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27/05/2022
La résurrection de Joan Ashby...en poche
" Elle comprend qu'elle vivait comme cousue de l'intérieur depuis très longtemps et que les coutures commencent à craquer."
Pas de suspense, tout est dans le titre : Joan Ashby finira par renaître. Mais au bout de quel processus, celle qui, très jeune avait écrit deux recueils de nouvelles, encensés par la critique et le public, s'est laissée éloigner de l'écriture par une vie de famille pas totalement choisie ?
Dans ce roman de 636 pages, non dénué de longueurs, mais totalement maîtrisé du point de vue de la structure et un pur régal au niveau de l'écriture, Cherise Wolas ne ménage pas son héroïne, multipliant à l'envi les obstacles sur sa route. Certains sont connus (charge mentale, manque de temps, d'espace à soi, nécessité de faire passer les besoins des autres avant les siens propres...) et communs à bien des femmes, mais d'autres sont spécifiquement liés au monde de la création. Joan Ashby a beau regimber, a beau ruser pour se ménager un espace à la fois mental et physique à elle , une dernière catastrophe vient annihiler ses efforts à la fin de la première partie. Une catastrophe qui détruit à la fois son identité d 'écrivaine et de mère.
Car c'est bien d'identité qu'il s'agit ici, ainsi que des liens qui unissent les membres d'une famille atypique où certains sont si doués qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils entravent les autres. Avec une franchis décapante, une lucidité sans pareille , Joan Ashby décortique les relations mère-fils sans faux semblants ni bons sentiments.
Les deux dernières parties relatant la résurrection de l'écrivaine sont passionnantes, mais notre plaisir est quelque peu gâché par les coquilles et fautes d'orthographe récurrentes. Un grand coup de cœur néanmoins qu'il faut prendre le temps de savourer.
Delcourt 2019, traduit de l’anglais (E-U) par Carole Hanna
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cherise wolas
26/05/2022
Le dernier bain de Gustave Flaubert...en poche
"Le style, cette puissance, ce couperet, cette déflagration. Le style qui recrée le monde à force de s'en emparer, de le réfléchir, d'en construire un double sublime."
C'est à un véritable tour de force, stylistique et romanesque que nous convie ici Régis Jauffret dans cette biographie romancée de l'auteur de Madame Bovary.
Flaubert prend donc son dernier bain, sera sans doute ensuite victime d'une crise d’épilepsie puis d'une attaque cérébrale.
Dans cet entre-deux, Jauffret imagine donc les hallucinations, les souvenirs, vrais ou faux, les apparitions de personnages de romans qui viennent demander des comptes (en particulier celle qui se montre la plus vindicative, Emma Bovary), des anecdotes peu reluisantes qui disent la vérité d'une époque et brossent un portrait, non pas en majesté, mais en déliquescence, du vieil auteur qui profitait autrefois, avec avidité et égoïsme ,des plaisirs de la vie.
Nous sommes donc emportés dans un maelstrom charriant aussi bien des considérations sur les mots, le style, les procès, la censure (dont furent à la fois victimes les deux écrivains), les amours, le tout dans un style puissant et gourmand de mots. On y trouvera aussi bien des mots contemporains de Flaubert que des mots du XXI siècle employés par l'auteur de Bouvard et Pécuchet car, Flaubert peut à la fois être mort et sur le point de mourir dans ce roman qui se joue de la temporalité avec maestria. Flaubert lui-même ne se penche-t-il pas , dans une fascinante mise en abîme sur sa postérité et sur le "saligaud de son espèce" qui "s’emparerait de celui qu il fut" ?
Car oui, en plus d'être brillant ce texte est bourré d'humour (noir, façon Jauffret, bien sûr). Un chutier (dont la taille de police est juste bonne à nous crever les yeux) complète le plaisir en nous offrant, non pas les scories, mais tout ce qui n'a pu trouver place dans ce roman magistral.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : régis jauffret jauffret
24/05/2022
La fille qui voulait voir l'ours
"Je ne me suis jamais senti aussi humaine et pleine vie que dans ce cosmos sylvestre. J'y ressens la palpitation du monde. J'imagine les flux de sève dans les arbres, les racines exploratrices du sol, les usines à chlorophylle des feuillages.
Mais je sens aussi mes limites à écouter, sentir, comprendre tout ce qui m'entoure. "
Acheté un peu par hasard, beaucoup pour travailler sur le thème du voyage en privilégiant le voyage au féminin, ce récit de Katia Astafieff a dépassé mes espérances par sa fluidité d'écriture, son humour, son attention aux autres et à la nature et surtout sa volonté de ne pas se poser en héroïne.
