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06/08/2009
Les porteurs de glace. Anna Enquist #4
"Je veux de l'efficacité . Supprimer les choses superflues et vaines." Ainsi s'exprime Nico, qui vient d'obtenir la direction d'un hôpital dont il a entrepris de changer l'organisation, ce qui ne va pas sans heurter. Maîtriser, rationaliser le monde extérieur, pour ne pas se laisser rattraper par le désordre, les émotions. Voilà sa manière de lutter contre ce qui le submerge et qu'il tait.
Unie avec lui dans le silence, son épouse, Lou." Elle avait connu ses pensées, ses sentiments. il lui manquait." Lou qui tente d'interroger leur relation à la langue pour éclaircir la situation.Mais ce "fardeau froid", ce "secret glacé" les handicape et les enferme chacun dans sa bulle de détresse.
Bien évidemment toutes ces énergies bridées n'attendent que la plus petite étincelle pour mettre le feu aux poudres...
Histoire d'un couple, histoire d'un secret, d'un échec, Les porteurs de glace est aussi un roman, dense et puissant qui interroge notre besoin de "bâtir une histoire", donner de la cohérence quand nous ne sommes que "débris".
Très court, ce roman d'Anna Enquist est à la fois le plus accessible et l'un des plus riches par les thèmes qu'il aborde. La quasi sécheresse de la langue y est tempérée par l'attention scrupuleuse et sensuelle aux éléments naturels et au plus petites variations des sentiments des personnages, dépassant ainsi ce que l'intrigue pourrait avoir de convenu. A se procurer sans hésiter !
Deux reproches cependant : la 4 ème de couv' dont la lecture est à proscrire, sauf à vouloir connaître le déroulement complet du roman, et un "policlinique" qui a heurté mes yeux...
Les porteurs de glace, Anna Enquist, paru aux Pays-bas en 2002, chez Actes sud en 2003, chez babel en 2006. traduction de Micheline Goche.
L'avis de Clarabel
L'avis de AL
06:00 Publié dans Littérature néerlandaise | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : anna enquist, communication, couple, comment faire face à l'indicible
05/08/2009
Un soir, à la maison
"Je t'entends déjà te plaindre que j'ai mis chez toi un foutu bordel."
Mais à quoi pensent les profs quand ils demandent de raconter Un soir à la maison ? Se rendent-ils compte du fossé qui existe entre les images d'Epinal toutes roses et jolies, tranquilles,banales pour tout dire, et la réalité, beacoup plus crue que vivent -parfois- leurs élèves ? Ces derniers, pas dupes, vont s'employer à travestir leur quotidien pour mieux répondre aux attentes implicites du correcteur et ne pas dévoiler ce qu'ils sentent- confusément ou pas- ne pas être la norme...
Ce décalage c'est justement l'interstice dans lequel se coule Annie Saumont pour mieux souligner les dysfonctionnements qui existent dans la vie de ces personnages qui pourraient être nos voisins ou nous mêmes. Ainsi cette femme qui s'obstine à mettre six bols à table le matin , ou celle qui cale le biberon de son "bébé de rêve," sitôt conçu déjà plus désiré, "entre un exemplaire de La divine comédie et un manuel des bonnes manières, une cordelette fixant le tout", petites vies assassinées en douce, en passant...
ça grince, ça tire, ça fait mal ces récits ou ces dialogues qui semblent pris sur le vif ,comme ce goujat au restaurant qui fait les questions et les réponses et s'étonne que son invitée ne mange pas, (vu ce qu'il lui balance pas étonnant qu'elle ait du mal à avaler!). Alors oui, c'est noir, c'est sans espoir, ça tord le coeur, parfois c'est un peu raté aussi car trop prévisible mais il n'en reste pas moins que la langue, tordue, triturée, maltraitée par Annie Saumont ça décape !
Un soir, à la maison, Annie saumont, Pocket juillet 2009, 154 pages qui mettent le bordel ! 5 euros.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : annie saumont, tranches de vie, saignantes les tranches
04/08/2009
La blessure. Anna Enquist #3
La blessure est un recueil de nouvelles parfaitement clos sur lui même. En effet, Anna Enquist réussit le tour de force de partir d'un fait authentique, un père et ses deux fils qui ont erré sur un bloc de glace pendant quatorze jours au 19 ème siècle "la traversée", de nous parler de relations familiales plus contemporaines, de football, de l'organisation de la cuisine d'un hôpital, de tableau retrouvé, pour terminer par un texte qui nous donne, mine de rien, en passant, des nouvelles de personnages évoqués précédemment, dans un paysage d'une luminosité, une blancheur absolue, équivalente à celle inaugurant le recueil. Armature solide donc.
