26/11/2024
L'agent
"Observant les convives, Anthony ne put s’empêcher de se dire que leurs vies valaient moins cher qu'une voiture d'occasion. Ça sautait aux yeux, à leurs vêtements, leur façon de parler, leurs dents mal alignées, et au simple fait qu'ils passaient leurs vacances dans un camping à Vierzon. Des vies méprisées et bradées par la société. Comme sa mère autrefois, qu'on laissait poireauter des heures derrière un guichet administratif et qu'on regardait sans aucune considération. "
Que voilà un attelage bizarre : à ma gauche, Anthony, agent de tueurs à gages, forcé, après une opération calamiteuse de prendre la poudre d'escampette; à ma droite, Thérèse, soixante-quinze ans, directrice d'une agence matrimoniale au bord de la faillite , qui se remet d'un AVC , prête à tout pour échapper à l’Ehpad.
Comment ils vont se rencontrer et aller se mettre au vert ensemble dans un camping à Vierzon n'est qu'une des nombreuses péripéties de ce roman à la fois drôle et caustique où ça défouraille à tout va entre des réflexions sur une société où "Les gens sont prêts aux plus viles manipulations du langage pour ne pas égratigner leur univers petit-bourgeois". Société où la vie de certains vaut largement plus que d'autres.
Il y est aussi question de solitude et de la nécessité de faire bloc, ensemble pou affronter le réel. Un bien joli programme mené tambour battant par Pascale Dietrich à son meilleur.
Liana Levi 2024, 190 pages à dévorer d'abord puis à relire attentivement, en n'oubliant surtout pas les nombreuses citations qui l'agrémentent.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pascale dietrich
25/11/2024
Tentatives d'évasion
" Il avait quelque chose de timidement canaille, à la Claude Brasseur, mettons.
Je faisais les cent pas dans ce genre de pensées quand je l'ai vu, Christophe, planté à un mètre de moi.Il était là, vêtu d'un blouson an faux daim marron, de baskets à bandes scratch. Plutôt Victor Lanoux que Claude Brasseur,en fait. "
En six nouvelles, aux tonalités et personnages très différents, Cécile Reyboz scrute avec attention et humour parfois grinçant des hommes et des femmes qui voudraient faire un pas de côté, oser se lancer dans un relation amoureuse (et se rendre compte que l'autre n'est pas sur la même longueur d'ondes ou que soi même on est victime de ses préjugés) ou ,au contraire, rompre une relation amicale devenue pesante. Bref se lancer dans un projet, petit ou grand qui viendrait secouer la monotonie de la vie.
Petites ou grandes lâchetés sont évoquées parfois sous l'angle du fantastique , assez classique dans "Zor", d'une infinie délicatesse dans la nouvelle "Si tu veux" qui clôt de manière magistrale ce recueil où l'on se reconnaît volontiers dans ce miroir que nous tend l'autrice. Un pur régal qui confirme tout le bien que je pensais déjà de cette autrice.
Editions Quadrature 2024, 125 pages à savourer .
Envoi de l 'éditeur sans rémunération.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cécile reyboz
07/11/2024
Eden ..en poche
"Cela m'a fait comprendre que même si mon travail consiste à analyser la manière dont idées et sentiments se coulent dans le moule du langage, je n'ai pas toujours été très douée pour faire coïncider mes pensées avec mes paroles. Il est à la fois étrange et illogique qu'une souris soit à l'origine de telles réflexions , et il est plus bizarre encore que, juste après, j'aie décidée de construire un mur en pierres. "
Alba enseigne la linguistique à l'université de Reykjavík, participe à des colloques dans le monde entier sur les langues en voie de disparition , sans que cela soit suivi de beaucoup d'effet... Elle assure aussi la lecture et la correction d 'ouvrages pour une maison d'édition qui la tanne pour qu'elle lise un recueil de poésie, ce que la jeune femme semble toujours remettre à plus tard.
Du jour au lendemain, peut être à la suite d'un rêve, la trentenaire décide d'acquérir une maison dans la campagne islandaise et de planter une forêt de bouleaux.
Tous ces faits, en apparence juxtaposés, trouveront progressivement leur explication, parfois données par le père, la sœur d'Alba ou d'autres protagonistes de ce roman que j'ai dévoré d'une traite avant de le relire dans la foulée plus posément cette fois.
