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14/06/2014

Trop de bonheur...en poche

"A croire qu'il existe en apparence on ne sait quel savoir-faire fortuit et bien sûr injuste dans l"économie du monde puisque le grand bonheur -aussi provisoire, aussi fragile soit-il -d'une personne peut sortir du grand malheur d'une autre."

Les femmes et leur quête de bonheur, dérisoire et courageuse à la fois sont au centre des nouvelles d'Alice Munro. Cruauté, résilience qui ne dit pas son nom, soumission au désir des hommes, voilà à quoi ces très jeunes filles, mères ou femmes plus âgées doivent composer.alice munro
Tout l'art d'Alice Munro est de ne pas porter de jugement, de décrire en une phrase tranchante et/ou férocement drôle, l'attitude, le comportement d'un personnage et vous le livrer en entier résumé : "Certaines suggestions, certaines idées, avaient le  pouvoir faire tressaillir  les muscles de son maigre visage tavelé, et alors son regard devenait noir et aigu, et sa bouche semblait remâcher un goût répugnant. Elle pouvait vous bloquer net dans votre élan, comme un féroce buisson de ronces."
Des textes qui possèdent juste le bon tempo et la bonne durée et ne nous laissent jamais sur notre faim. Des univers denses et intemporels.

Point Seuil 2014.

13/06/2014

Comme la grenouille sur son nénuphar...en poche

"ô Gravité où est ton hameçon, ton fil, le plomb au bas de ta ligne ?  "

Pas de doute: "les Parques se plaisent à  venir cracher dans ton potage", Gwendolyn! Tu n'as plus qu'à "enfiler ton soutien-gorge pare-balles" pour affronter ce qui  risque d'être le plus  long et le plus éprouvant week-end pour la trader de Seattle que  tu es !5416-cover-frog-5334266c9968e.png
Jugez en un peu: les cours de la Bourse s'effondrent et avec eux tes rêves d'ascension sociale, le singe kleptomane de ton petit ami s'enfuit ,ta meilleure amie disparaît... Mais heureusement dans toute cette pagaille apparaît Diamond, un broker de retour de Tombouctou,  charmeur en diable  (ou baratineur de génie ) qui va te mettre "au défi de t'intégrer dans quelque  chose  qui t'es totalement étranger,   de sortir  du domaine  de tes attentes habituelles", bref de jeter un grand coup de pied au Rêve Américain, "de sortir de cette transe où ne comptent que les biens matériels".
Une ville, Seattle où les rayons de soleil "se comportent  en touristes" (et qui nous donne l'occasion de  superbes descriptions de la pluie  entre deux péripéties ), une ville où galope notre héroïne , tiraillée entre la recherche de la satisfaction immédiate et le grand  saut dans l'Inconnu, un monde où l'on s'inquiète de la disparition des grenouilles, où l'on croise un médecin japonais qui aurait découvert un remède au cancer mais un monde aussi où  l'on peut prendre le temps de s'envoyer en l'air et de vivre une histoire d'amour à la fois débridée et tendre.
Pas de temps morts,  tant au niveau du récit que du style , corrosif, plein d'humour et d'inventivité, les métaphores, les comparaisons,  mon péché mignon, sont follement réjouissantes, :  "Contrairement à l'Américain moyen, elle a une capacité d'attention qui dépasse en durée un orgasme de Mormon", et on  sourit  tout le temps de la lecture, en se laissant prendre au piège du baratin allumé de Diamond.
Comme la grenouille sur son nénuphar nous fait entrer dans ce monde fou fou fou (qui est le nôtre ) et nous ne  lâchons pas une minute ce roman car il y a plus d'imagination dans une phrase de Tom Robbins que dans l’œuvre complète de n'importe quel écrivaillon français.

