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31/10/2016

Truismes

"Je me suis demandé ce que j'aimais le plus, les racines ou la parfumerie."

Ayant fait étudier à mes élèves le début de La métamorphose de Kafka, j'ai décidé , dans la foulée, de relire Truismes de Marie Darrieussecq ,que j'avais lu à sa sortie en 1996.

Truismes est le récit à la première personne d'une métamorphose. Celle d'une jeune femme, employée en parfumerie qui devient progressivement une truie. Le récit est fait a posteriori, ce qui permet à la narratrice d'analyser les faits avec du recul, recul limité vu son manque d'éducation( n'oublions pas qu'un truisme est une vérité banale).marie darrieusecq
En même temps que le corps de la jeune femme change, la société évolue aussi et se dérégule progressivement tant au niveau économique (le monde du travail en particulier), politique (régime de plus en plus autoritaire) et social (paupérisation des couches laborieuses, enrichissement des élites). Quant à la sexualité, elle est sans frein pour ceux qui détiennent un pouvoir.
D'emblée, la mainmise sur le corps féminin est posée avec cette scène d'entretien d'embauche où l’héroïne accepte sans broncher  les services sexuels jamais identifiés clairement mais qu'elle laisse deviner et qualifie par exemple de "besogne". Au fil du roman, elle ira de plus en plus loin dans ce type de services , sans que rien ne soit décrit , mais la suggestion n'en sera que plus forte quant aux violences subies et aux tentatives de limites qu'elle pose.
En ce qui concerne la métamorphose proprement dite, elle est fluctuante,évoquée par petites touches, même si l’héroïne tente de la maîtriser, oscillant sans cesse entre l'univers humain et celui de l'animal.
J'ai pris beaucoup de plaisir à cette relecture, grâce au style elliptique et efficace.J'ai même trouvé que la société décrite avait de plus en plus de points communs avec la société contemporaine., ce qui n'est guère rassurant .

Truismes, Marie Darrieussecq, folio 2014.

 

29/10/2016

Une part de ciel...en poche

"-Tu te souviens trop, Carole. Il faut te dépolluer de tout ça."

Curtil, le père "pigeon-voyageur" a, une fois, de plus envoyé une boule de verre à ses trois enfants pour annoncer son retour. Sans fixer de date, bien sûr.
Mais les enfants sont maintenant adultes et chacun réagit de manière différente à cette convocation. Carole, la seule à avoir quitté  sa vallée natale dans la Vanoise, revient s'y installer provisoirement, en profitant pour effectuer un travail de traduction sur la vie de l'artiste Christo. Elle renoue peu à peu avec les paysages et personnages hauts en couleurs de son enfance ainsi qu'avec sa sœur Gaby, qui travaille à l'hôtel et vit dans un bungalow, attendant le retour de son homme. Quant à leur frère, Philippe, garde-forestier, il tente de préserver sa vallée. claudie gallay
Carole est l'élément perturbateur de ce roman de l’attente et du souvenir. Elle seule veut revenir sur un incendie qui a bouleversé leur enfance et influé durablement sur leur vie.
Claudie Gallay excelle à peindre cette atmosphère d'une vallée comme coupée du monde que certains ne voudraient pas voir évoluer vers l'avenir. Elle peint avec finesse les relations fraternelles, les silences, les non dits, tout ce qui est prêt à se rejouer par delà les années. On se glisse avec bonheur dans ce roman-cocon qui nous enveloppe durablement tant il est riche d'humanité et de bienveillance. Un coup de cœur !

Une part de ciel, Claudie Gallay, J'ai lu 2016.

 

 

28/10/2016

Le monde est mon langage

"J'ai longtemps cru que le français était une langue de l'emportement, de l'irascibilité et surtout celle de ceux qui voulaient à tout prix avoir raison."

