02/03/2020
Comme si tu étais toujours là
"Tu me manques tellement, mais il y a quinze ans que tu me manques tellement ! " , m'avoues-tu . Nous nous sommes toujours manqué terriblement."
Sur un coup de tête, par jalousie, la chanteuse Marie Paule Belle quitte sa compagne, Françoise Mallet-Joris, romancière et auteure des paroles de ses chansons. Les deux femmes vivaient alors en toute liberté une relation au vu et su de tous, même si dans les médias, on n'évoquait, je m'en souviens, qu'une belle amitié entre les deux femmes. Nous étions dans les années 70.
Même si ,après leur séparation, les deux femmes ont continué à se voir, à s'écrire, elles n'ont plus jamais revécu ensemble et c'est après la disparition de la romancière en 2016 que Marie Paule belle a vraiment pris conscience de la puissance de l'amour qui les unissait.
Dans un monde où, selon l'autrice, l'homophobie est de plus en plus décomplexée, la parution de ce livre est un souffle d'espérance et d’amour.
Publiant les lettres, les petits billets envoyés avec un belle fréquence par Françoise Mallet Joris, la chanteuse étant souvent en tournée, on voit transparaître à la fois son inquiétude (les risques d'accident, la carrière de son amour) mais aussi sa constante sollicitude et son amour indéfectible. Une telle générosité méritait bien d'être célébrée.
Un texte pudique, tout en retenue, les amateurs d'anecdotes croustillantes en seront pour leurs frais et une magnifique préface de Serge Lama qui a bien connu les deux femmes.
Plon 2020
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07/10/2019
#JeNeSuisPasSeulAetreSeul #NetGalleyFrance
"J'ai besoin des autres, tout simplement pour qu'il me rendent heureux.
Et qu'ils me donnent l’adresse d'un bon restaurant."
Octogénaire, veuf, sans nouvelles de sa fille depuis trois ans, Jean-Louis Fournier est seul. Aussi seul que soixante-dix ans auparavant quand il s'était perdu dans un grand-magasin et réclamait sa maman.
Il a besoin des autres, mais simultanément il apprécie la solitude, tout en regrettant d'être seul.
Un pas en avant deux pas en arrière, Jean-Louis Fournier danse le tango de la solitude, un tango mâtiné d'humour mais aussi de quelques touches de pathétique, il faut bien l'avouer.
C'est à la fois poignant et un peu agaçant, mais le lecteur apprécie la franchise sans fard de l'auteur qui ose ne pas se présenter sous son meilleur jour.
Jean-Claude Lattès 2019
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04/06/2019
#RosieUneEnfanceAnglaise#NetGalley
"Voilà le monde où nous venions d'entrer, un monde où rien ne se produisait en apparence, mais où, sous la surface, d'énormes plaques tectoniques d'émotions dérivaient."
La découverte en 1994 du Royaume interdit avait été pour moi, comme pour beaucoup d'autres un choc émotionnel. Là, sous des dehors très policés, une auteure envisageait un thème ,quasi inédit en littérature : le fait qu'une petite fille voulait devenir un garçon.
J'ai suivi ensuite, de loin en loin, les romans de Rose Tremain, qui s'était ensuite beaucoup tournée vers des romans historiques, ce qui n'est pas du tout ma tasse de thé.
Quel plaisir de renouer avec son écriture dans ce récit de son enfance au sein d'une famille bourgeoise aisée, où l'argent circulait plus facilement que les sentiments.
Sans autoapitoiement, Rose Tremain, née en 1943, revient sur ses relations avec sa mère, analysant avec précision les parcours de cette femme malaimée par ses propres parents, incapable d'aimer ses deux filles, posant un couvercle sur ses sentiments et aussi, il faut bien l'avouer, furieusement égoïste et futile, même si ces mots ne sont jamais écrits.
Pas de règlements de compte donc, mais une prise de conscience tardive, lors d'une rencontre avec une autre écrivaine, Carolyn Slaughter, que celle qui a offert généreusement un socle affectif, qui a été "un ange gardien", "la personne à qui [elle] devait [sa] santé mentale- et sans doute celle de [sa] fille unique Eleanor" était sa gouvernante adorée, Nan.
