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28/01/2022
Le lièvre d'Amérique..en poche
"Diane ne se souvenait pas de cette impression de faire entièrement partie du paysage, de la proximité des grandes oies des neiges, comme si elles piétinaient sa peau. C'est sûrement ça qu'elle avait oublié en partant subitement. L'appartenance."
Alternant les souvenirs d'adolescence de Diane et de son ami Eugène dans une nature sauvage où ils évoluent en parfaite harmonie, descriptions naturalistes de l'animal qui donne son titre au roman et récit d'une Diane adulte se remettant d'une mystérieuse intervention destinée à la rendre encore plus performante, le texte de Mireille Gagné alterne les tonalités et les temporalités sans jamais perdre son lecteur.
L'écriture est étonnante de véracité et de poésie , tant dans les sentiments que dans les descriptions de la nature et c'est par petites touches que se découvre une transformation qui pourrait aussi bien appartenir à l’univers du conte qu'à un futur très proche, tant les manipulations génétiques deviennent monnaie courante.
On suit de l’intérieur la métamorphose de Diane ,accro au boulot, qui s'est coupée de tout et de tous ( surtout de la nature, en fait)qui est devenue une proie et agit en tant que telle. On l'accompagne dans cette transformation, le souffle court, le cœur battant, espérant que la jeune femme s'en sorte.
A noter que l'autrice fait la part belle au vocabulaire maritime et au parler rural de l'île aux grues, île située sur le fleuve Saint-Laurent, donnant ainsi plus de véracité à son texte, mais aussi de précision et de charme.
S'inscrivant dans la lignée de La femme changée en renard de David Garnett , ou plus acide et violent de Truismes de Marie Darrieussecq, Le lièvre d’Amérique renouvelle le genre , par sa poésie et son amour de la nature, et se prête comme ses prédécesseurs à de multiples interprétations. Un grand coup de cœur pour ce récit envoûtant !
Et zou, sur l'étagère des indispensables.
06:03 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mireille gagné
27/01/2022
L'apparence du vivant
"Je pourrais achever tous les gens qui le méritent. Je préfère les laisser pourrir. "
Parce qu'elle cherchait des personnes âgées acceptant de poser nues devant son objectif, la narratrice fait la connaissance de Madame Martin, propriétaire d'un ancien funérarium à Liège.
Fascinée depuis l'enfance par la mort, un tel décor ne pouvait que plaire à la jeune femme qui entre alors au service de cette dame et de son tranquille époux. Entre les deux femmes s'établit une connivence , une relation de tendresse, mais aussi la transmission d'un savoir-faire: celui de la taxidermie. Un art dont Madame Martin veut repousser les limites à l'aide de sa protégée.
Pour un premier roman, c'est un coup de maître car Charlotte Bourlard évoque, avec beaucoup de tranquillité et quasiment sans affect, le parcours de ces deux femmes qui entretiennent de bien curieuses relations avec la mort. Sans coup de théâtre, mais par petites touches , nous entrons dans un univers où l'on frémit d'avance pour tous les êtres encore vivants qui côtoient ces deux femmes. Les descriptions techniques de la taxidermie, j'avoue les avoir juste survolées tant le texte nous pousse dans nos retranchements. Le corps, humain ou animal, est bien évidemment au cœur de ce roman qui évoque avec un grand naturel toutes les dégradations que la vieillesse et/ou la mort lui infligent.
Aucun excès dans l'écriture qui reste toujours très sobre, même quand elle décrit les pires vengeances, et on finit par s'attacher à ces personnages qui devraient susciter l'horreur. Tout reste feutré et mesuré avec quelques pointes d'humour noir. Du grand art.
Éditions Inculte 2022, 130 pages vénéneuses.Et zou sur l''étagère des indispensables, mais attention aux âmes sensibles.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : charlotte bourlard
25/01/2022
La vallée des fleurs
"Viens me chercher, je pense. Emmène-moi. Laisse-moi me jeter dans la mer obscure. "
La vallée des fleurs est un roman tout en contrastes qui relate l'itinéraire d'une jeune femme inuite qui va intégrer une université au Danemark. Si son homosexualité est tout à fait acceptée par sa famille, on sent bien d'emblée que sa singularité se situe ailleurs et qu'elle dérange. Serait-ce son hypersensibilité ou un comportement parfois atypique ?
Au Danemark, l'effort d’adaptation au monde étudiant ,mais aussi aux subtilités de la langue (elle ne détecte pas immédiatement l'ironie ,par exemple) vont lui être coûteux et un deuil dans la famille de sa petite amie sera l'occasion pour elle d'aller dans l'Est du Groenland ,près de ce cimetière qui donne son titre au roman.
