« 2017-01 | Page d'accueil
| 2017-03 »
13/02/2017
Nouvelles définitions de l'amour
"Nous sommes un couple uni dans nos précipices, dit Rudi Thomas après un long silence, et il pose son micro sur la table basse devant lui."
Les histoires d'amour, surtout dix à la suite, ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. Mais, j'ai dévoré goulument ces textes de Brina Svit, appréciant les changements d'ambiance, de tons, son art de l'ellipse, sa sensibilité et sa volonté de ne pas céder à l'art trop usité de la chute, encore moins à la volonté de porter un jugement sur ses personnages.
Avec une prose en apparence très simple, la nouvelliste brosse le portrait de personnages en rupture, à des moments charnières de leur existence mais sans jamais forcer le trait, appuyer sur le pathos. Les fins, souvent ouvertes, laissent libre cours à notre imagination et ne débouchent pas forcément sur le happy end de rigueur.
Suivant son âge, ou sa situation personnelle on s'attachera davantage à telle ou telle nouvelle, mais on appréciera dans toutes le choix pertinent de détails qui permettent de donner de la chair aux personnages: l'art de confectionner un repas succulent avec presque rien, une collection de chaussures ou de noms d'oiseaux, le fait de ne pas posséder de table pour prendre ses repas...
Sans avoir l'air d'y toucher, Brina Svit dynamite en douceur les clichés amoureux ( l'usure du temps, la mort qui rôde, la deuxième chance, l'éloignement, la peur de la solitude, l’amitié amoureuse, les différences de tous ordres...) et nous quittons son recueil le sourire aux lèvres. à lire et relire !
Nouvelles définitions de l’amour, Brina Svit, Gallimard 2017
Kathel et Cuné m'avaient donné envie.
De la même autrice: clic
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : brina svit
07/02/2017
Dans la forêt
"Avant j'étais Nell, et la forêt n'était qu'arbres et fleurs et buissons. maintenant , la forêt, ce sont des toyons, des manzanitas, des arbres à suif, des érables à grandes feuilles, des paviers de Californie, ses baies, des groseilles à maquereaux, des groseilliers en fleurs, des rhododendrons, des asarets, des roses à fruits nus, des chardons rouges, et je suis juste un être humain, une autre créature au milieu d'elle."
Nell et Eva, dix-sept et dix-huit ans sont sur le point de quitter le domicile familial au cœur de la forêt pour que l'une s'inscrive à Harvard et l'autre vive son rêve de danse.Las, la civilisation bascule, l'essence, l'électricité disparaissent, après la mère, c'est le père qui meurt à son tour. Les deux jeunes filles, à l'écart de la ville vont donc devoir, seules, survivre en autarcie au sein d'un univers sylvicole qu'elles ne connaissent que de manière superficielle.
Emprunt de sensualité, le roman de Jean Hegland ne dépeint pas ses héroïnes dans une volonté de domination de la nature, voire de reconquête de la civilisation à toutes forces. D'abord dans le déni, puis dans l'abattement, elles se raccrochent chacune à leur passion, l'étude, la danse, et il leur faudra un long temps pour se réapproprier la forêt, inconnue et menaçante.
On sent même de la part de la narratrice, Nell (porte-parole de l'autrice ?), l'idée d'une certaine acceptation d'un état de faits dont il faut s'accommoder de la manière la moins mauvaise, car cette disparition d'une civilisation n'est pas une nouveauté dans l'Histoire. à nous d'éviter de commettre de telles erreurs, un message que les deux sœurs semblent nous adresser .
Un roman puissant et sensuel.
Dans la forêt, jean Hegland, traduit de l’américain par Josette Chicheportiche, Gallmeister 2017, 301 pages piquetées de marque-pages.
Noukette recense tous ceux qui l'ont aimé !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : jean hegland
06/02/2017
Le dimanche des mères
"...en ce jour unique entre tous, où c'était le monde à l'envers, se placer, lui seigneur des seigneurs qu'il était, dans le rôle du serviteur."
Angleterre, printemps 1924. C'est Le dimanche des mères (rien à voir avec ce qui sera instauré plus tard),le jour où les aristocrates donnent congé à leurs domestiques pour qu'elles puissent visiter leurs mères. Un jour où il fait exceptionnellement beau, de quoi donner à Jane, la femme de chambre orpheline,envie de lire au soleil un des romans d'aventure que lui prête son employeur, ou de parcourir la campagne à bicyclette. Elle rejoindra plutôt le fils des aristocrates voisins, dernier survivant d'une fratrie fauchée par la guerre 14.
Arrivés là, vous vous dites qu'on peut déjà dérouler à l'avance le fil de l'histoire et, comme moi, vous aurez tort. D'abord, parce que la relation qui s'établit ce jour-là entre les deux amants est très particulière, emplie de sensualité , de liberté, de renversement de situation comme annoncé dans la citation de ce billet. Ensuite parce qu'au milieu du roman, un événement surgit, qui va totalement changer la donne et sera même l'occasion à la fin du roman d'une nouvelle interprétation. Enfin, parce que Graham Swift titille notre curiosité en parsemant son texte d'indices qui donnent à penser que la destinée de Jane va prendre une toute autre direction.
De magnifiques images,celle d' une femme nue s'appropriant une demeure où elle n'a pas sa place, la peinture d'un monde déliquescent, où les seuls véritables vivants sont les domestiques, une domestique intelligente et primesautière qui saura prendre son destin en main, font de ce roman un indispensable !