Grâce à elle, Rosie et sa sœur ont pu affronter la séparation de leurs parents et l'attention en pointillés qu'ils accordaient à leurs enfants.
Mais, c'est vers l'art et plus précisément vers la fiction littéraire que Rosie se tournera quand, envoyée dans différents pensionnats, plus ou moins confortables, elle ne pourra réaliser son rêve: aller à Oxford; destin refusé par sa mère, qui refuse d'en faire "un bas bleu" difficilement mariable.
La dernière partie relate, un peu trop rapidement à mon goût, l'émancipation de Rosie, qui deviendra Rose, mais il n'en reste pas moins que j'ai pris beaucoup de plaisir au récit de cette vie, marquée par la capacité de résilience d'une auteure que j’ai envie de redécouvrir.
JC Lattès 2019, 212 pages, traduction de Françoise Du Sorbier
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07/03/2019
#IamIamIam #NetGalleyFrance
"J'aurais aimé savoir que les choses qu'on ne contrôle pas dans la vie sont en général plus importantes, plus formatrices, à long terme que celles qui se passent comme prévu."
Le projet de Maggie O'Farrell ? "raconter la vie de quelqu’un , mais uniquement à travers ses expériences avec la mort."
Chacun des dix-sept chapitres, dûment datés et illustrés façon vieille planche d'anatomie, est consacré à une partie du corps de l'autrice-narratrice, car c'est bien de Maggie O'Farrell qu'il s'agit ici. Et cela commence très fort par un texte d'une tension dramatique extrême ,dont on se dit qu'après cela les choses ne pourront que baisser en intensité. Pas vraiment.
Chacune des expériences qui nous est relatée frappe par sa volonté de vérité dans l 'expression des sensations et des sentiments. Maggie O'Farrel scrute, écrit à l'os, ne se donnant jamais le beau rôle, mais décrivant au plus près pour mieux nous les faire ressentir la douleur, "Une douleur sans rebord, parfaite, parfaite comme une coquille d’œuf.", la violence des institutions de santé dont l'enfant qu'elle a été, mais aussi la femme, ont été victimes. Pas de course au dolorisme pour autant. Si l'auteure évoque l'hémorragie post-partum dont elle a failli mourir, et rappelle que "mourir en couches semble être un danger totalement daté, une menace extrêmement lointaine entre les murs des hôpitaux des pays développés" , c'est aussi pour mieux dénoncer le taux de mortalité maternelle anormalement élevé du Royaume-Uni ,ou évoquer un sujet tabou: les fausses couches et la manière dont elles sont trop souvent balayées d'un revers de la main.
La mort, elle la connaît donc de près, et ce depuis l'enfance. En effet, atteint d'une encéphalite, dont elle garde encore des séquelles, Maggie O'Farrell sait dans sa chair ce qu'est le poids du regard et des réflexions des autres, mais aussi la bienveillance et la confiance que l'on peut trouver dans une main anonyme que l'on serre ou des mots de réconfort. De quoi braver tous les pronostics pessimistes.
Le livre se termine par une course contre la montre, contre la mort, un condensé de souffrances, mais aussi une réaffirmation de la vie coûte que coûte. Un coup de poing -coup de cœur qu'on n'oubliera pas de sitôt.
Un texte qui file directement sur l'étagère des indispensables , bien sûr.
Belfond 2019
De la même autrice, clic, clic et reclic.
06:00 Publié dans Autobiographie, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : maggie o'farrell
14/01/2019
#Une éducation#NetGalleyFrance
"J'ai décidé d'expérimenter la normalité. Pendant dix-neuf ans, j'avais vécu selon la volonté de mon père. Maintenant, j'allais essayer autre chose."
Comment une jeune fille, n'ayant jamais fréquenté l'école, dont la naissance n'a été déclarée que cinq ans plus tard (avec deux dates différentes !), ayant reçu une éducation à la maison incomplète et biaisée au sein d'une famille de Mormons dirigée par un fanatique religieux a-t-elle pu échapper au destin tout tracé qui l’attendait, à savoir: mère de famille nombreuse ?
