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31/08/2020

les gratitudes...en poche

"Je chéris le tremblement de leurs voix. Cette fragilité. Cette douceur. Je chéris leurs mots travestis, approximatifs, égarés , et leurs silences."

Même s'il y a bien eu des signes avant coureurs, c'est venu d'un coup:  Michka la vieille dame chérie par Marie, ne peut plus rester seule. Les mots lui échappent de plus en plus et elle est tombée dans son salon.
Placée en Ehpad , la vieille dame reçoit régulièrement la visite de Marie,ainsi que celle d'un orthophoniste, Jérôme.9782253934288-001-T.jpeg
Leurs points de vue , ainsi que celui, biaisé de Michka, qui raconte de manière cauchemardesque des événements dont on ne sait s'ils sont réels ou rêvés, alternent pour brosser de manière sensible et tendre le portrait de cette femme qui s'éloigne de plus en plus de celle qu'elle a été.
Tourmentée par une gratitude qu'elle n'a pu exprimer, Michka sera aidée par ses deux amis pour mener à bien cette mission.
On ne peut qu'être séduit par la délicatesse dont fait preuve à son habitude Delphine de Vigan.
Seul bémol : la volonté de vouloir à tout prix terminer sur une note trop optimiste, ce qui gâche un peu le plaisir du lecteur.

30/08/2020

Bacchantes...en poche

e vin est devenu un investissement , soigneusement gardé ,dans d'anciens bunkers à Hong-Kong. Alors qu'un typhon menace, faisant grandir la tension dramatique, trois femmes réussissent à s'introduire dans ce lieu ultra sécurisé. Commence alors un face à face entre les braqueuses ultra chic retranchées à l'intérieur et les forces de police dirigée par Jackie Thran...418RokujgJL._AC_UY218_.jpg
En un peu plus d'une centaine de pages , Céline Minard revisite le film de braquage, en une version ultra sophistiquée, qui bouleverse les règles du genre. Ses héroïnes sont de contemporaines Bacchantes qui redonnent tout son sens au breuvage célébré par Bacchus. C'est élégant et mené de main de maître.

29/08/2020

#Lumièredétépuisvientlanuit #NetGalleyFrance

" Comment s'y prend-on pour faire ses adieux à une montagne, comment se défaire des touffes d'herbe, des brins de paille et des petits cailloux devant la maison ? "
Un village de quatre cents âmes perdu au milieu de la campagne islandaise. Ses habitants, parfois hauts en couleurs, travaillés par la solitude, l'usure des couples, le désir amoureux, l'envie de partir, la violence, la bienveillance, bref par tous les sentiments qui agitent un microcosme observé avec beaucoup de bienveillance par l'auteur. jón kalman stefánsson
La mort est souvent présente, parfois cruelle, parfois choisie, et irrigue constamment ce texte qui tient à la fois du conte et de la poésie.
Laissez-vous embarquer par cette lecture-fleuve qui fait aussi la part belle à la Nature.

Magnifique traduction de l'islandais d 'Eric Boury.jón kalman stefánsson

Grasset 2020

28/08/2020

#Glory#NetGalleyFrance

"Les flics, les avocats, les professeurs, les hommes d'église, le juge et les jurés, les gens qui ont élevé ce garçon avant de l'envoyer dans le mode - ils sont"tous coupables."