Dans ce recueil, Alain Mabanckou revient sur les rencontres d'écrivains ou d'inconnus qui ont jalonné sa vie. Écrivain de langue française né au Congo, il revient ainsi dans un exercice d'admiration et de bienveillance sur tous ceux qui ont contribué à lui faire aimer la langue française. On le suit au fil de ses pérégrinations, un petit carnet à la main, histoire de noter au passage tous ceux qu'il nous revient de découvrir tant les écrivains(e)s francophone sont divers et plutôt méconnus en France.

alain mabanckou


Une balade très agréable , riche en découvertes.

Le monde est mon langage, Alain Mabanckou, grasset 2016.alain mabanckou

27/10/2016

J'ai vu un homme...en poche

"Aucun de leurs choix n'avait été malintentionné. Et cependant, leur combinaison avait engendré plus d'obscurité que de lumière."

Pourquoi Michael Turner explore-t-il la maison de ses voisins en leur absence ? Voilà à peine sept mois qu'il s'est installé à Londres et très vite, il est entré dans l'intimité des Nelson, une sympathique petite famille.
Différant la réponse à cette question, le récit remonte le temps ...owen sheers
Michael peine à se remettre du décès de sa femme, Caroline, journaliste tuée au Pakistan. Il n'est pas le seul : le commandant Mc Cullen ,responsable de cette mort, semble lui aussi perturbé par ce cadavre de trop et l'américain qui ne supporte plus d'être "dissocié de ses actes" , a bien l'intention d'agir et d'assumer les conséquences ,par-delà les frontières ,d'une décision prise sans états d'âme.
Owen Sheers , dès la première phrase de son roman, instaure un malaise qui ira s'amplifiant et perdurera même quand sera identifié "l'événement qui bouleversa leur existence". En effet, les liens , bien plus complexes qu'il n'y paraît à première vue, entre les différents personnages, vont les entraîner dans des chemins très tortueux .
Remords, conflits de loyauté, culpabilité sont analysés avec finesse et sensibilité. La narration est extrêmement efficace, le lecteur se perd en conjectures sur la nature de cet événement avant de rester le souffle coupé.Le récit,ponctué de réflexions sur l'écriture (Michael est écrivain), gagne encore en profondeur et crée même peut être une mise en abyme, comme semble le suggérer la dédicace...
Un roman qui nous ferre d'emblée et qu'on ne lâche pas car il allie , et c'est rare, qualité de l'écriture et subtilité de la narration. Du grand art !
Il y avait la page 51 de David Vann il y aura maintenant celle d' Owen Sheers (je me garderai bien de vous donner sa numérotation !)

J'ai vu un homme, Owen Sheers, traduit de l'anglais par Mathilde Bach, Rivages 2015, 351 pages insidieusement addictives. Rivages poche 2016

Et zou, sur l'étagère des indispensables! Nuits blanches en perspective !

Une dernière citation pour la route :" Une histoire qui n'est pas racontée , dit-elle en le pointant d'un doigt accusateur, c'est comme une décharge. Enfouis-la tant que tu veux , elle finira toujours par refaire surface."

 

26/10/2016

La revanche de Kevin...en poche

"-Il y a des prénoms prédestinés aux pires beaufitudes, dit Olivier."


Iegor Gran partant de la vague de Kevin qui a déferlé en France dans les années 90 et des connotations négatives qui s'y sont aussitôt attachées :"Un marqueur social de la médiocrité crâne car on croit savoir quelles familles sont suffisamment sottes pour se laisser dicter leur vie par l'Amérique et Hollywood." imagine donc un Kevin doublement traumatisé.

iegor gran


En effet, ce dernier évolue dans le monde de la Radio où il n'occupe qu'un emploi vaguement méprisé, car sans aucun lien avec l'écriture dont se gargarise ses collègues. De plus, il est persuadé que parce qu'il porte ce prénom, par lui honni, tout le monde le déconsidère a priori. Prédiction auto réalisée ? Préjugés liés au prénom ? Toujours est-il que notre héros va décider de se venger en s'en prenant au monde des Lettres.
L'analyse du prénom Kevin et des préjugés qui lui sont liés nous vaut quelques morceaux de bravoure fort réjouissants et sa vengeance, cruelle, est elle aussi très réussie. Là où l'intrigue s'affaiblit c'est que l’auteur a jugé bon de s'embarrasser d'"un canular ricochet de canular" sans réelle efficacité. Quant aux interventions de sa presque belle-mère ,à vocation humoristique, elles tombent à plat et plombent le roman par un salmigondis supposé imiter le langage populaire.
Tout cela reste bien léger...