12/06/2014

Dans les rapides...en poche

Voici ce que j'en disais il y a quelques années :

-mais Kate Bush d'un coup de pied, vient d'enfoncer un coin dans notre trio. "

Le Havre, les années 80. Un trio de filles qui par la magie de Blondie puis celle de Kate Bush, vont découvrir un univers où les femmes sont puissantes.maylis de kerangal
Une très jolie évocation, pleine de sensations poétiques et intenses, de l'adolescence. Un peu trop de retenue à mon goût mais un style chatoyant et prometteur. (promesses largement tenues !)

Dans les rapides, Maylis de Kerangal, Naïve 2006, 113 pages  à lire en réécoutant ...The kick inside bien sûrmaylis de kerangal !

11/06/2014

La tête en l'air

"Nous les vieux, nous contentons de si peu."

 La tête en l'air dépeint le quotidien d'une résidence pour personnes âgées où Ernest, ancien directeur de banque atteint de la maladie d’Alzheimer, va progressivement trouver sa place, se faire des amis et tenter de lutter contre la maladie.paco roca, jirô Taniguchi, alzheimer
C'est plein d'humour, de bonhomie souriante, d'empathie et d’humanisme. Paco Roca tire parti de toutes les possibilités de la BD pour décrire,sans pathos ,mais de manière à la fois réaliste et poétique les différentes réalités dans lesquelles évoluent ces personnages. Une grosse surprise aux pages 98 -99 et une préface juste parfaite de Jirô Taniguchi complètent  de manière idéale cette BD.

Adapté en film d'animation La tête en l'air collectionne les prix.

Déniché à la médiathèque.

Paru précédemment sous le titre de Rides

 Paco Roca ,Éditions Delcourt 2012.

09/06/2014

Lola Bensky

"Pour sa part, Lola avait macéré dans le passé de ses parents , depuis toute petite."

De Londres à New-York en passant par Monterrey, Lola Bensky, 19 ans, interviewe les stars en devenir dans l'effervescence des sixties pour le journal australien Rock-Out. Mais, loin d'être un catalogue plus ou moins nostalgique de portraits sur le vif, c'est surtout à une quête identitaire particulièrement intéressante  que nous assistons.
En effet, Lola est la fille de deux rescapés d'Auschwitz et  interroger Mick Jagger ou Jimi Hendrix lui donne l'occasion de revenir sur son enfance si particulière, de poser en quelque sorte les questions qu'elle n'osera jamais poser à ses parents. lily brett
Se trouvant régulièrement trop grosse (elle est toujours en train de se programmer des régimes plus bizarres les une que les autres), Lola, cahin-caha, finira par trouver un certain équilibre et bouclera la boucle en retrouvant plus de quarante ans plus tard le chanteur des Rolling Stones à un dîner très chic.
Les portraits des rock stars sont extrêmement vivants, sensibles et sonnent très justes. On se prend aussi de sacrés chocs en découvrant les informations distillées plus ou moins clairement par les parents de Lola et la manière dont les enfants des rescapés développent des comportements psychologiques semblables. Mais Lola , vaille que vaille, conserve toujours l'équilibre et ne plonge jamais son lecteur dans la dépression. Un roman troublant.

Lola Bensky, Lily Brett, traduit de l'anglais par Bernard Cohen, la grande Ourse 2014, 271 pages marquantes.

Merci à l 'éditeur et à Babelio !lily brett

 

 

08/06/2014

Oiseaux, bêtes et grandes personnes

"Ne faites pas attention à nous. Elle vit pour manger, boire et se disputer, et ma besogne est de pourvoir à ces trois choses."

Corfou, un magnifique terrain de jeux et d'exploration pour le jeune Gerald Durrell et son chien Roger . Passionné de nature, mais aussi curieux des mœurs des autochtones, le jeune garçon ramène toute une ménagerie à la maison : de bébés hérissons jusqu'à un magnifique "crapaud aux pattes spatulées qu'[il] baptisa Augustus Tickletummy".gerald durrell,nature,corfou
Ses frères et sœurs adultes  sont à l'avenant car, s'ils s'offusquent des trouvailles de leur benjamin, eux n'hésitent pas à ramener de drôle d'humains à la maison ou à entretenir des passions pour le moins particulières avec l'au-de là. Le tout sous le regard bienveillant de leur mère.
Excentrique et attachante, la famille Durrell continue à nous faire rire et sourire tant la manière de raconter de Gerald est pleine de vie et d'entrain.