La narratrice ne nous cache rien de ses échecs, de ses limites physiques et surtout détaille bien les problèmes spécifiques qui se posent aux femmes en matière de préparation logistique: quid du soutien-gorge , comment résoudre le problème des règles en conciliant efficacité et légèreté car il faut veiller à ne pas trop se charger. Et la voilà partie sur le sentier international des Appalaches en plein été...
Un récit qui détonne agréablement comparé à ceux de certains de ses confrères masculins...
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : katia astafieff
23/05/2022
La gaufre vagabonde
Quand un auteur nous livre la définition de son texte, pourquoi se priver ?: "Alors quel style de poésie convient le mieux aux plaines betteravières ? Celui que nous employons à l'instant, digressif, discursif et évolutif. " Car ici la gaufre est un prétexte pour évoquer, au fil des souvenirs, un mot en entraînant un autre par le jeu des allitérations ou des assonances, le pays de l'enfance, de la gourmandise, de l'écriture bien sûr, au sein d'un itinéraire faussement erratique mais vraiment cultivé et poétique.
Au fil des chapitres, nous glanerons en chemin la liste des ingrédients pour confectionner cette fameuse gaufre liégeoise, mais surtout l'envie de découvrir davantage l’œuvre de cet auteur.
Éditions Cours toujours 2018
06:00 Publié dans Objet Littéraire Non Identifié | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : jacques darras
20/05/2022
Tout le bonheur du monde... en poche
"-J'ai l'impression d 'avoir engendré des poupées russes, dit Marilyn. Dès qu'on croit en avoir fini avec l'une, une autre surgit avec un paquet de Camel à la main.
- C'est sans doute le danger de la production de filles en série."
Les sagas familiales en sont pas vraiment ma tasse de thé. Les livres de 698 pages non plus, d'ailleurs . Et pourtant j'ai adoré l'histoire de cette famille de quatre sœurs dont les parents semblent vivre un amour sans faille et donc placent la barre très (trop ? ) haut pour leurs filles.
On ne se perd pas dans une flopée de personnages, l'histoire reste centrée sur cette famille et les "pièces rapportées "qui s'y agrègent ou non.
Claire Lombardo a su nuancer ses héros, leur donnant des caractères bien défini et à multiples facettes. Les relations à géométrie variable entre les filles sont particulièrement bien décrites et on ne se perd pas dans la chronologie qui est pourtant chahutée.
La toute jeune autrice ne embarrasse pas de bons sentiments et n'hésite pas à nous montrer que les vieux couples peuvent encore (au grand dam parfois de leur progéniture) avoir une vie sexuelle et à nous décrire les conséquences physiques et morales peu glorieuses d'un accouchement.
Gare, c'est le genre de roman qu'on ne peut pas lâcher tant les rebondissements sont nombreux et tant on s'attache aux personnages !
Traduit de l’anglais (E-U) par la virtuose Lætitia Devaux.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : claire lombardo
19/05/2022
#LesAffinitéssélectives #NetGalleyFrance !
"A trente et un ans, elle n'arrivait toujours pas à accepter que l'on autorise et encourage certaines personnes à poursuivre leurs passions tandis que d'autres n’auraient jamais l'opportunité de le faire. "
L'une, Elisabeth, a écrit un roman et vient d'avoir un enfant. Elle s'ennuie dans une petite ville, bien trop loin de New York. L'autre, Sam, est une étudiante, d'origine modeste, dont l'avenir est déjà entravé par des prêts contractés pour payer ses études.
Elisabeth va embaucher Sam pour garder son fils et vite s'enticher de la jeune femme dont elle entend bien révéler le potentiel artistique. Mais l'ingérence dans la vie amoureuse et professionnelle des autres est-elle vraiment une bonne chose ?
Tout est un peu trop parfait, trop lisse, dans ce roman qui entend pourtant dénoncer certains faits économiques et surfe sur l'air du temps en mentionnant par exemple les groupes sur les réseaux sociaux et autres influenceuses. Mais cela reste bien timide et les problèmes financiers sont trop vite résolus...
Il n'en reste pas moins que l'écriture fluide de l'autrice fait que l'on tourne les pages sans déplaisir. Un bon gros pavé estival qui fait le job.
Éditions les Escales 2022. Traduit de l'anglais (E-U) par Caroline Bouet.560 pages.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : j. courtney sullivan
18/05/2022
Un colosse...en poche
"Jean-Pierre sera glorieux, mais il continuera à travailler la terre."
Jean-Pierre Mazas naît dans le sud-ouest de la France en 1847 et ne commence à grandir de manière démesurée qu'à partir de 16 ans . Ce gigantisme facilité sa tâche de laboureur mais bientôt il deviendra aussi lutteur et sa notoriété dépasseras frontières.