C'est ce que nous raconte dans son autobiographie Tara Westover. Elle relate avec franchise les différentes étapes qui l'ont amenée à exploiter son haut potentiel intellectuel, elle qui était née au sein d'une famille où l’État et ses différentes incarnations représentaient le mal absolu.
Elle ne nous cache rien de la honte qui l'habitait, ni du sentiment d'imposture, voire de traitrise, qu'elle ressentait dans les universités où elle a réussi à étudier, bravant à la fois les gouffres d'inculture et d'inadaptation sociale, en bonne fille de Mormon intégriste qu'elle était.
Elle prendra peu peu conscience des graves problèmes psychologiques de son père (les mots de "Schizophrène" et de "troubles bipolaires " seront évoqués ), les comprendra, mais ne pourra se résoudre à admettre que la majorité des membres de sa famille soit dans le déni en ce qui concerne le caractère manipulateur et extrêmement violent de son frère Shawn. Pour sauver sa peau, au sens strict du terme, elle devra se résoudre à une solution extrême.
On frémit en lisant ce texte où un père ferrailleur , pour des raisons de gain de temps, expose constamment ses enfants aux pires risques,au prétexte qu'il s'en remet à Dieu et à ses anges pour assurer leur sécurité. Pourtant, le portrait de qui pourrait être la caricature d'un tyran à la fois domestique et religieux est nuancé car l'auteure l'affirme : "je croyais à l'époque -et une partie de moi y croira toujours-, que je devais faire miennes les paroles de mon père."
Un texte fort et courageux où Tara Westover nous montre acquérir une éducation est une bataille de chaque instant contre les idées fausses et les préjugés. On ne s'étonnera pas que l'auteure ait choisi de se spécialiser dans la manière dont l'Histoire est relatée.
Jean-Claude Lattès 2019.
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : tara westover
08/01/2019
Le Nord comme ils l'ont aimé
Articulée en cinq grandes parties, cette anthologie dégage une grande impression de luminosité, de chaleur humaine et d'amour, comme annoncé dans le titre.
Richement illustrée de tableaux (qui pour la plupart m'étaient inconnus), gravures et autres photographies,on y croise des auteurs éclectiques, certains connus (Michel Quint, Jean-Louis Fournier...), d'autres plus oubliés mais aussi certains romanciers ou romancières inattendus comme Edith Wharton par exemple.
La poésie et la chanson ne sont pour autant pas oubliées et c'est un panorama riche de (re) découvertes que nous propose ici Annie Degroote.
A noter que si cette anthologie se concentre sur le Nord et le Pas-de-Calais, la Belgique est aussi parfois évoquée tant est poreuse la frontière entre ces deux entités aux nombreux points communs.
Un pur régal !
Merci aux Éditions Omnibus et à Babelio .
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : annie degroote
29/10/2018
Mon frère
" Sa première pensée, quand le diagnostic [Parkinson] tomba, fut pour l'épouse :
-Elle veut que je me secoue, elle va être servie."
Dans la fratrie, il ne reste plus que Daniel, le cancre, devenu écrivain qui se pose la question, des années après la disparition du frère préféré de la famille, Bernard : Qui était-il vraiment ?
Daniel Pennac, intercalant des passages de son spectacle consacrè à la nouvel Bartelby, revient ici sur la personnalité de ce frère dont il estime qu'il était un lointain cousin du héros de Melville.
Plein d'humour, d'amour et d'empathie, on devine, en filigrane que ce frère, sans jamais ce plaindre, n'a pas eu une vie totalement épanouissante, ni d'un point de vue personnel, ni conjugal.
On ne tombe pourtant pas dans le règlement de compte, le temps sans doute apaisé les esprits, et cela n'en rend que plus palpable l'émotion, contenue, certes, mais infiniment présente.
Merci à Cathy et Laurent pour le prêt.
05:40 Publié dans Autobiographie, rentrée 2018 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : daniel pennac
18/09/2018
L'écart
" Je suis en quête de sensations pures,comme une pieuvre munie de capteurs sensoriels sur toute la longueur de ses tentacules. Seule et heureuse de l'être, je poursuis ma route."
Ayant grandi dans l'archipel des Orcades, la narratrice a troqué son existence rude et sauvage contre une vie nocturne et riche en sensations à Londres. Las, elle a perdu ses amis, son amour ,ses emplois à cause d'une vie nocturne débridée qui a vite viré à l'aigre ,à cause de l'alcool.