Gloria Ramirez, quatorze ans, arrive à se traîner jusqu'à la véranda d'une ferme paumée du Texas. Elle vient d'être violée et furieusement tabassée par un beau gosse de vingt ans, fils de pasteur. Il faudra tout le sang-froid et la détermination de Mary Rose Whitehead pour que cette enfant échappe à son poursuivant.
Dans cette région pétrolifère, en 1976,  l'or noir tue indifféremment les hommes et la nature. Les femmes, elles, sont majoritairement assassinées par des hommes. Programmées pour faire des enfants, elles doivent materner aussi leurs maris, être là pour leur bien-être et bien peu d'entre elles ont la chance de faire des études, enceintes dès la fin du lycée et mariées dans la foulée. Les différents groupes religieux se chargent de les maintenir dans le droit chemin. Quant au racisme, il est froidement assumé. La violence est présente, aussi bien dans le climat que dans les mœurs, en témoigne l’équipement d'une patronne de restaurant: "Derrière le comptoir, elle garde un antique pistolet à bétail paralysant, pour les problèmes courants, et un fusil à pompe pour les situations incontrôlables."elizabeth wetmore
Mais, heureusement, toutes les femmes ne s'accommodent pas de cet état de faits et nombre d'entre elles mettent en place des stratégies pour échapper à leur condition.
Roman choral qui nous propose un bien belle galerie de portraits de femmes, Glory possède tout à la fois une structure efficace et des personnages aux caractères bien trempés, chacune à leur manière. Pas de bons sentiments, mais un vent de révolte qui emporte le lecteur et ne lui fera pas oublier de sitôt Corrine, Marie Rose et les autres. Un grand coup de cœur.

Glory, Elizabeth Wetmore, traduit de l'anglais (E-U) par Emmanuelle ARONSON

Éditions Les escales 2020elizabeth wetmore

 

27/08/2020

La belle Lumière

"Ce paysage est celui d'une contrée dont la langue est plus hermétique que le sanskrit ou le japonais. Car ce n'est pas d'une langue qu'il s'agit, bien sûr, c'est d'un corps, un corps combattant."

D'Helen Keller on connaît bien sûr l'histoire extra-ordinaire de cette enfant devenue sourde, muette et aveugle  qu'une éducatrice hors-normes parviendra à faire communiquer avec le monde extérieur, de manière à ce qu'elle soit "Accueillie dans le monde des hommes."Livres, films déclinent à l'envi cette renaissance et font d'Helen une figure emblématique.angélique villeneuve,helen keller,kate keller
Angélique Villeneuve, elle, choisit de mettre en lumière la mère d'Helen, Kate, de montrer leur relation fusionnelle , pétrie d'amour et de culpabilité, et la déchirure que représente  la nécessité de la séparation pour qu'Helen puisse ne plus être envisagée comme un cas désespéré.
Nous sommes en Alabama en 1880, les tensions raciales  sont toujours présentes et les libertés des femmes sont réduites à la portion congrue. Pourtant, Kate parviendra à lever tous les obstacles pour que Helen  ne soit plus  cette "petite fille folle que le monde voudrait savoir morte."
Avec La Belle Lumière, l'autrice de Maria poursuit son exploration fouillée et sensible des thèmes qui irriguent son œuvre : le corps féminin,  la maternité et  la place accordée aux femmes par la société. Elle brosse ici un portrait riche et marquant d'une mère restée dans l'ombre, comme c'est trop souvent le cas. L'écriture est fluide, enlevée et rend compte au plus près de la relation entre les corps féminins. Un livre magnifique.

Éditions le Passage 2020, 238 pages piquetées de marque-pages.

Sur le blog d Antigone, plein de liens !

26/08/2020

La femme intérieure

"La maison avait glissé dans une réalité alternative, le calme sublime qui enveloppe une espace quand ses habitants non domestiqués sont, enfin, au repos."

