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08/04/2010
La passerelle
"Il fallait bien vivre, ne serait-ce que par politesse."
Fraîchement débarquée de sa campagne du Midwest, la toute jeune Tassie ( vingt ans) découvre avec avidité la ville, l'université et ce qu'elle croit être l'amour. Comme job d'appoint, elle devient baby-sitter pour un couple de ce que nous Français appellerions des bourgeois bohèmes qui vont adopter une enfant métisse, Mary- Emma.
La situation paraît idyllique mais rapidement la belle image va se craqueler. D'abord parce que Tassie va découvrir le racisme larvé dans cette petite ville de Troie qui se dit progressiste. Ensuite parce que le couple cache un secret qui va bientôt refaire surface.
En contrepoint de ces désillusions progressives, Tassie doit aussi composer avec une famille aimante et néanmoins atypique. De toutes façons quelle famille conviendrait à celle qui se tient au bord de l'âge adulte ? L'insouciance de Tassie qui admire sa patronne et enregistre avec passion tout ce qui lui paraît d'une sophistication extrême va bientôt céder la place à une dépression qui ne dira pas vraiment son nom.
De pétillant et plein d'esprit, le récit glisse dans un registre plus poignant, sans tomber dans le pathos, et le désenchantement de la jeune fille va bientôt prendre une portée plus grande encore et rejoindre une désillusion nationale. Le 11 septembre mais surtout l'Afghanistan ont laissé leurs séquelles empoisonnées...
C'est avec bonheur que j'ai retrouvé dix ans après sa dernière parution en français, le style imagé et vif de Lorrie Moore. Elle embarque son lecteur, l'étourdit un peu mais c'est pour mieux le cueillir d'un direct au plexus quand il ne s'y attend vraiment pas par une scène qui broiera le coeur de toute mère. Des retrouvailles réussies,le nombre de pages cornées peut en témoigner.
La passerelle, Lorrie Moore, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laetitia Devaux, Editions de l'Olivier 2010 , 361 pages à lire par les mères et les filles.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : lorrie moore, roman d'apprentissage
07/04/2010
Le troisième acte
"J'avoue que ça n'était pas la chose la plus facile que j'avais dû imaginer dans ma vie."
En voyage d'affaires à Hiroshima, un Nord-Irlandais de Belfast s'apprête à retourner chez lui. Un rendez-vous annulé à la dernière minute et le voilà disposant d'une poignée d'heures. Une parenthèse qu'il occupera en se perdant dans le labyrinthe des grands magasins, en visitant une nouvelle fois le musée de la bombe , voire même en assistant à la conférence d'un compatriote, écrivain en perte de vitesse.
Cette journée, structurée par les différents repas, culminera dans un Troisième acte qui éclairera d'un jour nouveau les indices disséminés tout le long du texte et les réorganisera de manière vertigineuse.
Culpabilité, violence, désir de se perdre, tels sont les thèmes abordés dans ce roman qui dès les premières pages nous fait entrer dans un univers la fois décalé et poétique. Humour et tension se succèdent , dosés avec maestria par un auteur qui surprend sans cesse son lecteur.
Grand merci à Cuné pour cette découverte magistrale !
Le troisième acte, Glenn Patterson, traduit de l'anglais (Irlande du Nord) par Céline Schwaller, 221 pages quasi hypnotiques.
06:04 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : glenn patterson, lost in japan
06/04/2010
Départs anticipés
"En ce qui me concerne, je préférerais bouffer des chenilles sur un trottoir brûlant."
Proposer une loi demandant aux personnes âgées de prendre leurs Départs anticipés ou plutôt d'effectuer leur transitionnement volontaire-comprendre leur suicide assisté- afin de ne plus creuser le déficit de la sécu et de ne pas léguer de dettes aux générations montantes, voilà qui s'appelle un coup de tonnerre dans le monde politique états-unien !
Tel est pourtant l'objectif de Cassandra Devine, conseillère en communication et blogeuse énervée à ses heures, bientôt relayée par un politique ambitieux et sans scrupules.
Tout le monde en prend pour son grade dans cette comédie à cent à l'heure qui fustige autant le monde politique que celui des affaires et place ses personnages dans des situations à la fois improbables et réjouissantes. Parfois le trait est vraiment outré mais on s'en fiche un peu (beaucoup) car le politiquement incorrect est tellement plus drôle ! On aimerait parfois que certaines scènes se déroulent "pour de vrai" , afin de casser le ronron lénifiant qui dissimule la violence et la corruption de notre monde. Un très bon moment de lecture.
Départs anticipés, Christopher Buckley, points seuil, 478 pages toniques.
Merci Cuné !
06:00 Publié dans Humour, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : christopher buckley, politique, communication
04/04/2010
Les écureuils de central park sont tristes le lundi
"Souvent la vie s'amuse."
"Elle voulait tout savoir. jusqu'au moindre détail. Elle avait retenu la leçon de Cary Grant : "Il faut au moins cinq cents petits détails pour faire une bonne impression" et elle voulait des centaines de détails pour que son histoire s'anime, que ses personnages soient vivants. qu'on ait le sensation de les voir bouger devant soi. elle savait que pour une histoire tienne debout, il fallait la remplir de détails." Et Katherine Pancol applique ce principe et nourrit de détails savoureux les 846 pages de Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi.