Elle choisit donc de rentrer dans son île natale où elle mènera des "essais semi-scientifiques" sur elle-même afin de se libérer de l’alcool. L'entreprise lui prendra deux ans, qu'elle résume ainsi:"Au cours des deux années écoulées, je me suis employée à guetter l'apparition d'un oiseau fuyant et insaisissable, à chasser les aurores boréales et les nuages noctulescents; j'ai nagé dans l'eau glacée de la mer du Nord, couru nue autour d'un cercle de pierres levées, vogué vers des îles abandonnées, volé dans de minuscules avions à hélices, et choisi de rentrer au pays natal."
L'alcoolisme au féminin est encore un tabou ,mais il ne s'agit pas ici du énième récit du "long et laborieux processus de reconstruction" ,mais bien d'une œuvre puissante et littéraire où une voix se fait entendre, une voix qui donne à sentir toute la sauvagerie et la rudesse des univers qui entourent la narratrice.
Traduit de l'anglais par Karine Reignier-Guerre Éditions du Globe 2018, 330 pages battues par les flots.
06:00 Publié dans Autobiographie, rentrée 2018, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : amy liptrot
20/06/2018
#JournalD'irlande #NetGalleyFrance
"Ce qui s'installe, se crée entre deux membres d'un couple qui a longtemps vécu ensemble, c'est autre chose que la tendresse. C'est , je crois une peur commune de la mort : de la mort de l'autre, plus que de la sienne."
Blandine De Caunes souligne à juste titre dans sa préface que l’œuvre de sa mère a commencé par la publication du célèbre Journal à quatre mains (rédigé avec Flora Groult) et qu'elle se clôt donc suivant la volonté de la défunte par l'édition de ces Carnets de pêche et d 'amour allant de 1977 à 2003.
Le sous-titre de ce journal indique bien les deux thèmes principaux de ce texte et la place prépondérante accordée à la passion pour la pêche , place qui, je dois l'avouer, a fini par me lasser.
Par contre, l'analyse ,parfois féroce ,des relations entre Paul Guimard, Benoîte Groult et l'amant de cette dernière surprendra un peu par son intensité. Certes, la situation était connue de tous les membres de la famille (et des lecteurs des Vaisseaux du cœur par exemple) mais l'écrivaine se montre sans complaisance envers son mari vieillissant qui ne supporte plus cette situation alors que, dans sa jeunesse il avait allègrement trompé son épouse.
On se sent parfois de trop dans cette lecture, même si la revendication par cette femme âgée du droit au plaisir est un acte qui s'inscrit logiquement dans la démarche de cette écrivaine féministe .
Grasset 2018
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : benoîte groult
03/04/2018
Chez nous
"Chez nous, on entendait le murmure des arbres dans les bois."
"Chez nous", phrase rituelle qu'on entend quand on évoque sa famille, son chez soi . "Chez nous", leitmotiv qui scande les 87pages de cet opuscule, illustré par l'auteure, dessins dont les inspirations sont citées en fin d'ouvrage.
Souvent très courts, ces paragraphes commençant rituellement par la même formule, évoquent par petites touches ,une famille où l'on était "nés dans un monde voué à disparaître." Un monde où l'on se réjouit de l'arrivée d'un Cora, où les pensionnaires d'un hôpital psychiatrique vont faire des courses, en reviennent le sourire aux lèvres, ce qui vaut à l’expérience, le nom de "Corathérapie". Un monde encore rural mais qui se verra bientôt grignoté par les zones commerciales uniformisées, "Chez nous, les gens étaient façonnés par les paysages de leur enfance."
C'est aussi l'histoire d'une famille modeste , dont on disait que c'était "une famille de braconniers"," où" le mot solidarité avait du sens " mais où on pouvait aussi se réjouir que le malheur frappe à côté. Portraits contrastés, sans idéalisation, qui parleront à chacun de nous sans pour autant exhaler de nostalgie. C'est toute une époque qui se donne à voir d'une manière impressionniste et très touchante.
Grasset 2018
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : géraldine kosial