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31/08/2022
Qui sème le vent...en poche
"En plus de nourriture et de vêtements, les enfants ont besoin d'attention. Ce que papa et maman semblent oublier de plus en plus."
La mort accidentelle de Matthies, quelques jours avant Noël, va plonger ses frère et soeurs, ainsi que ses parents ,dans une souffrance qu'ils ne parviendront pas à verbaliser.
Même la religion (ils sont protestants orthodoxes) ne leur sera pas d'un grand secours et chacun dans on coin, ou presque ,continuera tant bien que mal à survivre à ce deuil.
Nous sommes au début des années 2000, dans un coin paumé d'une campagne néerlandaise et la vie est rude pour ces éleveurs de bovins. On pourrait parfois croire, n'étaient quelques détails qui ancrent dans la modernité, que cette famille, tout à la fois pudibonde pour ce qui est de la sexualité et très crue en ce qui concerne la réalité de la mort, vit quasiment en dehors du temps.
Tandis que la mère glisse dans une forme de folie, le père fait face avec stoïcisme à une épizootie qui ravage son troupeau, mais aucun d'entre eux ne parvient à exprimer ses sentiments et ils laissent le reste de la fratrie bricoler des stratagèmes pour apprivoiser la mort.
Ainsi la narratrice, dix ans au début du roman, ne quitte-elle pas sa parka, parka dont elle remplit les poches d'objets . Son frère, lui, opte pour des actes bien plus sadiques.
La découverte de la sexualité pour la fratrie les tient encore du côté du vivant ,mais dès les premières pages du roman, on sait qu'une tragédie est en route car "Quand on n'est plus à même de tenir avec tendresse un être humain ou un animal, mieux vaut lâcher prise et s'intéresser à autre chose."
J'ai rarement lu un roman aussi âpre, aussi tenu , dans le sens ou l'autrice ne tombe jamais dans le piège du pathos, où s'exprime une telle âpreté, un tel pessimisme (le père "prétend que ce n'est pas pour nous le bonheur, qu'on n'est pas faits pour être heureux, pas plus que notre peu blanche n'est faite pour endurer le soleil") et pourtant la narratrice , par son regard singulier, sur la nature, les animaux, parvient à nous offrir quelques respirations dans cette atmosphère saturée de tristesse.
La fin tombe comme un couperet.
Une expérience singulière et forte. Un premier roman , un coup de maître.
Il rejoint bien sûr l'étagère des indispensables.
Traduit du néerlandais par Daniel Cunin,
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, Littérature néerlandaise, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marieke lucas rijneveld
29/08/2022
Avancer...en poche
" Avec des vues pareilles, les antécédents qu'on lui connaît et s'il n'est pas d'ici là dérouté par des amours stériles ou la passion délétère des sports d'équipe, le Petit fera certainement personnage historique."
Sur son balcon, Victoria (alias Marie-Laure la feignasse, suivant l'identité que la narratrice endosse pour se parler à elle-même), jeune femme peu pressée d'entrer dans la vie professionnelle, contemple le monde et attend "La voie royale". Dans l'appartement, Marc-Ange, son ancien professeur de sociologie , homme de bonne composition , cherche le thème de son prochain ouvrage tout en tentant de s'adapter à son fils de dix ans, le Petit, enfant précoce qui tient à donner son avis sur tout ou presque. Le Petit d'ailleurs semble bien plus mature que bien des adultes qui l'entourent...
En bas de l'immeuble, un trou gigantesque , fonctionnant un peu comme un aimant et qui va drainer toute une faune intrigante. Se met ensuite tout un concours de circonstances qui va bouleverser l'existence de Victoria et la fera Avancer mais pas forcément dans la direction prévue...
Plus que l'histoire, c'est le style et les personnages qui font toute la saveur de ce premier roman enlevé et drôle.
Adresses au lecteur, sociologie sauvage hilarante d'une rencontre au café, découverte de toute une population pittoresque, des bobo au petits arnaqueurs, on entre avec délices dans un monde décalé et plein de fantaisie. Un régal !
06:02 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maria pourchet
27/08/2022
S'adapter...en poche
"Il sentait bien que ce n'aurait pas dû être son rôle. Mais il sentait aussi que le sort aime défaire les rôles et qu'il fallait s'adapter.