Point commun à tous ces personnages, qu'ils soient adultes ou enfants ? Une blessure, une fragilité,"Je me sens comme un tache mal délimitée" qui va soudain les faire basculer , un peu -ou plus - dans un état de bouleversement qu'ils affronteront avec des armes variées. Ce peut être la politesse car "La politesse est un poignard en or", la connaissance: Jacob qui est le seul à savoir nager et lire dans cette famille de pêcheurs, veut à tout prix s'en sortir, alors que son père et son frères, plus frustes, s'abandonnent aux éléments...
Anna Enquist souligne les ambivalences de ses héros, ainsi une adolescente qui ment à ses parents pour aller rejoindre celui dont elle croit être amoureuse : "Pourquoi ne sait-elle pas ce que je fais, pense Hanna,pourquoi est-ce que je me mets à pleurer, pourtant je ne veux surtout pas qu'elle le sache."
L'auteure excelle à nous montrer, sans pathos, l'hystérie qui s'enflamme soudain dans une communauté vivant en quasi autarcie, ou celle qui couve à bas bruit dans le cerveau d'un excellent gestionnaire, plus apte à la déceler chez les autres qu'à la reconnaître chez lui. La description de toutes les stratégies qu'il met en place inconsciememnt pour la tenir à distance est proprement époustouflante. Quant à celle, hallucinée ,des relations d'un couple hollandais dans un camping français à la veille d'un match de foot , elle vaut aussi tous les romans."Les vacances se passent à laver.De la vaisselle, des vêtements, des corps.Tout est enduit de savon et maintenu sous un filet d'eau. Pendant ce temps, il faut crier comme dans une conversation en plein ouragan.
"Je voudrais être morte.
-Je n'arriverai pas à me débarrasser de cette tache de gras.
- Ce soir je vais me pendre
-J'aimerais faire des rognons. "
Et cetera.Tout se perd dans le vent."
C'est en effet avec une grande économie de moyens, mais avec beaucoup d'empathie, qu'Anna Enquist relate ces instants , sans jamais céder à la facilité de la nouvelle à chute, préférant évoquer des atmosphères, raconter de manière simple , nette et efficace. Ainsi en deux phrases : "Le morceau de glace remonte en basculant à la surface. Pas père." Du grand art .
La blessure, Anna Enquist.1999, édité chez Actes Sud en 2005, chez Babel en 2007.Traduction du néerlandais par Isabelle Rosselin267 pages infiniment justes.
Un énorme merci à Cuné qui m'a offert ce livre, me permettant ainsi de découvrir cette auteure !
06:00 Publié dans Littérature néerlandaise | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : anna enquist, nouvelles, communication, basculement, fragilité mentale
03/08/2009
La bouffe est chouette à Fatchakulla
Bienvenue à Fatchakulla, petit comté tranquille , entouré de marécages brumeux à souhait. Comme il ne se passe rien, ou presque, on y boit sec, on chasse ,on pêche et on chouchoute des matous un peu hors-normes : "Quant à l'heureux propriétaire de cet être hors pair, un chat à six doigts, à grosse tête,atteint de strabisme, il pouvait compter sur toute une vie de félicité." Alors quand " le plus fieffé salaud du canton de Fatchakulla", j'ai nommé Oren Jake Purvis qu'on soupçonnait de faire disparaître certains de ces matous -entre autres forfaits - est retrouvé mort , il ne s'est pas trouvé grand monde pour le pleurer.
Mais les victimes s'accumulent, éparpillées un peu partout , façon puzzle, comme aurait dit Audiard, et les esprits s'échauffent, d'autant plus que certains morceaux sont portés manquants...
La bouffe est chouette à Fatchakulla est un divertissement très réussi, à la croisée du Lézard lubrique de Melancholy cove et de Fantasia chez les ploucs.On y sourit, on y frissonne et très souvent en le lisant me sont venues des images tirées des Mystères de l'Ouest (la série ,pas le film, grandguignolesque et boursouflé), pour ce qui concernait l'élucidation du mystère...
Un grand merci à Cuné !
Ned Crabb, La bouffe est chouette à Fatchakulla, Folio policier, 267 pages , seulement !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : ned crabb, humour, suspense, farce et bonne tranche de rigolade