Car la mort irrigue ce roman, dont les têtes de chapitre de la première partie sont scandés par la mention factuelle de suicides de jeunes gens. Une vague de suicides touche en effet le Groenland et les mesures prises pour l'endiguer ne semblent guère efficaces.
Si l'humour est bien présent, la souffrance l'est tout autant et l'autrice dépeint avec une extrême sensibilité cette écorchée vive qui tente de se retrouver. Un roman extrêmement dépaysant , qui montre aussi bien la beauté sauvage que les laideurs de ce pays, sa rudesse et sa délicatesse.
Traduit du danois par Inès Jorgensen
La Peuplade 2022.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : niviaq korneliussen
24/01/2022
#LesJourssuivants #NetGalleyFrance !
"Comment passer ce temps qui d’ordinaire était avalé par le travail, les écrans, les courses. Il supportait le train-train en se focalisant sur des objectifs agréables, des rendez-vous, des promesses de bons moments vers lesquels il tendait, glissant sur un quotidien vécu comme une attente un peu impatiente. "
Imaginez : en plein hiver, à la campagne, une panne d'électricité qui s'éternise. Voilà qui risque sérieusement de chambouler nos habitudes et de pas mal nous perturber.
C'est la situation dans laquelle Caroline Sers plonge ses personnages et en particulier son héros , Pierre,installé depuis quelques temps à la campagne où il a eu le temps de tisser des amitiés , en particulier grâce au café associatif . Un endroit qui va jouer un rôle essentiel dans le maintien des liens et le partage des informations.
Malgré un début un peu lent, des dialogues parfois empesés, je me suis prise au jeu et j'ai passé une partie de la nuit à dévorer ce roman (ce qui m'arrive rarement) tant l'autrice a le chic pour ménager le suspense et créer des personnages attachants. Si je n'ai pas été totalement convaincue par l' itinéraire d'un personnage féminin, il n'en reste pas moins que , sans édulcorer, ni dramatiser à l'outrance, l'autrice pose les bonnes questions et nous interroge sur un mode de vie qui bat sérieusement de l'aile...
Calmann-Lévy 2022,
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : caroline sers
22/01/2022
La reine des orties...en poche
"Cette fille possédait un don, elle voyait l'invisible.
Ou encore, je le comprends aujourd'hui, ce que nos refusions de voir."
Tous les habitants du Palais des orties, chat et chien y compris tombent sous le charme de Fred, jeune woofeuse venue aider Nora, Simon et leurs enfants , contre le gîte et le couvert.
Rien de glamour, rien de branché dans cette campagne triste où Simon a repris l'exploitation familiale mais l'a orientée vers la culture de cette plante que tout le monde rejette: l'ortie.
Mais ce que Marie Nimier peint, dans ce récit rétrospectif , est surtout l'histoire d'une passion amoureuse entre deux femmes.
Avec beaucoup de délicatesse, d'empathie, elle nous fait partager la vie de cette famille que Fred va bouleverser , sans nous livrer pour autant tous les secrets de ces personnages qui nous deviennent vite familiers.
Un roman où l'autrice semble se libérer des carcans où on la sentait parfois enfermée dans ses précédents ouvrages. Une lecture réconfortante et brûlante à la fois.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marie nimier
21/01/2022
#Amalia#NetGalleyFrance !
"Pour que la vie soit meilleure, il suffit parfois de lui laisser le temps. "
Jonglant entre sa petite fille de quatre ans, sa belle-fille de dix-sept (ses humeurs en dents de scie et son addiction aux youtubeuses beauté), son boulot où l'on lui demande d'être agile et élastique (les nouveaux concepts à la mode), Amalia s'épuise.
Certes, son compagnon met la main à la pâte, mais les nouvelles anxiogènes , la terre qu'on maltraite , sans compter une pandémie qui apparaît en pointillés, tout cela fait qu'un jour le corps d'Amalia dit : "Stop"
Diagnostic de la médecin consultée en visio : "Vous faites une intolérance au rendement. "
Petit à petit, non seulement l'héroïne, mais tout son entourage vont modifier leur façon de voir, leur façon d'agir, chacun à leur échelle. La nature, via une fougère ou une variété de blé vont les y aider , sans oublier certains proches.
Tout en douceur, tant au niveau des couleurs que du graphisme, Aude Picault brosse un portrait réaliste de notre société. On pourrait lui reprocher de ne pas montrer avec suffisamment de violence ce que peut être l'épuisement d'Amalia , d'édulcorer la situation, mais pourquoi rajouter de la noirceur là où il y en a déjà assez ?
