."
"L’une & l’autre, c’est Marie Desplechin et la comtesse de Ségur, saisissante de modernité ; c’est Gwenaëlle Aubry et la poétesse américaine Sylvia Plath, en butte à ses vertiges de mère et d’épouse ; Camille Laurens et l’amour fou chanté par Louise Labé ; Lorette Nobécourt et Marina Tsvetaeva, broyée par la folie stalinienne ; Marianne Alphant et Jane Austen, dévouée à l’écriture jusqu’à s’oublier elle-même ; et c’est aussi Cécile Guilbert et l’essayiste Cristina Campo, hantée par le mot juste." (présentation de l'éditeur)
Par de là les années, des écrivaines contemporaines ont tendu des liens vers des auteures qu'elles admirent. Brosser leur portrait est aussi l'occasion d'interroger leur propre créativité, les liens qu’elles entretiennent avec l'écriture et la vie.
Ouvrage collectif, l'une est l'autre nous offre de jolies rencontres avec des écrivaines, déjà lues ou non ,mais aussi quelques échecs.Je n'ai ainsi pas été très convaincue par le texte de Lorette Nobécourt ,trop éclaté dans la chronologie, ni celui de Cécile Guibert, à l'écriture trop chantournée à mon goût. Quant à Marianne Alphant, elle pâtit du manque d'informations sur Jane Austen .
Par contre Marie Desplechin nous offre un portrait très vivant de la comtesse de Ségur, en soulignant la modernité pour l'époque. Camille Laurens nous rend aussi terriblement présente Louise Labbé. Quant à Gwenaëlle Aubry, on la sent en totale empathie avec la sensibilité exacerbée de Sylvia Plath. Rien que pour ces textes, il faut lire L'une et l'autre !
06:00 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (7)
02/05/2014
Manuel d'écriture et de survie
"Fais ce que tu veux et surtout ne prête pas attention à ce qu'on dira de toi et de ton travail."
Dans l'esprit de Lettres à un jeune poète (Rilke), Martin Page répond aux missives d'une écrivaine en devenir, Daria. Il la conseille dans son écriture mais aussi dans ses rapports aux autres, abordant avec lucidité la jalousie, la différence entre les véritables amis et le réseau que l'on peut se constituer: "Les arrivistes ont des copains et des connaissances, ils sont à l'aise en toute occasion, ils sont lubrifiés pour mener une vie sociale faite de sourires, d’écoute distraite et d'un amoncellement de paroles." . Il aborde tous les aspects de la vie littéraire , lui conseille de ne pas oublier les libraires, la convainc de la créativité des ateliers d'écriture, bref lui transmet une vision lucide et pragmatique de la vie d'écrivain et de la vie tout court.
En creux, Martin Page nous livre aussi un autoportrait sans fards, plein de sensibilité, sans gommer ses aspects tour à tour exaltés ou dépressifs.
Ce qui frappe dans ces 172 pages, que j'ai piquetées de marque-pages, en plus d'une vision riche et passionnante de l'écriture, c'est l'inscription de l'écrivain dans la vie économique et sociale. La difficulté à s'affirmer écrivain mais aussi à assurer tout simplement sa vie d'un point de vie financier. Pas de retraite, pas de garantie de ne pas finir à la rue, thème qui hante Martin Page.
Évidemment, plein de références à glaner au passage et plein de découvertes littéraires à faire ! Un viatique nécessaire à lire et relire.
Manuel d'écriture et de survie, Martin Page, Seuil 2014, 172 pages passionnantes !
Du même auteur : clic, clic, clic et reclic
Le blog de l'auteur
06:00 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : martin page
10/04/2014
Changer de vie
""Les gens ont peur parce que c'est un défi, ils ont peur de ne pas trouver mieux, ils préfèrent rester dans ce qu'ils connaissent parce que c'est plus rassurant. Et là on est dans la souffrance parce qu'on va finir par avoir des regrets , parce qu'on ne saura jamais ce qu'il y avait derrière la porte, ah non, moi je suis trop curieuse, je veux voir, je veux savoir !""