La revanche de Kevin, Iegor Gran Folio 2015, 198 pages.

 

25/10/2016

Songe à la douceur

"C'est frêle,
ces jeunes personnes tellement éblouies par le jour
          qu'elles ne se sont pas apprêtées pour la nuit."

Un roman en vers libres qui dépoussière et revisite Eugène Onéguine avec une couverture rose bonbon pleine de fioritures ? Ce n'était pas gagné d'avance en ce qui me concerne, même si je n'avais jamais lu le roman de Pouchkine ni vu l'opéra de Tchaïkovski.
Et pourtant , une fois commencé, je n'ai pas pu lâcher ce roman destiné aux jeunes adultes (mais pas que).
L'histoire ? Une jeune femme, Tatiana, à l'aube d'entrer dans la vie adulte, rencontre fortuitement Eugène, celui dont elle était tombée amoureuse quand elle avait quatorze ans ans et lui trois de plus. Dix ans plus tard, Eugène est-il toujours aussi désenchanté et cynique ? Les amours adolescentes avortées peuvent-elles renaître de leurs cendres ?clémentine beauvais
On craint le pire et c'est le meilleur que l'on découvre tant Clémentine Beauvais se penche avec empathie que ses héros, les décrivant sans mièvrerie mais avec une acuité non dénuée de poésie. La sensualité est-elle aussi présente, sans tomber pour autant dans l'impudeur et la tragédie qui touche un des personnages est évoquée avec délicatesse.
Un exercice d'équilibre improbable parfaitement réussi dont la forme renforce le plaisir: intertextualité (des vers célèbres s'insèrent au fil du texte) des calligrammes et des interventions de l'auteure viennent encore ajouter au plaisir de lecture. On sort de là avec des étoiles dans les yeux, ravi que la fin évite les clichés du genre. Un grand bonheur de lecture dont on aurait tort de se priver.


Et zou sur l'étagère des indispensables !

 

Songe à la douceur, Clémentine Beauvais, Sarbacane 2016 , 239 pages à savourer !

L'avis de Noukette qui envoie vers d'autres billets enthousiastes.

24/10/2016

Le linguiste était presque parfait...en poche

"Hoosier: subst, étymologie obscure et ennuyeuse. Crétin de Blanc assorti d'une grasse épouse blanche qui mange des légumes verts, accroche un silencieux à son pot d'échappement à l'aide d'un cintre, et laisse traîner des réfrigérateurs dans son jardin pour que des enfants s'étouffent à l'intérieur."


Quoi de plus calme en apparence qu'un institut de linguistique étudiant le langage des nourrissons ? Et pourtant, outre leurs inimitiés, l'intérêt maniaque porté aux mots prononcés , ces charmants linguistes doivent aussi penser à l'avancement  de leurs carrières professionnelles , de leurs projets amoureux, veiller au maintien des subventions qui leur sont accordées , voire même sauver leur peau. En effet, l'un d'entre eux vient d'être assassiné. Jeremy Cook va mener sa propre enquête sur le meurtre de son collègue de manière bien peu orthodoxe, utilisant ce qu'il connaît le mieux : la linguistique !david carkeet
Le microcosme évoqué  dans  ce nouveau roman de David Carkeet n'est pas sans rappeler celui de David Lodge mais avec des personnages encore plus farfelus et  déjantés qui parviennent à rendre la linguistique follement attrayante (ce qui n'est pas une mince affaire, vous l'avouerez !). L'auteur joue à merveille des oppositions entre ses personnages et nous entraine avec un sérieux imperturbable dans un monde où les énigmes dignes de Gaston Leroux sont résolues grâce à des signaux linguistiques ! Un monde fou fou fou qui nous distrait avec intelligence et bonne humeur !