Dargaud 2022.
06:00 Publié dans BD | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : aude picault
20/01/2022
On noie bien les petits chats
"Cet enfant tombé de ton ventre, c'est par tes bras, ton regard, ta parole, qu'il consent à advenir. "
Renvoyée chez elle par une sage-femme violente tant en paroles qu'en gestes, Betty va accoucher sur le palier de son appartement dans des conditions atroces. Son enfant et elle ne devront la vie qu'à un chauffeur de taxi, père de famille nombreuse , qui aura su garder son sang-froid.
A la maternité, la jeune femme a tout oublié de ces événements dramatiques, mais le cauchemar ne semble pas fini pour autant. En effet , son mari reste injoignable, mais son enfant a été baptisé Noé par un inconnu qui prétend être le père auprès du personnel hospitalier.
Transférée dans un unité spécifique pour aider les mères à nouer une relation avec leur enfant, Betty va peu à peu lever le voile sur des traumatismes réveillés par cette naissance et surtout par le prénom de Noé.
Si j'ai apprécié l'intrigue, riche en rebondissements et anxiogène à souhait, j'ai encore plus aimé la description fine, pleine d'empathie et de bienveillance , autant pour les soignants que pour les soignés, de cette unité mère-bébé. On se doute que l'expérience professionnelle de l'autrice y est pour beaucoup et qu'elle nous fait partager sa vision pleine d'espoir et d'humanité. Une lecture haletante.
Éditions Eyrolles 2022.
06:01 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : françoise guérin
14/01/2022
Lumière d'été, puis vient la nuit...en poche
Un village de quatre cents âmes perdu au milieu de la campagne islandaise. Ses habitants, parfois hauts en couleurs, travaillés par la solitude, l'usure des couples, le désir amoureux, l'envie de partir, la violence, la bienveillance, bref par tous les sentiments qui agitent un microcosme observé avec beaucoup de bienveillance par l'auteur.
La mort est souvent présente, parfois cruelle, parfois choisie, et irrigue constamment ce texte qui tient à la fois du conte et de la poésie.
Laissez-vous embarquer par cette lecture-fleuve qui fait aussi la part belle à la Nature.
Magnifique traduction de l'islandais d 'Eric Boury.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : jón kalman stefánsson
13/01/2022
Mathilde ne dit rien...en poche
"Mathilde se dit que si, elle imagine. Elle sait très bien ce que c'est d'être envoyé dans les marges par la force centrifuge du monde."
Le roman débute par une scène de violence psychologique à couper le souffle et se clôt par une scène de violence, physique cette fois qui laisse le lecteur groggy .
Le point commun de ces deux moments intenses ? Mathilde. Celle qui ne dit rien, essaie de passer inaperçue, mais c'est compliqué quand on a son gabarit. Travailleuse sociale , Mathilde fait son job de manière efficace, sans doute parce qu'elle a connu de près les galères de ces gens qu'une facture de trop peut faire valser dans la misère. Mais le passé douloureux de Mathilde nous ne le découvrirons que peu à peu.
Tristan Saule peint avec une précision d'entomologiste le quotidien de ces gens (voir en particulier la scène de la baguette chaude au supermarché de proximité qui s'organise comme une chorégraphie muette ) les rouages des aides sociales, les trafics, la violence...Il choisit de ne pas surplomber ses personnages mais se met à leur hauteur, analysant avec précisions les mécanismes de ce qui peut entraîner ces gens fragiles dans la misère. Un roman social d'une force extrême.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2)
11/01/2022
Un hiver de coyote
"-Tu sais quoi ? Le mieux serait encore que tu te fasses oublier."
Marie cumule les handicaps pour la mission qu'elle vient de décrocher au Québec. C'est une femme, elle est française, jeune, et surtout elle n'est pas une technicienne mais une biologiste, ce qui est totalement rédhibitoire pour celui qu'elle doit assister : Laurier, grand trappeur devant l'éternel.
La voilà donc par des températures de -20 °C partie étudier les coyotes en Gaspésie, sachant que Laurier ne lui fera pas de cadeau et ne se rendant pas toujours compte que la moindre erreur peut entraîner la mort dans cette nature magnifique mais dangereuse.
Pourtant Marie va s'acclimater à tous points de vue et nous faire partager avec humour et sans prétention, ce qui la rend infiniment sympathique, ses aventures au sein de l'hiver canadien. Un grand plaisir de lecture même si l'histoire sentimentale, un peu télescopée à mon goût ne me paraissait pas nécessaire.
Un grand merci à Aifelle qui m'a redonné envie de dévorer ce roman: clic.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : marie-lazarine poulle