Le premier volume de la trilogie de Corfou est ici : clic

La trilogie de Corfou ressort dans une nouvelle édition : la Table Ronde 2014.

07/06/2014

L'art difficile de rester assise sur une balançoire

"Trop de béatitude appelle la baffe ; c'est peut être bien fait pour moi. "

Vlan ! Pauline qui menait une vie parfaite entre mari idéal et enfants modèles se prend un grand coup de réalité en pleine figure quand son époux la quitte . Pour sa meilleure amie, tant qu'à faire. Du cliché banal et douloureux (mais la vie ressemble souvent à ce type de tautologies) qui va la laisser sonnée.
Seul conseil donné par sa mère, psychiatre renommée : une stratégie d'évitement qu'elle va mener de manière jusqu'au boutiste, allant jusqu'à prétendre que son ex-mari est mort. Mais ce dernier s'évanouit dans la nature pour de vrai...emmanuelle urien
Dévoré d'une seule traite ce roman très fluide et agréable à lire (car on y retrouve l'écriture inventive et imagée d'Emmanuelle Urien) m'a pourtant laissée une impression mitigée.
Je n'ai en effet éprouvé pas beaucoup de compassion ni de sympathie pour celle qui se définit elle-même comme " une petite-bourgeoise désœuvrée repliée sur l'échec de son couple  ", peut être parce qu'autour de moi je connais beaucoup de femmes qui, à la douleur d'être quittée, doivent ajouter en outre de graves problèmes économiques.
Par ailleurs, le récit ne cède pas à la tentation d'un virage vers une version plus noire qui aurait été, à mon avis, nettement plus intéressante, car plus radicale. Il n'en reste pas moins que j'ai apprécié  l'analyse fouillée des sentiments de cette femme et le récit de son évolution vers une possible renaissance.

06/06/2014

Le reste de sa vie

"On dirait que le destin tient à un accroc, un bouton décousu, un fil mal noué, des minutes perdues, des drames qui mèneraient à la porte close de l'école, au train manqué, le monde à sa perte sous une pluie de désastres."

Une femme, laminée par le travail, ses petites filles qu'elle adore, enfermée dans une relation toxique avec  un mari-tyran familial ; une femme qui se vide de son énergie à trop vouloir donner ce qu'on lui refuse: de l'attention, de la considération;  une femme qui "s'enferme le cœur" , qui a trop souvent les larmes aux yeux, maladroite, oublieuse,  mais qui va bientôt pouvoir se poser, "toucher terre" : elle  quitte provisoirement son emploi de commerciale.isabelle marrier,isabelle pestre
C'est sa dernière journée de travail : "Aujourd’hui, tout ira bien." Le récit minutieux laisse bientôt sourdre une tension littéralement insupportable quand le lecteur prend la mesure de tous ces petits riens qui auraient pu faire basculer les événements du bon côté. L'engrenage, basé un fait divers réel qui m'avait marquée à l'époque, est implacable et prend vraiment aux tripes. Avec une grande économie de moyens, Isabelle Marrier dissèque les racines profondes de ce drame, mène son héroïne aux confins de la douleur et transforme ce qui s'annonçait comme une belle journée en un chemin de croix quasi insoutenable. Éprouvant, bouleversant, très réussi !

Le reste de sa vie, Isabelle Marrier, Flammarion 2014, 142 pages piquetées de marque-pages.

05/06/2014

Plan de table...en poche

Cependant, même lui avec sa vision comptable de l'amour [...]reconnaissait que ses sentiments pour Biddy allaient au-delà de la simple gratitude."