L'arrivée d'une enfant inadapté dans une famille concentre généralement l'attention sur lui, et ce , souvent , au détriment des autres membres de la fratrie. Dans ce roman, qu'on devine teinté d'autobiographie, Clara Dupont-Monod, délaissant les romans historiques, choisit de nous raconter, du point de vue des pierres de la maison familiale, l'histoire d'une fratrie hétéroclite mais où la bonté et l'affection circulent, empruntant cependant des chemins différents.
Il y a d'abord l'aîné qui va endosser pleinement son rôle d'Aîné, chérissant ce petit frère aveugle, qui ne peut qu'entendre et dont le corps reste mou comme une poupée de chiffon, sans aucune préhension possible. La cadette, quant à elle, opte pour la révolte , mais saura œuvrer pour restaurer la vie dans cette famille au décès du petit frère. Enfin, il y a le dernier, qui n'aura jamais connu cet enfant inadapté mais qui"avait spontanément accepté l'étrange famille dans laquelle il était né, une famille blessée mais courageuse qu'il aimait plus que tout."
Avec une extrême délicatesse et une écriture qui avance comme sur la pointe des pieds ,mais néanmoins avec vigueur, Clara Dupont-Monod ne rédige pas un tombeau pour cet enfant mais se situe au contraire du côté de la vie, montrant comment ces trois enfants "formaient un cocon, tissaient des jours en forme de cicatrice."
On ne s'étonnera pas que ce roman ait déjà engrangé deux prix.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : clara dupont-monod
26/08/2022
La carte postale...en poche
"Cette famille, c'est comme un bouquet trop grand que je n'arrive pas à tenir fermement dans mes mains."
Enceinte, Anne Berest pense "à la lignée des femmes qui avaient accouché avant [elle]" et sollicite sa mère, Lélia, pour "entendre le récit des ancêtres". Les archives accumulées par cette dernière et, en particulier, une carte postale anonyme, arrivée 10 ans plus tôt et portant les quatre prénoms des ascendants maternels assassinés dans des camps d'extermination, vont jouer un rôle essentiel dans cette quête difficile, tant du point de vue psychologique que matériel.
Ce sera aussi pour l'autrice l'occasion d'analyser ce que signifie pour elle le mot "Juif" , élevée dans une famille où la religion n'avait pas vraiment sa place, ce que signifie aussi le fait d'être identifié comme Juif en France de nos jours.
Retraçant à la fois le parcours de ses ascendants maternels, originaires de Russie , avant, pendant et après la Seconde guerre mondiale, cette quête passionnante, digne d'un polar, et réflexions plus intimes, Anne Berest réussit à ne jamais perdre notre intérêt.
Mieux encore, elle jette un éclairage sur certains points peu évoqués. J'ai ainsi pu découvrir le fonctionnement inhumain du camp de Pithiviers ou bien encore la manière peu glorieuse dont l'administration française a traité les différents aspects de l’indemnisation des survivants spoliés de leurs biens durant la guerre.
Un texte à découvrir absolument.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : anne berest
25/08/2022
#Unchienàmatable #NetGalleyFrance !
" Et puis , tu vois, ce serait un titre généreux, générationnel, un titre qui dit : ici on accueille les espèces à table, entrez , les bêtes, on est à table, on vous fait de la place. C'est un titre ouvert, un titre table ouverte aux bêtes, crié de loin par les enfants. C'est un symptôme. Un manifeste. Crois-moi, c'est le bon titre, Sophie. Un chien, émissaire de l'animalité, d'après Kafka, est invité à la table des humains. Sophie, surtout , garde ce titre."
Après Un ange à ma table, récit autobiographique de Janet Frame (autrice d'ailleurs évoquée dans ce roman , mais pour un autre récit), voici donc Un chien à ma table, où l'on retrouve les thèmes chers à l'autrice: la nature, les animaux, la vie retirée dans une maison isolée dans la montagne avec un compagnon, Grieg, féru de lecture , ainsi que l'écriture bien sûr.
La narratrice, prénommée Sophie, est maintenant octogénaire et elle observe sa relation à ce corps plus aussi souple, qui peine à se mettre en marche le matin. Pourtant l'irruption d'une chienne de berger, victime d'un zoophile, dans la vie de ce couple âgé va leur insuffler une nouvelle énergie, instaurer une nouvelle relation au vivant. Cette chienne, aussitôt baptisée Yes, tant elle semble positive, va se montrer "affamée de langage", ce qui ne peut que réjouir l'écrivaine , Sophie.