Pascal Dessaint, délaissant le roman noir, se penche ici sur une destinée hors-normes, celle d'un homme qui finira phénomène de foire et curiosité scientifique dans un monde qui évolue très rapidement par certains côtés, mais conserve aussi certains vestiges du passé.
Le romancier mène l’enquête, rétablit quelques vérités et/ou approximations et peint un tableau plein de vie d'une société qui exhibe sans honte ceux qu’elle considère comme des monstres. C'est donc l'histoire d'un corps, mais aussi d'un paysan, tous deux voués à un destin tragique que nous propose Pascal Dessaint.Un récit court, un peu plus de 120 pages, mais dense.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal dessaint
17/05/2022
La Jungle
Comment évoquer pour les enfants le thème des migrants sans tomber dans la mièvrerie ou le voyeurisme ?
Ludovic Joce y parvient avec une grande délicatesse en relatant la rencontre fortuite (et brève) entre Lucas, arrivé depuis peu à Calais et Seyoum, un jeune africain qui habite La Jungle.
En quelques pages, illustrées avec beaucoup de douceur par Nathalie Lagacé, le jeune lecteur peut prendre contact avec une réalité dont la brutalité n'est pas gommée, mais évoquée par petites touches. Un héros qui évolue au fil du texte et des personnages qui resteront gravés dans la mémoire font de ce roman une réussite.
Éditions Alice 2022.
06:00 Publié dans Jeunesse | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ludovic joce
16/05/2022
Le pays des phrases courtes
"Personne ne veut savoir comment tu vas, dit-il .Souviens-toi de ça. "
Pièce rapportée, l'héroïne et narratrice de ce roman l'est à plus d'un égard. Son compagnon a été embauché dans une école d'un type particulier , privilégiant les arts, dans une région rurale du Danemark. Enseignants et élèves forment une communauté, quasi une secte aux dire d'une autre pièce rapportée, et si cette appellation est formulée avec humour, il n'en reste pas moins que la narratrice se sent fortement décalée et peine à créer des liens d'amitié avec une population trop laconique à son goût.
Expansive, peinant à obtenir son permis de conduire, jeune mère analysant avec acuité et humour les perturbations engendrées par cette naissance, nous la suivons dans ses tribulations, le tout ponctué par les lettres drolatiques et les réponses hautes en couleurs qu'elle fournit en tant qu'"oracle" dans le journal local, sorte de courrier du cœur, emploi que lui a procuré la directrice de son mari. L'écriture de chansons satiriques lui permet aussi de tenir le coup dans cet univers si étrange à ses yeux.
Le point de vue décalé, fin et plein d'humour, l'écriture alerte et les personnages croqués à ravir font de cette lecture un pur délice. J'ai surligné à tour de bras et j'ai déjà hâte de voir traduit un autre roman de cette autrice .
Éditions Le Bruit du monde 2022.
Traduit du danois par Catherine Renaud.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : stine pilgaard
14/05/2022
L'octopus et moi
" C'est parce que les pieuvres voulaient dire quelque chose pour moi: quelque chose qui parle de sacrifice féminin, de persévérance, de la futilité de tout ça, quelque chose qui dit que nos corps peuvent rater , ou peuvent être forcés de rater, et que pourtant on continue comme on peut..."
Lucy , jeune femme australienne qui vit et travaille en Tasmanie, rencontre une nuit une pieuvre qui cherche à traverser une route pour rejoindre la mer et y pondre ses œufs. Rencontre improbable et violente qui va mettre le corps de Lucy a rude épreuve (alors qu'il a déjà été mis à mal par le cancer ) et la forcer à reconsidérer tout à la fois ce qui fait sa féminité et sa place dans la Nature.
Ce roman est tout à la fois l'occasion de découvrir un territoire sauvage, ses habitants (qui se définissent eux-mêmes en "bouseux" ou "hippies") , un territoire malmené par certains alors que d'autres essaient, parfois juste en paroles de le préserver.
Il est aussi question de la volonté de "ne pas seulement vivre de la nature mais dans la nature, l'immersion.", ce qui ne va pas sans rudesse ni contradictions. Et c'est bien ce qui fait, en plus de l'écriture précise et poétique de ce premier roman, la richesse de ce texte.
Lucy se cherche, tâtonne, commet des erreurs et n'assène jamais de vérités inébranlables. Son rapport au corps, tout comme ses sentiments, évolue et les passages consacrés à certains animaux proposent des contrepoints originaux. L'humain n'est donc pas le seul ici à donner son point de vue.
roman où il est aussi question de conserves, de tricot, de pêche et de tout ce qui peut paraître banal, mais crée du lien. Un roman souvent sur le fil et qu'on ne peut lâcher qu'à regret.
Traduit de l’anglais (Australie) par Valentine Leÿs, Éditions Dalva 2021.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : erin hortle