Le linguiste était presque parfait, David Carkeet, traduit de l'anglais (E-U) par Nicolas Richard, Monsieur Toussaint  Louverture 2013, 287 pages .Points Seuil 2016.

 

 

 

 

 

19/10/2016

Que la fête commence !

"La catastrophe était arrivée. le mot de trop avait fait exploser la Matrice. Tout était à refaire, des années de travail seraient nécessaires. Albert était perdu."

J'accepte rarement des livres envoyés parles auteurs mais là j'ai fait uen exception pour Emmanuelle Cart-Tanneur qui a su trouver les mots pour me convaincre.

emmanuelle cart-tanneur


Les mots, d’ailleurs ,sont au cœur des ces trois nouvelles. Que ce soit Jan, écrivain en mal d'inspiration qui les cherche en vain ; Albert qui les éradique ou les introduit au contraire au sein de la Matrice qui les recense; ou bien encore Fred et Lisa, personnages de papier qui tentent de les inspirer à Jan dans le texte qui clôt cet opus.
La plume d’Emmanuelle Cart-Tanneur file avec aisance et nous transmet cet amour des mots dont on sent qu'il l'anime avec intensité.

Un petit plaisir à (s')offrir !

Que la fête commence !, Emmanuelle Cart-Tanneur 2016, Éditions Zonaires, 44 pages qui peuvent voyager sans problèmes!

Les éditions Zonaires clic

18/10/2016

Apaise le temps

"Mes élèves confondent Véronique Genest et Jean Genet ! Les libraires ont une responsabilité civile, à eux de refuser la démagogie et le profit facile, possible de jouer les Ponce Pilate."

à la mort d'Yvonne, libraire et photographe, Abdel, jeune professeur à Roubaix, hérite tout à la fois de souvenirs mais aussi d'une dette de cœur. En effet, comment prolonger l’œuvre d'Yvonne et de ses parents, libraires ayant œuvré à l'intégration des exilés de tout bord dans les années 60 ?michel quint
Par l'intermédiaire de photographies retrouvées, le jeune homme va faire renaître tout un pan souvent méconnu du passé de la guerre d'Algérie, entre autres les dissensions entre les différents groupes travaillant pour la libération de l'Algérie. et sa vie va s'en retrouver bouleversée.
Tous les amoureux de la littérature ne pourront qu’apprécier ces portraits pleins d'humanité de libraires selon notre cœur.
Suivant d'une certaine façon les traces de Didier Daeninckx qui a été parmi les premiers à exhumer les épisodes historiques oubliés car gênants, Michel Quint ne démérite en aucune manière, même si j'ai trouvé que l’apaisement des tensions se faisait de manière un peu rapide. Un léger bémol qui n’entame en rien le plaisir de lecture que procurent ces 104 pages.

Apaise le temps, Michel Quint, Phébus 2016.

 

Le billet de Clara qui m'a donné envie.

 

Déniché à la médiathèque.

 

17/10/2016

Rester en vie

"Vous êtes sur une autre planète. Personne ne comprend ce que vous traversez. Mais en fait, si."

Récit a posteriori d'une dépression et de crises d'angoisse ayant frappé l'auteur quatorze ans plus tôt, Rester en vie se compose de chapitre courts, de listes diverses (personnes célèbres ayant souffert de dépression, raisons pour rester en vie etc).

matt haig,dépression,angoisse


On ne peut nier la grande sensibilité de ce texte, mais son aspect trop fractionné, ses conseils souvent trop banals, ses approximations et l'aspect trop léger de l'analyse de la dépression d'un point de vue scientifique (personne, en gros ne sait pourquoi on devient dépressif), ont fait que je suis restée totalement extérieure.
Un seul point m'a vraiment touchée : l'amour d'Andrea, la compagne de l'auteur qui jamais ne l'a laissé tomber.
Dans un autre genre, j'avais nettement préféré le roman de Styron sur le même thème: Face aux ténèbres.

Le billet d'Antigone qui m'avait donné envie.

Rester en vie, Matt Haig ,Éditions Philippe Rey 2016.