Pourtant, en arrière plan de cet heureux trio , l'atmosphère , évoquée par petites touches, est lourde, le danger rôde, les temps ne sont plus à la réjouissance, mais "On peut très bien écrire avec des larmes dans les yeux."
J'ai retrouvé avec bonheur l'écriture de Claudie Hunziger, soulignant à tour de bras les formules qui émaillent ce texte , profitant pleinement de ses analyses et de son écriture tour à tour poétique et ancrée dans le réel. Un roman qui file sur l'étagère des indispensables.
Grasset 2022.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2022, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claudie hunziger
24/08/2022
#Làoùjenousentraîne #NetGalleyFrance !
"Je n'écris pas dans un carnet, sur un écran ou des Post-it, j'écris sur notre mère. "
Ouvrir un roman d'Isabelle Desesquelles c'est partager une brassée d'émotions fortes mais qui ne flirtent jamais avec le pathos. L'autrice parvient en effet toujours à maintenir un équilibre entre ce qu'elle raconte et ce qu'elle suscite chez la lectrice ou le lecteur.
Avec Là où je nous entraîne, d'emblée on devine que cette fois nous allons la suivre au plus près de ce qui fonde son écriture, l'événement traumatique qui a marqué son enfance et l'a menée à l'écriture : "Il y a quarante-six ans une petite fille a commencé à écrire dans sa tête où l'on est deux , l'enfantôme et moi. Elle est l'enfance abolie qui vous hante. Une mère se tue, elle tue l'enfant en vous. L'enfantôme, elle, a refusé de mourir . [...] L'écrire, c'est aller à la source. "
Interrogeant les liens entre réalité et fiction, faisant dialoguer deux textes, l'un consacré à cette petite fille devenue écrivaine qui interroge ses proches sur le suicide maternel, l'autre à une tragédie en route au sein d'une famille marquée par l'écriture et l'intensité des sentiments, Isabelle Desesquelles nous coupe parfois le souffle et nous montre la puissance de l'écriture . Une autrice à son meilleur.
J-C Lattès 2022.
06:00 Publié dans Rentrée 2022, romans français | Lien permanent | Commentaires (4)
23/08/2022
Rivière
" Je suis un Travailleur d'Unité Collective, une Contractuel Plein d'Empathie, un Moine Ouvrier d'Intimité, un Bénévole Terrien de Proximité, bref un homme à tout faire. Tout cela sans me retirer de l'amour."
"Comment vivre encore quand les clartés de l'amour, de la connaissance, de la foi et de la raison s'éteignent brusquement, quand ce qui faisait le sel de la vie disparaît ? " Claire est décédée trop tôt, laissant son compagnon, Jean-Baptiste Rivière inconsolable. Accompagné de son chien, Jean-Baptiste se laisse envahir par les flots de souvenirs de leur jeunesse , de cet amour vécu dans les années 70. Mais le sentiment de révolte s'est émoussé et c'est quasi indifférent que le vieil homme assiste en spectateur à la victoire d'un capitalisme débridé qui saccage la nature et méprise l'humain.
Pourtant, mine de rien, c'est en se tournant vers les autres, en appréciant de nouveau le spectacle de la nature que notre héros va reprendre pied...
Rivière est aussi le récit d'un amour par- delà la mort, Claire continuant à prendre la parole, sans que Jean-Baptiste en soit conscient, un roman lumineux porté par l'écriture maîtrisée et poétique de Lucien Suel. Une éclaircie dans la morosité.
Éditions Cours Toujours 2022.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lucien suel
22/08/2022
#Cherconnarddespentes #NetGalleyFrance !
"Si je parle, je déclenche la haine. Si je me tais, j’étouffe. "
Zoé, jeune femme de trente ans, balance sur les réseaux sociaux le harcèlement dont , attachée de presse débutante, elle a été victime des années auparavant., de la part d'Oscar, romancier un peu connu. Face au déferlement de haine , dont ils sont tous deux victimes , ils vont se rapprocher, sans le savoir, de Rebecca, actrice célèbre , qui doit affronter la cinquantaine et les dix kilos qu'elle a en trop.
Oscar et Rebecca vont échanger des lettres , évoquant d'abord leur enfance commune (Rebecca étant amie avec la sœur d'Oscar), au sein de familles modestes, mais aussi leurs addictions (drogues, alcool). Au fil des messages, faisant face au confinement, leurs relations vont évoluer, allant, peut être vers un apaisement.