Il y est en effet beaucoup question de mots, et l'on y découvre au passage, le fonctionnement ardu de la langue islandaise, mais aussi de nature, de réfugiés et du changement climatique, le tout sans aucune leçon donnée.
Tout y est fluide, aussi bien le style que la manière dont les gens passent d'un métier à un autre, ou le temps de la neige en mai au soleil radieux. Un pur délice qui file, bien évidemment, sur l'étagère des indispensables.
06:03 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : audur ava olafsdottir
05/11/2024
En Salle...en poche
"Sur l'écran des frites, les 27 more pending annoncent un rush qui n'en finira plus. L'heure de débauche est arrivée pour moi mais tout le monde tourne la tête , m'ignore et je continue d'implorer je peux rentrer maintenant ? Cinq minutes passent, vingt minutes, trente minutes. Ils m'ont oubliée là , dans l'affluence infinie. "
L'incipit de ce roman qui alterne, en séquences parfois très courtes, l’entretien d'embauche de la narratrice dans un fast-food et le souvenir d'enfance de sa famille se rendant dans ce type de restaurant, source de joie et d'excitation pour les enfants et d'angoisses pour le père , est extrêmement fort. Tout est déjà dit de cette inadéquation de cette famille modeste qui ne possède pas les codes et se trouve submergée par la mécanique précise du fast-food.
Cette même oppression ressentie par le corps du père à l'usine et par la fille quand elle officiera dans ce type de restauration rapide.
Horaires à rallonge, petits chefs jouissant de leur pouvoir, valeurs faussées, tout est vu de l'intérieur avec acuité. Cette même acuité dont fait preuve la narratrice quand elle analyse la maison que lui fait visiter un petit bourgeois de son entourage. Un premier roman qui nous fait ressentir ce que c'est que le travail abrutissant aussi bien les corps que les esprits.
06:03 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claire baglin
04/11/2024
Highlands
"Ici, tout est à la fois statique et mobile, ancré et temporaire."
Trois femmes, totalement différentes, ne se connaissant pas, se rendent dans les Highlands d’Écosse, en plein hiver.
Là, face au climat changeant, aux paysages somptueux, elles vont expérimenter avec leur corps la rudesse de ces territoires qui les éreintent , mais les libèrent aussi.
Placé sous l'égide de Nan Sheperd, infatigable arpenteuse des collines de Cairngorms, écrivaine et poétesse professant l'union avec la Nature, ce roman choral flirte avec le fantastique (voire l'horreur parfois) pour atteindre cet objectif.
L'écriture est précise et nous plonge avec sensualité dans ces espaces sauvages qui prennent vie de manière intense sous nos yeux. Une expérience puissante (et qui m'a donné envie de découvrir La montagne Vivante de Nan Sheperd). Et zou, sur l'étagère des indispensables.
192 pages
Les Éditions Québec Amérique
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : fanie demeule, québec
01/11/2024
Nos vendredis
"Ça respirait le bonheur d'avant. Tout était si paisible. On entendait les oiseaux et le froissement des feuilles de papier. Elle inspire cette nostalgie-là. Elle envie cette paix-là.
C'était l'époque où ,légère, elle flânait entre les rayonnages en bois.
C'était époque où Blanche n'aimait que son mari. "
Meg, autrefois journaliste, aujourd’hui mère comblée de trois enfants , entreprend de relater la vie de son quartier cossu pour échapper à un quotidien trop étouffant.
Ici, tout est feutré, les burn-out maternels se font en catimini et les grandes baies vitrées ne révèlent rien des secrets de ses voisins.
Pourtant, la forêt est proche. Pourtant, un cri de femme, que ne semblent pas entendre les hommes du quartier , jaillit la nuit. Cri de frustration, de désespoir ?
Au fil des chapitres, nous découvrons cet univers où les problèmes se règlent avec délicatesse, où les drames sont tus. Quelques coups de griffes au passage, mais rien de trop sérieux car l'autrice privilégie la subtilité et l’empathie envers ses personnages. Une jolie découverte que ce premier roman.
Editions Les Impressions nouvelles
06:00 Publié dans Roman belge | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : nathalie marquès