Molly, paléobotaniste, participe à des fouilles dans une ancienne station-service. Dans la Fosse où travaille l'équipe différents objets , dont une Bible où le pronom "elle" remplace le "Lui" habituel , perturbent la logique temporelle et attirent les foudres de nombreux croyants.
L'autre moitié de la vie de la jeune femme est occupée par ses deux jeunes enfants dont elle va devoir s'occuper seule pendant une quinzaine de jours, son mari étant à l'étranger pour son travail.
Une existence bien remplie et bien fatigante donc, ce qui explique  peut-être pourquoi Molly, après différents incidents pour le moins étranges aimerait confier à son mari une vérité dérangeante :"Il existe une autre version de moi. Elle est venue par la Fosse. Ses enfants sont morts. Elle veut nos enfants."helen phillips,claro
Le tour de force de Helen Phillips est de présenter son héroïne à la lisière de deux réalités juxtaposées qui peuvent facilement apparaître étranges, tout en restant banales en apparence. Il y a le  quotidien cérébral d'une scientifique et sa réalité  biologique de mère allaitante :"Elle allait pousser la porte et s'avancer dans son autre vie, cette vie animale et secrète dans laquelle elle coupait des pommes, décongelait des petits pois, torchait des petits culs et laissait son corps se faire traire sans cesse et se remplir sans cesse."
Mais l'autrice  n'en ménage pas moins une tension extrême entre ces deux mères tellement semblables qui veulent toutes deux les enfants et semblent prêtes à tout. Même à établir une relation en apparence pacifiée :"Une étrange camaraderie avec la personne qu'elle voulait éliminer, la personne qui voulait l'éliminer."
Utilisant un montage alterné, procédé cinématographique très efficace , Helen Phillps fait monter le suspense et trouve une manière originale de résoudre le problème posé à son héroïne.
Il émane de ce roman une grande puissance , tant par sa tension dramatique, que par sa manière d'utiliser le genre fantastique, un fantastique qui fait la part belle au quotidien, scruté avec une extrême attention , repérant "Les innombrables motifs de chantage que nous avons tous sur nous.", décrivant au plus près la réalité corporelle d'une mère, ses failles et ses forces insoupçonnées.  Un style fluide et plein de notations surprenantes ajoute au plaisir de lecture.Un grand coup de cœur qui file directement sur l'étagère des indispensables.

La Femme Intérieure Helen Phillips, traduit de l’anglais (E-U) par Claro, un gage de qualité, Éditions du Cherche-Midi 2020, 411 pages dévorées d'une traite.

  Merci au Picabo River Book Club et à l'éditeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

25/08/2020

#Unefaroucheliberté #NetGalleyFrance

"Ravie que des ferments de révolte se multiplient de par le monde. heureuse que le mot "féminisme" soit en pleine renaissance. Confiante dans la capacité des femmes à innover et puiser de la force dans leur parcours d’opprimées. La révolte intacte."

Alors que vient de disparaître Gisèle Halimi , paraissent ces entretiens avec Annick Cojean. Celle qui dès son enfance en Tunisie lutta pour la cause des femmes et se révolta contre l'injustice retrace ici avec la journaliste du Monde les grandes étapes de son parcours d'avocate, de militante féministe, de femme politique également (même si ce ne fut guère une réussite). annick cojean,gisèle halimi
Elle éclaire également ses motivations plus intimes : être aimée par sa mère, ne plus se sentir étrangère en France.
Elle transmet enfin quelques conseils aux "jeunes femmes qui préparent le monde demain": d'abord l'indépendance économique, ensuite l’égoïsme car "Les femmes ont trop souvent le sentiment que leur bien-être doit passer après celui des autres". Elle ajoute également"refusez l'injonction millénaire de faire à tout prix des enfants"car "la maternité ne doit pas être l'unique horizon.""Enfin, n'ayez pas peur de vous dire féministes. C'est un mot magnifique, vous savez. C'est un combat valeureux qui n'a jamais versé de sang."
Une belle énergie pour une femme âgée alors de quatre-vingt-treize ans .

Grasset 2020

24/08/2020

Les billes du pachinko...en poche

"Ce n’est pas ma faute, je pense, si je ne raconte rien. Si j'oublie le coréen. Ce n'est pas ma faute si je parle français. C'est pour vous que j'ai appris le japonais. C'est les langues des pays dans lesquels on vit."

Claire passe l'été chez ses grands-parents Coréens du Sud que la guerre a exilés depuis cinquante ans à Tokyo. La communication est difficile car ses grands -parents vivent dans une enclave coréenne et refusent de parler la langue de leur pays d'accueil.Pourtant, l'amour est bien présent et circule entre les générations.
Ses grands-parents différant toujours le projet de visiter leur pays natal, Claire, pour occuper son temps donne des cours de français à une jeune japonaise, Mieko, élevée seule par sa mère.elisa shua dusapin
Comme dans le précédent roman de Elisa Shua Dusapin, Hiver à Sokcho,( découvert en poche récemment et que j'ai beaucoup aimé ), en apparence, il ne se passe presque rien, mais la romancière excelle à peindre ce qui est tu et ne se devine qu'à partir de notations ténues. Un roman vibrant et émouvant.