 

Sur la très snob île de Waskeke (Nouvelle-Angleterre) se déroule le mariage de l'aînée des Van Meter, glorieusement enceinte de sept mois. Homards à gogo et Plan de table casse-tête en perspective pour la famille mais aussi remise en question pour le père, Winn, passablement austère et coincé, remâchant son passé et ne digérant pas que sa candidature au très select club de golf de l'île n'aboutisse pas.41ogFg-qYHL._.jpg
Rien ne manque à l'appel de cette description d'un mariage huppé: ni la belle-sœur éméchée, ni la demoiselle d'honneur allumeuse et frigide, ni le beau-frère, bourreau des cœurs patenté. Mais j'ai mis du temps à lire ce roman, à le "digérer" avant de mettre le doigt sur ce qui me gênait dans cette lecture. Tout simplement le fait qu'un mariage est tendu vers l'avenir, comme le symbolise si bien le ventre de la mariée, alors que le personnage principal, le père, ainsi que sa fille cadette  d'ailleurs, restent obstinément bloqués sur leur passé et ne parviennent pas à dépasser leurs échecs.
Cette tension m'a paru nuire à la progression du roman , ainsi d'ailleurs que la vison passablement démoralisatrice du mariage de Winn, et je n'ai pas totalement trouvé mon compte dans cette lecture.

04/06/2014

On ne va pas se raconter d'histoires

"J'ai parfois la sensation de m'accrocher de plus en plus aux aspérités de la vie. Ce qui me paraissait comme insignifiant il y a trente ans me semble aujourd'hui lourd, laborieux."

On ne va pas se raconter d'histoires affecte d'emblée, dès le titre,  la volonté d'une certaine franchise de bon aloi, d'une camaraderie sans chichis. On joue cartes sur tables et on confie sans barguigner ses sentiments, ses sensations. Les héros sont souvent accumulé pas mal d'années au compteur, seuls ou en couples, et cela les rend plutôt taiseux, patients. Ils aspirent souvent à un idéal (que certains atteignent grâce à des stratégies que je vous laisse le plaisir de découvrir) : "Vivre avec lui est une caresse ,tout est simple, fluide, il dénoue tout sans efforts ni complications."david thomas
Une certaine nostalgie pleine de douceur et de délicatesse baigne souvent ces très courts récits où, par exemple, une femme constate que son père, son mari et son fils partagent la même caractéristique: ils rêvassent et cela la touche car "dès qu'il se mettent à rêver, je vois les petits garçons qu'ils ont été."
Mais parfois le ton se fait plus caustique, voire revendicatif ,mais toujours avec beaucoup d'humour et d'empathie. J'ai ainsi adoré un texte intitulé

Merci

 « Je sais, c’est un mot bizarre, parce qu’on l’utilise autant quand on vous tient une porte que pour répondre à ces moments qui vous construisent. Il ne vaut souvent pas grand chose en regard de ce qu’on vous donne mais j’ai quand même envie de te le dire. Je voulais te remercier de m’avoir aimée. Je voulais te remercier de n’avoir jamais rien dit quand j’étais odieuse. Je voulais te remercier de m’avoir fait de beaux enfants. Je voulais te remercier d’avoir fait de ma vie quelque chose d’ennuyeux mais de confortable. Je voulais te remercier d’avoir supporté ma bêtise, même si moi aussi j’ai supporté la tienne. Je voulais te remercier d’avoir aimé avec sa boue, ses cendres, la petite fille triste et effrayée que j’étais. Je voulais te remercier de m’avoir fait jouir et de m’avoir foutu la paix. Je sais, j’ai pas toujours dit ça, mais ce soir, c’est ce que j’ai envie de te dire. Je voulais aussi te remercier d’être mort avant moi. »

On ne va pas se raconter d'histoires, ce recueil de micro-fictions est un pur régal à dévorer d'une traite, puis à relire pour mieux savourer toute la gamme d 'émotions qu'il nous fait partager ! Et zou sur l'étagère des indispensables !

 David Thomas , Stock 2014, 148 pages de pur plaisir !

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