Alors, même si j'ai parfois avancé cahin-caha dans ce gros pavé, renâclant devant certaine facilités d'écriture ou de récit, même si j'ai parfois trouvé trop sucré le style chantourné de l'auteure, même si j'ai freiné des quatre fers devant une vison par trop rose de l'existence, bimbamboum et en un rien de temps les obstacles s'évanouissent, j'ai renoué avec les personnages des Crocodiles et des Tortues comme avec de vieux amis perdus de vue que l'on retrouve avec plaisir et avec qui on poursuit la conversation comme si on les avait quittés la veille. Car Katherine Pancol possède le rare talent de les rendre vivants ces personnages: Joséphine la trop gentille, Hortense la trop sûre d'elle , elles et tous les autres ,y compris ceux qui ne font que passer mais qui ne sont jamais traités à la légère. On sent que l'auteure les aime tous et leur prête la même attention chaleureuse. Un gros cupcake un peu trop sucré mais qui s'avale sans qu'on s'en rende compte !
Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi, Albin Michel, 2010, 846 pages que j'ai trimballées partout pendant ma lecture addictive .
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (30) | Tags : katherine pancol
03/04/2010
Le temps suspendu
"C'est moi qui n'étais pas au bon endroit au bon moment."
A quarante- deux ans, Maria rentre de la maternité les mains vides. "Si j'avais fait une fausse couche, j'aurais attendu le curetage, si j'avais eu un bébé, je l'aurais tenu dans mes bras. Je n'avais pas d'autres catégories à ma disposition."Née avec trois mois d'avance, la petite Irene est restée au service de néonatologie .
En même temps que les longues visites à l'hôpital ,commencent alors des allers-retours entre passé et présent, comme pour lutter contre ce Temps suspendu , entre mort et naissance. En toile de fond, la ville de Naples, tentaculaire, repoussante et fascinante à la fois, ses habitants qui se débrouillent vaille que vaille entre un barrage de dealers et des cours du soir, histoire de relever la tête et/ou de trouver une place dans la société.
Valeria Parella nous embarque avec Maria dans ce voyage qui tangue entre rage et espoir. Pas de pittoresque à tout crin mais une Italie dont l'histoire se faufile dans la vie quotidienne, l'enlèvement d'Aldo Moro associé à une varicelle, les luttes et les déceptions du père, la volonté farouche de la narratrice de s'en sortir, de quitter la petite ville pour aller dans un établissement scolaire qui lui permettra de ne pas travailler dans la conserverie qui ronge les corps.
Cette géographie qui laisse son empreinte même dans la manière de s'exprimer, " Ce n'était pas dû au dialecte, mais au manque de temps."(...) c'était le temps qui avait manqué à mes élèves napolitains, ils s'étaient arrêtés au nécessaire et étaient allés travailler ou vendre de la cocaïne en renonçant aux nuances." Pas de misérabilisme mais une humanité chaleureuse et riche. Un très joli portrait de femme et une belle évocation de ville.
Le temps suspendu, Valeria Parrella, traduit de l'italien par Dominuqe Vittoz, Le seuil 2010, 154 pages à la fois denses et légères.
Merci à Suzanne de Chez les filles et aux Editions du Seuil.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : valeria parrella, italie, grand prématuré
02/04/2010
Les inséparables
"L'écriture a cet avantage de faire flotter le plus lourd des souvenirs."
Récit d'une amitié féminine au fil du temps Les inséparables est aussi une réflexion sur le travail d'écriture et le pouvoir des mots.
Ainsi, la narratrice, clairement identifiée comme double de l'auteure, débat-elle avec Léa son amie de toujours devenue prostituée des mots à utiliser pour présenter son "métier" à la télévision. Rien de scabreux pourtant, rien d'idyllique non plus. Le fil qui unit Marie et Léa se tend, s'effiloche mais vibre toujours de l'amitié qui les unit malgré leurs dissemblances. Une très jolie rencontre.
Les inséparables, marie Nimier, folio 2010 , 275 pages comme une bulle de nostalgie.
L'avis de Tamara qui m'avait donné envie.
Celui d'Armande.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : marie nimier, amitié féminine
01/04/2010
Tu m'envoies un mail ?
Passer du monde du journalisme indépendant, autrement dit des précaires intellos, à celui de l'Entreprise, voilà qui devrait apporter un peu plus de sécurité , se disait Emmanuelle Friedmann. Las, elle vient d'entrer sans le savoir dans une entreprise qui cumule à la puissance dix ce que chacun de nous a déjà expérimenté : incurie, népotisme, langage tournant à vide, mauvaise organisation de travail, quand travail il y a de la part de certains employés plus occupés à préparer leur week-end et à se faire mousser qu'à bosser, sans compter bien sûr les relations humaines ,atroces.
Chefaillons plus occupés à défendre leur pré carré qu'à bosser, grands chefs qui regardent la mêlée d'en haut sans jamais prendre position, collègues méfiants, elle aura eu droit à tout Emmanuelle. Sans jamais renier ses valeurs, elle tentera de faire face, avec humour et ironie , à ce qui va vite tourner au harcèlement moral, ce que chacun feindra de ne pas voir.
Tu m'envoies un mail, souffre peut être d'un décalage entre la présentation qui insiste sur l'humour (bien présent) et la situation décrite. L'heure n'est pas à la plainte , c'est une perte d'énergie comme le serine sa psy à l'héroïne, et du coup elle utilise l'humour comme politesse du desespoir.Reste qu'on est bien plus sidéré par les situations décrites qu'en train de sourire.Il n'en demeure pas moins que ce récit est une plongée nécessaire dans le monde de l'entreprise.
Tu m'envoies un mail ? Emmanuelle Friedmann, Privé 2010 .
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : emmanuelle friedmann, harcèlement moral, comment survivre en entreprise