Les grands cerfs ...poche

"Je découvrais "l'effet affût": le monde arrive et se pose à nos pieds comme si nous n'étions pas là. Comme si nous n'étions pas, tout court. On constate que le monde se passe de nous. Et même davantage: il va mieux sans nous."

"Un tonnerre de beauté", telle est la première métaphore pour désigner l'un de ces êtres magnifiques qui donnent son titre au nouveau roman de Claudie Hunziger. Cette apparition nocturne, dans la lumière des phares le 29 octobre 2017 va déclencher une nouvelle étape d'un processus né de la rencontre avec un photographe animalier se consacrant uniquement aux cerfs, Léo.claudie hunzinger
Ce dernier a demandé à la narratrice -qui ressemble fortement à l'autrice-,des années auparavant, l’autorisation d'installer un affût sur un terrain des Hautes-Huttes, nouvelle appellation à ce lieu retiré ,parfois appelé Bambois dans d'autres textes de Hunziger. A commencé alors une amitié en pointillés, Léo toujours sur la réserve, pendant laquelle le photographe a distillé ses connaissances sur les différents cerfs de ce coin des Vosges.
La narratrice , fascinée par la beauté des cervidés, prend aussi conscience des enjeux économiques qu'ils représentent pour des intérêts contradictoires: ceux des chasseurs et ceux de l'Office National des Forêts. Intérêts contradictoires mais ayant quand même pou runique résultat la destruction des cerfs.
Ce roman est une splendeur,  par la langue, à la fois ultra précise concernant le vocabulaire spécifique lié aux cerfs, que poétique. C'est à un véritable bain de nature que nous convie Claudie Hunziger, bain alarmiste toutefois car l'autrice tire aussi la sonnette d'alarme sur la disparition des espèces animales et végétales, qu'elle a pu elle-même constater en une dizaine d'années.
Un roman qui file sur l'étagère des indispensables

23/08/2020

Trencadis

"Trencadis est le mot (catalan) qu'elle retient. une mosaïque d’éclats de céramique et verre , lui explique-t-on. De la vieille vaisselle cassée et recyclée pour faire simple. Si je comprend s bien le Trencadis est une cheminement bref de la dislocation vers la reconstruction. Concasser l'unique pour épanouir le composite, broyer le figé pour enfanter le mouvement, briser le quotidien pour inventer le féérique, c'est cela ? Elle rit: ça devrait être presque un art de vie, non ? "

Caroline Deyns, dans ce roman a choisi de privilégier des moments forts de la vie de Niki de saint Phalle. Une vie où le corps féminin est extrêmement présent  car "Le fait est qu'elle possède un corps à géométrie variable, extraordinairement réactif au milieu qui l'entoure, des tripes modulables et rétractiles qu'un espace charpenté au cordeau parvient à compacter au format cube à angles aigus."
Un corps d'abord sujet , objet des violences de la mère (coups de brosse) puis abus sexuels du père, un corps qui lui permettra de devenir modèle de mode, puis sujet quand la rebelle deviendra une artiste s'emparant de toutes sortes de formes artistiques.caroline deyns,niki de saint phalle
Une femme qui vivra plusieurs passions amoureuses, dans une grande liberté bien en avance sur son époque, qui extraira de son "magma d'émotions intimes", des œuvres toujours accessibles comme le souligne  Carolyne Deyns. Et l'écriture de devenir un flot charriant les émotions de Niki, mais aussi une peinture sans affèteries du corps vieillissant de l'artiste, imaginant le dialogue par delà la mort avec Jean Tinguely , qui fut à la fois son compagnon dans la vie et dans l'art.
Un roman plein d’énergie qui rend compte avec talent d'une existence riche et multiple.

Quidam 2020

 

Une lecture qui vient compléter cette courte biographie : clic