Changer de vie , chacun y pense plus ou moins sérieusement, mais toutes les personnes, j'allais écrire personnages tant ils ont de densité, rencontrées par Géraldine Barbe l'ont fait. L'auteure elle-même , étant directement concernée par le sujet ,a choisi- et c'est fort réussi- de confronter les différents témoignages d'y mêler ses propres réflexions et tout ceci entre très joliment en résonances.
Pas de portraits figés donc et que ce soit ce policier qui a choisi le chemin des planches , cet artiste qui a changé de sexe ,cette femme juive orthodoxe qui est devenue écrivaine tout en assumant son homosexualité ou d'autres qui ont choisi des chemins plus discrets pour changer de vie, tous sont intéressants et nous deviennent proches tant ils sont riches d'humanité.
Aucun voyeurisme, beaucoup d'empathie et de sensibilité, voilà les ingrédients de ces histoires de renaissance qui font chaud au cœur.
Changer de vie, Géraldine Barbe, Éditions Plein jour 2014 , 140 pages piquetées de marque-pages !
06:00 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : géraldine barbe
28/01/2014
L'écriture et la vie
"Écrire, c'est plonger en soi, oui, mais tout en plongeant, faire éclater ce moi, repousser ses propres frontières pour accéder à un espace plus grand. Écrire, c'est faire se rejoindre l'intérieur et l'extérieur, le moi et les autres."
Parce qu'elle éprouve une "impression terrible de fausseté", qu'elle ne parvient plus à trouver "les mots vrais", pendant vingt et un mois Laurence Tardieu a perdu le chemin de l'écriture. L'écriture et la vie est le journal de cette quête de lumière.
Laurence Tardieu, avec intensité, avec précision, revient aussi sur son roman précédent, La confusion des peines,(où elle faisait éclater 10 ans de silence après la condamnation de son père pour corruption) en soulignant la violence mais aussi la nécessité. Dans les deux textes, on retrouve cette même exigence de vérité pour se tenir debout et sortir du silence ou de la nuit. L'auteure traque sans relâche les mots vrais, analyse avec précision, explore avec ténacité ses liens avec l'écriture et avec la vie. Cette recherche est toujours fluide, jamais laborieuse.
On sort de cette bataille un peu sonné mais aussi revigoré et l'on attend avec impatience le prochain écrit de Laurence Tardieu.
Comment rendre compte d'un texte d'une centaine de pages dont presque toutes sont hérissées d'un marque-page ?
Éditions des Busclats 2013
06:04 Publié dans Autobiographie, Essai, l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : laurence tardieu
19/09/2013
Petit éloge des brunes
"Dans la teinte des cheveux se joue le passé d'une nation."
Petit éloge des brunes combine deux de mes péchés mignons: le genre de l'éloge et l'abécédaire. Elsa Marpeau nous fait bénéficier de sa solide culture générale , qui la fait fréquenter aussi bien la Bibliothèque Nationale de France que tourner les pages de Voici. Mais ce grand écart s'effectue pour la bonne cause car c'est dans les pages des magazines people que l'on déniche les Brunes contemporaines et celles à qui elles servent souvent de faire-valoir, les Blondes.
Quelques redites sur les stéréotypes qui ont traversé les siècles (du fait de la structure de l'abécédaire, sans doute) mais une mine d'informations et de réflexions sur les stéréotypes liés aux Brunes. Saviez-vous par exemple que "l'inégalable Betty Boop" est apparue sur les écrans "d'abord sous les traits d'un chien" avant de se muer en pin-up ?
Plein de références dans de nombreux domaines artistiques et une seule absence : celle de la chanson interprétée par Lio: "Les Brunes comptent pas pour des prunes". Une référence trop évidente ou trop triviale peut être.
Un petit plaisir à s'offrir pour deux euros, quelle que soit sa couleur de cheveux, bien sûr.
Ps: l'auteure est évidemment une très jolie Brune.
06:00 Publié dans Essai, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : elsa marpeau