Le dimanche des mères, un roman de 144 pages lumineuses, commencé sur la seule foi du nom de l'auteur, traduit de l'anglais par Marie-Odile Fortier-Masek, Gallimard 2017.
Du même auteur clic.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : graham swift
03/02/2017
Les livres prennent soin de nous...en poche
Ce n'est pas facile de dire à un tiers ce que l'on a vécu, et qui fait qu'on ne va pas bien. à qui en parler ? à un proche ? C'est prendre le risque d'être renvoyé au silence ou de l'entrainer dans son propre malheur. à un psychologue ou un psychiatre ? Mais le patient refuse souvent ce recours. Restent les livres et le bibliothérapeute."
Encore mal connue en France, la bibliothérapie se propose de restaurer un espace à soi par l'intermédiaire des livres.
Rien à voir avec le développement personnel "Car il faut qu'un livre soit plurivoque, un épais feuilletage de sens et non une formule plate, conseil de vie ou de bon sens, pour avoir le pouvoir de nous maintenir la tête hors de l'eau et nous permettre de nous recréer." Et Régine Detambel de célébrer la métaphore ainsi que l’aspect plurisensoriel du livre.
L'intuition doit présider au choix des livres, pas de systématisme dans les prescriptions ,car un même livre pourra se révéler remède ou poison selon son lecteur.
Telles sont donc les grandes lignes de cette thérapie que l'auteure, kinésithérapeute de formation , enseigne sous sa forme créative à Montpellier. Un avant-goût qui donne envie d'approfondir cette piste.
Babel 2017, avec une préface qui resitue un peu les faits par rapport à la polémique et aux accusations de plagiat (R. Detambel citent les personnes pionnières dans cette discipline).
06:00 Publié dans l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : régine detambel
02/02/2017
Le grand n'importe quoi...en poche
-Si possible, il faudrait éviter le centre. Il y a des culturistes à mes trousses, des policiers à ma recherche, des extraterrestres sur mes talons, et le père Cadick qui patrouille avec sa carabine."
Bienvenue (ou pas) à Gourdiflot-le-Bombé, sa rue du Poney myope, son impasse du Marcassin Boiteux et ses habitants tous plus frappadingues les uns que les autres. Arthur aurait sans doute mieux fait de refuser l'invitation de Framboise, cela lui aurait éviter de se retrouver coincé dans une boucle temporelle, "pour vivre des situations toujours plus humiliantes" en compagnie de lémuriens et de quelques extraterrestres. L'occasion pour lui de trouver un sens à sa vie et accessoirement à la nôtre. Oui, rien que ça.
Il faut pas mal de culot pour oser intituler son roman Le grand n'importe quoi car si le contenu n'est pas à la hauteur des objectifs,le titre risque de se retourner contre son auteur !
Et pourtant , le pari est tenu: J.M.Erre s'en prend cette fois à l'univers des romans et films de science-fiction qu'il passe à la moulinette et secoue dans son shaker déjanté , y ajoutant quelques zeugmas "puis il prit en même temps une bouteille et un air menaçant", un soupçon de virelangue "un grand gras à gros goitre", force personnifications et autres ingrédients pleins d'humour dont il a le secret.
On pourra regretter une petite baisse de forme vers la fin ,qu'une pirouette de dernière minute ne parvient pas vraiment à sauver, mais c'est un bon moment de lecture déjantée dont on aurait tort de se priver.
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : j.m. erre
01/02/2017
Attachement féroce
"J'avais dix-sept ans, elle cinquante. Je n'étais pas encore une belligérante aguerrie, juste une adversaire respectable, tandis qu'elle était au summum de son art. Les lignes de front étaient bien tracées, et ni l'une ni l'autre ne se dérobaient au combat. On se jetait systématiquement sur l'appât de l'autre. Nos crises n'étaient pas sans impact sur l'appartement: la peinture cloquait, le linoléum se craquelait, les vitres tremblaient. Nous n'étions jamais très loin d'en venir aux mains et, à plusieurs reprises, nous avons frisé la catastrophe."
Une mère et sa fille arpentent les rues de New-York.C'est laplus jeune qui raconte ces promenades suscitant des souvenirs, des récits, des portraits saisissants de vérité, tout un univers populaire qui resurgit. Petit à petit se construit la trame d'une relation mère/fille, à la fois intense, étouffante mais impossible à dénouer tant l'amour et la haine y sont intrinsèquement mêlés.
La mère se révèle un personnage à multiples facettes, tantôt s'abandonnant avec une sorte de jouissance à la douleur du veuvage, tantôt relevant la tête et travaillant pour élever son fils et sa fille. La communication ne semble guère passer entre les deux femmes, la fille ne parvenant pas , par exemple, à transmettre ses enthousiasmes, aussitôt "douchés"par la mère.Pourtant, l’amour entre elles est bien réel.
"Attachement féroce"cette alliance surprenante de mots est un procédé qui revient à plusieurs reprises dans ce récit autobiographique pour souligner toute l’ambiguïté et l’intensité des sentiments décrits. En effet, on a parfois le sentiment d'étouffer dans ce récit ,surtout quand la mère reste confinée dans son salon, pièce saturée par sa douleur de veuve .
Il n'en reste pas moins qu'on se trouve devant un sacré gros morceau de littérature qui parlera à toutes, mère et/ou fille.
Attachement féroce, Vivian Gormick, magnifiquement traduit de l'anglais (E-U) par Lætitia Devaux, Rivages 2017, 222 pages tout sauf confortables mais indispensables !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : vivian gornick