Les réseaux sociaux, les luttes intestines entre mouvances féministes, les pressions faites aux femmes (une très belle énumération des dissociations dont elles sont victimes), mais aussi par petites touches, la dégradation d'une société où les machines semblent supérieures aux hommes, Virginie Despentes porte son regard acéré un peu partout et même si parfois cela reste un tantinet superficiel, cela n'en reste pas moins nécessaire.
Tout ce qui concerne les addictions et la manière dont les protagonistes vont s'en défaire est un peu trop détaillé mais présente un point de vue original. Un texte qui fait déjà débat mais dont il faut espérer qu'il laissera de la place aux autres romans de cette rentrée 2022.
Grasset 2022.
06:00 Publié dans Rentrée 2022, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : virginie despentes
19/08/2022
#LeLâche #NetGalleyFrance !
"Suivant qui vous êtes, les handicapés vous apparaissent comme des memento mori, la bonne action de la journée à accomplir, un réceptacle pour votre pitié ou un motif de curiosité. "
Qui est le lâche dans ce roman ? Le fils qui a fugué il y a dix ans sans donner de nouvelles et se retrouve maintenant dans l'obligation d'appeler son père à la rescousse car il est paralysé et sans ressources à la suite d'un accident ; ou le père qui, à la mort de sa femme, a plongé dans l’alcool et la violence ?
Peu importe au fond. L'essentiel est que, bon gré, mal gré les deux hommes vont devoir cohabiter , s'adapter l'un à l’autre , et cela n'ira pas sans mal car si le père a su gommer (en partie) ses aspérités, le fils est une boule de colère contre le destin, contre les autres, mais surtout contre lui-même.
Pas d'autoapitoiement, mais une bonne dose d'humour noir et un regard acéré porté sur le handicap, la manière dont il est vécu de l'intérieur ( le fait que l'auteur soit lui-même en fauteuil n'y est sans doute pas pour rien) et un magnifique portrait , très nuancé, des relations familiales. L'auteur qui signe ici son premier roman fait une belle entrée dans la littérature.
06:00 Publié dans Rentrée 2022, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jarred mcginnis
18/08/2022
Quelque chose à te dire
"Elsa ressentait chaque phrase écrite par Béatrice au plus profond d'elle-même: elle nommait ce qui ce qui ne l'avait jamais été , et à travers ses mots, c'était une vision du monde profonde, neuve, qui affleurait à la conscience. Elle avait le don de vous révéler des parties de vous-même dont vous ne soupçonniez pas l'existence jusqu'alors, des zones inexplorée qui ne demandaient qu'à surgir, à s'affirmer enfin."
Elsa Feuillet, écrivaine encore en devenir, admire profondément l’œuvre de Béatrice Blandy, autrice reconnue, charismatique , qui vient de disparaître.
Contactée par l'époux de cette dernière, Elsa va entamer une relation amoureuse avec lui, suscitant l'ire d'une de ses amies: "Eh bien si les femmes de quarante ans sortent avec les hommes de soixante ans, celle de cinquante avec ceux de soixante-dix, on leur laisse qui à nos mères ? Les cadavres ? ".
Mais Elsa , que tout sépare en apparence de Béatrice (la reconnaissance sociale, l'aisance (dans tous les sens du terme)) va peu à peu s'identifier à celle qu'elle admire tant, n'hésitant pas à emprunter ses vêtements et à visiter le bureau, seule pièce qui lui était interdite. En effet, elle est persuadée qu'un manuscrit inédit de Béatrice s'y trouve...
Jusqu'où ira l'identification à Béatrice ? L'imagination d'Elsa et l'amour de l'écriture ne l'entraîneront-elle pas trop loin ?
Irrigué par les références à Vertigo, le film d'Alfred Hitchcock, le roman multiplie les allusions autobiographiques, accroissant ainsi l'illusion de réel pour mieux troubler le lecteur et flouter la distance entre fiction et réalité.
Carole Fives , dans ce texte dédié "Aux autrices qu' [elle ] aime, à jamais vivantes", analyse avec finesse le processus de création qu'elle scande en trois étapes: admirer, explorer, imaginer , les trois premières parties de ce texte et fait basculer son récit dans le thriller avec la dernière qui donne son titre au roman. Une belle déclaration d'amour à la littérature, à la création et à leurs pouvoirs. Une autrice à son meilleur.
Gallimard 2022
06:00 Publié dans Rentrée 2022, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : carole fives